Doom Patrol existe depuis 60 ans cette année et elle est partagée entre deux tendances : soit rivaliser avec Marvel (et notamment avec une école de superhéros comme les X-Men, même si au début le modèle était plus les Quatre Fantastiques) ou bien au contraire suivre le modèle absurde et surréaliste créé par Grant Morrison au milieu de la deuxième série (en 1989-1996, et repris récemment dans la 6e série, 2016-2020).
Même si je ne suis pas fan de Morrison, le créateur originel Arnold Drake a dit s'être plus reconnu dans l'inventivité nonsense de Morrison que dans les versions plus premier degré (comme celles de Paul Kupperberg ou John Arcudi).
Avant d'écrire ce post, je croyais que ces 7 séries variaient de manière complètement incohérente mais je viens de comprendre qu'il y a un certain retour de cohérence entre les deux tendances depuis les 3 dernières séries des années 2009-2023.
Série 1 (1963-1968, 41 numéros)
Arnold Drake et Bruno Premiani développent la Doom Patrol comme une famille de marginaux. Le Chef réunit un pilote d'essai irradié au corps consumé (Negative Man), un pilote de voiture qui a perdu tout son corps (Robotman) et une actrice qui peut devenir géante ou minuscule (Elasti-Girl). On y ajoutera ensuite Mento (un millionnaire avec un casque lui donnant des pouvoirs télékinésiques et ensuite télépathiques) et Beast Boy (un jeune orphelin qui peut se transformer en n'importe quel animal). Elasti-Girl épouse Mento dans le n°104 (juin 1966) et après un long procès contre son tuteur Nicholas Galtry réussit à adopter Beast Boy dans le n°110 (mars 1967). Les ennemis récurrents sont le Général Immortus, la Confrérie du Mal (notamment le Cerveau et son gorille Monsieur Mallah), Garguax (un tyran extraterrestre exilé qui fabriquait des androïdes), Madame Rouge (institutrice française qui peut étirer son corps et se déguiser), The Animal-Vegetable-Mineral Man, Mr 104 (qui peut transformer son corps en n'importe quel élément atomique). Dans la dernière année de la série, dans une histoire qui semble avoir été presque complètement oubliée par tous les scénaristes postérieurs, Madame Rouge (de son vrai nom Laura DeMille) échappe pour un temps aux manipulations mentales du Cerveau et tombe amoureuse du Chef, pour rejoindre pendant quelques temps la "Patrouille de la Fatalité". Hélas, dans le dernier numéro, le n°121 (octobre 1968), elle retombe finalement dans le côté obscur, s'allie avec un mercenaire allemand, semble détruire à la fois ses anciens alliés de la Confrérie du Mal (mais ils reviendront tous ensuite) et la Patrouille (sauf Mento et Beast Boy - on apprendra plus tard que Robotman a en fait survécu). Beast Boy devint membre des Teen Titans, sous le nom de Changeling.
Série 2 (1987-1995, 87 numéros)
Paul Kupperberg relance une nouvelle version de la Doom Patrol en 1987 comme une imitation assez directe des X-Men ou des New Mutants. L'équipe compte toujours Robotman mais aussi Celsius (une ex-femme du Chef qui sera ensuite retconnée), Tempest (un vétéran qui lance de l'énergie) et Negative Woman (une Russe qui a hérité de l'être énergétique de Negative Man), mais on ajoute de jeunes élèves : Lodestone (pouvoirs magnétiques), Karma (dont le pouvoir psychique retourne les attaques contre ses adversaires) et Scorch (qui produit de la chaleur de ses mains sans arrêt).
Mais au bout de près de deux ans, les ventes baissent et Grant Morrison reprend le titre en 1989 en changeant complètement de direction, ce qui va donner à la Doom Patrol une gloire nouvelle de BD "culte" pour adultes. Presque tous les personnages sont éliminés sauf Robotman, le Chef (qui va devenir un vilain, ce qui serait un héritage décisif sur toutes les versions postérieures, même celles qui veulent s'écarter de Morrison) et de Negative Man (mais sous une nouvelle forme hermaphrodite comme androgyne alchimique). Morrison ajoute des personnages qui n'ont plus rien à voir avec des superhéros traditionnels : Dorothy Spinner (apparue avec Kupperberg, elle peut créer des personnes à partir de son imaginaire et a des crises liées à une forme sévère de syndrome pré-menstruel), Crazy Jane (ou "Kay Challis", qui a un TDI où chacune de ses 64 personnalités peut avoir des pouvoirs différents) ou Danny The Street (un "lieu" pensant qui pourra par la suite devenir divers "objets" ou endroits de taille différentes, voire une planète entière, et créera aussi de nombreux personnages comme la parodie de superhéros Flex Mentallo). La série devient fondée sur des jeux de mots littéraires, des références humoristiques absurdes où le comic est un jeu post-moderne sur le medium des comics et des clins d'oeil hermétiques sur des questions de genre ou d'occultisme. Lodestone revient sous une forme complètement nouvelle comme "axe" géomantique de la Terre. Après Morrison, la série est officiellement hors de l'univers DC dans la collection Vertigo. L'écrivaine Rachel Pollack (1945-2023), qui était notamment spécialiste du Tarot, prit la suite pour 25 numéros jusqu'à 1995 et elle introduisit Coagula, une héroïne trans qui a des pouvoirs alchimiques (Morrison utilise encore des personnages comme Flex Mentallo).
Série 3 (2001-2002, 22 numéros)
John Arcudi lance une nouvelle version où Robotman s'allie avec un groupe de jeunes superhéros qui commencent dans une organisation privée avant d'acquérir leur autonomie. Le début semble n'avoir aucun lien avec la version de Morrison (ce qui déplut aux fans) mais finalement dans les derniers épisodes on apprend que ce "Robotman" n'était pas l'original et avait été créé par l'esprit comateux de Dorothy Spinner. Le vrai Robotman ressuscite et Dorothy Spinner finit par décéder (Robotman continue de porter son deuil dans les séries 5-7).
Série 4 (2004-2006, 18 numéros)
John Byrne était un fan de la première série qui n'aimait pas le run post-moderne de Morrison. Il fit donc un reboot de la Patrouille qui reprenait depuis le départ en oubliant tout ce qui avait eu lieu (ce qui posait des problèmes de paradoxes pour d'autres personnages comme Beast Boy/Changeling). C'était la première fois depuis 1968 qu'Elasti-Girl existait à nouveau. Il reprit les 4 personnages originels et annula l'amour entre Elasti-Girl et Mento en révélant que Mento avait utilisé son casque pour contrôler Rita (d'où l'hypothèse que Byrne avait un rapport un peu obsessionnel à Rita, comme pour Jean Grey). Il ajoute trois membres nouveaux : Grunt (un humain normal transplanté dans un gorille à 4 bras, un peu comme Monsieur Mallah), Nudge (une Vietnamienne amie de Grunt qui a le pouvoir de contrôler les gens, peut-être une allusion à la Karma des New Mutants ?) et Vortex (un humain du lointain futur fait d'énergie temporelle). Chez Byrne, la Doom Patrol était avant tout un comic fondé sur les films d'horreur des années 1950 (la Géante, le Fantôme et le Monstre de Frankenstein) et leur ennemi principal était un Vampire à la place du Général Immortus.
Série 5 (2009-2011, 22 numéros)
Cette série, écrite par Keith Giffen, fut une des plus "syncrétiques" de toutes, tentant de concilier le reboot paradoxal de John Byrne avec toutes les versions antérieures. La série continuait le volume 4 (dans la même base, l'île Oolong) mais élimina Nudge et Grunt. Certains des Titans West comme Bumblebee et Vox, ainsi qu'un ancien Challenger of the Unknown et Ambush Bug (le personnage méta-référentiel créé par Giffen) rejoignirent l'équipe. Je reviendrai sur ce run qui me semble plus intéressant que les volumes 3 & 4. En tout cas, la situation des paradoxes temporels ne s'améliora pas avec ensuite une nouvelle Terre où la version de Kupperberg (début du volume 2) était décrite comme antérieure à celle du volume 1 et où le Chef était confirmé comme un monstre maléfique. Robotman eut droit à une nouvelle mini-série en six épisodes dans My Greatest Adventure (vol. 2) où apparaissait une nouvelle "Madame Rouge" mais cette histoire fut probablement aussi retconnée.
Série 6 (2016-2020, 19 épisodes - 12 sous le titre Doom Patrol + la mini-série de 7, Doom Patrol: Weight of the Worlds)
En 2016, le nouvel auteur Gerard Way se replace à nouveau dans la série de Grant Morrison des années 1990. En 2007-2009, Gerard Way avait publié The Umbrella Academy, qui venait en partie d'un projet avorté sur Doom Patrol que DC avait refusé (The Monocle dans The Umbrella Academy ressemble un peu à une nouvelle version de The Chief avec le même aspect de manipulation). La nouvelle personnage principale est une conductrice d'ambulance Casey Brinke et on découvre qu'elle est une émanation de Danny The Street. Gerard Way rend surtout un hommage aux délires de Morrison mais il fait ensuite réapparaître d'autres personnages de la Doom Patrol des origines.
Série 7 ("The Unstoppable Doom Patrol", 2023, 7 épisodes)
La mini-série actuelle (encore inachevée), écrite par Dennis Culver, me semble à nouveau plus syncrétique entre la fidélité au run de Morrison et l'influence de Chris Claremont. Cette Patrouille a une fonction proche des X-Men, avant tout comme organisation de refuge et de protection pour "métahumains" marginaux ou monstrueux (ce qui est un terme DC pour les "mutants"). Je n'ai pas vu la série TV mais j'ai l'impression qu'il y a aussi certaines influences. La nouvelle "chef" de la Patrouille est Kay Challis ("Crazy Jane") et l'équipe a ajouté au noyau originel d'Elasti-Woman, Robotman, Negative Spirit et Mento : Flex Mentallo (devenu le petit ami de Rita Farr), Beast Girl (qui peut déclencher des émotions), Degenerate (un amas de cellules colériques), Dr Syncho (psychologue de l'équipe et gestalt d'êtres extra-dimensionnels), Psylosimon, Worm, (l'ancien chef Niles Caulder n'est que toléré comme "conseiller"). Le General Immortus revient comme nouvel ennemi principal mais la Patrouille lutte aussi contre le gouvernement américain qui voudrait contrôler les métahumains.
Si on ne compte pas tous les hors-séries et annuals, cela fait donc 236 épisodes en 60 ans.
Qu'est ce qui vous déplait chez Morrison?
RépondreSupprimerJe trouve ce qu'il écrit assez arbitraire. Par exemple, chez Alan Moore, il y a des progressions, des structures élégantes dans ses récits, alors que chez Morrison, j'ai toujours l'impression d'une succession d'idées parfois suggestives, parfois simplement aléatoires. Je ne suis quasiment jamais satisfait par ses récits, même s'il a beaucoup d'idées. J'ai bien aimé certains aspects de 18 Days, de Multiversity ou de 7 Soldiers. Mais ses Invisibles, ses X-Men ou Infinite Crisis étaient pénibles et lourds. Je trouvais son Green Lantern presque illisible s'il n'y avait pas eu les dessins de Liam Sharpe. Je n'ai jamais lu son Batman ni Animal Man. Il est très malin, il a de l'humour, mais il me semble toujours vouloir épater la galerie.
RépondreSupprimerCela dit, je suis sur un point plus de son côté que de celui de Moore : je continue à lire des comics de superhéros alors que Moore a récusé tout le genre...
D'accord.
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