mardi 30 mars 2021

Le cycle de Zagreus

Le Dieu mort

Le Titan Kronos avait dû castrer Ciel de sa serpe d'or parce qu'il obstruait l'utérus de Terre dans un coït perpétuel, pour libérer la nouvelle génération. La castration n'avait pas seulement émasculé Ciel en terminant leur noce séculaire mais créé le début du temps qui tranche les instants. Ciel voulait tourner sans changement mais la castration du père allait mettre en chemin les générations. 

Mais Kronos savait que le Temps allait se répéter et il décida de dévorer ses enfants dans sa bouche comme Ciel bloquait l'utérus de sa mère. Rheia substitua alors une Pierre, Os de Gaia, au Kronide et c'est cette Pierre qui fut absorbée dans le gosier de Kronos. Elle devint le Nombril du Monde, l'Omphalos

Zeus le Céleste s'allia aux forces de la Nuit et des Eaux contre les Titans. Issue des flots, Ruse changeait de forme et Zeus put forcer son père à vomir les Kronides par sa bouche, comme Kronos avait délivré ses frères et soeurs de l'utérus de Gaia. 

Mais les Titans avaient modelé la Terre pour créer de nouveaux êtres, les Incomplets. ils ne connaissaient pas encore la loi du désir et de la mort car ils n'avaient pas encore de sexe. Et Zeus savait que la victoire contre les Titans supposerait de passer par ces Mortels. Il fit concevoir la Déesse Don-à-Tous qui fut la première femme chez eux et qui vint apporter les ressources et les malheurs du désir aux Incomplets. Et ainsi ils devinrent Hommes et Femmes, tout comme les Dieux. Elle épousa le Titan Prométhée et c'est d'eux que sont issus les Héros parmi les Mortels. 

Zeus voulait mettre fin à cet Eternel Retour où à son tour il serait détrôné. Au lieu de dévorer ses enfants, il dévora son épouse Ruse pour la garder en lui et c'est ainsi qu'il fit naître Athéna de son front et non pas d'une Déesse, et elle était la plus asexuée des Dieux en intégrant la puissance de son père et celle de sa mère. Elle apporta le Discours aux Incomplets, la médiation qui leur permettrait de chercher à combler cette incomplétude. 

Puis Zeus refit le chemin de la Pierre dans les profondeurs de la Terre, redescendit comme le Zeus-sous-la-Terre, l'Invisible (Hadès). Ainsi le céleste lumineux s'enfouit dans les profondeurs obscures. 

Là il s'unit à son aïeule, la Terre, pour donner naissance à la Reine de la Nuit et il s'unit ensuite à sa fille Perséphone sous la forme d'un Dragon (cf. Nonos de Panoplie, Dionysiaca Chant V, vers 568sqq). 

Cet Enfant était né de Zeus-des-Enfers, dans le Monde des Ténèbres, première union entre le Céleste et ses alliés chtoniens, il se nommait Zagreus

Zeus savait que Zagreus, le vivant né parmi les morts, le fruit du double inceste, fils de Zeus et de sa fille, était condamné par le Destin à devenir le premier dieu à mourir et que c'était par cette contradiction de la mort d'un immortel qu'il pourrait vaincre les Titans. 

Il changeait de forme autant que Ruse, la mère de Pallas et autant que son père draconique. C'est sous la forme du Taureau que Zagreus fut sacrifié par les Titans et déchiré en morceaux. 

Zeus-des-Enfers alla prélever les lambeaux du corps du Dieu mort. Zagreus était mort mais il devait encore revivre, à condition d'avoir vécu comme Incomplet. 

Le fils des Titans, Prométhée, défia les Dieux en voulant les priver du Feu sacrificiel. Il fut lacéré en sacrifice à l'Humanité pour lequel il s'était dévoué en comblant leur incomplétude par l'artifice. 

Le Dieu re-né

Zeus était désir et il engendra les Taureaux

Ainsi il s'unit aux Mortelles, à Io la Génisse Blanche (qui marcha de la Grèce vers l'Orient, par le "Bosphore") et à Europe au Taureau Blanc (qui vola de l'Orient vers la Grèce). 

Le frère d'Europe, le prince phénicien Marcheur-d'Orient QDM (Kadim), vint vers le Couchant à sa recherche, en suivant une génisse lunaire et il apportait avec lui une nouvelle technique. Athéna avait donné le Discours mais Kadim apporta les Signes, les Eléments simples de l'Alphabet. La Déesse analyse à l'infini et les Mortels combinent. 

Zeus demanda l'aide de Kadim contre les Titans et Kadim fut le premier mortel à se battre contre les Titans. Il tua le Dragon de Béotie et répandit ses dents comme il répandait voyelles et consonnes. Les Semés s'entretuèrent mais un groupe de Cinq Semés survécut dans la Cité de Kadmée. Leurs noms des Cinq Semés étaient : Ekhiôn (Vipère), Oudaïos, Khthonios, Hyperenor et Pélôros. 

Kadim gagna le droit d'épouser Harmonia, la Soeur du Dragon. Mais il eut d'elle un garçon, Plusieurs-Dons et quatre filles et il était dit que deux de ses filles deviendraient des Déesses. 

Kadim et Harmonia ne moururent pas mais devinrent des Serpents chtoniens et ils perdirent leurs cuisses pour n'avoir que des queues ophidiennes. 

Leur fils Plusieurs-Dons épousa Nyctéis, fille d'une nymphe et de Nyctée, un des fils du Semé Khthonios. C'est de Plusieurs-Dons que sortit la dynastie maudite des Labdacides et c'est de l'autre fille de Nyctée, Antiope, que naquirent les Jumeaux, le Berger et le Poète. Le frère de Nyctée fut le Loup et son autre frère le géant Orion-au-Chien qui fut tué par Apollon pour avoir séduit Artémis. [Timothy Gantz pense que le cycle des Jumeaux et le cycle de Cadmos sont deux séries contradictoires de la fondation de Thèbes et des dynasties royales qui furent réassemblés de manière confuse ensuite.]

Les quatre filles de Kadim et Harmonia se nommaient Agavé, Sémélé, Autonoé et Ino. La 2e et la 4e devinrent Déesses. 

Agavé, Autonoé et Ino seraient la Mère qui tue son fils. 
Sémélé serait la Mère re-née par son fils. 

Agavé s'unit avec un des Semés, Ekhiôn la Vipère, et elle donna Penthéus la Douleur, qui fut le deuxième à porter la couronne de Kadmée. Le roi Penthée fut lacéré par sa mère en extase et en ivresse comme châtiment de Zagreus l'Hostie, la Victime sacrificielle. C'est de Penthée qu'est issue la famille de Kréon et Jocaste, l'épouse-mère du Labdacide. 

Autonoé s'unit avec un demi-dieu berger, fils d'Apollon, qui enseigna aux hommes à tirer le Miel des Abeilles. Leur fils Aktaion fut lacéré par ses chiens quand il fut changé en Cerf par sa grande-tante Artemis/Diktynna. Aktaion était amoureux de Sémélé, sa tante et Zeus le fit punir. Ou bien il le punit parce qu'Aktaion se vengea dans sa jalousie de la grossesse de Sémélé en demandant qui était le vrai père. Plus tard, les deux Jumeaux, le Berger et le Poète, se vengèrent de leur oncle Le Loup en sacrifiant Diktè en l'attachant à un Taureau

Ino s'unit avec Athamas, Roi d'Orchomène en Béotie. Elle devint plus tard la Déesse-Blanche de l'écume des eaux en remerciement d'avoir été la nourrice de Dionysos et à cause de tous ses tourments et sa folie. Malheureux Roi qui devait voir mourir ses enfants condamnés par leur belle-mère. 

Zeus était désir et il désirait Sémélé. Il changea de forme mais cette fois ne fut ni Dragon, ni Taureau, il prit forme mortelle pour séduire la Princesse vierge de Kadmée. Et au lieu de simplement l'enlever, de la violer comme il le fit avec Antiope sous forme d'un Bouc, ou de s'unir à elle une seule fois, il fréquenta la nièce d'Europe au Taureau Blanc et retourna la voir, ce qui ne lui arrivait pas vraiment d'habitude. Il séduisit et persuada, il usa du Discours humain au lieu d'utiliser une violence directe. 

Mais Zeus avait gardé les morceaux de Zagreus qu'il avait prélevé et quand il s'unit à Sémélé, il lui fit boire la poudre du corps du Dieu mort. 

Ainsi le Dieu mort devait renaître comme Mortel et celui-ci devait renaître comme Dieu en sauvant sa Mère de la Loi de la Mort et du Désir. 

Quand Héra convainquit Sémélé de faire passer une épreuve à son amant, elle exigea de le voir sous sa vraie apparence. Zeus se manifesta dans sa théophanie et Sémélé mourut du désir et de la gloire, mais Zeus préleva alors dans son ventre enflammé l'embryon qui fut mis dans sa cuisse. Il fut le Zeus né deux fois, le Dionysos et au lieu d'avoir suivi le chemin de la Pierre dans le ventre de son père, il suivit le chemin des cendres pulvérisées dans le ventre de sa mère et vers les cuisses de son père. 

Ainsi était re-né Zagreus, lacéré par les Titans et qui fit lacérer Aktaion ou qui lança la folie sur Phrixos. 

Dionysos fut élevé par sa tante Ino. Quand Ino mourut, elle devint la déesse Leucothée et Dionysos, après avoir voyagé jusqu'en Orient avec ses panthères parfumées et ses boucs, descendit aux Enfers pour aller chercher l'ombre de Sémélé qui devient la déesse Thyoné

Dionysos-Zagreus découvrit un dernier artifice. Sa tante Autonoé et le fils de cette dernière (qui avait prétendu être son père) étaient lié au Miel des Abeilles qui apaisait par sa douceur. Il fit fermenter le sucre des Raisins et en tira un nouveau venin de folie. Les Incomplets ne seraient plus jamais des animaux comme les autres car ils tiraient de la Terre le sang des songes, un poison insensé dans leurs veines, où ils choisiraient de téter la démesure divine et l'extase excentrique, vérité in vitro

dimanche 28 mars 2021

Lords of the Middle Sea

 Via la chaîne de Chaosium (et ils l'avaient annoncé l'an dernier), ils vont sortir un jeu de rôle dans l'univers de Lords of the Middle Sea, leur jeu de plateau de 1978. Lynn Willis (mort en 2013) était l'auteur de ce jeu décrivant des conflits dans une Amérique post-apocalyptique du 25e siècle, à peine en train de revenir au niveau technologique du 19e-début 20e avec des Dirigeables à vapeur et autres dreadnoughts cuirassés steampunk. La géographie de l'Amérique submergée par les flots était devenue bizarre en 400 ans, avec une grande Mer du Nebraska au milieu de l'Amérique du Nord. Jason Durall annonce cela comme du post-apo optimiste et sans mutants à la Gamma World (même si j'ai l'impression qu'il y a aussi des aspects fantastiques comme de la magie). La couverture fait d'ailleurs plus penser à du Pulp's dans une Terre alternative. Une sorte de Hawkmoon américanocentré (et Chaosium possède les droits de LotMS sans devoir passer par Moorcock). 

jeudi 18 mars 2021

Les deux boîtes et les origines secrètes de Newcomb

 

Dans le magazine d'anthologie Mystery in Space n°34 (oct. 1956), il y a plusieurs histoires dont deux du grand scénariste de science-fiction Otto Binder (1911-1974). 

Dans la première (Dangerous Journey to Earth!), une machine prédit plusieurs catastrophes qui vont avoir lieu et où on se rend compte que tout le récit n'était encore que cette succession d'anticipations mais qu'elles ne se sont pas encore réalisées, bien que la connaissance du futur ne va rien pouvoir changer pour les empêcher

Dans la seconde (Open the Door, Earthman!), des extraterrestres capturent un Humain et lui font passer un Test. Ils lui donnent deux boites et disent qu'il doit en ouvrir une : l'une est inoffensive mais l'autre tirera un désintégrateur. S'il trouve la boite correcte "de manière adroite" en moins de 5 minutes, ils laisseront tranquille la Terre mais sinon, non seulement il mourra mais ils extermineront tous les Humains. Après plusieurs essais ingénieux pour trouver un indice, la chute est une solution bien plus simple et un jeu de mots stupide ; l'Humain choisit la boite "à droite" (the right box). 





4 ans après, vers 1960, le physicien de Berkeley, William Newcomb (1927-1999), âgé de 33 ans, va créer son célèbre Paradoxe de Newcomb sur la rationalité et la décision mais il ne sera rendu public que par Robert Nozick qu'une douzaine d'années après. 

Si un prédicteur fiable (il prédit juste à 90% dans la version de Nozick, pas 100%) vous donne deux boites A (petite) et B (grande) et vous dit qu'il a mis x$ dans A et (peut-être) Y$ dans B (avec Y > x), et qu'il laisse choisir soit seulement la boite B soit les deux boites A+B mais avec la condition que s'il a prédit que vous alliez choisir les deux boites A+B, il a retiré la somme Y et B est vide et s'il a prédit que vous alliez choisir seulement B, il a bien mis la quantité Y (mais vous n'aurez donc pas la quantité x dans A qui était pourtant bien là). 

(1) Comme y > x, je choisis d'abord de ne prendre que B. C'est rationnel puisque je me dis que sinon, je n'aurais eu que x et pas y. 

(2) Mais maintenant, je sais que je n'ai choisi que B et donc que B est pleine de toute manière. Donc si j'avais choisi de changer ma décision, j'aurais eu x+y, ce qui est mieux que y, donc mon choix (1) est irrationnel et j'aurais dû changer en prenant A+B. 

(3) Mais si le prédicteur est fiable, il a dû prévoir que j'allais arriver à l'étape 2 et donc cela veut dire qu'il n'aurait pas mis y et donc mon choix (3) est irrationnel puisque je perds y. Retour au choix (1)

Le Paradoxe de Newcomb est une boucle de rationalité, un dilemme où je peux me reprocher d'avoir fait un choix suboptimal (même si la meilleure solution en quantité absolue serait dans les erreurs du prédicteur, qu'il ait prédit que j'allais prendre seulement B et que je prenne alors quand même A+B, j'aurais alors x+y et la pire solution serait qu'il ait prédit que j'allais prendre A+B et que je prenne seulement B, j'aurais alors 0). Si la fiabilité du prédicteur compte, à partir de quel seuil de faillibilité serait-il rationnel de devenir un one-boxer (si le prédicteur est infaillible) ou un two-boxer (possibilité d'erreur) ? 

(La version qu'a utilisée Monsieur Phi dans sa vidéo récente est un peu différente, c'est le paradoxe de la toxine de Gregory Kavka, 1983 où au lieu d'avoir un avantage +x avec la boite A on a un désavantage -x si on prend A mais où le prédicteur fait dépendre la présence de Y en B du fait d'avoir aussi pris ce désavantage -x avec A+B). 

Mais on remarquera que ces deux histoires assez obscures d'Otto Binder de 1956 (celle sur la prédiction qui n'arrive pas à annuler sa réalisation et celle sur le dilemme sur deux boites) préfigurent curieusement certains détails du Paradoxe (mais pas la subtilité de théorie des jeux avec raisonnement contre-factuel qui rend le dilemme du Prisonnier plus compliqué et qui a notamment la boite A comme transparente pour qu'on ait l'information de manière certaine que la somme x est de toute manière là). 

Une autre coïncidence amusante est que dans Mystery in Space n°10, 1952, le magazine avait fait un article sur... l'astronome Simon Newcomb (1835-1909), arrière grand-oncle de William Newcomb. 

Les boites surprises des jeux télévisés avaient certes déjà commencé mais il n'y avait pas le même raisonnement que dans les deux récits de Binder. Cela fait certes longtemps que l'idée d'une indétermination angoissante de l'avenir est représentée par une boite de Pandore qu'on ouvre alors qu'on nous a fait la prédiction qu'on ne devait pas le faire. 

Faith RPG

 Faith (2018, deux éditions sur Kickstarter) est un jeu de rôle de science-fiction dont le cadre a deux originalités (en dehors du système de jeu avec figurines très "tactique" et basé sur des cartes) : le rôle des "religions" et le déplacement du centre vers deux espèces non-humaines

 (1) Les 5 Religions

L'univers s'est divisé en 5 grandes Idéologies universelles et interspécifiques qui ont des "avatars" réels et des prophètes manifestant des capacités spéciales. 

Ce sont (depuis la plus "ordonnée" à la moins ordonnée) : 

Hexia : technocratie, intellectualisme, scientisme

Ergon : altruisme, égalitarisme, utilitarisme

Vexal : anarchisme solidaire, pluralisme relativiste

Kaliva : perfectionnisme individuel, compétition, sélection naturelle

Registre (Ledger) : discordianisme, hédonisme radical, refus de tout "principe" religieux (et infiltration des quatre autre religions pour les saboter de l'intérieur et dénoncer leurs hypocrisies), Trickster

Oui, cela ressemble quand même beaucoup à des Alignements de D&D (Hexia : Loyal Neutre, Ergon : Loyal Bon, Vexal : Chaotique Bon, Kaliva : Neutre, Ledger : Chaotique Neutre) mais avec un aspect plus politique. 

  (2) Les 4 espèces civilisées et les Ravageurs

Les Humains sont une espèce vassale secondaire dans une Guerre multi-polaire entre plusieurs espèces non-humaines, les Corvos, les Izkals, les Raags et les "Ravageurs". 

Les Corvos hyperindividualistes (qui manipulent les Humains) et les Izkals collectivistes ont des valeurs opposées, se haïssent et sont en "Guerre froide" mais ils sont quand même contraints de négocier face à un ennemi commun des Ravageurs (qui sont en gros les Bugs et Xénomorphes habituels de sf qui servent le Chaos du Registre). 

Les auteurs ont réussi à éviter un manichéisme entre les deux blocs principaux, soit dystopie capitaliste soit dystopie totalitaire. Les illustrations sont très belles mais je trouve que les espèces se ressemblent un peu trop visuellement (mais les Izkals sont peut-être un peu plus "Twi'leks"). 

Les Corvos sont des cyborgs, addicts de mondes virtuels, technicisés mais très hostiles aux IA et même aux robots trop évolués (car les robots volent le travail des Corvos), ultra-capitalistes, productivistes et consuméristes. Leur capitale, Tiantiang est un Anneau de Dyson de millions de habitats. La société est dirigée par des Mégacorporations. Malgré les inégalités sociales, ils valorisent aussi des libertés et interdisent tout esclavage. Ils sont donc plutôt tournés vers l'individualisme de Kaliva (Concurrence) ou à la rigueur Vexal mais Hexia est populaire aussi. Bien sûr, un individu corvo peut très bien rejoindre Ergon, même si ce n'est pas la norme. 

Les Izkals sont connectés en réseau artificiel, flegmatiques (car ceux qui veulent avoir des émotions individuelles, comme les agents militaires, doivent se séparer du réseau) et ultra-collectivistes. L'Etat techno-eco-cratique izkal contrôle toutes les activités et notamment la gestion des ressources naturelles, et il n'y a même pas de "monnaie". L'utopie totalitaire izkal a beaucoup plus délégué le travail aux robots que les Corvos (qui considèrent que le travail est essentiel à la vie consciente). Leur police secrète peut paraître complètement "amorale". Les Izkals ont mené une guerre d'indépendance contre un Empire esclavagiste (les Korians) et ont commis un génocide total contre leurs anciens oppresseurs dont ils ont repris les technologies. Les Izkals détestent les Corvos mais peuvent quand même négocier et communiquer avec eux (contrairement aux "Ravageurs"). Les Izkals ont donc une préférence claire pour Ergon (holisme) mais aussi Hexia (scientisme). Un Izkal Kaliva ou de Registre doit être particulièrement aberrant. 

Les Humains sont dominés depuis 300 ans par les oligarchies des Mégacorporations corvos (et travaillent comme Mercenaires dans la Guerre froide contre l'Etat izkal) même s'il y a aussi des indépendantistes, voire certains qui voudraient jouer avec une alliance izkal contre leurs maîtres Corvos. Certains Humains décédés sont transformés en zombies semi-robotisés par les Corvos (qui sont pourtant Luddites sur la robotique). Le culte favori des Humains est Vexal

Les Raags sont une théocratie (et gynocratie) hyper-violente où les clans ont l'habitude d'une guerre éternelle et d'une compétition pour la survie, toute la société étant fondée sur la sélection martiale par des jeux de gladiateurs. Ils ont volé la technologie et les premiers vaisseaux à la civilisation aujourd'hui disparue des Korians (les oppresseurs des Izkals qu'ils ont exterminés). On rencontre souvent des nomades qui vivent dans des flottes de vaisseaux. Pourtant, leurs dirigeantes sont plus influencées par Hexia (scientisme) que par Kaliva. Les Corvos et les Izkals se méfient des pirates raags mais peuvent quand même tenter de les utiliser comme mercenaires contre l'autre Bloc. 

Un aspect qui me fait sortir de la suspension of disbelief est les sonorités des langues. Les sons des Corvos (en dehors du nom de l'espèce elle-même) sont trop directement imités du Chinois et ceux des Izkals de l'Arabe, ce qui ne conviendrait guère que si ces espèces étaient des descendants de civilisations humaines. J'ai lu une interprétation disant que ce n'était que des retranscriptions de ces sonorités par les Humains, ce qui serait plus cohérent. 

    (3) Le Voyage spatial

Le Voyage FTL passe par le Labyrinthe, un réseau de trous de ver qui est plus découvert ou exploré que choisi. La communication est lente, les vaisseaux se perdent et les civilisations ignorent souvent où sont parties les différentes impasses dans le Labyrinthe. (En passant, j'espère que la physique théorique ne va pas bientôt réfuter la cohérence de la notion de trou de ver ou bien une partie de la sf contemporaine semblera soudain aussi dépassée que si elle parlait de phlogiston ou d'éther). 

Un aspect amusant du combat spatial est que le Labyrinthe permet de distordre tellement l'espace qu'un vaisseau peut réussir aussi à tirer là où il n'est pas, par des angles complètement imprévisibles (mais risque aussi de se tirer sur lui-même s'il calcule mal ses sorties des trous de ver). 

Conclusion

Comme le jeu français Oreste (ou le jeu à venir Imperium5), Faith a gardé une influence forte du cyberpunk sur le space opera mais il y a aussi un peu plus d'optimisme transhumaniste (mais moins que dans Mindjammer bien sûr). Par coïncidence (comme les jeux sont sortis à peu près en même temps), certaines espèces d'Oreste ressemblent un peu à celles de Faith : les Déchus seraient les Corvos, les Elfhayms seraient les Izkals, les Khrones seraient les Raags. 

Il faudra que j'essaye aussi le monde de campagne de relativement hard SF (avec "jeu à secret" où il semble à première vue y avoir quand même des pouvoirs psi) Seven Worlds (2018). 

Je n'étais pas tellement attiré par Faith à cause de son nom un peu trop générique mais le jeu a une identité. Cela en dit long sur notre époque obscurantiste que la religion occupe une place aussi importante dans nos jeux de rôle de science-fiction (cf. aussi le jeu suédois Coriolis) après une tradition positiviste qu'on trouvait encore dans Star Trek. On est aujourd'hui plus marqué par le millénarisme de Dune que par la philosophie de l'histoire (progressiste mais déterministe modérée) de Fondation

Voir aussi cette review sur RPG.net. La compagnie Burning Games a aussi eu un supplément sur la capitale corvo et un jeu de plateau sur un sport corvo. 

Jeux suspendus de Babylone

J'avais déjà mentionné quelques jeux sumériens mais je vois que le très détaillé Babylon On Which Fame and Jubilation Are Bestowed de Geoffrey Davis a eu une seconde édition avec de nouvelles règles (la première édition avait repris le SRD). On y joue pendant le règne d'Hammurabi dans les années 1770 avant notre ère, au tout début de l'Empire babylonien et 300 ans après Sargon d'Akkad et l'enthousiasme de l'auteur pour son cadre historique donne vraiment envie tant il semble avoir une connaissance approfondie de Babylone. 

En thérapie, Le comic book

Tiré de Psychoanalysis n°1-2 (mars 1955, scénario de Robert Bernstein, dessin de Jack Kamen).




I think I see a pattern... 

mercredi 10 mars 2021

Lucarnes

 Les médias synchronisent nos imaginaires, disait à peu près Bernard Stiegler. C'est un des thèmes de WandaVision que de représenter comme dans Pleasantville une histoire inquiétante à la Twilight Zone dans la succession des styles télévisuels des sitcoms. L'étonnement est de se dire que cette parodie des conventions est à peine exagérée. Les styles de comédies passées sont devenus si lointain que cela grince comme un disque rayé, voire comme un cauchemar. Le sitcom stéréotypé d'il y a quelques décennies nous est devenu plus étrange que du cinéma muet d'il y a un siècle. La série ne dit donc rien sur le monde, elle nous parle des séries et comment nous intégrons en nous les conventions de ces genres comme des cadres rassurants pour y projeter nos fantasmes mais en sachant que ce n'est qu'une illusion. L'ennui est que c'est dit dans une série à la fin plus traditionnelle (de la sf vers l'apparence de sitcom et vers une romcom déformée). C'est une série en streaming sur l'importance des séries télé. 

dimanche 7 mars 2021

Ysgarth (3)

Suite des livrets 1-3 d'Ysgarth (1982). 

 IV Holy Orders

Le 4e livret d'Ysgarth (24 pages) traite des Prêtres et des dieux

David Nalle a l'air d'y être un peu moins intéressé que par les Magiciens. Il propose un monde polythéiste où on adore en gros Thor ou le Dagda mais le Prêtre est toujours fondé sur l'image d'un Saint chrétien, peut-être encore plus que le Clerc de D&D (qui tenait plus de Turpin chez Charlemagne). Je soupçonne que Nalle reste sur ce point influencé par Chivalry & Sorcery, qu'il cite toujours comme le jeu qui l'a plus marqué que D&D. Sur C&S, voir les posts sur le système, sur la magie et sur les univers, comme Saurians ou Archaeron dans Different Worlds n°1). 

L'édition d'Ysgarth de 1980 ne détaillait pas encore les dieux celtiques et n'avait (p. 11) qu'une liste de 24 dieux où les Olympiens dominaient encore la liste : Yahweh, Satanas, Ra, Set, Odin, Thor, Baldr, Loki, Hodr, Zeus, Poseidon, Athene, Artemis, Hecate, Héraclès, Dionysos, Protée, Thanatos, Ormuzd, Ahriman, Mithras, Azathoth, Cthulhu, Nyar1athotep. Cette édition de 1982 passe à 155 dieux mais retire Yahweh... 

Une explication donnée par Nalle de ce syncrétisme entre polythéisme et christianisme médiéval est qu'Ysgarth est un monde où le christianisme est resté une petite hérésie à l'intérieur du judaïsme mais que le dieu nordique Baldr a occupé le même terrain que Jesus en religion mystique, éthique et millénariste qui attend la Résurrection de leur Dieu mort (et le Mithraïsme a ajouté une Eglise plus militante pour les légions). Nalle changea d'avis dans des éditions ultérieures et déforma bien plus les noms des divinités pour les rendre plus méconnaissables (au point que les équivalences ne sont pas toujours transparentes). 

Il y a deux classes : le Prêtre, qui sert une religion organisée (et dont les pouvoirs semblent surtout inspirés par les Miracles dans la Bible), et le Mystique, qui médite seul (et qui revient à une Classe de Pouvoirs Psi qui n'est pas nécessairement reliée à un culte). Le système des pouvoirs ressemble à la magie mais avec la caractéristique Zèle à la place du Talent magique et avec l'importance des Points de Piété à la place du Mana. Nalle dira dans un FAQ du Supplément 3 (p. 26) que les système avantage trop les Prêtres par rapport aux Magiciens et qu'il doit le rééquilibrer (les chances de réussite sont un peu supérieures). Convertir est un miracle qui pourrait avoir des effets importants en terme de campagne (même s'il est précisé que ses effets ont besoin d'être refaits plusieurs fois). 

Les panthéons d'Ysgarth sont presque tous tirés de la Terre. Les Vaens sont germaniques et adorent les Vanir (tout comme les Nains et les Elfes - qui peuvent aussi adorer des dieux kymriques), les Saexe (germains qui règnent sur un Empire romano-germanique (à "Tibrum"), ils seront appelés plus tard les Saes) adorent les Aesir (mais aussi les dieux perses Ormuzd et Mithras). Les Gael adorent le panthéon irlandais, les Kymri adorent le panthéon gallois et les Magar suivent le panthéon grec (?!). Les Chitare ne sont pas religieux et les Trozards adorent les panthéons orientaux et notamment le serpent Lakhmu

Les Panthéons de Ptoléméias sont divisés en deux factions principales : la Flamme (dont Gilrod, le dieu principal de la cité de Ptoléméias et les dieux égyptiens) et le Bassin (dieux nordiques et grecs). Le Supplément 2 (p. 23) donne plus d'explications. Dans la campagne originelle de Nalle de 1975-1978, il y avait 4 factions de dieux : Flamme (Egyptiens), Bassin (Aesir), la Racine (les Vanir) et la Brume (Dieux gallois). Les noms correspondaient aux quatre éléments sans qu'on voie bien le lien : les Vanir peuvent être reliés à la Terre mais les Aesir ne sont pas particulièrement reliés à l'Eau. Mais la Racine s'est alliée au Bassin et aux dieux grecs et la Flamme s'est élargie à Gilrod, aux Dieux babyloniens, chaotiques et même certains Anciens lovecraftiens comme Hastur. La Flamme négocie avec les Fomóri (ennemis des dieux gaels) et le Bassin négocie donc avec la Brume. C'est assez peu manichéen et transcende les alignements moraux. On voit ici un exemple où le jeu en campagne a modifié les données de départ. 

La Cité de Ptoléméias (qui sert de cadre par défaut) a un conseil heptarchique appelé le Théarchat qui réunit les Prêtres des 7 dieux principaux, issus de factions différentes : Gilrod de la Flamme, Seigneur d'Uttgart, Hor et Sutekh, Baldr et ThorGwyn de la Chasse Sauvage et Aranrhyd de la Roue d'argent. La Flamme a donc 3 voix (encore qu'on peut imaginer que Hor et Sutekh doivent être ennemis), le Bassin 2 voix et les dieux cymrique de la Brume auraient 2 voix décisifs pour départager la Flamme et le Bassin. Un bon équilibre pour susciter des crises et des scénarios. 

Ptolemeias est une Alexandrie germanisée ou celtisée plus qu'hellénisée (Kronos, adoré par les Trozards, est d'ailleurs plus populaire que Zeus). Il y a 155 Temples dans la Rue des Dieux à Ptolémeias et l'ordre des Temples dépend des conflits entre les cultes (comme dans une nouvelle de Fritz Leiber dans le Cycle des Epées sur les anciens dieux de Lankhmar). Cela comprend des cultes grecs, perses, babyloniens, aztèques, finlandais, lovecraftien, blakien, moorcockien... Tottenjager, le Champion de Gilrod, mort-vivant et Pyromancien, est le leader religieux en ce moment à Ptoléméias mais le Théodôme regroupe aussi les 6 autres cultes du Théarchat. 

Le livret décrit un peu plus 25 dieux de divers panthéons dans cette liste de 155. 

Les classes sacerdotales sont : les Asar (prêtres des Aesir), les Vanar (pour les Vanes), les Scaldes, les Druides, les Buhekai de Horus et les Fils de Protée (un complot de change-formes), 

V The Fantasy World

Ce livret veut à la fois donner des conseils généraux et prendre le monde d'Ysgarth en exemple. Une partie est composée de règles sur les éléments naturels des univers, avec des tables sur les minéraux ou sur la faune. 

Le monde a été créé par Sept Démiurges (ou Archaeurges). L'un d'eux fut Faldyg qui importa sur Ysgarth les Trozards et les Chitare. Il se rebella contre les autres et fut jeté dans les enfers, ce qui créa le grand Abysse au centre du continent qui sépare presque complètement la partie occidentale (Ysgarth) et la partie orientale (Jahannam). Les nombreux Démons de la crevasse ne peuvent en sortir mais y ont créé des forteresses. Les Trozards et les Chitare survécurent surtout du côté oriental. 

Puis arrivèrent les Humains, notamment un groupe celtique (Gaels, Kymri - un supplément ajoutera les Osca qui sont les Gaulois) et un groupe germanique (Vaen, Saes - les Saes sont plus martiaux que les Vaen). Il faudra attendre les suppléments pour avoir des détails sur les peuples du sud comme les Etrua et de l'orient. 

Ysgarth est fondée sur les Âges sombres et les Grandes Invasions, l'Europe mérovingienne des Rois barbares avec les débuts de la féodalité. 

Les îles d'Ynisgael, Thanet et Imaly sont un mélange de population vaen, une artistocratie saes mais avec un substrat de cultre gael (sauf l'île de Hy qui est restée entièrement gael). Les royaumes terrestres ont une population plus gael. Ces territoires ont des minorités elfes et naines. 

Lloegyr a une population kymri mais des dirigeants saes. Prydein a gardé un royaume kymri. Les légions saes y ont apporté l'Eglise de Baldr et de Mithras. Morganwc est une confédération kymri (le Haut-Roi de Morganwc a prééminence sur les Princes de Ceredigiawn, Ystrad Tywi, Seisyllwch, Marchwwc). Le scénario d'introduction était prévu dans la Principauté d'Ystrad Tywi. 

Au sud, les royaumes saes ont conquis les territoires Etrua (qui régnaient sur Tibrum). Inspirés des Saxons, les Saexe tiennent donc aussi un peu des Goths, Francs, Vandales, Lombards... 


Au sud du grand port de Ptolemeias se trouvent les royaumes saes de Marsk, Suessiones et Frejsa. Pour la position sur la côte océanique, Ptolemeias tient plus de Bristol, Nantes ou Bordeaux que d'Alexandrie. 

Le calendrier utilisé par le jeu est la Fondation de Ptolemeias (ou "Tolemeias") par un marchand explorateur venu d'Achaja (qui est donc plus Pytheas que Ptolémée) mais je n'ai pas trouvé quelle est la date du "Présent" (sans doute dans les 1000). 

La Cité-Etat entre les royaumes Kymri et les royaumes Saexe est dirigée par le Seigneur des Guildes, un Prince-Marchand héréditaire qui gouverne avec les Guildes (notamment Merciers, Tailleurs, Tanneurs, Brasseurs, Orfèvres et Epiciers) et avec les Sept Théarques (en ce moment, prêtres de Gilrod, Hor & Sutekh, Baldr & Thor, Gwyn & Aranrhyd). La Cité a aussi le Collège des Archimages (où règne le Nécromancien Thazamaydon), une école des Arts mystiques et plusieurs écoles d'arts martiaux. Chaque profession a le siège de sa guilde (Guilde des Aéromanciens, des Conjurateurs...), sauf les Voleurs et Assassins où Nalle dit qu'il trouve très peu plausible qu'ils aient une "Guilde" comme dans Lankhmar. 

VI The Last Song of Hergest

Ce dernier livret de 20 pages sert à la fois de petit bestiaire (8 pages) et de liste d'objets magiques (3 pages) mais il a surtout une aventure d'introduction à Ysgarth (6 pages) où Nalle montre son talent pour créer une atmosphère légendaire inspirée des Mabinogion. Il zoome donc sur la partie qu'il semble le plus apprécier, les pays kymriques. 

Le jeune seigneur kymri Uchtryd, héritier du Comte de Creuwryon au Griffon écarlate (dans la Principauté d'Ystrad Tywi, partie du Royaume de Morganwc) est un Initié d'Arawn (le Seigneur de l'Autre Monde) et il étudie dans la bibliothèque de l'école bardique de Seith Marchwg. Uchtryd y trouve un poème du barde Hergest qui mentionne où est mort l'ancêtre des comtes, Rewchyth, occis dans sa bataille contre le comté voisin de Gwyneddare (qui est dans la Principauté de Marchwg). Il veut prétexter d'une chasse au sanglier pour aller retrouver le tumulus dans le territoire de Gwyneddare et rapporter la dépouille du seigneur Rewchyth mais en espérant ne pas déclencher une nouvelle guerre avec les voisins. L'Intendant du Creuwryon veut les arrêter de crainte de déstabiliser la région. Notons qu'ils sont plus motivés par une ferveur romantique que par la cupidité. 

Ce qui rend cette aventure toujours intéressante 40 ans après est la liste des PNJ qu'on peut rencontrer entre un Géant farceur (Strimi le Demi-Chêne) et divers grands PNJ de la région de Ptolemeias. Il y a Thyrar le Brigand, Thazaydon le Grand Archimage (Sorcier-Nécromancien de 29e niveau), Totenjager le mort-vivant champion de Gilrod de la Flamme, grand théarque (qui est aussi un seigneur de Marchwg et qui porte une épée-vampire - je soupçonne qu'il devait être un ex-PJ vu les détails), Nedd le Conjurateur, Durel le Champion de Nudd, Kasaman l'Archer (plus grand assassin de tout Ptolemeias), Bavraz le Barde aveugle (c'est le démon Zaedukrom qui lui a pris ses yeux), Malarak le grand prêtre de Sutekh. 

samedi 6 mars 2021

Le doute du mourant citant le Psaume 22

Je n'aime pas toujours les paradoxes de Chesterton, ce côté Oscar Wilde chrétien qui voudrait à la fois défendre toute l'Orthodoxie en prétendant être le vrai Hétérodoxe. Mais ce passage (que citait encore récemment ce sophiste de Zizek) est beau (l'athée devrait admettre le caractère sublime de l'Homme-Dieu parce que ce Dieu infini s'est assez incarné dans le fini pour atteindre le malheur de la conscience de l'absence absolue de son infinité) : 


But if the divinity is true it is certainly terribly revolutionary. That a good man may have his back to the wall is no more than we knew already; but that God could have his back to the wall is a boast for all insurgents for ever. Christianity is the only religion on earth that has felt that omnipotence made God incomplete. Christianity alone has felt that God, to be wholly God, must have been a rebel as well as a king. Alone of all creeds, Christianity has added courage to the virtues of the Creator. For the only courage worth calling courage must necessarily mean that the soul passes a breaking point—and does not break. In this indeed I approach a matter more dark and awful than it is easy to discuss; and I apologise in advance if any of my phrases fall wrong or seem irreverent touching a matter which the greatest saints and thinkers have justly feared to approach. But in that terrific tale of the Passion there is a distinct emotional suggestion that the author of all things (in some unthinkable way) went not only through agony, but through doubt. It is written, "Thou shalt not tempt the Lord thy God." No; but the Lord thy God may tempt Himself; and it seems as if this was what happened in Gethsemane. In a garden Satan tempted man: and in a garden God tempted God. He passed in some superhuman manner through our human horror of pessimism. When the world shook and the sun was wiped out of heaven, it was not at the crucifixion, but at the cry from the cross: the cry which confessed that God was forsaken of God. And now let the revolutionists choose a creed from all the creeds and a god from all the gods of the world, carefully weighing all the gods of inevitable recurrence and of unalterable power. They will not find another god who has himself been in revolt. Nay, (the matter grows too difficult for human speech) but let the atheists themselves choose a god. They will find only one divinity who ever uttered their isolation; only one religion in which God seemed for an instant to be an atheist.

"They will not find another god who has himself been in revolt."
Je veux bien qu'il soit dans le déni du gnosticisme ou de l'Orc de Blake, mais Chesterton refoulait aussi que les athées avaient déjà Prométhée depuis Eschyle ?

mercredi 3 mars 2021

Different Worlds #13 (août 1981)

Comme Imaginos m'apprend que James Maliszewski a entamé une rétrospective des Different Worlds sur Grognardia (après celle qu'il fit sur Imagine), c'est le moment de publier ceci écrit l'an dernier mais que j'avais interrompu parce que la récension d'Arduin était décevante d'ennui. 

L'artiste de la couverture, Roland Brown, avait fait les illustrations dans Arduin Adventure qui est justement critiqué dans ce numéro (il participera aussi à Worlds of Wonder chez Chaosium). Un des charmes de cette couverture (bien plus réussie que celle de l'aventure d'ailleurs) est à quel point elle évoque bien le capharnaüm foutraque qu'était Arduin : à côté du reste de l'équipe plus D&D traditionnel face à ce Géant de glace, un des guerriers semble être un Saurig d'Arduin avec son Jhang (un macuahuitl d'obsidienne aztèque, et qui doit imiter le Dragonewt avec son Klanth) et l'autre barbare porte une tenue d'un smilodon ailé (à moins qu'il ne soit un smilodon volant-garou, je ne me souviens pas d'une telle créature dans les bestiaires d'Arduin).

Cf. cette illustration de deux Saurigs avec leur Jhang en train de se battre contre un Phraint.


 "The Land Of Faerie" Scott R. Turner
Il donne une vision des Faeries plutôt tirée de contes populaires chrétiens (les Fées doivent sacrifier une âme au diable tous les sept ans, elles obéissent à des séries de Geas sévères et incompréhensibles, etc.). Comme il admet le chaos infini de toutes ces hordes d'êtres mal distingués, il propose une classification de très nombreuses êtres de Faërie par leur "fonction" et non pas leur apparence (puisque les êtres-fées peuvent changer de forme) : les Gnomes, les Sprites et les Autres (Monstres). Les Gnomes s'occupent de la Terre alors que les Sprites (qu'on traduit d'habitude en "lutin" mais qui semblent plutôt être ici des Sylphides) sont des esprits de l'Air.

"The Travellers' Aid Society" Iain Delaney
Une explication de la TAS qui ne m'a pas semblé apporté beaucoup à ceux qui auraient déjà Traveller.

"Book Review: Role-Playing in the Land of Xanth" Dr. Leonard H. Kanterman, M.D.
L'auteur (qui a créé le jeu de rôle startrekien Starships & Spacemen et fut interrogé dans le numéro 1) décrit les trois premiers volumes de la série Xanth de Piers Anthony. Il est peut-être dommage qu'Anthony a depuis ajouté 40+ autres volumes qui ont un peu fait baisser la qualité moyenne de toute la série (alors qu'on considère généralement que Terry Pratchett, l'autre humoriste de la fantasy, a pu échapper à ce défaut). Xanth est un univers fantastique qui correspond à la Floride sur notre Terre et qui ne peut être habité que par des créatures magiques : tous les "Humains" y ont au moins une capacité magique individuelle et unique (tout comme dans la bd Lanfeust de Troy) et le Roi de Xanth est choisi parmi ceux qui ont les pouvoirs les plus puissants. Si vous connaissez déjà Xanth, cela ne vous apprendra rien.

"RuneQuest/Gateway Cult: The Cult of Erlin the Harper" Jane Woodward
Une longue description d'un culte non-officiel, Erlin le Harpiste qui est un dieu de l'Harmonie et de la Vérité (les initiés ont l'interdiction de mentir). Les Harpistes (seigneurs runiques d'Erlin) ne sont donc pas que des ménestrels mais des aventuriers qui veulent restaurer l'Harmonie perdue par la musique. Ils peuvent calmer par la musique même sans effet magique. Les nombreux sorts comprennent des illusions pour animer des spectacles, un sort pour fabriquer un instrument ou pour faire silence dans le public, La table des pourboires paraît assez peu généreuse (des pièces de cuivre ou une poignée d'argent). Si on voulait à tout prix l'adapter sur Glorantha, il faudrait insister sur la différence avec le culte de Donandar. Une grande partie de l'article énumère surtout des instruments. 

"Samurai Swords" Stephen R. Marsh
Il y avait déjà eu un article dans le n°7 sur les armes asiatiques en général. Malgré un sujet pointu (pardon), cet article (p. 24-28) est assez fascinant avec des listes de diverses écoles de forge de katana en plus des écoles d'escrime ou des conseils pour nommer son katana.

"Metal Marvels: Samurai Figures by Archive, Stan Johansen, and Ral Partha" John T. Sapienza, Jr.

Reviews
Land of the Rising Sun (Fantasy Games Unlimited)
LotRS avait déjà eu des notes par l'autrice Lee Gold dans le n°8. C'est Wes Ives qui fait cette review et ce n'est pas un choix très neutre. LotRS est la version japonaise de Chivalry & Sorcery et Wes Ives a collaboré avec les auteurs de C&S (il co-écrivit notamment Saurians). Il passe une trop longue partie de l'article à se montrer agressif contre les joueurs ludistes ou grosbills "qui n'aimeront pas ce jeu" mais cite quand même quelques aspects originaux qui font une différence avec Bushido. Par exemple, on peut jouer divers types de Bakemono (créatures surnaturelles), des Hengeyokai (esprits animaux, pas si faciles à distinguer des Bakemono) mais aussi des Orochi (serpents sans doute nommé ainsi à cause du dragon Yamata-no-Orochi), ou des Kōjin (hommes-requins qui sont appelés dans RuneQuest: Land of the Ninja, samebito). Il fait notamment l'éloge des capacités de directrice de la publication de Lee Gold qui rendent le jeu mieux organisé que la plupart des jeux de cette période.

Arduin Adventure (Grimoire Games)
C'est un compte-rendu par John Sapienza et on retrouve son goût simulationniste pour entrer dans des détails de design de jeu. On ne parle donc que de détails de variantes de D&D et pas des qualités étranges d'Arduin dont l'univers reste encore peu présenté. 

"The Sword Of Hollywood" Larry DiTillio
DiTillio annonce arrêter la rubrique et quitter à nouveau Hollywood pour aller travailler pour Flying Buffalo, mais il a le temps d'évoquer des sorties d'héroic fantasy comme Clash of the Titans ou Dragonslayer. 

Letter From Gigi D'Arn
DragonQuest de SPI (qui avait eu une recension si négative dans le numéro 11) gagne le prix du meilleur jeu de rôle 1981 aux Origin Awards (Gygax, qui en voulait à SPI, a dû être furieux). On annonce la publication d'aventures et d'un supplément par Steve Jackson (qui ne se fera jamais) mais c'est trop tard. David Ritchie quitte SPI et DragonQuest va bientôt mourir. 

Heritage publierait le jeu de rôle de Dennis Sustare (le créateur de la classe du Druide dans D&D et de Bunnies & Burrows, cf. n°3) qui devait s'intituler Fantasy Adventure. Il s'agit de ce qui va devenir en 1982 Swordbearer, qui sera ensuite réédité chez FGU. C'était un jeu assez original notamment dans ses espèces, son système économique et sa magie mais qui n'avait pas d'univers propre, malgré un scénario paru (Dwarven Halls, qui n'exploite hélas pas les espèces originales). La critique viendra dans Different Worlds n°27. 

Heritage, toujours à la recherche de licences, tenterait de faire un jeu (de plateau, j'imagine) sur Conan et sur le dessin animé Heavy Metal

Conclusion
Le culte d'Erlin le Baladin est oubliable mais c'est quand même ce qu'il y a de plus intéressant dans ce numéro. 

Ysgarth (2)

On retourne sur Ysgarth

J'aime bien ce nom, sans doute imité d'Asgard, mais moins artificiel que ceux de Terres parallèles comme Œrth ou Ærth. Mais j'imagine qu'il a dû nuire par son côté bizarre. David Nalle devait ignorer qu'il existe réellement un petit village dans le Yorkshire nommé Aysgarth et que le mot existe aussi en gallois avec le sens... d'excrément ou déchet. 

Quand je lisais les vieux White Dwarf (comme ce numéro 54, 1984 ci-dessous) il y avait ces publicités pour Esdevium Games qui distribuait des jeux bien plus rares que les autres (ils ont été absorbés par Asmodée depuis, je crois). Ils faisaient la liste des produits sur Ysgarth et j'étais frappé par le fait que les autres jeux de rôle avaient des titres plus prévisibles, du genre "Le Labyrinthe de la Terreur" alors que le premier supplément d'Ysgarth s'appelait de manière plus poétique "The Wine of the Moon". 



La question du nombre d'éditions d'Ysgarth est étrangement aussi compliquée que le jeu lui-même. Nalle a appelé "Première édition" de 1979 une version 0 quasiment inédite, qui n'était autre que celle qu'il décrivait dans plusieurs fanzines comme Alarums & Excursions et ensuite son propre magazine Abyss. En 1980, il a publié ce qu'il appelle "Ysgarth Volume Two Edition" qui serait en fait la vraie première Ysgarth (3 livrets de 32 pages) ! C'est là que cela devient confus. Il sort dès l'année suivante une autre version appelée New Ysgarth Rules (un seul livre avec la carte en couverture, 90 pages, donc 3e, mais qu'il appelle alors encore "2e") et en 1982 l'Ysgarth Rule System (6 livrets avec environ 168 pages) qui dit être la "seconde édition" mais qui sera appelée plus tard rétroactivement la quatrième édition. La 5e (1985, 87) est à nouveau en 3 livres, la 6e ("édition du 27e anniversaire") en un seul livre remonte à 1995. Nalle a mentionné une 7e et une 8e édition (2012) mais je n'en connais rien Une des choses à remarquer est qu'il ne modifie pas que ses règles mais parfois aussi son univers au point que la carte d'Ysgarth de 82 et celle de 95 ne coïncident pas toujours dans les noms de peuples et de territoires. Cela sans oublier les suppléments qui ajoutaient des règles qui étaient parfois intégrées ou pas dans les éditions ultérieures. 



En tout cas, je vais parler ici de cette "seconde" (ou "quatrième") édition de l'Ysgarth Rule System de 1982. Elle est composée de 6 petits livrets d'environ 25-40 pages mais a quelques illustrations et des cartes dans le livre 5 : 

1 Personnage, 2 Combat, 3 Magie, 

4 Religion, 5 Monde, 6 Un scénario (Le dernier chant de Hergest). 

I Personnage

On peut jouer 5 espèces : Humains, Elfes (divisés en Gwyllions des montagnes, Ellyllons des forêts et Gwragedd des îles de l'ouest), Nains (Khuzdars, qui seront rebaptisés plus tard Dvergar), Chitare (arthropodes ailés de 2m), Trozards (très grands sauriens de 3m), Les Batrags et Mnerrar ne seront ajoutés que par la suite dans les suppléments. L'édition de 1980 avait encore des Hobbits qui avaient été retirés. 

Il y a 12 caractéristiques divisées en trois groupes (Physique, Mental, Social) et on répartit trois fois 35 +1d10 dans chaque groupe, soit une moyenne de 10 (plus des bonus/malus légers pour chaque espèce non-humaine) : 

Physique Mental Social
CONstitution Talent (Magie) Zèle (Foi)
FORCE Intelligence Apparence
AGIlité Volonté Charisme
DEXtérité Jugement (Sagesse) Statut social


Un Trozard a -2 en DEX, -1 en AGI, -1 en JUGement, Oui, aucun bonus, sauf en Taille où il aura en moyenne 2m et peut aller jusqu'à 2,90 m. 

Un Khuzdar a +1 en CON, STR, WILL, -1 en ZEAL. Il aura en moyenne 1m - 1,10 m. 

A partir de là, on calcule par des tableaux de nombreuses caractéristiques dérivées, dont la Taille & le Poids, la Défense (qui dépend de l'Agilité - la Taille), l'Attaque (la Dextérité - la Taille), les Dégâts (la Force + la Taille), Points de vie (CON + TAI, avec localisation détaillée par zones du corps), Points de Fatigue (CON), Mana (Talent), Piété (Zèle). 

J'ai lu une critique parlant d'un facteur calculé à partir de (la racine carrée du poids) -13 mais cela a dû être changé dans cette édition. 

Donc plus on est grand, plus on aura de points de vie et de dégâts mais plus il sera difficile de bien attaquer ou esquiver. Le guerrier Trozard (grand et peu agile) serait désavantagé au combat si on n'investit pas beaucoup de points en AGI/DEX. 

Une spirale curieuse (par rapport au POUvoir dans RuneQuest) est que plus on a de TALent, plus on a de Mana au total et de surcroît moins on dépense de Mana pour chaque sortilège. On choisit ensuite son alignement avec deux scores : Karma (Bien-Mal) et Loyauté (Loi-Chaos) et ce sont des caractéristiques variables selon les actes. 

Après toutes ces étapes très runequestiennes (la taille et le poids viennent plus de C&S ici), on revient à du D&D. Il faudra ensuite choisir une Profession où on a un Niveau (et chaque Profession a encore une progression distincte en points d'expérience). 

Le jet de sauvegarde généralisé semble plus venir de T&T (où le score à atteindre sur 2d6 - où les doubles sont open-ended - était (Niveau de difficulté x5 + 15) - Chance). Ici, au lieu de faire simplement sous la caractéristique, on doit faire (en gros) sur 1d20 au moins 21 - Caractéristique/4 - Niveau/2. De même, la chance de toucher au Combat sera (en simplifiant) de faire au moins 14 - Attaque/3 + Défense/3. 

On détermine ensuite les compétences avec des points et on a deux ensembles de points : compétences acquises par expérience (Intelligence+Statut) et compétences étudiées de manière spécialisée (Intelligence+Jugement, ce sont les Compétences "professionnelles" réservées à une Classe de personnage). On regagne des points de compétences à chaque Niveau. On doit acheter un Niveau dans chaque compétence  et chacune a un coût différent qui peut aussi être altéré par l'espèce ou même la culture. C'est ce détail qui fait que je renonce à tenter de créer un personnage... 

Un détail drôle dans la description des langues est l'Argot des Tombeaux, la langue des fantômes, ou le fait (qui vient de Terremer) que la Langue Ancienne des Dragons ne permet pas de mentir. 

On commence avec une quantité de Marks (pièces d'argent) égale à (3 x Statut social) x Jugement (donc sans doute autour de 250-500 Marks, ce qui est insuffisant pour les meilleures armures). Nalle dit que le Mark vaut environ 60 cents de 1982 (donc un Mark vaut environ 1,50$ actuels). 

II Battlecraft

Ce deuxième livret décrit les compétences professionnelles de cinq classes de non-lanceurs de sorts : Guerriers, Berserks, Arts Martiaux, Assassins et Voleurs. Les règles semblent présupposer qu'on ne peut pas se battre à mains nues si on n'a pas la Profession Artiste Martial, ce qui montre à quel point l'imbrication compétences / classe professionnelle est encore rigide. 

Chaque compétence a des règles peu systématisées. Un niveau dans une compétence affecte de manière très différente les chances de réussir. C'est parfois trop détaillé : un Voleur devra choisir à la fois Jouer aux Cartes et Tricher s'il veut devenir un Yakuza. 

La règle sur les dégâts des armes est assez inutilement compliquée. Au lieu de faire simplement Dé de l'arme + modificateurs, on doit vérifier la classe d'arme plus la classe de dégât du personnage et en déduire les types de dés qu'on va tirer. Les armes légères font moins de dégât mais selon la DEX de l'attaquant peuvent aussi frapper plusieurs fois. La localisation des coups (avec 1d1000) est bien entendu plus détaillée que dans RQ et on peut savoir si on touche l'oeil droit ou gauche. 

III Les Arts Arcanes

Ce livret fait 40 pages. Je pense que c'est dans la Magie qu'Ysgarth commence vraiment à briller et à acquérir une identité, même si l'influence de C&S est énorme. L'univers est censé être relativement à "basse magie" mais le système suppose quand même que la majorité des joueurs voudront des magiciens. 

Il y a 15 Professions magiques (sans compter les prêtres qui sont dans le livret IV Holy Orders) : Alchimistes (Potion), Bardes (Musique), Conjurateur (Illusion), Devin (Information), Dresseur (Animaux), Herboriste (Végétaux), Médecin (Vie), 4 sortes d'Elémentaliste (Hydromancie, Pyromancie, Aéromancie, Géomancie), Enchanteur (Objets), Nécromancien (Morts), Sorcier (Sorcerer, Démons) et Mage (Wizard, Lois physiques en général, l'espace et le temps). 

Le supplément 1 Wine of the Moon ajoutera Mage des Ténèbres, Mage de la Lumière, Runiste (Signes), Mage de Village. 

L'idée simple, comme dans DragonQuest, est de relier sortilèges et compétences : chaque sort est une compétence mais le Niveau a des sens assez hétérogène. Une des compétences porte sur le Duel des Arcanes rien que pour des combats rituels entre mages et je ne peux m'empêcher de penser que cela a dû influencer Ars Magica et son système spécialisé pour le Certamen

Il y a des sorts universels ouverts à tous, comme Détecter la Magie, Nier la Magie, Bouclier ou Rayon de mana, un peu comme dans Dr Strange

Les classes de lanceurs de sorts peuvent se combiner et il est même dit que les Enchanteurs (qui investissent une forme de magie dans un objet, un lieu ou un individu) sont prévus pour être combinés avec une autre forme. Il y a alors une tension entre l'idée de ne considérer cela que comme des "unités de valeur" en magie, des Collèges de compétences et au contraire dans certains passages des vraies classes avec Guildes distinctes. 

Dans les règles pour les Sorciers (démonologues), Nalle hésite entre développer complètement sa propre mythologie (comme Tékumel) ou reprendre encore la mythologie chrétienne (comme C&S) et il fait un peu des deux comme Ysgarth reste une Terre parallèle. 

Les Sorts coûtent à la fois de la Fatigue physique et des points de Mana psychique. 

La chance de lancer le sort dépend du Niveau du Mage - le Niveau du Sort mais aussi de la Dextérité et de la Volonté. La formule de base ("L'Indice de Magie") est (Dex/2 + Vol/3) -2) x5%. Oui, on passe soudain au d100 alors que les autres systèmes étaient encore sur d20. Le game design rhapsodique et arbitraire de Gygax n'était décidément pas surmonté. Les sorts offensifs ont en plus besoin d'un jet d'attaque comme une arme de jet. 

Si on obtient un 00, c'est un fumble et il y a une table assez ingénieuse selon le type de sort. 

Nalle a aussi prévu un système sur les interactions particulières entre les différents types de magie, ce qui peut avoir des effets surprenants où certains sorts en annulent d'autres. 

lundi 1 mars 2021

Ysgarth & Dave Nalle (1959-2021)

 Via Imaginos, j'apprends la mort du créateur de jeu de rôle David F. Nalle de la COVID à (près de) 62 ans. Né dans une famille de diplomates et ayant voyagé dans le monde entier, il finit sa vie à Washington DC dans les années 80 et à Austin, Texas ces trois dernières décennies (là où vit aussi Steve Jackson). Depuis au moins une vingtaine d'années, il se consacrait plus à la politique qu'au jeu. 

Shannon Appelcline a un article sur son apport au jeu de rôle depuis ses origines. Nalle est assez oublié aujourd'hui mais son influence fut significative parce qu'il réfléchissait de manière approfondie et enthousiaste sur ce que le jeu de rôle pouvait être. On pourrait dire de lui ce qu'on dit de certains groupes musicaux comme The Velvet Underground, qu'ils vendirent (relativement) peu d'albums mais que ceux qui les écoutèrent fondèrent leurs propres groupes. Nalle écrit dès les débuts du premier fanzine Alarums & Excursions dans sa rubrique "La Licorne d'Ebène" alors qu'il n'a qu'une vingtaine d'années, puis dans Abyss (environ 50 numéros de 1980 à 1990 ?, où il rédigeait la plupart des articles sous plusieurs pseudonymes). Après la publication de Traveller et RuneQuest, Nalle fut aussi un élément dans ce passage de la première génération des jeux de rôle (les alter-D&D comme Arduin et C&S) à ce qu'on peut appeler la seconde, des jeux de classes de personnages à des jeux simulationnistes avec compétences. 

Nalle lui-même déclare que son jeu est descendu d'une variante de D&D qui s'est complexifiée et l'influence de C&S est assez visible. Cela aurait pu devenir une lignée parallèle de celle de RuneQuest. Comme le dit Appelcline, ce vieux post sur Usenet mentionne aussi comme descendant possible HârnMaster, qui combina RQ et C&S, mais surtout DragonQuest qui était plus hybride entre classes et compétences et qui avait aussi plusieurs "Collèges" de magie distinct. Le créateur de Tékumel, le Prof Barker, avait aussi choisi dans son système Sword & Glory de demeurer dans cet intermédiaire avec des classes-compétences. 

Son jeu Ysgarth (1e éd. 1979) qui avait aussi son propre univers, aurait pu occuper une place assez similaire à RuneQuest mais en plus lourd dans son simulationnisme et sans le souffle épique qu'apporta Stafford. Le peu que j'ai pu voir de l'univers d'Ysgarth suggère une Terre antique parallèle avec plusieurs peuples humains celtiques (Gael, Kymri), italiques (Etrua) ou scandinaves (Vaen, Saexe, avec des hordes de Magyars), plus les espèces habituelles tolkiéniennes de Nains et Elfes (un peu comme la Terre que Richard Snider créa pour Powers & Perils). 

Les panthéons y sont surtout les panthéons celtiques (gaélique et gallois), scandinaves (mais sans unification des Aesir et Vanir), finlandais, égyptiens, zoroastriens, etc. plus des dieux tirés de William Blake, Michael Moorcock et de Clark Ashton Smith. Ptoléméias compte 155 Temples différents. On reconnaît là les grands mélanges qu'aimait aussi Judges Guild. Gilrod, le seigneur des flammes et le dieu maléfique qui règne sur Uttgart est l'un des rares spécifiquement "ysgarthien". 

Ysgarth est assez difficile à trouver à des prix abordables (les dernières éditions, la 5e et la 6e, eurent des tirages confidentiels). Ce décès prématuré signifie probablement qu'on aura encore moins de chances de jamais revoir ce jeu des origines. 



Nalle était né au Liban et connaissait sans doute un peu mieux le Moyen-Orient que la moyenne. Son monde a deux parties principales : Ysgarth serait l'Occident autour de la métropole de (P)toléméias (Alexandrie ?), entre les barbares kymri et l'Empire ilchanien, avec les Elfes Ellylons et les Nains de Khuzdaral au nord-est, et de l'autre côté oriental de l'Abysse de 1200 km créé par la Chute du Mauvais ange et hanté par divers Princes-Démons exilés se situe un univers de magie plus élevée et plus proche des Mille et une nuits, le Wyrdworld de Jahannam (la Géhenne) avec le Roi des Djinns. On y trouve d'autres espèces non-humaines thériomorphes, les Batrags (amphibiens), Chitare (insectoïdes), Trozards (sauriens, les plus nombreux) et Mnerrar (petits félins). L'équivalent de l'Afrique, l'Arojika, est détaillée dans le Supplément III (1983). Il y a aussi une autre partie nommée Uttgart, qui a eu une série d'aventures. 



Bizarrement, pour un informaticien qui conçut des fontes et polices d'impression, il ne se souciait pas des apparences graphiques et ses publications étaient d'une sobriété spartiate, voire très moche, avec un côté tapé à la machine figé dans les années 1970 qui ferait passer les premiers livres de Traveller pour de la technicolor. 

10 ans plus tard, il ajouta un autre univers fantastique, Abaddon, qui était explicitement un mélange de la Bible et de William Blake où les tribus humaines comprennent les "Nefilim". 

En tant que personne, David Nalle n'avait pas une très bonne réputation dans les forums de jeu des années 90. Il était visiblement intelligent mais extrêmement tranchant, insultant et hautain, méprisant quasiment tous les joueurs comme des crétins qui n'avaient pas pu comprendre ses jeux (et de fait, il pouvait paraître un designer plus systématique que Gygax, ce qui devait expliquer son complexe de supériorité). Il était aussi un militant libertarien très impliqué (Président du groupe libertarien dans le Parti républicain au Texas à une époque), ce qui va souvent avec ce dogmatisme. Cela dit, ces derniers temps, il était devenu très anti-Trump et ses messages sur son twitter montraient qu'il rejetait le GOP actuel. 

J'ai déjà mentionné son article dans Different Worlds n°9 où il explique avoir amélioré le système d'alignement grâce à un score continu en deux caractéristiques, Karma et Loyauté, au lieu d'une différence tranchée. Il revint plusieurs fois par la suite (n°14-16). 

Comics britanniques (1) Nemesis

2000AD

Je connais très mal les comics britanniques (et pas du tout toute leur bd d'humour comme Beano) mais ce qui est certain est qu'ils ont une identité bien distincte des comics américains (je ne parle pas ici des auteurs britanniques travaillant dans les comics américains). Une des particularités est la survie depuis 44 ans (depuis l'époque de l'Hiver du Mécontentement et l'arrivée au pouvoir de Thatcher) de l'hebdomadaire d'anthologie de 2000 AD dont le ton a fondé les références d'une grande partie de leur bd, tout comme Spirou, Tintin,  Pilote, Fluide Glacial ou Vécu ont pu forger les codes belges puis français (en gros, l'humour avec Gros Nez, la Ligne Claire et le réalisme historique) ou comme les poches Bonelli (Western, Tarzan et cyberpunk) pour les fumetti. Spirou sort cette semaine son n°4324 (depuis 1938), Fluide Glacial (mensuel) sort son n°536 (depuis 1975) et 2000 AD son n°2221 (depuis le 26 février 1977). 

Les Américains ont les superhéros qui demeurent un genre manichéen avec des héros assez clairement définis alors que la science-fiction de 2000 AD était issue d'un mélange de nihilisme punk et de fascination pour une forme d'ultra-violence américaine. 2000 AD était aussi très clairement genré, tout comme un shonen. Le même éditeur avait des titres "pour filles" avec de la romance et de l'horreur gothique. Les comics Marvel sont nés du sentiment d'aliénation avec des histoires sur des Monstres (la Chose, Hulk ou les Mutants) mais 2000 AD, malgré toute la science-fiction, est issu d'une transposition des comics de guerre (et ce n'est pas un hasard si une des meilleures histoires de Pat Mills est sur la Première Guerre mondiale). 

En 44 ans, le magazine a accumulé de très nombreux titres et toute une mythologie, voire un lexique et son propre argot (comme l'adjectif mélioratif "zarjaz" ou l'explétif "drok"). Le rédacteur en chef se fait appeler "Tharg le Betelgeusien" et ses éditos dans presque tous les numéros sont dans la voix du personnage quel que soit l'auteur réel. Il n'y a pas à proprement parler un "univers 2000AD" mais les titres se permettent parfois des crossovers sans trop se soucier de cohérence stricte. Le titre avait commencé avec une 3e Guerre mondiale au début du XXIe siècle et on en retrouve parfois des échos dans Judge Dredd à la fin du XXIe et dans d'autres histoires qui se déroulent plus tard, comme Nemesis. 

Les auteurs de 2000 AD comme l'incroyablement fertile Pat Mills ou l'auteur américano-écossais John Wagner n'avaient pas du tout de programme conservateur (et Mills en tout cas est clairement à gauche mais une des premières histoires commence avec l'assassinat de Thatcher par un agent russe) mais l'ironie de leur humour noir est qu'ils peuvent être appréciés presque au premier degré par certains conservateurs. Ils jouaient sur deux tableaux, avec des auteurs de gauche et des éditeurs plus conservateurs. Judge Dredd en l'exemple le plus clair : c'est une version extrême de Dirty Harry en plus rigoriste et légaliste mais le ton oscille entre un sarcasme sur ce régime policier déshumanisé et une misanthropie désespérée où on se dit qu'on ne pourrait pas éviter une telle politique ultra-répressive, tout le mouvement du punk entre un anarchisme affiché et des alliances possibles avec un populisme conservateur (l'évolution de Johnny Rotten par exemple, qui vient de dire qu'il votait Trump parce qu'il rejetait tous les politiciens). Dirty Harry était de la catharsis de droite mais Judge Dredd joue sur un défoulement plus ambigu sur deux tableaux, défoulement de violence et dénonciation de la violence. Michael Moorcock, qui avait scénarisé quelques bd britanniques populaires des années 60 et qui devait être plus rock psychédélique (ou progressive rock ou space rock) que punk, condamna dans le Guardian cette ambiguïté ou une pornographie de la violence qu'il jugea vulgaire (au numéro 1) mais il dut reconnaître que cela avait pu permettre aussi à Alan Moore d'y trouver sa propre voix. 

Le mouvement punk est quelque chose que je ne peux pas comprendre comme je suis la personne la moins punk qui soit, hélas, mais Pat Mills (le "Stan Lee de la bd britannique") a une identité assez stable dans son humour noir et son énergie cynique. Pat Eamon Mills, d'origine irlandaise comme son comparse le dessinateur Kevin O'Neill) a été durablement marqué par les châtiments de son enfance dans l'école catholique d'Ipswich (tout à l'est, en East Anglia). Dans ses bd, la société y est toujours montré comme répressive et il y a des héros marginaux mais leur combat semble en partie vouée à l'échec puisque même quand ils l'emportent, l'ordre tyrannique réapparaîtra sous d'autres formes, y compris à cause d'eux. Tout se réduirait alors à des degrés de fascismes avec de brèves bulles de liberté et de violence. C'est un Britannique de classe populaire et il a une conscience de classe aiguë (il dit d'ailleurs que le pulp anglais a souvent servi d'instrument de classe, comme les romans d'espionnage de John Buchan qui servaient de propagande impérialiste pour l'Establishment). Mais il ne cesse de répéter qu'il n'y a aucun salut à attendre ni de la culture des classes supérieures ni même à long terme d'une libération par en bas. C'est un ton de rire nerveux ou désabusé que les Américains ne tentent pas vraiment. John Wagner a un sarcasme moins douloureux. 

Prenons quelques exemples avant d'en arriver à Nemesis : 

Judge Dredd (avec un développement par Mills à partir de John Wagner) montre un policier rigide qui tente d'imposer un "ordre" impitoyable dans une société faite d'exclusion des Mutants et de toute marginalité. Mais certains Mutants sont ensuite montrés comme étant parfois eux-mêmes de vrais monstres qui méritent d'être exclus (ce fut l'arc de la Terre Maudite qui fut écrit par Mills). On était censé rire de l'inhumanité de Dredd mais progressivement il a pu être représenté comme une sorte de héros dans un monde où les autres sont encore plus monstrueux (même si certaines histoires réinjectent parfois plus d'ambiguïté). Mills a déclaré avoir projeté en Dredd plus ses propres tortionnaires des écoles catholiques qu'un héros. 

Strontium Dog (Johnny Alpha, créé par John Wagner) est un mutant doué d'une supervision qui utilise ses pouvoirs comme chasseur de primes pour des Humains qui le haïssent pour sa mutation. Il passe donc son temps à capturer ou à tuer des mutants sans autre reconnaissance que celle de l'argent. 

Rogue Trooper est une guerre interminable entre le Nord et le Sud sur une autre planète où le personnage a été conçu génétiquement pour ne consacrer toute sa vie qu'à la guerre. 

Les ABC Warriors de Pat Mills sont un groupe de robots militaires à la personnalité bien définie mais qui sont méprisés par les Humains qu'ils servent, au point de produire une rancoeur en retour de leurs instruments de mort. Ces robots se sont retrouvés progressivement dans d'autres titres (et un des robots de religion "chaotique" est devenu rétroactivement une des identités ou un avatar du sorcier Nemesis). 

Nemesis the Warlock



Nemesis (Mills et Kevin O'Neill) commence avec une opposition moins ambiguë que dans Judge Dredd : la Terre est devenue un Empire théocratique fasciste, une Terre creuse évidée de nécropoles qui utilisent la technologie ancienne sans plus la comprendre. L'Inquisition génocide et torture tous les déviants et tous les hybrides aux gènes "pollués" par les extraterrestres (on les appelle "Mandragores" et on révèle que les Humains ont volontairement manipulé ces gènes pour mieux s'étendre sur d'autres mondes - même leur racisme est produit par leur impérialisme). Ces espèces extraterrestres ressemblent toutes à des créatures de fantasy, des dryades, des centaures, des farfadets. 

L'anti-héros Nemesis est un non-humain, un sorcier démonologiste du Chaos, chef de la résistance contre les Humains (même s'il lutte aussi contre certains radicaux dans son propre camp). Sa tête ressemble plus à celle d'une pioche qu'à un dragon, un mélange d'objet artificiel et d'oganique, mais son corps évoque plus un satyre aux sabots fendus (il y a un dimorphisme sexuel : les femelles de son espèces ont six membres et ressemblent plus à des centaures). Son véhicule qui est si similaire à sa tête est en fait un organisme vivant d'une espèce cousine des sorciers. 

Mais quand l'Inquisition est finalement vaincue par la "Cabale" des non-humains (avec l'aide de quelques soutiens rares chez les Humains) et que les hordes extraterrestres imposent aux Humains une forme de coexistence, tout comme avec les Robots exploités d'ABC Warriors qui réapparaissent alors, le ton n'est pas celui d'une libération ou d'une réconciliation mais plutôt d'une redistribution amère des haines et des exploitations. On accuse souvent la fantasy de s'arrêter au renversement du Méchant Leader mais l'univers de Nemesis ne fait que gagner en richesse quand l'Inquisiteur si caricatural et hypocrite est éliminé. 

L'univers évolua d'une pure science-fiction post-apocalyptique au début (où la Terre creuse avec des Humains réduits à l'état insectoïde, est le siège d'une église raciste avec un spectre intolérant qui évoque le KKK et l'Inquisition) à un steampunk plus anglais avec un calque direct de l'Empire victorien. 

Pat Mills a participé à un titre dans l'univers de Warhammer 40K sur un Inquisiteur impérial et quand on voit à quel point Warhammer 40K a pu voler à Nemesis (y compris la forme des vaisseaux en cathédrales ou en grands Molochs, ce qui dérive peut-être en partie de Druillet), c'est un peu comme si Frank Herbert avait accepté de faire une mini-série sur Tatooine pour Star Wars. Les dessins enfiévrés et cauchemardesques de Kevin O'Neill ont beaucoup fait pour fonder l'esthétique gothique des jeux de Games Workshop. L'influence de Moorcock sur Nemesis, en dehors de quelques clins d'oeil évidents et la valorisation du Chaos ne me paraît pas si centrale qu'on pourrait le croire (alors qu'elle est si importante sur Grant Morrison et sur Neil Gaiman).