mardi 31 mai 2011

[Review] Jeux de SF Basic System (2) Other Suns


Other Suns (FGU, 1983) de Niall C. Shapero n'est pas officiellement un jeu Basic System mais il fut bien conçu à l'origine comme une sorte de "RuneQuest dans l'Espace" (même si les règles ont été rendues un peu plus complexes). Shapero le proposa, dit-on, à Chaosium, qui le refusa (peut-être parce qu'ils préparaient déjà la license de Ringworld ?) et il fut finalement édité par Scott Bizar de FGU. FGU était pourtant déjà connu pour son Space Opera et concurrençait donc son propre jeu, mais ces premiers temps du jeu de rôle n'avaient pas vraiment de stratégie de ligne éditoriale.

  • L'Univers d'Other Suns

    Niall Shapero a dit avoir développé l'univers d'Other Suns à partir de ses propres écrits dans les années 60-70 mais aussi de l'univers des romans de CoDominium de Jerry Pournelle et Larry Niven. Dans cette continuité, les deux ennemis de la Guerre froide, l'URSS et les USA, ont fini par fusionner en une dictature militaire américano-soviétique à la fin de la Guerre froide et Shapero y a repris aussi le nom Alderson pour sa compagnie de construction de vaisseaux. Il y a donc souvent des références à des noms russes, ce qui est assez rafraichissant par rapport à l'américano-centrisme habituel.

    Mais autant Pournelle ou le jeu Space Opera avaient un anti-communisme explicite (les règles de Space Opera précisent que tout monde communiste sera nécessairement pauvre et dictatorial), autant Other Suns semble bien plus ouvert à la possibilité que d'autres formes de gouvernement pourraient fonctionner quelque part dans l'univers. Il y a notamment une colonie humaine, Bakunin, qui est anarchiste.

    Mais la grande originalité de cet univers est qu'Other Suns est l'un des très rares univers de SF qui ne soit pas humano-centrique. Les Humains n'y sont qu'une race mineure, vassale des Altani dans l'Hégémonie L'Doran. Ces Altani ressemblent à des "Vulpidés", des Renards bipèdes anthropomorphes.

    Shapero avait en effet aussi rejoint vers cette période la culture de fans de comics zoomorphiques qu'on appelle souvent des "Furries". Le ghetto des Furries a acquis une sorte de stigmate chez les autres fans parce qu'ils ont souvent clairement un fétichisme érotique sur les dessins de mammifères vaguement anthropomorphiques (cela explique, même tongue in cheek, la désapprobation chez Maliszewski). Le jeu a donc inclus non seulement les Altanis créés par Shapero mais d'autres races aussi "furries" d'autres artistes et fans de ces premiers forums. Other Suns n'est pas à proprement parler un "jeu furry" (comme le sont par exemple Albedo, Shard ou World Tree), c'est un jeu "avec des furries" puisqu'on peut aussi jouer des humains.

    Les Humains sont sous la tutelle des Altani. Les Altani sont une race intéressante et détaillée. Shapero a même décrit plusieurs sous-cultures et leurs valeurs, pour éviter l'impression si courante de "monoculture" extraterrestre. Les L'Drey sont un autre peuple cousin des Altani mais qui vivent comme Nomades dans leurs vaisseaux spatiaux, car ils avaient fui leur monde en raison des persécutions anciennes contre les télépathes. Tous ces Vulpidés ont peut-être le défaut de paraître un peu trop parfaits, plus beaux, plus intelligents que les Humains. Ils ont des pouvoirs psi alors que les Humains n'en ont pas. Ils feraient presque penser aux "Elfes" dans certains jeux fantastiques. Pour imaginer l'univers d'Other Suns en termes de Traveller, c'est un peu comme si l'Imperium était dirigé par des Vargr qui auraient une culture plus proche des Zhodanis.

    Les autres races principales sont les Ata'a (qui ressembleraient à un mélange entre un centaure et une otarie - voir cet exemple de personnage), les Bjora (de très grands Ursidés), les Dakti (la race la plus inclassable qui selon les stades de ses métamorphoses ressemble à un saurien, un crabe ou une libellule), les H'reli (Félidés anthropomorphes), les Korli (des sortes d'écureuils géants), les Sanchenzi (des Lions anthropomorphes - plus "furry" que les Aslans), les Skiltaires (qui ressemblent à des Mustelidés, des belettes télépathiques) et enfin les Urquoi (de grands sauriens). Des suppléments non-publiés () mentionnent une autre race terrienne manipulée génétiquement, les Khromatai, qui sont aussi des Mustelidés mélangés avec d'autres mammifères terriens au lieu d'être une "évolution parallèle".

    L'Empire terrien issu de la dictature américano-soviétique a été détruit dans une grande guerre entre les Terriens et l'Hégémonie L'Doran. La Terre a été détruite et les Humains du jeu descendent au XXVIe siècle de mondes souvent persécutés par l'Empire terrien (certaines planètes utilisées par le Goulag du Complexe Militaire américano-soviétique) et qui ont plutôt pris l'Hégémonie L'Doran comme des Libérateurs. La nouvelle Commonalité de l'Homme est un ensemble de colonies humaines (comme New London ou New Jerusalem, la capitale) à l'intérieur de l'Hégémonie et ils ont été influencés par la tradition des Dissidents russophones qui étaient devenus la principale opposition au gouvernement terrien (d'où la présence des anarchistes sur la planète Bakounine). Chaque planète a trois scores sociopolitiques : le degré de Statisme (avec 18 Etat quasi-totalitaire et 0 anarchie), le degré de Rationalisme (avec 18 archipositivisme scientiste et 0 mysticisme obscurantiste) et enfin la sévérité des lois sur les armes (A seule l'Armée peut porter des armes dangereuses, B il y a une liberté du port d'armes, C c'est la Somalie ou l'état de nature). Les Altani qui dirigent l'Hégémonie sont plutôt S18/R17A (des communistes progressistes) alors qu'en moyenne les mondes humains sont plutôt S9R15B (libéralisme de l'Etat comme Mal nécessaire mais assez confiants dans la science). L'Hégémonie L'Doran est tellement avancée scientifiquement qu'elle commence même à explorer le Voyage dans le Temps (livre I, p. 46) mais cela changerait l'optique du jeu.

    Curieusement, il y a une carte de la planète New London (au dos du deuxième livret Starships & World-Building) mais aucune carte stellaire des positions ou distances de ces mondes dans la Communalité Humaine. Etant donné la vitesse des vaisseaux d'Other Suns (plusieurs douzaines d'années-lumière en une heure), les mondes peuvent être assez éloignés.

  • Le système de jeu

    Le système de jeu est assez proche du Basic habituel : des caractéristiques de base à peu près sur 20 pour un Humain et des compétences en Pourcentages à partir des caractéristiques.

    On reconnaît bien les origines du système de RuneQuest. Au lieu des 7 caractéristiques habituelles sur 3d6 ou 2d6+6 (Force, Intelligence, Pouvoir, Constitution, Dextérité, Charisme, Taille), Other Suns a divisé Pouvoir en trois : Volonté, Force d'attaque télépathique et Force de Résistance télépathique (les Humains ont peu de chances d'avoir des pouvoirs psis, ils tirent la Force d'attaque avec 1d6-5 cela concerne plutôt les autres races), et le jeu a distingué Constitution et Endurance (tiré avec 4d10). La Taille est aussi assez différente : on crée d'abord la Longueur (pour un Humain mâle 110 + 6d20, donc une moyenne de 173 cm - les jeux de SF étaient souvent métriques dans les années 70-80, contrairement à GURPS) et une Carrure de 3d6, ce qui permet ensuite de dériver une Taille = Longueur/10 + Carrure/3 - 1 (donc entre 12 et 28, ce qui n'est plus la même échelle que RQ qui est entre 8 et 18 pour un Humain).

    Les Points de vie, au lieu d'être simplement la moyenne de Constitution et Taille sont une opération qui combine Constitution/3 -3, Taille*2/3, Endurance/4 - 5 et Volonté/8 - 1. Les Points de vie sont ensuite répartis dans les différentes zones du corps, comme Other Suns a gardé de Runequest la localisation des coups.

    Comme souvent dans les jeux inspirés par Basic, les bonus apportés par les caractéristiques aux compétences sont un peu trop compliqués à calculer sans un logiciel, avec des moyennes et des soustractions inutilement lourdes (mais au moins les bonus peuvent être plus élevés que dans Runequest où le bonus se borne souvent à +5% ou +10%).

    L'Expérience préalable pour déterminer les scores des compétences est relativement simple mais assez spécialisée. On choisit un Domaine d'études et on ne sera compétent que dans ce domaine (et même que dans un sous-domaine spécialisé). Il y a les Scientifiques (Biologie, Chimie, Informatique, Mathématiques, Physiques, Planétologie, Linguistique, Sapientologie), les Colons, les Commerciaux, les Criminels, les Ingénieurs, les Espions, les Juristes, les Gardiens de l'ordre, les Officiers (spécialisés en Contact, Communications, Sécurité, Armement), les Soldats, les Arts Martiaux, les Médecins et les Experts en Survie. Comme l'ambiance du jeu est plus proche du socialisme de Star Trek que de l'individualisme de Star Wars, on est un peu poussé à choisir une carrière d'Officiers militaires de l'Hégémonie "bienveillante et éclairée". Le livre décrit même 263 niveaux de hiérarchie militaire dans l'Armée de l'Hégémonie. Les joueurs rejoindront probablement le Star Arm (équivalent de "Star Fleet") mais il y a aussi une branche "paratemporelle" chargée d'étudier les Voyages dans le Temps.

    Comme il y a une localisation des coups, il faut acheter des Armures pour chaque zone. Comme dans Traveller, une tenue synthétique peut avoir des effets très différents entre un simple coup massif et un rayon laser.

    Dans la technologie d'Other Suns, les Vaisseaux sont parmi les plus rapides des jeux de rôle (à part ceux de Core Command qui doivent franchir des galaxies entières). Les Vaisseaux de Traveller ne vont souvent qu'à environ 3-20 années-lumière (1-6 parsecs) par semaine. Les plus gros Vaisseaux de Star*Drive peuvent atteindre 50 années-lumière par semaine. Les Vaisseaux de Space Opera vont à 15-30 années-lumière par jour (donc autour de 1 année-lumière/heure). Un petit chasseur dans Empire Galactique peut aller jusqu'à 50 années-lumière par heure et l'astronef le plus rapide, le Scattership d'Other Suns va jusqu'à 60 années-lumière heure (ce qui veut dire qu'il ferait la distance Terre-Proxima du Centaure en... 4 minutes).



  • Conclusion

    Malgré tous ces Aliens peu réalistes zoomorphiques, l'univers d'Other Suns a le charme pittoresque d'une création qui n'est pas si générique, même si cela reste très peu développé, comme le seul supplément, Alderson Shipyards, fut un guide de 15 Vaisseaux supplémentaires. L'idée d'un univers où les Terriens sont une race mineure d'exilés sous un Etat extraterrestre me paraît assez inaccoutumée et ce décalage est rafraichissant, même si ces Vulpidés sont un peu trop parfaits.

    Le système est (en dehors de quelques calculs dans la création de personnage) relativement simple, surtout si on est habitué à ce système d100. Il faudrait sans doute réviser un peu la création pour que les personnages soient un peu moins spécialisés et incompétents (RuneQuest avait d'ailleurs le même problème). Les règles de localisation des coups ralentissent un peu les combats mais peuvent être amusantes avec certains ETs à l'anatomie compliquée (comme ces Daktis au corps de libéllule). Il est plus jouable que Space Opera, même s'il n'a peut-être pas toute la souplesse de Traveller.

    Communiqués

    Ce twitter de communiqués de presse de Rick Santorum (l'ex-Sénateur de Pennsylvanie, candidat possibles aux Primaires républicaines et grand précurseur des amalgames qu'a ensuite simplement repris notre Mme Brigitte Barèges de la "Droite populaire") n'est pas vraiment subtil mais il faut quand même du temps pour réussir à étaler tant de fois tout ce "santorum"...

    lundi 30 mai 2011

    [Review] Jeux de SF Basic System (1) Future*World


    L'annonce récente de l'abandon par Mongoose de la license RuneQuest (dont le System Reference Document à license ouverte avait été traduit) rappelle qu'il y a toujours de nombreux jeux utilisant des variantes du Basic System, que ce soit la version officielle chez Chaosium, chez Cubicle 7 ou OpenQuest.

    Le système Basic a été pour l'instant relativement peu utilisé pour la science-fiction. Shannon Appelcline a déjà fait en 1994 un survol de trois jeux Basic de SF et je ne vais y ajouter que le 4e, qu'il avait manqué.

    On peut compter notamment dans l'ordre :
    (1) Future*World (dans la boite Worlds of Wonder, Chaosium, 1982),
    (2) Other Suns (FGU, 1983)
    (3) Ringworld (Chaosium, 1984)
    (4) Worlds Beyond (Other World Games, 1989)

    On remarquera que (1) et (3) sont "officiels" alors que (2) et (4) sont des versions "pirates" très proches du système originel mais chez d'autres éditeurs (il se peut que certaines différences superficielles viennent d'ailleurs en partie de l'envie d'éviter toute poursuite ?).

  • Future*World (1982)

    Worlds of Wonder par Steve Perrin fut une des premières tentatives d'un jeu "générique" utilisant le système Chaosium de RuneQuest, Call of Cthulhu et Stormbringer pour trois autres contextes : MagicWorld (heroic fantasy), Future*World (sf) et Superworld (superhéros, édité ensuite à part en 1984). MagicWorld est une simplification de RuneQuest alors que les deux autres imitent des jeux d'autres compagnies : FutureWorld est une simplification de Traveller et Superworld de Superhero 2044 et Champions. Future*World est ridiculement court, avec seulement 16 pages (+ un mini-scénario), ce qui ne peut permettre beaucoup de détails.

    La spécificité de Future*World est que le jeu n'utilise pas de vaisseaux spatiaux (surtout pour éviter des règles à ce sujet, j'imagine) mais des Portails de téléportation instantanée. On n'a même pas besoin d'apporter des Portes d'arrivée par d'autres moyens et une Porte peut ainsi s'ouvrir vers un monde complètement inexploré. On installe une Porte d'arrivée simplement pour prévenir la Porte de départ qu'elle peut s'éteindre ou s'allumer. Future*World paraît avant le jeu français Mega mais la même année que Fringeworthy, qui emploie aussi des Portes mais entre les dimensions et les Terres alternatives (comme dans la série Star*Gate). Future*World précise que certaines Portes semblent d'ailleurs conduire vers des mondes qui ne sont pas dans notre univers et avec des lois physiques différentes.

    GateHome, le Monde des Portes, est le carrefour sur la Frontière de l'Empire vers les Portes des derniers mondes connus. Comme dans Fading Suns, il semble que les premières Portes furent tirées de Ruines des Anciens. Le Troisième Empire Terrien (capitale : Nalbion) gère ces Portails disposés à travers des planètes suffisamment similaires et réparés par le Corps Impérial des Ingénieurs (I.C.E.), la vraie organisation de contrôle des communications et du commerce.

    Les personnages ont les 7 caractéristiques habituelles de Basic avec 3d6 (Force, Constitution, Taille, Intelligence, Pouvoir, Dextérité, Charisme) et ils doivent ensuite déterminer comme dans Traveller le type de Carrière (Civil, Corps des Ingénieurs Impériaux, Eclaireurs, Armée, Scientifique ou Criminel). Le joueur doit choisir de disposer 6 ans pour les Carrières, en commençant comme Civil et en entrant dans une des options. Dans chaque année, il gagne +15% dans deux compétences liées à la Carrière, s'il peut y rentrer (Civil ou Criminel sont ouverts à tous sans aucun test). Contrairement à Traveller, il ne peut pas être renvoyé ou blessé dans la Carrière et le système est donc moins riche en "couleur" (mais on précise que toute Carrière criminelle après une Carrière légale implique sans doute qu'on a été renvoyé pour des infractions). MagicWorld avait aussi un système d'expérience préalable similaire où Voleur était accessible gratuitement mais où les professions de Guerrier, Sage et Magicien demandaient d'avoir été accepté.

    Il y a assez peu de compétences par rapport aux jeux Basic habituels (les Sciences, les différentes Techniques, les Armes, Survie, Discrétion & Premiers Soins - il n'y a rien de prévu pour le pilotage ou les véhicules). Les règles de combat semblent relativement mortelles si les personnages n'investissent pas dans des armures et champs de force. Le jeu a donc une petite liste d'équipement.

    Il n'y a que deux races non-humaines prévues dans l'Empire terrien : les Rumahls (de petits Ursidés (Taille 4d3+3) à la force trollesque (Force de 4d6+3)), les Rruuworiens (des félidés non-décrits, orgueilleux, curieux) plus les Robots. Deux races rivales de l'Empire sont les Quertzls (de grands insectoïdes télépathes avec deux tentacules très fines, plus des concurrents que des ennemis) et les Saurikis (des sauriens à sang chaud - Steve Perrin utilisera une autre race de sauriens pour son jeu de Méchas fondé sur le système Hero Games, Robot Warriors).

    Future*World est bien trop bref pour être un jeu vraiment jouable. Comme le fait remarquer Shannon Apel dans sa review, il y manque de nombreux éléments d'un jeu de sf, comme le combat spatial ou la création de planètes. Le système de Carrière est une manière simple d'imiter Traveller mais on devrait sans doute développer plus d'options et événements aléatoires (comme dans la nouvelle version de Mongoose Traveller). Il y a un début d'adaptation de Traveller à Basic par exemple. Mais il faut avouer que l'idée des Portes permet de se passer de certains "tropes" habituels du Genre et redonne une importance à de petits groupes d'individus explorateurs qui n'ont plus à craindre des Destroyers Géants.

  • dimanche 29 mai 2011

    [JDR] El Hombre



    Sur le site de la Scénariothèque, une longue et souvent touchante interview (plus de 75 pages, quand même) de Tristan Lhomme, l'un des plus prolifique traducteur et auteur de scénarios du Casus Belli des années 90 (Gregory Molle avait déjà fait l'interview de Didier Guiserix).

    Un des éléments qui m'a le plus intéressé est son hypothèse en passant que l'échec final de CB avait peut-être une sorte de "nécessité" : le magazine pouvait prospérer tant que tout le monde jouait aux mêmes jeux et la diversification a fait que progressivement les joueurs étaient de plus en plus insatisfaits par les offres du magazine.

    Mais l'autre raison pourrait simplement être l'Internet, comme dans beaucoup d'autres secteurs, des agences de voyage aux guides de cinéma. Les Nouvelles des sorties et les Critiques de jeu sont disponibles partout gratuitement avec plus de rapidité que dans un mensuel (par exemple sur RPG.net). Mais le support papier peut encore offrir notamment des scénarios, des plans, des aides de jeu (à condition que les joueurs aient encore assez de références communes).

    samedi 28 mai 2011

    Le Péridromophile et le Gris Champion


    William James Sidis (1898–1944) fut un incroyable génie précoce (entrant en programme de mathématiques à Harvard à 11 ans avec l'architecte visionnaire Buckminster Fuller (1895 – 1983) ou le fondateur de la "cybernétique" Norbert Wiener (1894-1964). Ce qui fit fantasmer n'est pas seulement l'enfant prodige qui apprenait des douzaines de langues obscures enfant, c'est qu'il aurait été un Génie "artificel", conçu comme une sorte de projet de psychologie et de pédagogie par son père médecin Boris Sidis, qui prétendit réussir à stimuler son intelligence par divers moyens, dont une sorte de suggestion hypnotique dès ses premiers mois. Si une telle méthode de production du surhomme existait, cela serait une métaphore du XXe siècle avec ses songes totalitaires.

    Mais pendant la Grande Guerre, le prodige de Harvard devient militant pacifiste et socialiste et il se fait arrêter le 1er Mai 1919 lors d'une manifestation interdite où il agitait le drapeau rouge (il minimisera plus tard l'affaire dans l'interview du New Yorker en disant qu'il cherchait à séduire une passionaria, mais il resta célibataire toute sa vie). Ses parents, qui avaient fui la Russie en 1887, essayent alors de le rééduquer et le menacent de l'interner. William Sidis, furieux contre ses parents, va vivre non pas dans l'isolement d'un excentrique complètement autiste (on lui connaît des amis) mais il va décevoir tous les espoirs qu'on mettait en lui en ne publiant guère que sous des pseudonymes sur les horaires de transports publics, une de ses obsessions (ce qu'il appelle sa "péridromophilie").

    L'opinion commune depuis 80 ans est qu'il s'épuisa donc très vite à l'âge adulte, malgré son "avance" : éclos trop vite, privé de son enfance et sans vraie maturité.

    La croyance fanatique des Sidismaniaques est bien entendu l'inverse. Comme on sait que Bill Sidis a publié sous divers pseudonymes (Frank Folupa, John Shattuck, etc.), certains espèrent toujours retrouver un jour des textes secrets, des chefs d'oeuvre invisibles qui prouveraient qu'il avait conservé clandestinement des conceptions bien plus perspicaces que le commun de l'humanité.

    Les éléments en faveur de cette dernière thèse viennent surtout d'un idée assez vague que Sidis écrit à 27 ans dans un opuscule de cosmologie scientifique, The Animate and the Inanimate (1925). Il y propose de définir le vivant comme la négation (ou du moins une lutte ou une limitation locale) de l'entropie. On associe souvent cette idée à la conférence Qu'est-ce que la vie ? (1944) d'Erwin Schrödinger mais Sidis fait remarquer lui-même qu'on attribuait déjà la même intuition à Lord Kelvin : la vie comme Démon de Maxwell local. La cosmologie du livre suppose un univers aux lois réversibles mais ne semble pas ajouter d'idées si radicalement nouvelles ni montrer par ce talent mathématique plus d'avancées.

    Un argument en faveur de l'opinion commune que Sidis avait bien décliné après cette crise de 1919 est qu'on a retrouvé en fait beaucoup d'écrits et qu'ils sont le plus souvent mortellement ennuyeux ou dénués de tout génie visible.

    Dans les années 30, Sidis demeure ultra-pacifiste mais il va passer d'une sympathie pour la socialisme soviétique à l'extrême opposé au nom d'un attachement à une Continuité historique spécifiquement américaine (ce qui pourrait donc ressembler à une adaptation de la justification burkienne de la tradition). Il part d'une idée fondamentale de droit individuel (et notamment la lutte pour la liberté d'expression) puis crée une revue qu'il publie tout seul, Continuity News (1938-1939). Il y définit sa position comme "Libertarienne" (il aurait été un des premiers à dissocier ce terme du sens de l'anarchisme de gauche) ou "orarchique" ("pouvoir limité", en gros, donc, "minarchique"). Dans ces pages de sa revue amateur, il ne cesse d'attaquer avec un ressassement qui semble un peu névrosé le Parti démocrate local dans le New Jersey (le bossisme clientéliste de Frank Hague qu'il surnomme "Franco"), Franklin Delano Roosevelt et le New Deal au nom de son Pacifisme (il est opposé à toute intervention en Europe) et de son Libertarianisme (qui a l'air assez "nozickien").

    A 15 ans, Sidis avait écrit un long projet de Constitution utopique, où on remarque plus clairement son goût pour le mos geometricum. L'article I commence par définir les termes du calendrier (et même les différents aspects du système métrique) et décide que les habitants seront nommés par une sorte de Numéro de sécurité sociale par leur date de naissance dans le calendrier (on est 7 ans avant qu'Ievgueni Zamiatine se soit moqué d'un tel scientisme deshumanisant dans son roman Мы où D-503 tombe amoureux d'I-330). Cette Constitution interdit la religion et est assez proche d'une forme de communisme, où chaque enfant est confié par l'Etat à un Citoyen pour le préparer aux examens (le seul moyen de devenir Citoyen étant de les réussir).

    Mais il y a un dernier argument en faveur de la thèse que Bill Sidis était devenu simplement fou. Dans ce texte écrit vers 1938, Sidis mentionne une légende (venue de Nathaniel Hawthorne en 1838) qu'il y aurait une sorte de figure éternelle du Héros Américain, "The Gray Champion", vétéran récurrent des révoltes états-uniennes, et que lui, William James Sidis, serait désormais la réincarnation de ce Gris Champion de la Liberté (qui pourrait être d'ailleurs le premier superhéros américain, bien avant Zorro ou Doc Savage - une recherche sur l'internet montre que c'est hélas surtout l'extrême droite survivaliste américaine qui s'est désormais approprié ce Gris Champion comme une sorte de Jeanne d'Arc).

    Sidis me paraît plus amusant que le héros favori des nerds américains, Nikola Tesla (même si ce dernier a sans doute mieux réussi que lui) et les deux partagent cette aura mythique qu'on a envie d'accorder à ceux qui auraient été des héros potentiels dans la structure de nos sociétés et qui sont tombés dans un relatif oubli, ou bien dans ce que Sidis espérait être "l'anonymat" d'une vie préservée.

    William Sidis a prétendu avoir trouvé la valeur de la contribution anonyme dans la culture "Okamakamesset" des Indiens de Nouvelle Angleterre. Il disait avoir étudié leur culture et leur langue (et il semble avoir vraiment été un des premiers en cette époque, bien après Franz Boas, à valoriser la culture autochtone en écrivant même une histoire amérindianocentrique) mais je ne trouve sur l'Internet aucune mention de cette tribu Okamakamesset en dehors de textes sur Sidis. Il semble donc qu'il ait pu créer cette culture dont il se réclamait au moment même où il multipliait les pseudonymes pour défendre son individualisme radical.

    Là où Sidis peut donc continuer de fasciner, en dépit de sa folie ou du moins de toute son excentrique et stérile inanité est qu'il ne finit pas en Crank maniaque plein de rancoeur (en dehors de quelques textes haineux contre Roosevelt), mais en semblant satisfait de ce qu'il avait fait, par quelques schémas complexes sur les tramways. Il faut imaginer Sidis heureux.

    mardi 24 mai 2011

    Courtes capsules

  • Mademoiselle Julie de Strindberg au théâtre de la Colline, mis en scène par Christian Schiaretti. Strindberg se présente alors en 1888 comme un "naturaliste" et pourtant ce Mystère avec seulement trois personnages dans un huis-clos semble aussi métaphysique ou absurde que le théâtre de l'Après-Guerre. Tout est dans les cuisines d'un comte, le soir de la Saint Jean. Julie est la fille du Comte (qu'on ne voit jamais) et elle va connaître cette nuit une aventure avec son domestique Jean. Leurs relations ne cessent d'osciller et de s'échanger dans le sado-masochisme, Jean se plie sous Julie, il est attiré par Julie, il utilise Julie, il méprise Julie, il redoute Julie.
    Le choix de mise en scène est l'humour et on rit beaucoup malgré toute la cruauté où cette Hérodiade va se faire décapiter par ce Jean-Baptiste. Jean est joué par Wladimir Yordanoff (né en 1954), qui sait moduler les registres entre le valet impeccable "anglais" et le rustaud cynique selon les moments, mais qui accentue par son âge tout l'aspect irréel de toute deuxième vie pour ce couple (on imagine plutôt Jean autour de 20-30 ans).


  • Midnight in Paris de Woody Allen. La Rose pourpre du Caire plongeait le réel dans l'imaginaire du cinéma et ici on plonge dans la nostalgie rêvée des cartes postales. Ce n'est pas le Paris réel mais le Paris rêvé des Jazz Years, dans A Moveable Feast d'Hemingway, avec toutes les guest stars habituelles des artistes US expatriés. L'histoire est très prévisible mais le voyage temporel joue dans plusieurs sens : les livres du passé informent le présent (le journal intime, comme les échos indiscrets du psychanalyste dans l'autre film parisien, Everyone Says I Love You (1996)) et le voyage à la Belle Epoque est enchassée dans le voyage aux Années Folles. On s'attendrait presque à un jeu relativiste à la Inception (le temps s'écoule pourtant de manière uniforme, mais si Adriana a reculé juste avant sa naissance, elle peut se rencontrer elle-même). Il est dommage que la morale, complètement banale (blabla ilnefautpas idéaliserlepassé et vivreleprésent blablabla), nous soit répétée tant de fois dans le film avec une lourdeur didactique qui fait craindre que Woody Allen prend ses spectateurs pour des idiots seniles. Les dialogues sonnent assez différents de d'habitude, peut-être parce qu'Allen essayait, parfois maladroitement, d'imiter des voix différentes. Mais on apprécie toujours quelques facilités (comme le père républicain qui défend les Tea Parties).

  • Un Père de la Nation


    Je ne connais pas assez bien l'histoire américaine pendant la période de la "Reconstruction" et de la Belle Epoque pour juger vraiment la politique de Grover Cleveland (1837-1908, Président en 1885–1889 puis en 1893–1897). Démocrate de l'Etat de New York, il permit au Parti démocrate (qui à l'époque était encore marqué comme le Parti du Sud esclavagiste depuis la fin de la Guerre civile) de revenir au pouvoir. Mais Cleveland représentait plutôt un nouveau parti démocrate plus "réformateur" et en même temps plutôt favorable aux industries du nord (contrairement au Populisme habituel des Démocrates de la période, plus favorable aux agriculteurs endettés).

    Peu corrompu par rapport à ses concurrents des deux Partis, Cleveland - qui se faisait surnommer "Grover the Good" - réussit à attirer même certains Républicains en 1884 mais il est marqué par deux scandales spectaculaires.

    Cleveland admit avoir eu une relation avec une veuve de 36 ans, Maria Halpin, dix ans avant, en 1873, quand il était le Maire de Buffalo (NY). Mais (même si l'affaire est peu claire) selon cet article (qu'il faut peut-être prendre comme un pseudo-document digne d'un sujet d'agrégation), Maria Halpin avait témoigné non d'une "séduction" mais d'un viol de la part de Cleveland. Il l'aurait assaillie sans son consentement un soir de 1873 alors qu'elle rentrait chez elle. Ce n'était pas une époque propice à ce témoignage. On ne l'écouta pas ou on ne la crut pas. Il est possible d'ailleurs que son témoignage ait été manipulé par la suite ? On peut d'ailleurs se demander, si l'affaire est vraie, pourquoi les Républicains n'ont pas pu utiliser ce témoignage.

    Maria Halpin accoucha en 1874 d'un enfant, qui fut nommé Oscar Folsom Cleveland. Grover Cleveland affirma qu'il n'avait été que "chevaleresque" et même exceptionnellement honorable dans toute cette affaire. Il avait accepté de reconnaître cet enfant et de donner un peu d'argent parce qu'il était célibataire alors que, selon lui, tous les autres partenaires de cette femme étaient déjà mariés. Il dit qu'il avait d'ailleurs des doutes sur la paternité car il la jugeait de moeurs légères et qu'il avait d'ailleurs nommé l'enfant "Oscar Folsom" du nom de son meilleur ami, l'avocat Oscar Folsom, dont il estimait qu'il pouvait d'ailleurs être le vrai père de l'enfant. En somme, selon lui, Cleveland avait payé parce qu'il pouvait aussi être ou ne pas être son père. Le Maire de Buffalo ou une autre administration fit interner Maria Halpin à l'Asile psychiatrique, lui retira la garde de l'enfant Oscar, qu'il fit d'ailleurs abandonner ensuite à l'Orphelinat.

    Quand le scandale éclata pendant les élections de 1884 (les Républicains tentèrent d'exploiter la découverte), Cleveland dit qu'il n'avait aucune responsabilité et que cette malheureuse Maria Halpin n'était en réalité qu'une prostituée, ce que la presse - sauf une partie des journaux républicains - sembla accepter. On lui sut même gré de son courage pour n'avoir pas tenté de nier l'affaire hors mariage ou la naissance de ce bâtard potentiel. Cleveland gagna les élections et la veuve Halpin mourut vingt ans après, dans le dénuement, stigmatisée comme une catin.


    Le second "scandale" n'éclata pas vraiment à l'époque, comme les moeurs étaient différents. Cela concernait d'ailleurs ce même avocat Oscar Folsom, à qui Grover Cleveland voudra attribuer en 1884 la paternité de l'enfant abandonné.

    En 1875, Oscar Folsom mourut d'un accident de carrosse et ne laissa aucun testament. La seule à lui survivre était une petite fille, la jeune Frances Folsom, née en 1865. Le maire de Buffalo et futur Gouverneur de New York Grover Cleveland reprit les affaires de Folsom et devint son père adoptif, ce qui ne l'empêcha pas de commencer à développer des sentiments peu paternels pour sa pupille. Dès que cela fut légal et qu'elle devint majeure, en 1886, la deuxième année de sa Présidence, Cleveland l'épousa : elle avait 21 ans (la plus jeune First Lady de l'histoire) et lui, 49 ans (seul Président de l'histoire à s'être marié à la Maison Blanche).


    Si on croit toute cette histoire si sombre, le tableau est donc paradoxal. Violeur, ayant abandonné celui qui pourrait être son fils à l'orphelinat et "suborné" sa fille adoptive, Grover Cleveland a pourtant laissé le souvenir d'un Président américain efficace et la presse à scandale de la Fin de siècle l'a plutôt épargné. Il est aussi connu pour une phrase disant qu'une femme sensée et raisonnable ne demande pas le droit de vote car cela remettrait en cause l'ordre conçu par une Intelligence supérieure à la nôtre.

    Si Angot vivait au XIXe siècle et si l'art de "l'écriture" avait été aussi médiocre et absurde à cette époque, elle aurait pu écrire un Bullshit autoparodique et incompréhensible sur son dégoût/désir...

    lundi 23 mai 2011

    [JDR] Mauvaise nouvelle pour RQ


    Mongoose annonce qu'ils renoncent aux droits (détenus par Greg Stafford et Issaries, Inc) de RuneQuest et Glorantha.

    Ils disent quand même qu'ils prévoient une version de leur propre modification de RQ par Lawrence Whitaker, baptisée "Wayfarer" (il y a déjà un jeu nommé Wayfarers et cela sonne un peu trop comme Pathfinder, peut-être). C'est dommage comme la gamme Mongoose-RQ (qui se déroulait au Second Âge de Glorantha) complétait bien le HeroQuest d'Issaries.

    Comme le dit Akrasia, Lawrence Whitaker (le créateur de la nouvelle version de RQ) avait déjà quitté la compagnie et Pete Nash (l'auteur du très bon supplément Vikings) annonce qu'il part aussi avec cette annonce (mais ils ont tous les deux rejoint Moon Design pour travailler sur HeroQuest).

    Mongoose se concentrerait désormais plus autour de leur jeu de sf Traveller, qui semble avoir mieux marché que leur RuneQuest, malgré toute la tentative de revitaliser la gamme fantasy depuis quelques temps.

    On traversait un nouvel Âge d'Or du système Basic Role-Playing en ce moment mais il faudra aller désormais chez Chaosium ou OpenQuest pour avoir des jeux du système Basic.

    RQ n'a pas eu beaucoup de chance au fil des années. C'était considéré comme un sérieux concurrent de D&D vers 1980 (du moins au Royaume-Uni) mais il fut tué une première fois par une édition hors de prix chez Avalon Hill en 1984. Une nouvelle édition fut tuée par la malchance d'une autre équipe (l'auteur fut traîné en justice par une maîtresse affabulatrice). MRQ avait pu bénéficier de gros progrès (même si Mongoose a parfois de problèmes d'errata nombreux) mais il n'a pas vraiment trouvé son public.

    Un Western hégélien


    L'Esprit du Monde est censé avoir un mouvement solaire, du Levant au Ponant, et cela devait donc convenir à toute l'idéologie de la Conquête de l'Ouest. Même si je n'avais pas vraiment aimé la tentative d'un western "blakien" dans Dead Man de Jarmusch, je trouve assez touchant ce récit de la marche vers l'Ouest missourien d'un Hégélien, qui apporte avec lui une première traduction de la Science de la Logique vers la Frontière.

    Cet Hégélien, le jeune Henry Conrad Brokmeyer, était arrivé aux USA en 1844. C'est la même année décidément fertile de la Grande Déception (où les futurs adventistes avaient prévu le retour du Messie - de manière amusante, les Baha'is ont repris la prophétie comme une annonce de leur propre fondateur iranien Mírzá Ḥusayn-’Alí Núrí Bahá'u'lláh), quand Joseph Smith, le prophète des Mormons, est lynché à Carthage dans l'Illinois, quand Karl Marx rencontre Engels à Paris (sa première opinion est d'ailleurs qu'il n'est qu'un Jeune Hégélien de plus) et Engels, après avoir vécu à Manchester, publie Die Lage der arbeitenden Klasse in England alors que Marx écrit encore des brouillons dialectiques feuerbachiens.

    Add. Puisqu'on parle de Fin du Monde, ce site propose à ceux qui croient dans l'Enlèvement des élus avant l'Apocalypse que des athées s'occupent de leurs animaux domestiques qui ne pourraient pas les accompagner.

    dimanche 22 mai 2011

    On peut toujours recaser Kübler-Ross partout




    Nul ne connaît pour l'instant les effets à venir mais je suis moins optimiste que certains sondages actuels quant à nos chances de nous débarrasser de Badinguet, malgré de nouveaux candidats qui peuvent encore gagner de la crédibilité. Je crains un peu (en reprenant à nouveau les 5 étapes du deuil de Kübler-Ross) que les Français aient traversé d'abord une phase de Déni (ça doit être les Russes / la CIA / une partie de l'oligarchie financière) ou de la Négociation (ok, il est peut-être coupable mais c'était un piège qu'on lui a tendu ou bien le fait qu'on n'ait pas enterré l'affaire pour une humble domestique immigrée prouve qu'on a voulu sa tête), mais qu'une fois qu'ils arriveront à la Colère/Dépression (Mais pourquoi ils ne nous ont pas alertés pour ce type avant !), toute la sociale-démocratie française soit victime ensuite de sinistres associations.

    On redoutait l'image de la gauche caviar de bourgeois urbains libéraux-libertaires ne se souciant plus des problèmes des défavorisés, mais l'événement réussit à aggraver encore ce discrédit avec un imaginaire d'opportunistes hypocrites prédateurs des plus faibles. (Cf. Robert Kuttner sur cette image catastrophique - mais il fonde tous les espoirs de la gauche européenne désormais sur la Danoise de 44 ans Helle Thorning-Schmidt, qui pourrait regagner les élections de l'automne 2011 après 10 ans de gouvernement libéral)

    2012 en France fait penser à 2004 aux USA. On pouvait se dire pour la première élection que certains électeurs avaient été abusés mais une réélection n'a plus la même excuse : les Français ont eu 5 ans pour comprendre ce qu'ils avaient fait et on arrive à trouver une majorité pour s'y résigner, même s'il y a moins d'adhésion pour le Premier tour.

    Green Lantern & Philosophy


    Sans doute à l'occasion du nouveau film sur Green Lantern et le fait que le personnage est devenu la meilleure vente de chez DC Comics, ce nouveau livre sur Green Lantern (dans une collection qui a déjà fait : 24, 30Rock, Alice in Wonderland, Batman, Galactica, Harry Potter, Heroes, House, Family Guy, Inception, Iron Man, Lost, Mad Men, Metallica, Simpsons, South Park, Terminator, True Blood, Twilight, Watchmen, X-Men). John Holbo se moque un peu de la fonction illustrative ou didactique (on prend un sujet "sérieux" de philosophie et on le retrouve ensuite comme un exemple dans le sujet frivole au lieu de trouver quelque chose de neuf dans le sujet frivole lui-même).

    Quand je regarde la Table des matières, cela ne me donne pas vraiment envie alors que Green Lantern est mon personnage favori. Encore les mêmes articles sur les théories des émotions, sur l'éthique des vertus ou bien sur le fondement de la morale (Raison ou Emotion). Un article se demande si l'Anneau de toute-puissance de Green Lantern est la même métaphore pour le risque d'injustice de l'Anneau d'invisibilité qui permet à Gygès de se mettre "à part". Green Lantern était à l'origine simplement la Lampe d'Aladin et le Génie et la réponse est donc oui, c'est à peu près le même genre de mythe.

    Mais mes raisons de continuer à lire Green Lantern n'auraient rien de très intéressant. Pour moi, Green Lantern était un peu l'inverse des récits de Lovecraft pour ses amateurs. Lovecraf, c'est principalement chercher de l'Horreur post-chrétienne dans un monde naturaliste, décentré et amoral (les Grands Anciens sont donc seulement des éléments du Sublime physique d'un univers vide de tout bien et mal, où la géométrie non-euclidienne est censée plus effrayante que tout loup-garou). Green Lantern c'est le rêve d'une morale universelle mais pourtant sans anthropocentrisme et dans le même aspect science-fictionnesque que Lovecraft (du moins dans les années 60, à présent, c'est redevenu une fantasy magique comme dans les années 40 avec toutes ces idées idiotes du Spectre des émotions).

    Green Lantern n'est pas lui-même issu d'une race de surhommes divins (Superman - les Gardiens d'Oa sont assez proches d'une telle race) et il n'est pas non plus un homme s'élevant par sa propre science (ou par un accident de la science, de la magie, de la fortune et de la nature), il est conçu, recruté par une sorte d'algorithme cosmique, un plan rationnel où toute vie extra-terrestre dans tout l'univers instaure un ordre cosmopolitique (avec une race extra-terrestre chaste de supersavants à grosse tête pour remplacer les Anges comme les Grands Anciens remplaçaient les démons).

    Plus encore qu'Iron Man, Green Lantern est aussi le plus anonyme et le plus interchangeable des héros, c'est une variable, "le Green Lantern du secteur 2814", Monsieur N'Importe Qui, défini plus par ses vertus pratiques que par la moindre capacité physique ou intellectuelle : tout x capable de surmonter sa crainte (ce qui justifie d'ailleurs que les Green Lanterns soient si "corruptibles", si l'audace est la seule vertu pertinente au-dessus de la justice). La méritocratie y est assez minimale puisque l'Anneau cherche n'importe quel héros le plus proche et il y a une part de contingence (John Stewart méritait l'anneau tout autant que Hal Jordan, mais il était simplement un peu plus loin).

    Et non seulement l'individu porteur de l'Anneau est générique mais son pouvoir aussi est le plus générique de tous puisqu'il peut simplement faire n'importe quoi (dans les limites de ce qu'il a la volonté et l'imagination de concevoir). Tout superhéros est une figure de wishful thinking et un fantasme de puissance, mais Green Lantern en est la réalisation la plus pure : n'importe qui pouvant faire n'importe quoi, une distribution d'omnipotences locales individuées dans un univers infini pour en endiguer la fatale entropie, des sortes d'anticorps distribués dans le cosmos pour préserver toute forme de vie bien au-delà des vies terrestres.


    Mais tout cela ne me semble pas si philosophiquement intéressant comme fantasme du Règne des Fins au-delà de l'humain.

    Certains "pop-philosophers" deleuziens (E.Düring et alii) avaient essayé de trouver dans Matrix plus que les évidences sur la Caverne ou le Doute cartésien, en inventant des métaphores plus bizarres sur la représentation du virtuel comme n'étant ni organique (la matrice sexuelle) ni abstraite (une matrice mathématique). Mais à la fin, j'admirais plus leur propre capacité (esthétique) à jouer avec leurs facultés d'imagination et d'entendement (la surinterprétation créatrice) qu'une qualité philosophique intrinsèque de leur commentaire, qui ne pouvait pas construire de nouveaux concepts mais nous faire croire que l'oeuvre pouvait nous aider à jouer avec des concepts préexistants. C'est aussi un lien entre exégèse et art contemporain où le premier se positionne en cherchant à créer des effets de sens à partir des jeux du second, mais où le second semble avoir besoin de cette symbiose pour trouver une valeur esthétique. Le fait d'y arriver avec les sujets frivoles en dit plus sur la facilité du jeu d'exégèse que sur autre chose.

    Add. Depuis quelques mois, j'ai un rejet des procédés des comic-books (à part peut-être la Légion, qui traverse plutôt une bonne phase après des années catastrophiques). Les morts inutiles, les résurrections en série, au bout d'un moment le Soap Opera finit par dégoûter. Ce graphique très xkcdien (sur Let's Be Friends Again) des dernières idées de Geoff Johns depuis qu'il a repris Green Lantern illustre bien l'évolution (si ce n'est que la Lanterne Orange ne m'avait pas amusé non plus).

    [JDR] Héros & Pícaro



    Robin Laws distingue dans ce bref post trois sortes de protagoniste : (1) le héros "iconique" qui résout un problème en restant fidèle à un principe, (2) le personnage dramatique, qui est déchiré par une contradiction interne, (3) le pícaro amoral ou inconstant qui erre sans avoir de but clair en dehors de son ambition.

    La littérature de heroic fantasy a souvent ce pícaro du troisième type, mais face aux situations héroïques du premier type. Il sépare le Monde humain et la Nature titanesque, il tue les Monstres comme dans les Douze Travaux mais ce n'est plus pour "sa foi, son honneur, son royaume ou pour la Princesse" comme le héros iconique, seulement (du moins en apparence) pour des récompenses plus sonnantes et capitalistes. Bien sûr, ce modèle est Sinbad/Conan/Fafhrd/Cugel et plus vraiment Héraclès/Lancelot/Aragorn (c'est le superhéros qui conserve plus cette fonction).

    Un Encolpius ou Sinbad jouant à des aventures de Héraclès, c'est D&D mais pas seulement. Cela donnait d'ailleurs un des problèmes les plus difficiles dans le jeu de rôle de science-fiction Traveller où les personnages étaient censés être des mercenaires cyniques et matérialistes mais où les aventures supposaient souvent quelques motivations un peu plus altruistes que le système ne justifiait pas du tout (mais il est vrai que c'est parfois la même chose pour des modèles littéraires de Traveller comme Nicholas van Rijn).

    samedi 21 mai 2011

    Galimafrée


  • Si vous regardez le cable en ce moment, vous devez vous poser la même question : combien de personnes y a-t-il de personnes à Paris qui ont passé "le Barreau de New York" ? Chaque chaîne info en interroge quinze par jour.

  • Michele Bachmann en 2009 demandait qu'Obama s'oppose à tout plan remplaçant le dollar par les DTS/SDR (Geithner et Bernanke la regardent éberlués avant de murmurer que d'accord, si elle le veut, ils veulent bien le lui promettre).

    Mais il n'y a pas de monopole du bobard, de l'autre bord (plus "gauche" parano qu'extrême droite débile), une des théories conspirationnistes reprend la même idée que Bachmann en croyant qu'il y avait vraiment (en dehors du rénmínbì) une menace internationale pour le Dollar.

  • Les dirigeants européens comme Merkel et Badinguet me semblent curieusement irresponsables dans leur soutien à Christine Lagarde. Si elle est poursuivie pour l'arbitrage étrange en faveur de Tapie ou bien pour son conflit d'intérêt autour de Oseo/Applicatour, elle durerait encore moins longtemps que son prédécesseur.

    Selon les Bookmakers, le favori était le Turc Kemal Derviş, économiste international et politicien (kémaliste) qui était Ministre de l'économie sous le gouvernement centre-"gauche" de Bülent Ecevit. Cela risquerait de doublement agacer Notre Président avec son actuel ressentiment contre Ankara.

  • Après les propos d'Angela Merkel (en miroir de la démagogie de Berluscozy) sur ces paresseux de pays méditerranéens qui prendraient leurs vacances en faisant payer le Germain vertueux (on est toujours le Rrom de quelqu'un), Yglesias rappelle qu'en moyenne ce sont les Italiens qui travaillent plus d'heures par an que les Allemands...

    Mais bien sûr, ce sont des chiffres qu'il est vain de répéter puisqu'ils contredisent nos préjugés. C'est un peu comme le fait que les pays européens ont bien plus de mobilité sociale et plus d'opportunités de réussir pour les personnes d'origine modeste que les USA. La Vieille Europe est devenue moins aristocratique-sclérosée que la Jeune Nation.

  • Il est difficile de plaisanter sur le énième apocalypse annoncé d'hier alors qu'on retrouvera sans doute dans les jours suivants des familles suicidées, ruinées ou des forcenés qui auront égorgé leurs enfants (cette famille est pathétique).

  • Effectivement, il est temps de reconnaître depuis le temps, que le petit chat est mort.

  • Special Drawing Rights


    titiller pour agrandir :


    La référence aux DTS a déjà été faite avant par Ceteris Paribus et par The Onion.

    Zut, j'avais dit que je n'en parlerais plus.

    Bon, cela aurait pu être pire, j'aurais pu essayer de mettre une allusion à ce qui est arrivé à Deng Guida (Dèng Yùjiāo a finalement été libérée).

    vendredi 20 mai 2011

    Le Parti des Chauffards



    En Suisse, l'extrême droite du côté de Berne avait déjà l'Auto-Partei (qui avait su élargir ses thèmes au rétablissement de la peine capitale, j'imagine pour ceux qui rayent un capot) mais ils furent plus ou moins absorbés dans l'UDC. En France, l'UMP au contraire a la menace d'une sécession pour défendre ce droit inviolable et sacré à l'excès de vitesse face à un Léviathan despotique et paternaliste qui prétend savoir à la place du chauffard à quel vélocité il peut s'encastrer sur un obstacle qui voudrait saboter sa moyenne.

    Heureusement, après cette Auto-Partei (et un Partito degli Automobilisti analogue), voici donc la "DP" représenté par Ph. Meunier (député de la Représentation nationale pour le Rhône) :
    «Nous le disons calmement: "Ca suffit!". Jusqu’à présent, nous avons été bien gentils mais c’est terminé… On en a marre de ces gages donnés à la gauche, aux écolos et aux bien-pensants de service. Nous avons été élus pour mener une politique de droite. Or, depuis trop longtemps, toutes les mesures vont à l’encontre de notre vision de la société», a dénoncé Philippe Meunier.

    «Ces mesures sur la sécurité routière, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. On infantilise les Français, on essaie en permanence de les faire passer pour de dangereux criminels», a-t-il ajouté.

    Oui, prétendre baisser le nombre de sacrifiés au Mammon automobile (la seule chose qu'on était presque prêt à concéder au bilan de l'ancien occupant de la place Beauvau), ce sont des gages à la "gauche". La droite, elle, est Futuriste et elle est du côté de la vitesse à réaction.

    Et ceux qui défendent le droit à ne freiner que là où la police pourrait les observer, eux, ont une vision plus noble de la responsabilité individuelle et ne prennent pas leurs compatriotes pour des inconscients potentiels. Voilà de quoi redonner tout son sens et sa valeur au combat politique. Voilà des héros qui refusent de transiger avec des diktats statistiques pour défendre de rouler avec résolution zum Tod, à tombeau ouvert.

    Mais ce n'est peut-être là qu'un kabuki artificiel pour que Badinguet puisse ainsi jouer l'audace avec un peu de compromis. La triangulation va devenir compliquée entre les diverses démagogies, entre cet individualisme anarchoturbo et la sécurité. Comme pour la réforme des Taxis en février 2008 (comme ce rapport Attali paraît lointain aujourd'hui), Badinguet reculera en prétendant être resté ferme, car il n'y a plus que ce seul lobby à plusieurs roues qui puisse encore être un contre-pouvoir sous la Ve République.

    (Merci à la DP pour un peu d'apaisement dans une période où Badinget était à nouveau donné gagnant au second tour et où je me préparais à boire de la ciguë)

    mercredi 18 mai 2011

    [JDR] Les typologies dans Paul Mason, "In Search of the Self"



    Ceci n'est qu'un aide-mémoire pour revenir un jour sur des questions de "théorie du jeu de rôle".

    Je commence donc par des notes sur Markus Montola and Jaakko Stenros (dir.), Beyond Role and Play, 2004, une anthologie d'articles théoriques disponible gratuitement sur le site de Ropecon, la principale Convention du jeu de rôle finlandaise (la Scandinavie a développé de nombreuses approches théoriques non seulement sur le jeu de rôle "autour-d'une-table" mais sur son cousin d'improvisation interactive le "Grandeur Nature" ("Live-Action"), comme ce qu'ils appellent "l'Ecole de Turku").

    Le premier article, "In Search of the Self: A Survey of the First 25 Years of Anglo-American
    Role-Playing Game Theory" est par Paul Mason, un auteur britannique (mais qui a aussi vécu longtemps au Japon et a publié de nombreux articles comparant diverses expériences du jeu de rôle).

    Mason ne trouve pas beaucoup d'ouvrages théoriques publiés (les livres sur le jeu de rôle étant plus souvent descriptifs ou historiques que théoriques, y compris le livre d'ethnographie de Gary Fine, Shared Fantasy, University of Chicago, 1983) et cite le plus souvent soit des articles de fanzines (surtout la plus importante, Alarums & Excursions, qui a une tradition d'analyse critique plus poussée que toutes les autres publications - hélas, ces textes sont très rares à trouver et non scannés - il faut aller à la British Library) et des revues, voire de site Web (ou le newsgroup rec.games.frp.advocacy). Les débats se limitaient au départ à un problème simple, l'opposition entre le réalisme de la simulation et la jouabilité du système.

    La première étape pour dépasser cette distinction en préfigurant assez directement ce qu'on appelle depuis le Modèle triadique Ludisme-Simulationnisme-Narrativisme fut une classification non pas des types de jeu mais de 4 types de joueurs (la Voie Quadruple, "The Four-Fold Way") par Glenn Blacow, "Aspects of adventure gaming", Different Worlds #10 (1980) (reproduit sur le site de Théorie de JH Kim) : (1) wargamer (cherche avant tout le plaisir de la résolution tactique de problèmes), (2) powergamer (cherche avant tout une impression de progression et de contrôle à l'intérieur de cette réalité fictive), (3) storyteller (cherche avant tout une histoire intéressante) et (4) role-player (cherche avant tout à incarner une personne). Glenn Blacow, un des premiers rôlistes au MIT, se vantait dans les fanzines des années 70 d'avoir été à l'origine de la 4e forme à une époque encore dominée par la 1e et la 2e figure. On voit que l'article du magazine de la scène californienne distingue simplement deux formes de "Ludisme" dans les deux premiers types. Mais le narrativisme va être surtout développé dans le Grandeur-Nature australien "freeform" avant d'influencer profondément le jeu "autour-d'une table".

    Une autre taxinomie vient en fait de la théorie du théâtre et plus précisément du jeu d'improvisation, à partir de Keith Johnstone, Impro: Improvisation and the Theatre, 1979. En suivant la gradation de Johnstone, James Wallis distingue dans "Through a mask, darkly", dans la revue britannique éphémère Interactive Fantasy 3 (1995) quatre manières de jouer un rôle :
    (1) le Jeu de Marionnette (on manipule complètement le personnage qui n'est qu'une interface pour le jeu, pour résoudre des problèmes),
    (2) le Jeu d'un Archétype (on interprète un type abstrait pour un scénario, par exemple dans les simulations d'entraînement des jeux de rôles en entreprise où on joue "Le Client"),
    (3) le Jeu d'une Personnalité (on développe un personnage fictif)
    et enfin la pratique la plus immersive, (4) le Jeu de Masque (où le joueur s'identifie à un Masque qu'il adopte sans prétendre le créer lui-même). La dernière théorie ne semble pas convenir vraiment au "jeu de rôle" au sens ludique mais plutôt à certains jeux/rites/cérémonies décrits par Johnstone où l'Acteur simule une sorte de "transe" de possession devant le Masque (on revient là au lien entre cérémonie religieuse/chamanique et premières formes de théâtre, entre le liminal et le liminoïde (ce qui sera l'objet de l'article suivant, de Martin Ericsson).

    L'article est en revanche très bref sur la période récente, la source la plus fertile de théories ces dernières années sur les forums (aujourd'hui en hiatus) de TheForge de Ron Edwards. Mason mentionne comme une première étape du Modèle Triadique GNS une distinction de campagne entre (1) Préparation (2) Diégèse (3) Métajeu, mais je ne suis pas sûr de voir en quoi cela correspond exactement à Simulationnisme/Narrativisme/Ludisme, à part pour le (2). Voir sur ces points la volumineuse page de JH Kim.

    ***

    Règle de blog : Pas de post purement théorique jdr sans contenu jdr.

    Les Bascinets de Haute Distinction Tactique et Poliorcétique étaient des casques magiques forgés pour les grands généraux de l'armée des Nains. On dit que les porter améliore sensiblement la tactique militaire mais aussi le charisme de celui qui les porte. Il vaut mieux ne pas être trop grand pour le porter (en terme de Runequest, pas plus de TAI 12).

    En revanche, il faut lancer un d4 comme il n'en resterait plus que quatre :
  • 1 Wargamer : Pas de problème. Le Bascinet donne bien un bonus tactique (+20%) et de charisme (+4).
  • 2 Powergamer : Bonus divisé par deux mais désir arrogant de gloriole militaire.
  • 3 Storyteller : Bonus normal mais ce Heaume a appartenu à une célèbre dynastie naine qui cherche à la récupérer depuis longtemps pour reprendre l'ancien Château Inexpugnable.
  • 4 Roleplayer : le heaume est possédé par l'esprit du grand champion nain Aiak Murmex qui tentera de prendre possession du corps du personnage. Aiak Murmex tentera de cacher un peu qui il est mais il ne peut s'empêcher de parler avec une voix de stentor et en octosyllabes (non rimés), il a la croyance hallucinatoire qu'il est toujours accompagné par un sanglier de combat, il tombe souvent amoureux de n'importe qui montrant un peu de courage ou de talent poétique, il cherchera à venger son honneur bafoué par les théâtres qui l'avaient refusé quand il était un histrion, mais aussi contre diverses autres familles nobles et tous ceux qui critiqueraient la taille de son nez, à retrouver sa collection de cornemuses pour les léguer, à venger son père tué par sa demi-soeur sorcière troll, à triompher au moins une fois à l'opéra avant de mourir en prenant du poison.

  • mardi 17 mai 2011

    [JDR] [PUB] Encyclopédie imaginaire pour D6 Système



    Il y a quelques temps sur le forum Casus Non-Officiel, Cedric B. du groupe d'auteurs Studio 9 et traducteur français du jeu de rôle Open D6 (dérivé de l'ancien Ghostbusters et Stars Wars de WEG) avait lancé un projet d'un guide d'idées pour tout monde médiéval-fantastique : plus d'une vingtaine d'auteurs ont lancé leurs propositions et quelques-unes ont été retenues ici dans L'Encyclopédie Imaginaire (308 pages, 130 articles + caractéristiques pour Système OpenD6). Il est disponible gratuitement sur le site Lulu (mais la version imprimée est à moins de €10, autant dire que c'est donné pour 300 pages).

    Cela ne constitue bien entendu pas un "Univers" puisque chaque participation était indépendante (encore qu'en cherchant bien, je ne pense pas que les entrées se contredisent non plus). Cela peut un peu faire penser à ces vieux articles dans les vieux Casus Belli, les Bazar du Bizarre.

    Mais je n'en ferai pas la review comme j'en ai rédigé quelques entrées. J'y avais notamment recasé un cours que je faisais ce jour-là sur la critique aristotélicienne de la Finance (ce qui explique la Chrématocratie des Nains p. 120) et sur Mauss (d'où ces potlatchs p. 98).

    Les auteurs principaux ont été surtout Cedric B. mais aussi Edophoenix et TlönUqbar (l'auteur notamment de Cats! La Mascarade, dont je reparlerai bientôt puisque la version professionnelle est sortie en boutique il y a quelques semaines).

    lundi 16 mai 2011

    Entraînant



    Un hymne d'opposants syriens contre le régime, al-Mondaseen ("les Infiltrés") - via LCP.

    [JDR] [Review] Lettres du Néant : Nothingness


    Nothingness est un jeu de rôle français médiéval-fantastique complet, avec en téléchargement gratuit en PDF (à condition de s'inscrire) un Codex de règles (450 pages) et un Atlas du monde de Weröl (300 pages), qui est rongé peu à peu par le Néant qui détruit sa matière et les âmes.

    Le site a également déjà un Grimoire sur la magie (200 pages), le Lectionnaire, livre sur les religions (200 pages) et une Encyclopédie des monstres (300 pages). Il est aussi prévu pour bientôt un nouveau Kit introductif avec une aventure, plus des scénarios dans JDR Mag et sur le site.

    Je vais profiter de cette première lecture pour entamer un nouveau cycle sur les jeux de rôle disponibles en français.

  • Le jeu "vivant"

    On peut opposer des jeux qui reposent sur un "concept" (qu'il soit créatif, éditorial ou commercial) et ceux qui sont avant tout le fruit d'exploration au cours du jeu autour de plusieurs tables. Dans le second cas, on peut y perdre en unité mais y gagner en enthousiasme, en une énergie chaotique de la découverte "au cours même du processus", ce qu'il y a sans doute plus créatif dans le mouvement dit "Old School". Un jeu suppose de la structure et la théorie du jeu de rôle sur TheForge avait repris à Lévi-Strauss la notion de bricolage, c'est-à-dire créer de la structure à partir d'événements, transformer des singularités en outils à appliquer. Toute campagne de jeu qui laisse un peu de latitude à ses joueurs doit comporter un élément de "bricolage" en ce sens.

    Bien entendu, Nothingness change un peu en devenant public (et XI a mentionné sur les forums diverses private jokes qui avaient été retirées de l'univers comme le fait que la Catastrophe principale était appelée originellement le "Grand Fumble" par les joueurs). Une des idées intéressantes du "concept" est d'ailleurs que le monde de Nothingness demeure une sorte de projet en évolution collaborative, un peu comme l'étaient les mondes dits "Living Campaigns" de la RPGA, avec des parties "officielles" de diverses tables spécialisées, se combinant en une histoire de tout l'arrière-fond. C'est un des aspects où un monde de jeu s'oppose complètement au monde d'un romancier qui en garde un contrôle plus jaloux et moins diffracté par d'autres participants.

    Nothingness est en fait le résultat de nombreuses campagnes d'un des membres de la FFJDR (qui a pris pour pseudo "XI" pour cette "11e édition" de son jeu). Les traces de ces campagnes sont omniprésentes dans l'histoire et la cosmogonie de l'univers, les anciens héros de cet univers sont décrits avec les noms des joueurs qui les ont interprétés et qui ont modifié progressivement cet univers depuis au moins 200 ans de jeu. Ce n'est donc pas tellement ce sombre Nihilisme qui distingue ce jeu (c'est le cas de nombreux autres univers comme WFRP) mais plutôt une atmosphère épique assez "high fantasy" avec ses innombrables organisations de mages ou ses héros qui tuent des divinités, en un équilibre entre l'obscurité gothique de WFRP et les intrigues de plus haut niveau.

    Bien qu'"amateur" et gratuit, le jeu est illustré d'une manière professionnelle par plusieurs artistes. Les dessins des races, des organisations, les cartes des continents et des villes notamment dans l'Atlas sont de très bonnes qualité.

  • Premier survol du Codex

    Les règles (baptisées système "DécenS" parce qu'il utilise principalement des d100 pour la résolution) semblent intermédiaires entre les jeux de Première Génération (avec de nombreuses règles pour des situations différentes) et les jeux à système unique de résolution. Il y a de nombreuses Classes de Personnages ou des points de vie qui croissent avec les Niveaux, mais les règles ne rappellent pas tellement le d20, avec quelques influences de WFRP. L'auteur dit lui-même que son système n'était pas dirigé vers les débutants ou le courant actuel du système "léger".

    Les 4 caractéristiques principales sont la Vigueur physique, l'Esprit (Intelligence et érudition), les Sens (Perception) et l'Esssence (qui est à la fois l'âme religieuse et la sociabilité). Elle sont déterminées par un mélange de 4d20 et une répartition de points. On dérive de cela de nombreuses caractéristiques secondaires avec un autre total de points pour les augmenter. Il y a 150 Compétences et des Techniques qui dépendent non seulement de ces douzaines de caractéristiques mais aussi des Classes, et certaines de ces compétences sont plus des dons ou capacités spéciales que des connaissances acquises.

    C'est beaucoup plus simple à condition d'avoir imprimé une fiche de personnage (p. 456-457, plus une version disponible sur le site) qui résume les relations entre les sous-caractéristiques.

    Les Races comprennent en plus des humains des peuples féériques classiques (diverses variantes d'Elfes, dont des Elfes "japonais", des Nains, Gnomes, Lutins, Farfadets, Sylphes, Korrigans, Trolls), des Djinns, plusieurs races semi-animales, souvent maléfiques, comme les Wolfynx (Loups), de nombreux Reptiliens (Lézardoïdes, Sauriaux, Draconides, Reptors, Rex) et divers Primates (Chimpanzés, Gorilles, Orang-Utans, etc. un des gags est que les Panzaers adorent le biologiste Windar qui leur aurait prouvé qu'ils descendaient en fait des Humains).

    Les Classes principales sont les Ruffians (Voleurs, Assassins, Ninjas...), les Guerriers (dont les Samouraïs, les Valkyries, les Chevaliers et la classe spéciale des "Palalutins", des lutins en union avec de petits animaux), les Protecteurs (Espions et "Contre-Assassins"), les Lettrés (Mages, Clercs et Mercimage), les Errants ("Manimaliers", Saltimbanques, Compagnons-Gardes-du-corps et le Chimérologue, un tueur de monstres alchimiste).

    Après une première lecture, le système est complexe. Il n'y a pas toujours un système unique de résolution quand on regarde par exemple les divers jets de protection (p. 317-318), même si ces systèmes restent mieux intégrés par exemple qu'un jeu "à la FGU" comme le récent Anima. Les règles de combat, par exemple, ont de nombreuses options et une localisation des coups détaillée selon les différents types d'attaques, plus compliquée que Runequest mais moins qu'Aftermath!. Le combat peut être potentiellement très mortel avec les coups critiques.

    Le livre a même un système de combat de masse, avec véhicules et armes de siège (p. 433-443). L'univers a aussi des détails comme son propre jeu de tarot original avec 12 Lames.

    Une des particularités de l'univers que j'aime bien est la différence "eschatologique" entre les deux formes principales de religion. Les Polythéistes peuvent être ressuscités mais les Monothéistes se réincarnent et leur nouvelle forme dépend de leur score en Essence (les bas niveaux renaissent en animaux humanoïdes et les hauts scores en elfes ou lutins). Mais il faudra approfondir la lecture du Lectionnaire (le supplément sur la religion) pour y voir plus clair sur ce point.

    Je ne sais pas si je voudrais passer au système du Codex mais il serait au minimum utile pour les peuples et extrapoler le niveau de la Magie dans cet univers.


  • L'Atlas de Weröl

    L'Atlas s'ouvre par de belles cartes du monde actuel vers l'an 1000 (p. 28-29, aussi sur le site) et chaque section régionale a repris une petite carte, avec des plans de cités pour chaque Etat (soit environs une vingtaine de plans de cités : Memneth, Port-Noir, Eaugrise, Khor, Mô l'ancienne capitale en ruine, Requiem Saranzara la Cité Elfe Errante qui vient de se fixer, Kalkabat la Cité des Elfes noirs, Kilkieran colonie atlante, Albionta, Haute-Rive, Thalna, Nostradia, la Cité du Dieu Fou dans les Terres Néantiques, Vertigone la démoniaque, Teufel l'oracle, Stupor Mundi cité des marchands, Atlantapolis, Pandernagor enclave abalonienne en pays primate).

    Le monde de Weröl, dont le nom même semble être une allusion à une épidémie, est un monde "post-apocalyptique", comme de nombreux univers d'heroic fantasy.

    Certains éléments auraient pu d'ailleurs rappeler par exemple les Terres Balafrées, mais l'auteur "XI" m'a écrit qu'il ne s'agissait que de coïncidences. Là aussi, le monde sort d'une grande Titanomachie et là aussi le monde a été traumatisé et les océans sont devenus toxiques (ou comme ceux d'Ecryme). Mais Weröl semble plus mortellement atteinte en un sens et ses Empires de djinns ou d'elfes sont plus anciens et plus développés que les petites cités-Etats de Scarn. Certaines régions occupées par les Enfers pourrait aussi évoquer le Greyhawk de la période Carl Sargent lorsque des nations entières étaient sous domination de Diables et de Démons.

    Il est parfois difficile de dégager une sorte d'unité narrative de tout cet univers car on voit immédiatement qu'il est issu de multiples campagnes de jeu qui l'ont tiré dans diverses directions, avec des aventures labyrinthiques, des renversements rocambolesques, des retours ou des résurrections qui simulent bien des la contingence désordonnée de l'Histoire. On sent bien un univers tiré de l'exercice du jeu et non pas d'une fiction linéaire. En plus des nations, il y a notamment beaucoup d'organisations différentes pour chaque Etat.

    Le monde a été marqué par des guerres entre Dieux et Titans, mais surtout par le Théochrone, fils d'un Dieu et d'une Titane, le Faucheur de divinités qui faillit plonger tout l'univers dans le Néant lors d'un massacre récent des Dieux, le Théolocauste. Depuis, ce cancer du Néant croît au coeur du monde et des terrains entiers sont des lambeaux flottants au-dessus du vide. Le monde a été recréé il y a environ 200 ans, un Titan et une Déesse se sont unifiés en une Divinité unique, le Pancrator, et plusieurs divinités nouvelles sont nées lors de cette Seconde Création. Mais la Guerre entre la Création et le Néant continue.

    C'est désormais l'époque des Quatre Fléaux : (1) les "Néantiques" adorent l'annihilation même du monde par le Théochrone, (2) Une épidémie maléfique (l'Infex, décrite dans le Codex p. 340), (3) les mers et les rivières sont rongées par une substance toxique et des pluies acides, l'Aigue-sourgne, qui rend la navigation mortelle sans protections magiques ou le soutien de la Déesse des océans Hapoggaëddon, (4) des parasites magiques, les Mantes, peuvent aussi prendre possession de certaines divinités, ce qui fait qu'on peut se défier même de ses propres Dieux.

    Il y a trois continents principaux. Terra Mater (p. 26-209) est le continent principal, avec notamment un trou noir de Néant au centre avec des enclaves démoniaques, de nombreux royaumes et cités-Etats, et un Empire d'Elfes-samouraïs japonisants dirigés par le Dragon Sharakaï. A elle seule, Terra Mater a près des 2/3 du livre et est donc bien plus détaillé que les deux autres. Le Continent atlante (p. 210-252) n'est pas submergé de manière permanente mais connaît des raz de marée périodiques qui font que les cités ont dû s'habituer à passer des mois dans un archipel et les mois de décrue en montagnes. Enfin, Terra Negra (p. 253-288) est le continent le plus dévasté par les Guerres contre le Théochrone, on y trouve surtout des déserts de poussière magique, un Empire afro-féérique polythéiste d'Abalone (avec quelques noms d'ethnies africaines réelles), avec ses guildes de technomages, et des cités de primates plutôt néantiques.

    Un petit détail peut-être un peu trop exotique est la durée courte de l'année werölienne, 216 jours, soit environ 60% d'une année terrestre (donc un homme de 20 ans terrestres doit avoir 33 ans weöliens). Il y avait un problème semblable avec Glorantha qui a choisi une année de 294 jours. Mais cela ne joue pas tant que cela dans une campagne (sauf à la rigueur si on donne des tables de vieillissement).

    La date du Présent tourne autour du Xe siècle, plus de 200 ans après le Théolocauste ou Omégalphe qui a recréé l'univers avec une nouvelle génération de Dieux qui ont pris la place des anciens. Mais rien n'interdirait éventuellement de jouer plus proche du Théolocauste si on tenait à ce que ses joueurs puissent s'approcher de ce fantasme de jeu épique.

    L'Atlas n'a pas de caractéristiques de jeu mais a l'histoire des nombreux personnages (ex-PJ) qui ont façonné le passé récent de Weröl. Bien entendu, comme ce sont des personnages-joueurs, ils ont souvent eu des vies très atypiques et cosmopolites comme Cassandra l'Insoumise cette Valkyrie divine (p. 101, on la voit en couverture du Codex) qui a sacrifié sa vie pendant la Guerre du Portail, et qui devint désormais la Gardienne de la Sublime Porte des Cieux (qui se trouve physiquement au Pôle nord du monde) ou (Saint) Gmorkh (p. 74), un prêtre wolfynx qui conduisit la Cité errante de Requiem dans ses voyages entre les mondes et finit par devenir l'Avatar de plusieurs âmes en conflit.



  • Pour l'instant, j'aime assez de nombreuses idées pour vouloir les "voler", notamment certaines de ces Cités pour des inspirations urbaines. Une des nombreuses idées qui me plaît, à cause du saṃsāra, est ces Djinns-Nephilims du Royaume de Faram, qui ont une hiérarchie dépendant du nombre de leurs Incarnations. Mais il reste encore à étudier le Lectionnaire pour enfin comprendre la mythologie complexe du monde à laquelle l'Atlas a fait beaucoup d'allusions.

    Sur Nothingness, voir aussi l'article dans JDR Magazine n°12.5 (p. 13 + p. 92) et le Guide du Rôliste galactique.

    ...et partout il est dans les fers



    Giovanni Andrea De Ferrari, Giuseppe venduto ai fratelli, (vers 1650)

    Après son fils le Sénateur du Kentucky qui disait que un droit aux soins serait équivalent à l'esclavage, son père le libertarien Ron Paul confirme et ajoute la conclusion logique que les droits actuels à la retraite ou aux soins pour les personnes âgées sont aussi de l'esclavage. C'est la grande différence entre les Libertariens et les Républicains habituels : les premiers sont prêts à affirmer les conséquences, les seconds sont prêts à se servir des principes seulement là où cela leur paraît politiquement expédient. Mais on doute qu'ils oseraient avouer à leurs électeurs et même aux militants des Tea Parties, souvent âgés, les conséquences de leur doctrine affichée.

    Ceux qui ne trouvent rien de si grave dans le combat de la Confédération du Sud en faveur de la suppression de tout droit à certains humains continuent à ergoter sur la différence entre les droits-libertés du Bill of Rights par opposition à un droit-créance minimal pour le bien commun d'une République, ne serait-ce même que dans une théorie de l'intérêt bien compris.

    On peut discuter sur les limites de ces droits-créances mais il paraît infantile de régler le problème complexe par une simple stipulation verbale qu'un droit-créance ne peut pas être un droit et est même la négation de tout droit de propriété, simplement parce que le Bill of Rights d'un passé esclavagiste ne les avait pas énumérés dans sa liste non-exhaustive.

    Cette obsession sur l'Esclavage (il faudrait une sorte de point Rousseau comme on parle d'une loi de Godwin : la probabilité qu'on invoque les chaînes de la servitude tend vers 1) vient bien sûr d'une rivalité victimaire raciste : l'Américain conservateur veut à la fois s'attribuer toute la peine des victimes en "esclaves" de la Fiscalité, se dire la Vraie Victime de l'injustice, le vrai Esclave de ces ex-Esclaves, tout en disant que la Confédération esclavagiste était héroïque dans son combat des droits individuels de propriété (un peu comme un Français de n'importe quel bord aura une tendance de mauvais goût à se comparer sur tout sujet à un Résistant contre la Collaboration). La dénonciation du Ressentiment des autres est aveugle à son propre Ressentiment : ils refusent dans toute solidarité une morale d'esclaves "assistés" tout en se plaignant d'être "opprimés" par ces "faibles".

    Un tragique accident historique du rapport des forces vers 1780, le fait qu'ils n'aient pas pu et voulu faire passer l'abolition de l'Esclavage dès le début, demeure, même 150 ans après l'abolition, une névrose nationale qui ne passe pas et où l'individualisme possessif de Locke (dont la position sur l'esclavage est si ambiguë dans le Traité du gouvernement civil de 1690) est transformé en une métaphysique indépassable où l'asservissement ne peut venir que de droits sociaux de l'Etat-providence mais jamais du déchaînement des pouvoirs oligarchiques des groupes les plus fortunés.

    Coïncidences



    Carlo Cignani, Josef und Potifahrs Weib, 1680

    C'est le propre des coïncidences de paraître incroyables et de rendre les théories du complot si peu faciles à dépasser : il y a 15 jours dans une interview à Libération (le jour même où il fut photographié en train d'entrer dans une voiture d'un ami d'une marque peu discrète), DSK prédisait en Cassandre peut-être auto-réalisateur qu'il serait victime de campagnes sur "l'argent, les femmes et ma judéité" et même qu'on stipendierait une femme pour jouer la "Sthénébée" ou la "Zuleika, femme de Potiphar" prétendant être abusée.

    S'il est vraiment coupable (et la "sidération" n'implique pas que ce soit si improbable), c'est l'un des meilleurs arguments jamais donnés en faveur de la théorie des Actes Manqués auto-destructeurs de la psychanalyse (comme le disent ces textes). Un inconscient retors pourrait-il se croire invulnérable tout en cherchant à réaliser une machination dont il se disait future victime ?

    [D'un autre côté, dans les mêmes coïncidences, je ne parle jamais de DSK sur un blog peu politique et le lendemain du jour où ce blog le fait, avec une certaine lourdeur, l'affaire vieille de 9 ans risque d'être relancée.]

    (Le choix du tableau ci-dessus ne présume pas que je croie à une théorie à la "Zuleika" ou que je veuille ainsi transgresser la présomption d'innocence de celle qui est pour l'instant la seule victime)

    dimanche 15 mai 2011

    Elections au niveau des Etats en Inde



    Il y a deux ans, l'Alliance Progressiste Unie (UPA) (Parti du Congrès National Indien + alliés de centre-gauche) avait gagné à nouveau les élections fédérales indiennes au Lok Sabha contre l'Alliance Démocratique Nationale (NDA) (BJP nationaliste hindou + divers partis). Depuis un mois, ce sont les élections au niveau de 5 Etats (soit environ 230 millions de personnes sur le milliard d'Indiens) : le Bengale Occidental à l'est (91 millions d'habitants), le Tamil Nadu au sud-est (72 millions, voir la politique tamoule), le Kerala au sud-ouest (33 millions), Assam à l'est (31 millions d'habitants) et le petit Territoire du Puducherry au sud (1 million, qui contient l'ancien comptoir français Pondichéry).


    Globalement, les partis locaux de centre-gauche en alliance avec le parti du Congrès national ont remporté des victoires partout contre le Front de Gauche régional, ce qui pourrait avoir la conséquence de renforcer le "centre" à l'intérieur des grandes coalitions du Congrès. Mais cela ne change rien pour le principal parti d'opposition, le BJP, qui était très peu représenté dans ces Etats de l'est et du sud.

  • La grande nouvelle est au Bengale, où le Fantôme du Communisme va s'en aller. Alors qu'on disait que le Parti Trinamool (centre-gauche) en déclin, la "Grande Soeur", la Matriarche Mamata Banerjee (actuelle Ministre des Voies ferrées, alliée au niveau fédérale au gouvernement du Congrès) a enfin réussi à vaincre de manière écrasante le Front de Gauche (dont le Parti Communiste-Marxiste au pouvoir au Bengale depuis 1977 !).

    L'énergique et agressive Mamata Banerjee (qui est connue pour ses crises de colère dans le travail parlementaire) se compare déjà à une Libératrice ou une élue d'un Etat européen ou post-soviétique sortant du Gel Communiste, la "Lech Walesa indienne" (même si, en dehors d'une corruption épouvantable de 34 ans de gouvernement et quelques crises, le Bengale occidental n'était bien entendu pas vraiment en danger de totalitarisme politique). Mme Banerjee a en ce moment le soutien du Congrès National et elle devient donc la nouvelle ministre du Bengale. Les classes moyennes du Bengale se sont enfin ralliées à cette opposante historique au Parti Communiste Indien.

  • Au Kerala aussi, l'Union démocratique (alliée du Congrès Indien) bat le Front de Gauche (Parti communiste) mais avec une faible marge et ce sera moins une rupture comme c'est simplement le retour du dirigeant précédent, Oommen Chandy. Son adversaire, le vieux V. S. Achuthanandan, 87 ans, dernier membre fondateur du Parti Communiste-Marxiste d'Inde (sécession du PC, 1964), dirigeait le Kerala depuis 2006.

  • Au Tamil Nadu, c'est le retour encore une fois de la "Mère" controversée Jayalalithaa Jayaram, l'ex-star de cinéma tamoule de 63 ans de l'AIADMK. Jayalalitha a déjà dirigé le Tamil Nadu deux fois. Son parti, l'AIADMK, a réussi à battre le DMK du vieux Muthuvel "Kalaignar" Karunanidhi, 86 ans. La politique tamoule a été très monotone depuis au moins 20 ans. Elle a mis cet ex-cinéaste Karunanidhi et l'ex-actrice Jayalalitha au pouvoir successivement presque à chaque mandat : Karunanidhi a gouverné de 1989 à 1991, puis Jayalalitha de 1991 à 1996, puis à nouveau lui de 1996 à 2001, puis à nouveau elle de 2001 à 2006 (avec un intrus en fait au début), puis lui de 2006 à aujourd'hui. La famille de M. Karunanidhi semble complètement corrompue (il y a eu plusieurs scandales de népotisme, dont une fille de Karunanidhi) et il n'est pas sûr que son fils, MK Stalin, qui dirige la Jeunesse du DMK, hérite dans 5 ans pour les élections de 2016.

  • En Assam, le Parti du Congrès national reste au pouvoir avec une large victoire.