lundi 16 mai 2011

Coïncidences



Carlo Cignani, Josef und Potifahrs Weib, 1680

C'est le propre des coïncidences de paraître incroyables et de rendre les théories du complot si peu faciles à dépasser : il y a 15 jours dans une interview à Libération (le jour même où il fut photographié en train d'entrer dans une voiture d'un ami d'une marque peu discrète), DSK prédisait en Cassandre peut-être auto-réalisateur qu'il serait victime de campagnes sur "l'argent, les femmes et ma judéité" et même qu'on stipendierait une femme pour jouer la "Sthénébée" ou la "Zuleika, femme de Potiphar" prétendant être abusée.

S'il est vraiment coupable (et la "sidération" n'implique pas que ce soit si improbable), c'est l'un des meilleurs arguments jamais donnés en faveur de la théorie des Actes Manqués auto-destructeurs de la psychanalyse (comme le disent ces textes). Un inconscient retors pourrait-il se croire invulnérable tout en cherchant à réaliser une machination dont il se disait future victime ?

[D'un autre côté, dans les mêmes coïncidences, je ne parle jamais de DSK sur un blog peu politique et le lendemain du jour où ce blog le fait, avec une certaine lourdeur, l'affaire vieille de 9 ans risque d'être relancée.]

(Le choix du tableau ci-dessus ne présume pas que je croie à une théorie à la "Zuleika" ou que je veuille ainsi transgresser la présomption d'innocence de celle qui est pour l'instant la seule victime)

15 commentaires:

Anonyme a dit…

Notez que la présomption d'innocence disparait dés lors qu'on accorde le statut de victime à l'une des parties.

Samuel a dit…

D'ailleurs, je ne crois pas à la coïncidence de ce billet publié à 23h30, soit quelques minutes après l'apparition du sujet sur Twitter. Tu étais au courant, n'est-ce pas ? ;-)

maruku a dit…

Un truc qui commence à m'agacer c'est le discours au fond très sarkozien qui se répend sur les victimes (le pompon étant le texte de Schneiderman de ce matin reprochant aux socialistes de ne pas avoir exprimés leurs regrets pour la victime). Outre qu'avant toute condamnation on ne sait effectivement pas s'il y a une victime, chaque individu n'est pas obligé de ressentir automatiquement de la sympathie pour toute victime (ou alors cela reste très théorique) et il peut même arriver que l'on en ressente pour des coupables. Cela ne veut bien sûr pas dire qu'on approuve le viol ou l'agression sexuelle : il y a des institutions, la police, le système judiciaire pour objectiver tout ça, dire qui est coupable ou pas et permettre à la société de fonctionner.

Elias a dit…

"S'il est vraiment coupable (et la "sidération" n'implique pas que ce soit si improbable), c'est l'un des meilleurs arguments jamais donnés en faveur de la théorie des Actes Manqués auto-destructeurs de la psychanalyse "

L'inconscient freudien ou la théorie du complot intérieur ...( et l'infalsifiabilité portée au carré).

L'explication la plus simple de cette "annonce", c'est qu'ayant conscience d'avoir par le passé déjà flirté avec la ligne blanche ... il essayait de se prémunir de l'éventuelle sortie du placard de vieilles affaires.

Phersv a dit…

> Anonyme & maruku
Oui, je comprends qu'on ne peut pas dire à la fois sans contradiction (1) je respecte la présomption d'innocence de l'accusé (2) je respecte le statut de victime de l'accusatrice. Mais en un sens, il le faut quand même : je me considérerais choqué qu'on insulte a priori la présumée victime (sans quoi les victimes réelles n'oseraient plus déposer plainte de crainte d'être toujours soupçonnées) mais je ne peux considérer comme absolument impossible qu'il puisse être innocent (même si cela paraît incroyablement romanesque) et qu'elle puisse mentir et chercher à lui nuire (ce qui ferait soudain de l'accusé la seule victime authentique).

Quoi qu'il en soit, la réalité est incroyable : s'il est coupable, c'est dingue qu'il n'ait pas pu se contrôler et il est un grand malade. S'il est innocent, c'est encore plus dingue que la réalité puisse avoir un complot digne d'un roman.

> Samuel
23h30 du vendredi 13 quand même, la veille, non ? Les faits sont du samedi 14 vers 12h heure américaine / 18h heure française, si j'ai bien compris.
Tu as vu le post du jeune UMP qui fit le premier twitter : il a assez bien su ironiser sur le Complot qu'on lui attribuait.

> Elias
Oui, il y a tout simplement la Mauvaise Foi satrienne aussi mais cela signifierait qu'il ne voulait vraiment pas être Président.

Ou alors il dit à Libé le 28 avril : "Ils vont payer quelqu'un pour feindre le viol" et cela le fait passer à l'acte 15 jours plus tard, en se disant par Mauvaise Foi qu'il a un alibi parfait comme il a prévu la dénonciation calomnieuse d'une "Zuleika".

Reste qu'à en croire la mère de Banon, il aurait reconnu les faits au sujet de l'affaire de 2002 devant elle (même si le biographe Taubmann accuse Banon dans son nouveau livre d'avoir tout inventé).

Anonyme a dit…

Ce n'est pas tellement l'atteinte inévitable à la présomption d'innocence qui m'agace que l'obligation de parler des victimes, d'avoir une pensée pour elle, de les plaindre dès (et avant même) leur apparition. Schneiderman ce matin "Pas un seul [socialiste], qui ait fait seulement allusion (si les accusations sont fondées, bien entendu) à la victime, à la femme de ménage du Sofitel." Donc le PS (par définition traitre à la classe ouvrière et aux femmes de ménages) aurait absolument dû évoquer cette personne "si les accusations sont fondées". Ce mélange d'appitoiement larmoyant et d'accusation absurde est assez caractéristique de l'ére Sarkozy je trouve.

MB a dit…

La coïncidence la plus ironique à mes yeux, aujourd'hui, c'est avec le choix des mots de M. Rocard dans son interview à Libération de la semaine dernière : "Personne ne peut s’en sortir tout seul. On est vraiment mondialisés. C’est ce qui fait l’extraordinaire chance de pouvoir disposer parmi les candidats socialistes à l’élection présidentielle d’un homme qui connaît la mécanique pour l’avoir dirigée, et qui a autorité dans le système. Cet avantage n’est pas reproductible ou transférable. Il y a, à la fois, un savoir et une notoriété. On peut penser, comme citoyen du monde, qu’il y aurait un intérêt à ce que Strauss-Kahn reste à Washington, parce que la mission n’est pas terminée. Mais la résistance politique des banques est telle que les États-Unis craquent, que la Grande-Bretagne a mis un employé de la City comme Premier ministre, que Mme Merkel a peur, que le Japon se défile. J’ai longtemps dit le contraire, mais je pense désormais, en citoyen français, qu’il vaut mieux rapatrier Strauss-Kahn, et qu’il puisse agir à travers l’écoute dont bénéficie encore la France sur la scène internationale. Non seulement comme membre du Conseil de sécurité mais aussi du fait de son indépendance forte à l’égard des États-Unis. François Hollande ou Martine Aubry ne seraient pas sur une ligne bien différente mais, contrairement à Strauss-Kahn, il leur faudrait un certain temps d’apprentissage, et on ne peut pas perdre le moindre temps, il y a urgence" (c’est moi qui graisse). Comment dire, Michel...

Thierry C? a dit…

Strauss-Kahn, "cygne noir"?… (qui, parfois, volent en escadrille):

http://resultat-exploitations.blogs.liberation.fr/finances/2011/05/dsk.html

Phersv a dit…

> Anonyme
Je vois l'analogie avec le Droit inconditionnel de la victime dans le discours sarkozyste qui sert à justifier n'importe quel durcissement de lois sécuritaires (et toute critique est du laxisme indécent envers le Droit des victimes).

Mais même s'il n'y a pas un impératif moralisant à exprimer l'évidence ou à devoir faire un acte de contrition collective, je suis quand même mal à l'aise quand Jack Lang dit "c'est excessif de le photographier ainsi et de ne pas lui accorder une libération sous caution, il n'y a pas eu mort d'homme". Littéralement, il a raison, il n'y a pas eu homicide mais l'expression semble aller plus loin et nier la gravité.

Par exemple, quand on parle de l'assassinat de sa femme par Althusser, les philosophes français ne mentionnent toujours que le "gâchis pour sa propre carrière" plus que l'acte lui-même.

J'entends beaucoup de Français parler de cette photo avec menottes comme si c'était vraiment un acte de barbarie alors que ce n'est que depuis seulement 11 ans que cela a été interdit en France.

D'un autre côté, cela m'agace quand je lis le philosophe américain R. Paul Wolff, anarcho-marxiste, dire que cela prouve que les socialistes français sont des traîtres élitistes alors que la gauche américaine serait plus sensible aux opprimés. Cet argument se retrouve tel quel dans le club lepenoïde de la Droite populaire de Lionnel Lucca qui dénonce l'élitisme de la gauche caviar.

> MB & Thierry C.
Michel Rocard sera tombé dans le Cygne noir en effet.

Elias a dit…

"J'entends beaucoup de Français parler de cette photo avec menottes comme si c'était vraiment un acte de barbarie alors que ce n'est que depuis seulement 11 ans que cela a été interdit en France. "


Je trouve que la loi française sur ce point est une bonne chose mais les indignations autour de ces images sont parfois d'une exagération qui frise le grotesque.

Askolovitch disait lundi soir sur je ne sais plus quelle chaine de la TNT que ces images étaient "d'une cruauté absolue"....

S'il dégaine l'absolu pour ces images là, je ne sais pas quel superlatif il lui faudra pour les images du supplice de Samuel Doe l'ancien président du Libéria...

Phersv a dit…

Et ils disent souvent que cela violerait déjà la présomption d'innocence.

Certaines détentions préventives et leurs conditions posent des problèmes pour les droits individuels, mais le fait de le voir photographié avec des menottes ne violerait la présomption d'innocence que si nous spectateurs décidions que cela vaudrait culpabilité. La crainte ne porte donc pas sur l'acte lui-même mais sur une éventuelle réaction du public qu'on imagine massivement incapable de relativiser (parce qu'on sait bien que "les Autres sont toujours moins malins").

(Cela dit, j'ai entendu aussi beaucoup de gens dire que toute "présomption d'innocence" au sens formel serait équivalente à une "théorie conspirationniste", ce qui est une erreur de catégorie entre "On doit faire comme si l'accusé pouvait être innocent" et "Je crois que l'accusé est innocent" ; le faillibilisme n'est pas le scepticisme).

Je comprends qu'on ait changé ce terme "inculpé" en "mis en examen". Cela a beau vouloir dire la même chose (et avec le temps, le second terme prend la même connotation), les Français sont toujours trop obsédés par les étymologies.

Mais bien sûr, ils réutilisent "inculpé" pour traduire "indicted" ce matin dans tous les titres de journaux.

MB a dit…

Sur le port des menottes, la loi Guigou qui cache les seins que nous ne saurions voir me pose problème.

L'article 803 du Code de procédure pénale est extrêmement précis : « Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s'il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite ». En 2000, on a ajouté un deuxième alinéa : « Dans ces deux hypothèses, toutes mesures utiles doivent être prises, dans les conditions compatibles avec les exigences de sécurité, pour éviter qu'une personne menottée ou entravée soit photographiée ou fasse l'objet d'un enregistrement audiovisuel ».

En pratique, pour simplifier la vie des escortes et éviter tout pépin, les menottes sont passées à tout le monde, même lorsqu'il n'y a pas de danger, même lorsqu'il n'y a pas de risque de fuite. Par exemple, un gars qui est jugé détenu et qui est relaxé sera quasi-systématiquement redescendu menotté. Dans le cas de DSK, on peut raisonnablement penser qu’il n'allait blesser personne, ni s'enfuir. Dans le cas des « faucheurs volontaires », cela devient carrément ridicule.

En empêchant la presse de montrer les conditions dans lesquelles les gens sont menottés, on empêche le citoyen de constater à quel point les forces de l'ordre ne respectent pas la loi – sans doute pas par méchanceté mais juste par habitude.

(Pour une vision moins angélique que la mienne)

Phersv a dit…

Oui, la menotte a un aspect symbolique de "pilori". C'est peut-être pourquoi certains Français semblent avoir sur-réagi (l'anti-américanisme est une autre raison).

Je deviens très hypocrite sur toute cette affaire. Je m'interdis de mettre des tas de liens parce que je trouve que toute ma "fascination" (au sens étymologique de "fascinare" d'ailleurs) est malsaine. Mais je continue à trop suivre cette histoire sordide (un peu comme tout le monde si on en croit le doublement des ventes de journaux).

Mais il y a tellement de rumeurs contradictoires sur d'autres accusations qu'il vaut mieux attendre que les procureurs fassent leur dossier. Pour l'instant, malgré le problème de l'indignation conditionnelle, je ressens plus de colère contre l'accusé qu'autre chose. Quand bien même on découvrait que la CIA et les extraterrestres illuminati ont tout inventé, il resterait tout ce qu'on entend sur son sexisme et son harcèlement. Comment la gauche a-t-elle pu le poser en candidat crédible avec de telles casseroles ? Quel Président fragile il aurait fait si jamais il avait été élu...

Phersv a dit…

Un argument original en faveur du "Perp Walk" qui n'est pas qu'un pilori :

There are legitimate reasons for a perp walk, aside from humiliation. If a defendant may have committed other crimes, police might want to broadcast his name and face to get other victims to come forward.

John Warsen a dit…

J'ai retenu l'idée vraisemblable qu'habitué aux Escorts Girls, il a fait une tragique méprise, émoustillé par celle-ci qui lui résistait, il s'est dit tiens, elle est pas mal, celle-là, faudra que je la redemande.
A mélanger avec la théorie de l'acte manqué : au fond, il n'avait pas vraiment envie d'aller aux primaires, ni d'être président, au moins ça c'est bâché...