mercredi 5 janvier 2011

[comics] 18 Days


Je ne parle plus tellement de comics cette année parce que tout le medium m'ennuie un peu en ce moment. Les seuls comics qui m'ont procuré du plaisir ces derniers temps sont Alice in Sunderland de Bryan Talbot (malgré son didactisme un peu indigeste) et le storyboard 18 Days de Grant Morrison et Mukesh Singh.

Morrison m'avait d'habitude laissé froid. Ses oeuvres plus expérimentales comme Doom Patrol, Invisibles ou Sea Guy me paraissaient lourds dans leur volonté de symbolisme d'avant-garde et leurs allusions au Surréalisme (Alan Moore, que Morrison veut toujours tenter d'invoquer, manie souvent les allusions avec plus de subtilité). Ses oeuvres plus mainstream comme JLA, Seven Soldiers ou X-Men me paraissaient souvent décevantes dans l'exécution malgré quelques Grandes Idées de départ (et je ne parlerais même plus de Final Crisis que je trouve simplement raté et illisible).

Mais je dois avouer que j'ai adoré 18 Days. Ce n'est d'ailleurs pas un comic-book mais le script de Morrison (pour l'instant seulement les 3 premiers jours dans le volume 1) pour une adaptation en dessin animé de la plus grande épopée du monde, le Mahābhārata, avec des concepts graphiques à la Druillet par Mukesh Singh.



J'étais souvent sceptique quand Morrison voulait puiser dans le fonds mythopoétique - par exemple son Shining Knight qui veut faire la synthèse de multiples variantes arthuriennes des Mabinogion. Mais ici, son Jungisme éclectique et confus donne enfin un résultat intéressant dans la mythologie hindoue.

Certes, je pourrais me passer des délires ajoutés et de tout l'habillage SF, des dinosaures, des cyborgs, des vaisseaux spatiaux (et encore plus de certains passages mystiques sur notre propre époque réelle). Mais le Mahābhārata se déroule après tout dans une autre ère, à la fin du Troisième Âge, avant notre propre monde et ce thème apocalyptique de la Fin d'Un Monde pour faire naître un Autre Monde est assez bien développé. Morrison décide de relire cette Guerre d'un passé très lointain depuis Star Wars et c'est un angle qui n'est pas complètement idiot.


Et surtout Morrison a simplement très bien saisi certains personnages de l'épopée. Son script me paraît vraiment une très bonne introduction indispensable à l'ambiguïté des deux camps.

Je disais l'autre jour que j'aimais (mais c'est en partie un contre-sens chrétien) Hector ou Arjuna en tant que l'archétype du Héros Réticent (avant que Kṛṣṇa n'arrive à lui faire accepter son rôle de guerrier dans l'ordre cosmico-social du Dharma), mais le script de Morrison me convainc de préférer encore son aïeul Bhīṣma, modèle du Héros noble tragique. Non seulement l'invincible Bhīṣma (qui ne pourra mourir que lorsqu'il y consentira) est aussi un Héros réticent, mais en plus il suit un devoir dont il sait déjà qu'il va le conduire à sa perte et qu'en plus il est du Mauvais Côté, mais il ne peut pas faire autrement. Arjuna a des doutes de tuer des adversaires nobles pour servir la juste cause, Bhīṣma sait douloureusement qu'il va devoir tuer des adversaires nobles et que tout cela sera vain.

Quant au Kṛṣṇa de Morrison, c'est une réussite surprenante et une lecture revivifiante de la Bhagavad Gītā. Au lieu du gentil pasteur bleu saint-sulpicien ou pompier des illustrations krishnaïstes contemporaines, Morrison fait de Kṛṣṇa une sorte d'Elfe Noir félin, sublimement beau mais incompréhensible, extraterrestre transcendant toute moralité humaine et tout point de repère et je crois que c'est la meilleure version de ce Dieu de notre point de vue d'Occidental, plus proche d'un Merlin diabolique ou de Morgane la Fée que d'un Jésus (de même que Morrison analyse le Roi parfait Yudhiṣṭhira en Roi Arthur blessé ou en Roi Pêcheur).


Je crois avoir compris que le dessin animé ne se ferait jamais et que nous n'aurons donc pour l'instant que ce script.

La construction qu'a choisie Morrison est de partir in medias res, depuis le premier jour de la Bataille entre les deux camps (c'est à dire en gros depuis le Livre 6 du Mahābhārata) et de reconstruire ensuite tout le récit par des flash-backs. Je ne sais pas si ce serait très compréhensible sur un écran pour ceux qui ne connaissent pas déjà les personnages principaux très nombreux mais c'est sans doute le plus satisfaisant si on ne veut pas partir ab ovo. La Bataille dure 18 jours et chaque épisode du dessin animé était censé être un jour.

On commence d'ailleurs par la Bhagavad Gītā du Livre 6 mais par une ellipse, en nous annonçant qu'Arjuna ne révélera ce que lui a dit Kṛṣṇa que par la suite. J'espère donc que la publication va continuer pour qu'on voie enfin la Théophanie qui n'est ici qu'esquissée. La mort de Kṛṣṇa doit ouvrir notre propre Âge, l'Âge sombre du retrait des Dieux, et Kṛṣṇa organise donc toute cette Guerre pour rendre possible cet Âge à venir.

2 commentaires:

Damien a dit…

"Ses oeuvres plus mainstream comme JLA, Seven Soldiers ou X-Men me paraissaient souvent décevantes dans l'exécution malgré quelques Grandes Idées de départ"

Oui,dans mon cas ses interviews etaient bien plus passionnantes que les séries (meme s'il y a de purs moment)

Il y a aussi de bonnes choses dans Invisibles mais le meilleur a mes yeux reste Flex Mentallo, une declaration d'amour aux comics et qui va enfin étre réedité.

Phersv a dit…

Il faut que je persiste un peu quand même pour essayer aussi son We3 (même si je me méfie de sa propagande animaliste). Et je crois que j'ai laissé tomber Animal Man et les Doom Patrols un peu vite (à cause des dessins d'ailleurs dans le dernier cas).