dimanche 31 janvier 2016

Les expressions chez Curt Swan


Via un groupe sur la Légion des superhéros, ces illustrations de visages (Superman et Brainiac 5) par Curt Swan, un des dessinateurs principaux de Superman de 1958 à 1985 :






samedi 30 janvier 2016

[PJ] Un personnage pour Other Suns

J'ai retrouvé sur une feuille de papier ce personnage créé il y a 20 ans pour le jeu de science fiction Other Suns fondé sur le Basic System. Il est assez moyen et n'a jamais servi, alors je le recopie ici. Il est inachevé car je n'ai pas eu le courage de lui donner son expérience préalable pour le finir. Il n'a pas d'équipement non plus.

Nom : Chai-Ir-Riai ("Le Silence des Etoiles")
Espèce : Altani
(Les Altani sont des vulpidés qui sont parmi les plus influents dans l'Hégémonie L'Doran)
Sexe : Mâle (les Altani sont plutôt une matriarchie)
Statut social : Les Chai ("Etoile") sont un clan de faible importance (Facteur 3, règles p. 55)

Caractère (voir ce tableau) : Courageux, Combatif, Indulgent (très rare chez les Altani), Honorable, Humble, Pessimiste (Neutre sur les autres traits)

Grade dans la Flotte de l'Hégémonie L'Doran : Mil-Comrichtor-ob-teron
(équivalent de "Lieutenant", rang 110, vol. 1 p. 47)
Spécialité : Officier des Systèmes d'Armement
Salaire par semaine : 250 Unités Monétaires Standard (ums)

FOR 10
INT 16
VOL 09
CON 11
END 17
DEX 11
CHA 14

HAUTEUR 157
CARRURE 14
TAI 21
Attaque Psi 15
Résistance Psi 37
Points de Vie : 16
Chance 13
RA : 3

Compétences :
Attaque +10%, Précision +11, Parade +1, Esquive +7,
Connaissance +10 Manipulation +9, Observation +8, Dérobée +10

Astrogation 61
Pilote 61
Ingénieur Sensor & ECM 61
Opérateur Sensor 61
Tacticien 61
Ingénieur Armement 61
Opérateur Armement 61
Administration 31
Commander 31
Sémanticien 31
Eloquence 31
Droit spatial 31
Scaphandre 50
Langue Commune L'Doran 80
Langue Raika (Altani) 96

Si on adopte en plus les règles d'expériences préalables (p. 52), il aurait droit à (11 + 1d4) x INT points soit ici 192 points, + 3 compétences à augmenter de 6 à 24%.

La formule canonique en mythologie

(Rediffusion de janvier 2005)

Autant tout le monde admet (je crois) que la mathématisation des Structures élémentaires de la parenté (1949) est une vraie découverte géniale de Lévi-Strauss, autant on peut avoir des réserves sur l'usage des inversions et négations du structuralisme dans l'interprétation de la mythologie. 

Lévi-Strauss réussit à convaincre dans ses Mythologiques que le sens d'un mythe d'une culture n'est pas isolable de tout un réseau de significations de cultures environnantes et que son sens peut parfois résider uniquement dans sa position dans ce jeu d'opposition. 

Mais quand il décrit une sorte de genèse idéale de mythes par inversions et contrastes, on a l'impression qu'il témoigne plus (comme la dialectique chez Hegel) des ressources d'un concept équivoque de "négation" (à la fois opposition, symétrie, inversion, contraste, etc) que d'une découverte sur le mythe lui-même (c'est en gros la critique plus détaillée par le dumézilien Daniel Dubuisson, Mythologies du XXe siècle (Dumézil, Lévi-Strauss, Éliade), Lille, 1993). 

Lévi-Strauss a donné dans Anthropologie structurale une "formule canonique" un peu obscure de tout mythe : 


"Tout mythe (considéré comme l’ensemble de ses variantes) est réductible à une relation canonique du type :

Fx(a) : Fy(b) = Fx(b) : Fa-1(y)

dans laquelle, deux termes a et b étant donnés simultanément ainsi que deux fonctions x et y, on pose qu’une relation d’équivalence existe entre deux situations, définies respectivement par une inversion des termes et des relations, sous deux conditions :
1° qu’un des termes soit remplacé par son contraire (dans l’expression ci-dessus a et a-1) ;
2° qu’une inversion corrélative se produise entre la valeur de fonction et la valeur de terme de deux éléments (ci-dessus y et a)."


Je n'y voyais qu'une manière compliquée de dire une "analogie" avec un "chiasme", mais c'est un peu plus strict que cela. 

Lévi-Strauss est en fait revenu quelques fois sur sa "formule" dont il dit qu'elle a guidé ses recherches et qu'elle décrirait le processus même des mythes à l'insu de tout sujet empirique. 

Dans La Potière jalouse (1985), il analyse une série de mythes d'Amérique du Sud, dont la légende jivaro d'Engoulevent

L'Engoulevent (cf. nightjar) est un oiseau nocturne, qui hurle à la pleine lune, qui n'a pas de nid, de vie sociale ou de couple selon les Indiens. Il est associé à l'avidité et la jalousie. 

Au début, le dieu Lune vivait avec une femme qui s'appelait Engoulevent.
Ils se disputèrent [il y a plusieurs variantes, dont celle où elle était trop affamée et goulue ou bien trop jalouse].
La Lune la quitta et partit vers le ciel.
Engoulevent, jalouse, le suivit mais tomba du ciel.
Elle fut transformée en un oiseau auquel elle donne son nom, qui crie à la lune, et fit tomber de l'argile à travers la terre, donnant ainsi naissance à la poterie.


Le problème est qu'on ne voit pas pourquoi l'engoulevent ("jaloux" et pas nidificateur, donc pas artisan) serait associé à la poterie. 

Lévi-Strauss analyse ce mythe selon la formule canonique ainsi :

L'engoulevent qui est jaloux est à la femme qui est potière ce que la femme qui est jalouse est à (l'inverse de l'engoulevent) qui est potier.


Puis il trouve dans d'autres mythes de la région sur l'oiseau "fournier", sociable, bon nidificateur (et donc "artisan"), bavard (et non hurlant nocturne) l'antithèse attendue de l'Engoulevent des légendes sur l'origine du feu. Le fournier est ainsi l'inversion "engoulevent-1" dans la formule. 

Ce terme de "fournier" (qui est absent des légende jivaro mais qui serait "présent en creux") lui permet ainsi de "boucler" un parcours de récits sur l'origine de la poterie et d'autres techniques, un parcours qui suivrait la formule "canonique". 

Certains continuent de prendre la Formule canonique au sérieux (cf. J. Petitot, "Approche morphodynamique de la formule canonique du mythe", L'Homme, 106-107, 1988, pp. 24- 50 - une géométrisation dans la Théorie des catastrophes que je ne comprends pas -, et un numéro spécial de L'Homme, 135, 1995).

En revanche, pour ceux qui y soupçonneraient un risque de trop grand vague, voire d'imposture, il y a aussi en effet des exploitations complètement fumeuses et on peut imaginer des Sokalismes possibles. 

jeudi 28 janvier 2016

Different Worlds #5 (octobre-novembre 1979)

2$, 40 pages. La couverture, avec un style qui évoque un peu Vaughn Bodé ou Ralph Bakshi dans Wizards (1977), est signée par Tom Clark, qui avait déjà fait celle de DW n°3.

L'éditorial de Tadashi Ehara demande qu'on lui envoie tout article de la presse généraliste qui mentionnerait les jeux de rôle, comme ceux à la fin de ce numéro (sur un fait divers qui va commencer à faire parler de lui aux USA). Il dit aussi que les critiques de jeu dans DW sont généralement positives parce que ce sont des volontaires qui viennent parler de jeux qu'ils aimaient assez pour y consacrer des efforts.

Quick Plugs
Il cite quelques jeux (Gangsters! de FGU à ne pas confondre avec Gangbusters de TSR qui ne couvrait que les années 1920, Runequest 2e édition, Tunnels & Trolls 5e édition, le Dungeon Master's Guide), quelques suppléments (Broken Tree Inn, Cults of Prax, Arden, Saurians - Gigi d'Arn se moquera à la fin des illustrations, SpaceFarer's Guide, Warlock's Tower) et des magazines (Cheader's Digest, zine canadien qui faisait des parodies de wargames, The Courier, plutôt sur les wargames, Best of the Dragon, Deck of Many Things fanzine de Detroit, Journal of the Traveller's Aid Society, Moravian Dynasty, Tribes of Crane Newsletter).

 "Review: Arduin for the masses" (Mike Gunderloy) : La critique d'Arduin de Dave Hargrave est très positive et on voit l'évolution du design graphique professionnel comme les livres sont décrits comme ayant la "meilleure présentation", ce qui ne paraît plus évident. Il recommande de l'utiliser comme une source d'idées sans toutes les appliquer. Pour Gunderloy (qui avait décrit son système de magie d'Alanor dans DW #1-3), Arduin doit servir d'exemple et pas directement d'univers de référence.

"Games To Gold: Update" (Rudy Kraft) : D'autres adresses de compagnies de jeu en complément du n° précédent.

"Developing a Character's Appearance" (John Sapienza, Jr.) : Des tables aléatoires de détails physiques comme la couleur de l'iris (les Hobbits peuvent avoir des yeux violets ?), la forme des yeux, la qualité et le ton de la voix, Il introduit aussi une caractéristique Taille qui ne serait pas objective mais relative à la Taille moyenne dans son espèce, un exemple de complication sans intérêt. Il détaille aussi des règles sur l'encombrement.

"RQ/Gateway Cult: Some Greek Gods - The Cult of Apollo" (Geoffrey Dalcher) : Il décrit sa campagne de RuneQuest dans la Grèce mythique. Il joue à Iolcos avant l'époque des Argonautes et la description du culte d'Apollon est assez proche de Yelmalio, en dehors d'une insistance sur la guérison (Asclepios) et la musique. Le lien avec Artemis n'est pas assez accentué peut-être. Bien entendu, cela risque de donner une Grèce où les Prêtres de Zeus envoient assez facilement de la foudre, ce qui n'est plus très fidèle aux mythes grecs et est en fait un effet du système de magie.

My Life and Role-Playing
"Me and Bozero" (John Snider, p. 20-23) : John M. Snider fut (avec Dave Megarry, créateur du jeu de plateau Dungeon!, et Greg Swenson) un des joueurs de la campagne de Dave Arneson et il créa ensuite pour TSR Star Probe (jeu d'exploration de sf, 1975) et Star Empires (1977).  Il raconte avoir commencé dans Blackmoor mais jouer dans un monde de campagne de SF qui aurait été publié un jour comme le 3e volume après Star Probe. Mais les amis d'Arneson se brouillèrent avec TSR quand Arneson quitta la compagnie. John Snider est (contrairement à ce que j'avais écrit dans le numéro 1 en le confondant avec John T. Snyder) le frère de Richard Snider, qui créa Adventures in Fantasy (1979) avec Dave Arneson et Powers & Perils (1983) chez Avalon Hill.

"My Life in Role-Playing (If you are really interested)" (Scott Bizar) : Le directeur de FGU (et beau-frère de Greg Stafford à cette époque) raconte comment il est passé des jeux de figurines sur Conan à ceux sur Flash Gordon et de là aux jeux de rôle. Il dit ne pas "être assez masochiste ou sadique pour être un maître de jeu à Chivalry & Sorcery" (!). Il dit aussi ne pas se considérer comme un designer doué (il a fait un jeu de figurines sur le monde hyborien de Conan et un mini-jeu de rôle sur Flash Gordon and the Warriors of Mongo). Il déprécie l'importance des éditions publiées puisque tout joueur doit changer les règles par lui-même.

Boardgames : Pas de reviews, juste des annonces (dont Raiders & Traders chez Chaosium ou John Carter, Warrior of Mars, chez SPI avec une participation de Scott Bizar).

"Way of the Gamer: Encounter Systems" (Stephen L. Lortz) : Un travail de synthèse sur quelques tables des rencontres dans Arduin, Bushido, Chivalry & Sorcery et OD&D. Il propose sa propre table à partir des précédentes et j'ai l'impression que les catastrophes naturelles et événements météorologiques sont plus présents que d'habitude.

"Gamma World Variant: To be or not to be a Pure Strain Human that is the question!" (James M. Ward) : une petite page par un auteur TSR (ce qui est rare dans DW) pour donner quelques bonus aux Humains Normaux ("Purs") par rapport aux Mutants qui ont beaucoup plus de pouvoirs dans Gamma World. Le seul avantage des Humains est que les armes anciennes technologiques sont faites pour que les Mutants ne puissent pas les actionner (détail qui est repris tel quel dans Jorune).

Different Views (p. 32-34) : Mike Gunderloy précise dans la correspondance que certains de ses Mages Spécialistes des n°1-3 comme les Mages d'Acide viennent en fait de Steve Marsh. Paul Jaquays (qui vient de quitter Judges Guild et devient freelance) se moque de Gygax et de TSR et semble faire allusion à des polémiques entre The Dragon et Different Worlds. John Sapienza critique l'idée qu'on puisse demander aux joueurs d'interpréter n'importe quelle moralité.

La fin a deux copies d'articles de journaux de la côte ouest sur la controverse James Egbert (août 1979 - il se suicida l'année suivante). C'est le début de la Panique morale contre D&D et c'est commenté dans la rubrique suivante.

"A Letter From Gigi" : "Gigi D'Arn", la page Rumeurs du magazine, prétend qu'un film serait déjà en préparation sur "l'affaire" Egbert ! Le téléfilm sur l'affaire, Maze & Monster, ne sortira qu'en 1982, juste avant le sommet de la popularité de D&D.
On continue de parler de Heroes of Middle-Earth, le jeu de rôle "officiel" sur Tolkien en préparation par Steve Perrin chez Heritage. J'ai rarement tant regretté un vaporware en lisant un vieux magazine ! Shannon Appelcline en parle un peu dans le premier volume (Les 70's) de Designers & Dragons (p. 308) :
Heritage’s real coup in the licensing field was probably their Lord of the Rings miniatures line (1978), based on the Ralph Bakshi movie (1978). Steve Perrin and Steve Henderson — coauthors of Chaosium’s RuneQuest (1978) — were the ones working on the gaming link in late 1979 and early 1980. Their “Heroes of Middle Earth” would have been the first Tolkien RPG (and perhaps the second licensed RPG), except that it fell apart over contractual issues.

Greg Costikyan continue à travailler sur plusieurs jeux de rôle, qui, à ma connaissance, ne sortirent jamais non plus : High Fantasy, Madmen & Magnums (sur les films policiers) et The Age of Victoria (jeu réaliste, pas du steampunk).
Les prix de la 5e Récompenses des Stratèges pendant la GenCon XII vont à Gamma World, Source of the Nile et à RuneQuest ("Meilleur Jeu Pour Figurines" ??).

Conclusion
Un numéro un peu décevant sur 40 pages. Le culte d'Apollon peut à la rigueur donner des idées pour un fan de RuneQuest pour créer ses propres cultes non-gloranthien. Personnellement, il a presque l'effet inverse de me confirmer que je préfère finalement Glorantha.

mardi 26 janvier 2016

Des haillons au Trône


Dans les romans de fantasy, on voit souvent des ascensions sociales où une personne d'origine misérable, voire un ancien esclave, arrive au pouvoir. La réalité historique a en fait de nombreux cas semblables et des sociétés qu'on pourrait croire très hiérarchiques ont même pu montrer des ascensions spectaculaires. Le plus souvent, le vecteur d'ascension a été l'armée, pas n'importe quelle méritocratie.

Le cas de Sargon d'Agadè (vers 2300-2270 avant notre ère) n'est pas très clair : il n'est en tout cas pas d'origine royale, il se présente comme le fils d'une Prêtresse et d'un père inconnu (sans doute pour mieux faire croire que son père était un dieu) et il aurait été nommé "Echanson du Roi" (fonction qui était peut-être bien plus importante dans les rituels religieux que ce qu'elle semble impliquer) avant de renverser le Roi légitime dans une révolution de palais théologico-politique et de fonder l'Empire akkadien. Sargon lui-même, qui avait tout intérêt à s'attribuer une origine plus élevée (on ne connaît même pas son vrai nom, "Sargon" signifiant "Roi-Légitime", ce qui est une antiphrase pour l'Usurpateur), ne semble donc pas avoir exagéré dans son mythe familial.

En revanche, on ne doit vraisemblablement pas compter par exemple Cyrus le Grand, qui, lui, a dû être vraiment membre de l'aristocratie perse même si les légendes sur son origine réelle sont pleines de mythes, comme l'origine du Roi Sargon.

Un peu avant l'arrivée d'Alexandre, Mahāpadmā Nanda, qui fonda la dynastie Nanda dans le Magadha (Nord-Est de l'Inde), aurait scandalisé certains Indiens parce que sa mère était de la classe des shudra (serviteurs) et l'Empire Maurya insista sur ce sacrilège pour décrédibiliser la dynastie (même Plutarque le mentionne dans sa Vie d'Alexandre 62, 9 en parlant de la "basse extraction" des Rois Nanda quand Alexandre tente d'envahir l'Inde). Mais son père était déjà un seigneur kshatriya, donc ce n'est pas un bon exemple, malgré tous les textes contre lui. De même, l'ennemi et successeur des Nanda, Chandragupta Maurya, était un kshatriya, même s'il a pu être de la même famille que les Nanda.

Vers 200 avant notre ère, nous arrivons à un meilleur exemple historique : Liu Bang était fils de paysans (du côté de la côte de Nanjing) et il fit partie des rebelles qui renversèrent la Première (et éphémère) Dynastie des Qin avant d'instaurer (sous le nom de Gaozu) la dynastie des Empereurs de l'Âge d'or chinois, les Han. Une légende dit qu'un Dragon aurait été son vrai père.

Parmi les Empereurs de Rome, la garnison militaire est un bon préambule à la pourpre impériale. Pertinax (126-193, très bref Empereur après l'assassinat de Commode) était un fils d'affranchi. Un exemple plus durable que Pertinax est Dioclétien (245-311, Empereur de 284 à son abdication en 305). Il aurait été d'origine très obscure et des textes se moquent de lui en disant qu'il aurait lui-même un affranchi ou bien un fils d'affranchis (ce qui était considéré comme une sorte de tare morale chez les Romains). Ce qui est sûr est qu'il doit son pouvoir à l'ascension à l'intérieur de l'armée, comme beaucoup d'autres Empereurs.

A la fin du XIIe siècle, Temüjin ("le Forgeron") est certes fils d'un petit chef mongol mais ensuite il connut brièvement l'esclavage quand il fut capturé par la tribu rivale des Tayitchi'outs quand il avait environ 15 ans vers 1177 (il aurait même porté une cangue, sorte de pilori d'esclavage, avant de devenir Gengis Khan). 200 ans après, celui qui devait abattre la dynastie Mongole Yuan, Zhu Yuanzhang, fondateur de la dynastie Ming, aurait été un paysan serf (comme Liu Bang plus de mille ans avant) et un mendiant misérable aux bords du fleuve Huái Hé avant de devenir un moine bouddhiste et un insurgé des Turbans Rouges.

Dans le monde musulman, les Mamelouks (mamālīk, au pluriel) soldats-esclaves arrivèrent plusieurs fois au pouvoir suprême par l'armée, au point qu'avec le déclin du Califat arabe puis du Sultanat turc, l'histoire politique est souvent la lutte des officiers militaires ex-esclaves. Par exemple, à la fin du XIe siècle, Anushtegin Gharchai, mamelouk d'origine Kipchak fonda la dynastie khorezmienne qui régna sur la Perse jusqu'au XIIIe siècle. Un second exemple est Aybak (1150-1210), du Turkestan, qui fut un esclave vendu en Perse avant de fonder la Dynastie des mamlūk ou ghilmān (esclaves) de Delhi, le Sultanat des Ibarîdes, qui dura pendant tout le XIIIe siècle. Le plus durable fut le long règne des Mamelouks en Egypte du XIIIe au XVIe siècle mais en l'occurrence il s'agit vraiment de la domination de toute une caste militaire et pas d'une ascension individuelle (un de leurs premiers émirs et atabegs s'appelait aussi Aybak l'Echanson du Sultan et était d'origine turkmène : il renversa la famille du Sultan qui l'avait élevé à cette position, comme Sargon 3500 ans avant).

Vachers & Violence

(article rédigé le 20 octobre 2004 - le contexte était donc l'élection présidentielle)

Cela m'agace souvent quand les Français parlent de la mentalité de cowboy et qu'ils expliquent ainsi toutes les attitudes de W (qui est un faux Texan qui ne possède son ranch que depuis 1999, il faut le rappeler). Cela paraît d'autant plus réducteur que l'Ouest sauvage a été en fait plus policé (plus de "contrôle des armes") et plus urbain que ce que les représentations tardives de la Belle Epoque ont pu laisser penser. 

Mais cela dit.... 

Il y a un petit livre de "psychologie culturelle", Culture of Honor. The Psychology of Violence in the South de Richard E. Nisbett et Dov Cohen (Westview Press, 1996), qui finalement peut donner un sens plus précis à ces vagues intuitions, mais pour les Etats du Sud plus que pour l'Ouest. 

Les régions rurales des Etats du Sud ont bien plus de violence que celles du Nord (la violence urbaine des grandes villes est plus homogène à travers les Etats-Unis). 

Le livre analyse de manière plus fine les actes de violence des Blancs du Sud et montre que
1) ce sont plus des actes de conflits et ressentiment entre personnes qui se connaissent (crimes passionnels, triangles amoureux, disputes...), bien plus que des actes de légitime défense ou de délinquance ; 
2) ces actes sont plus courants dans les régions de collines que dans les régions agricoles de plaines ; 
3) ces actes dépendent peu du niveau économique (les collines plus riches sont plus violentes que les champs plus pauvres) ; 
4) ces actes dépendent peu de l'esclavage (les collines avaient peu de population d'esclaves, contrairement aux champs de coton et au régions de marécages). 
5) ces actes ne dépendent pas non plus de la présence des armes à feu (les Sudistes ont plus d'armes à feu que les Nordistes mais le taux supérieur d'actes violents ne peut pas s'y réduire - cette partie du bouquin plaira à la NRA mais est convaincante quand même). 

L'hypothèse "anthropologique" et psychologique de Nisbett et Cohen repose sur une Culture de l'Honneur liée aux sociétés d'éleveurs. La Culture de l'Honneur, telle qu'on en voit souvent dans le pourtour méditerranéen, où cela conduit de Sicile au Moyen-Orient aux crimes d'honneur (tuer sa fille, sa sœur ou son épouse pour "rétablir" l'honneur familial et ne pas "perdre la face" face aux pairs). 

Les éleveurs et pâtres, qui dépendent de la possession de bétails et qui sont en intéraction constante avec des concurrents qui peuvent leur retirer tout leur "capital", sont généralement bien plus violents que les cultures de cultivateurs. 

Cela conduit à une culture de razzias, de rapts, de représailles (des Celtes, des Dinkas, des Grecs...) et cela s'applique aussi aux relations familiales et ce qu'on résume comme violence patriarcale. Les sondages montrent que ces sociétés considèrent la violence comme plus légitime pour laver les affronts. 
[En passant, ce modèle explique assez bien la culture d'éleveurs et bergers en Corse qui paraît si énigmatique sur le Continent (toutes mes données très scientifiques sur ce sujet venant d'Asterix et Pétillon). ]

Mais là où le livre est un essai de psychologie sociale et non pas seulement de sociologie, c'est le passage à "l'ethnographie expérimentale" en laboratoire et une méthode inter-disciplinaire. On ne mesure pas seulement les discours avoués mais les attitudes implicites. 

Certaines expériences sont vraiment fascinantes. 

Les auteurs ont fait venir des étudiants nordistes et sudistes (en leur cachant bien sûr le vrai sujet de l'expérience, comme dans la célèbre expérience de Milgram). Chaque étudiant (qui croit qu'on veut tester autre chose, l'apprentissage ou quelque chose de ce genre) est heurté dans le labo par un expérimentateur agressif qui murmure "asshole". Le résultat est très net : l'étudiant Nordiste moyen est interloqué voire amusé, l'étudiant Sudiste est indigné et agressif (on a même mesuré leurs réactions physiologiques et ils étaient bien plus stressés que les Nordistes, même si ça n'altérait pas leurs fonctions cognitives). 

De même, on fait une expérience de jeu de chicken. Un expérimentateur marche tout droit dans un couloir étroit sans ralentir dans une collision avec le sujet. On mesure la distance à laquelle le sujet accepte de reculer pour laisser passer. Le Nordiste cède le passage bien plus tôt que le Sudiste et l'écart est même assez important. Le Sudiste ne voulait pas "perdre la face". 

Mais cette Culture de l'Honneur n'est pas seulement une réaction épidermique inconsciente. C'est un ensemble de normes qui vont valoriser la violence "pour préserver son honneur". 

Une autre expérience consiste à envoyer à des employeurs une lettre demandant un emploi où un soi-disant candidat (qui a un bon CV) avoue soit 
a) avoir commis un vol quand il était jeune ; 
soit b) avoir tué accidentellement quelqu'un qui s'en était pris à sa petite amie. 

Les Nordistes et Sudistes ont la même réaction dans le cas a) (les Sudistes ont même des réactions légèrement plus défavorables). Mais dans le cas b) les Sudistes sont en revanche bien plus enclins à accepter la proposition que les Nordistes (et les réponses sont bien plus chaleureuses et compréhensives à l'égard de l'homicide du candidat, témoignant d'une vraie indulgence). 

Le livre montre aussi comment cette Culture de l'Honneur subsiste malgré la disparition des structures sociales des éleveurs (sauf dans les grandes villes, plus homogénéisées). Les jeunes mâles blancs (non-hispaniques) du Sud sont plus battus que les autres pendant l'enfance (les châtiments corporels y sont plus valorisés), ils battent plus leur épouse et leurs Etats sont nettement moins enclins à poursuivre les violences domestiques. 40% des Etats du nord ont des lois qui considèrent les violences domestiques comme un délit grave, 0% des Etats du Sud. 

Par ailleurs, cette violence masculine est aussi transmise et renforcée par un discours continuel chez les femmes du Sud, qui disent qu'un homme qui ne défendrait pas son honneur ne serait pas un vrai homme. La violence des femmes du Sud est d'ailleurs aussi disproportionnée par rapport à celles du Nord. 

Et là où l'analyse de cette Culture à haut taux de testostérone devient politique, c'est que les élus du Sud sont bien plus enclins que ceux du Nord à voter pour des interventions militaires et pour des augmentations du budget de l'armement. 

[L'hypothèse selon laquelle W a vraiment voulu "venger Papa" reprend un sens nouveau à la lumière de cette théorie. Cela explique aussi certaines lettres qu'a reçu le Lone Star Iconoclast (journal de Crawford, Texas, qui soutient Kerry) et qui les accusaient de trahir et bafouer le sens de l'honneur texan en faveur d'un "Yankee". ]

Gygantomachie



  • Les enfants de Gygax annoncent qu'ils quittent la revue baptisée Gygax (et celle-ci annonce son arrêt) parce que leur belle-mère, la seconde épouse de Gygax, ne veut pas qu'ils utilisent leur nom de famille. La petite histoire dit qu'elle avait négocié un accord à condition qu'ils ne la critiquent pas et qu'ils ont refusé.

  • On accuse souvent John Wick (un des créateurs de Legends of the Five Rings) d'attaquer inutilement Gygax (quand il disait que D&D n'était même pas encore un jeu de rôle car il ne récompensait pas une stratégie sub-optimale au nom du rôle) mais en l'occurrence, sur le S1 Tomb of Horrors, je trouve qu'il a raison : c'était sans intérêt, une des tendances les plus agaçantes du vieux AD&D. A la rigueur, on peut dire que c'est un exercice de réduction par l'absurde contre l'idée même d'antagonisme entre le narrateur et les joueurs dans certaines interprétations du "Ludisme", mais ceux qui défendent le module S1 comme un défi pour Grosbills négligent que cela ne fait que renforcer une course aux armements dans cet antagonisme pervers.

  • Jon Peterson, l'historien du jeu de rôle et auteur du livre déjà classique sur les origines de D&D, Playing the World, a découvert qu'un certain Leonard Patt avait créé sur deux pages des règles de wargame fantastique en 1970 qui contenait déjà certaines des idées qu'on retrouvera telles quelles dans les règles fantastiques de Chainmail de Jeff Perren et Gary Gygax en 1971 et dans D&D en 1974, y compris le mécanisme de jet de sauvegarde, la description du Souffle conique du Dragon et le fameux sortilège de Boule de Feu explosive ainsi décrit par Patt :

    Wizards in possession of magic powers can cast a fire ball once very other turn. The distance is 24" and the hit is determined by a 6" grid with a 24" burst circle. Any figure under the burst are killed except HEROES or ANTI-HEROES who are saved by a throw of a 5 or a 6. A dragon hit by a fire ball is driven away and will not attack the wizard's side for one turn. 
    Et voilà la formulation de la Fire Ball dans Chainmail (je n'ai que la 3e édition p. 31) :
    A Wizard can throw either of two types of missile (select which before play begins). A fire ball, equal in hit area to the large catapult hit area, or a lightning bolt, 3/4" wide by 6" long, with an attack value equal to a heavy field gun, are the two missile types employed. These missiles will destroy any men or creatures which are struck by them, with certain exceptions noted below. Both types of missiles can be thrown up to 24", direct or indirect fire, with range being called before the hit pattern is placed. The center of the fire ball is placed down at the number of inches called. The head of the lightning bolt is placed at the number of inches called, so that its body extends 6" behind it in a straight line from the Wizard who threw it.
  • Et dans OD&D, Men & Magic p. 25 :
    Fire Ball: A missile which springs from the finger of the Magic-User. It explodes with a burst radius of 2" (slightly larger than specified in CHAINMAIL). In a confined space the Fire Ball will generally conform to the shape of the space (elongate or whatever). The damage caused by the missile will be in proportion to the level of its user. A 6th level Magic-User throws a 6-die missile, a 7th a 7-die missile, and so on. (Note that Fire Balls from Scrolls (see Volume II) and Wand are 6-die missiles and those from Staves are 8-die missiles. Duration: 1 turn. Range: 24"
    Ceux qui disent que le fait de lancer du feu est générique ne voit pas les analogies dans la formulation (notamment cette idée de zone d'effet quand elle éclate). Il y a une "sensibilité au sentier" où ces deux petites pages de Patt ont clairement influencé ce sortilège si caractéristique.




  • Certains des premiers fans de D&D se sont parfois plaints que leurs idées aient été absorbées dans les règles sans qu'ils en soient nécessairement remerciés, Gygax ayant l'habitude de synthétiser toutes les règles qu'il lisait, ce qui explique d'ailleurs parfois le manque de cohérence systématique. Un cas que raconte Jon Peterson (plus en détails dans Playing the World, p. 470, 510, mais sans la copie du texte) est celui de Gary Switzer. Switzer (mort en 2006), qui travaillait dans une boutique appelée Aero Hobbies, à Santa Monica (elle existe toujours 40 ans après !), voulait ajouter une nouvelle Classe de personnage (créée par son groupe, notamment un certain Daniel Wagner, à l'origine pour un PNJ nain), celle du Voleur et il appela Gary Gygax pour en parler sans doute dès la sortie de la première édition. Dans le fanzine Great Plains Game Players Newsletter #9 (Dakota du Sud, mai-juin 1974, vendu à la GenCon VII en même temps que la première édition de D&D), Gygax décrivit sa première version de la Classe du Voleur, qui s'inspirait du Cugel de Vance et sa version était assez différente : les Compétences étaient toutes là dès le départ et montaient alors que dans la version AeroHobbies, les Compétences étaient plutôt encore comme des Sortilèges discrets (Crocheter serrure, etc) qu'on obtenait à chaque niveau (c'est aussi cette variante originelle qu'utilise Kenneth Dahl dans son groupe de CalTech pour le supplément Warlock).  Gygax dit en avoir discuté avec un certain "Gary Schweitzer" de Californie par téléphone mais cette mention n'apparaîtra plus dans la version finale dans le premier supplément Greyhawk (printemps 1975). Un an après, au printemps 1976, le groupe Aero Hobbies (avec Hugh K. Singh, D. Daniel Wagner, Larry E. Stehle (et la mention de Gary Switzer dans le second tirage) publièrent (sans jamais citer le copyright du jeu anonyme pour lequel il donnait cette extension) leur propre version de variantes de D&D, The Manual of Aurania, qui apportait de nouvelles classes comme le Beorning (Ours-Garou neutre de Tolkien), le Sidhe, le Lepreachan, les Basadae , le Shapeshifter ou le Samurai, un système de réussite critique (avec localisation des coups) et d'échec critique (appelés "trip", Playing the World p. 558-559). La préface se plaignait que certaines de leurs inventions aient été reprises mais ils ne précisent pas lesquelles. 
  • dimanche 24 janvier 2016

    Lands of Adventure (1983)


    Lands of Adventure (FGU, 1983) écrit par Lee Gold (la légendaire éditrice du doyen des fanzines de jeu de rôle Alarums & Excursions, aussi auteur de la version japonaise de Chivalry & Sorcery, Land of the Rising Sun, 1980) est un jeu de rôle qui prétend être "générique" pour plusieurs univers (certains passages sur le Niveau Technologique semblent même faire penser que ce ne serait pas seulement pour de l'heroic fantasy même si ce sont les exemples privilégiés dans tout le livret).

    La version de base contenait deux exemples très brefs d'adaptation baptisés "Pack Culturel" : la Grèce antique et l'Angleterre médiévale, mais les exemples étaient si peu développés que c'étaient presque des pistes dignes d'un simple article de magazine. Il n'y eut jamais d'autres extensions à ma connaissance (à moins qu'il n'y en ait eu dans Alarums & Excursions ?).

    LoA est bien plus simple que C&S (dont la 2e édition venait de sortir aussi en 1983) mais on sent quand même un lignage et il doit donc plus ou moins s'agir à l'origine de règles simplifiées à partir de C&S. (FGU était une compagnie étrange qui éditait souvent des jeux concurrençant leurs propres productions, comme Space Opera et Other Suns ou comme Land of the Rising Sun et Bushido). Je soupçonne aussi une influence partielle ou indirecte de RuneQuest 3. Le livret de règle ne fait que 32 pages. La couverture assez énigmatique par Bill Willingham a une femme qui semble assez mélancolique après avoir peut-être elle-même tué une sphynge mais j'ignore si elle est censée être dans la Grèce antique (la sphynge) ou dans l'Angleterre médiévale (la jeune fille).

    Livre de règles génériques

    (1) Les Caractéristiques

    Il y a au total 11 caractéristiques, mais parmi elles, 4 sont "primaires" (tirées sur 1d20) et 7 dérivées (à base d'une ou plusieurs des autres plus un élément aléatoire). Une autre option est de repartir 110 + 2d10 points et j'imagine que cela a l'avantage de ne pas tenir compte de toute l'architecture complexe de dépendance entre les caractéristiques.

    Les 4 caractéristiques originelles sont Artisanat, Talent (sous-entendu Talent magique), Apparence et Force. Il faut dire quelques mots sur cette caractéristiques d'Art (Craft). Dans certains cas, l'Art a l'air de s'étendre à l'utilisation de tout objet artificiel (y compris par exemple le fait de se servir d'un arc dans les compétences) et il y a même des exemples de science fiction où elle serait la Technique en général. Je vais cependant garder la traduction Art.

    Les 7 caractéristiques dérivées sont Dextérité, Voix, Intelligence, Prudence, Agilité, Constitution et Charisme.

    Les choix de caractéristiques "dérivées" paraissent parfois peu intuitifs : la Dextérité dépend du score en Art (mais les règles précisent que ce n'est vrai que pour les Humanoïdes et pas pour les bêtes - on aurait pu imaginer à l'inverse que l'Art puisse dépendre de la Dextérité), l'Agilité dépend de l'Apparence (parce qu'une "belle Apparence rend gracieux"), la Voix dépend du Talent magique (c'est un présupposé particulièrement peu "générique"), l'Intelligence dépend à la fois de l'Art et du Talent magique, la Prudence dépend de l'Intelligence, la Constitution dépend de la Force et le Charisme est la caractéristique la plus synthétique puisqu'elle dépend à la fois de la Voix (et donc du Talent), de l'Apparence, de l'Intelligence (et donc de l'Art) et de la Force.

    Le choix de la valeur de la caractéristique Piété n'est pas tiré au sort (contrairement à C&S) et est laissé libre mais plus elle est élevée, plus elle crée aussi de contraintes pour le comportement du PJ (comme des devoirs réguliers au Temple). La capacité de base en Intervention Miraculeuse dépend du Charisme mais est ensuite modifiée par ce score de Piété. La Piété variera ensuite suivant les actes du personnage et peut décroître à chaque transgression des commandements de son culte. [Dans Fight On! n°6, Lee Gold dit qu'elle utilise beaucoup les règles de Passions et de Vertus de Pendragon pour lui donner des idées sur les PNJ.]

    Il y a trois sortes de points de vie : les Points d'énergie (EP, la Fatigue = Prudence + Agilité + Force, donc autour de 30 en moyenne), le Corps (BP, les Blessures légères, Poids en livres divisé par 10, donc autour de 15 en moyenne) et la Vie (LP, les Blessures graves, égale au score en Constitution, 10 en moyenne).

    Pour comparer, Chivalry & Sorcery 2e édition, paru la même année 1983, avait 9 caractéristiques (Apparence, Constitution, Dextérité, Férocité, Force, Intelligence, Piété, Sagesse, Voix Bardique). On remarque que la Voix de Land of Adventure vient directement de C&S mais que la Prudence doit être l'inverse de la Férocité de la 2e édition. Le Charisme était dérivé aussi à peu près comme dans LoA mais C&S ne distinguait que Fatigue et Points de Corps, pas un troisième niveau de Points de Vie. Lands of Adventure n'a en revanche pas précisé de caractéristique de Statut social en disant que cela dépendrait de chaque Culture.

    Comme C&S, Lands of Adventure propose aussi comme options quelques autres Espèces jouables : Elfes, Nains, Ogre et Géant (le livret sur la Grèce ajoute le Centaure, le Satyre ou la Nymphe et le passage sur l'Angleterre médiévale propose comme option de traiter les Pictes comme des "Faeries").

    Le jeu générique donne un équipement avec un prix en "Crédits" en disant que chaque CulturePack adaptera sa propre liste de prix et de devises (où le "Crédit" vaut une pièce d'argent).

    (2) Les Compétences

    Ce début ressemblait plutôt à C&S mais la suite revient plus vers RuneQuest et le BRP. (et là encore, j'aimerais avoir pu lire Alarums & Excursions pour voir les discussions au début des années 1980 comme certains des auteurs de Chaosium écrivaient parfois dans le fanzine). Lands of Adventure n'a ni Classe de personnage ni Niveau. Les Compétences sont en effet des pourcentages et sont groupées en 10 catégories qui décident des bonus à partir des caractéristiques (en moyenne, ce bonus sera donc autour de 20%) :

    Communication : Voix x2 + (Intelligence + Charisme - 20)
    Connaissance : Intelligence x2 + (Prudence + Talent - 20)
    Magie : (Talent/2 au carré + Intelligence)
    Manipulation : Art x2 + (Intelligence + Dextérité -20)
    Miracle : (Charisme/2 au carré + Talent)
    Mouvement : Agilité x2 + (Prudence + Force -20)
    Observation : Prudence x2 + (Intelligence + Art -20)
    Persuasion : Charisme x2 + (Voix + Apparence -20)
    Mélée : Force x2 + (Agilité + Art -20)
    Missile : Art x2 + (Dextérité + Force -20)

    Sandy Petersen a dit un jour (sans doute pour critiquer certaines règles de RuneQuest 2) que des Bonus devraient faire une vraie différence et on a dans ce système l'illustration de calculs trop longs et qui ne donnent au final que des bonus assez faibles sauf les scores en Magie et en Miracle où le score au carré peut monter très haut : un personnage avec 20 en Talent a une Base de 100% en Magie (sachant qu'ensuite, la difficulté du Sortilège est un Malus x5 soustrait à ce score).

    Un personnage commence avec un nombre de Compétences (et de Sortilèges) égal à son score en Prudence et au début ne peut pas avoir plus que x Compétence(s) d'une Catégorie par 10% de bonus dans cette catégorie. Même avec l'expérience, on ne peut pas avoir plus que 2 x Prudence nombre de Compétences.

    En plus de leur score de base, les personnages commencent avec 900 points d'expérience pour acheter des scores dans leurs Compétences et ces Compétences ne sont guère que des descriptions d'une ligne. Dans tous les jeux de rôle, l'achat des Compétences a toujours été la partie que j'aime le moins et le système proposé ici est particulièrement lourd dans ses calculs : le coût de chaque Compétence varie selon la Catégorie et devient de plus en plus coûteux quand on passe des seuils. Je ne pense pas que le simulationnisme recherché vaille la peine de cette difficulté mais il n'y a guère que le vieux Call of Cthulhu qui avait simplement pris un achat linéaire direct des points de Compétences.

    (3) Le Combat

    Pour l'instant, Lands of Adventure n'avait après tout pas si mal vieilli. Cela se gâte avec ces règles de Combat que j'ai du mal à interpréter. Les équations choisies par Lee Gold sont à nouveau plus proches de C&S et elles sont assez lourdes. L'économie des points de fatigue (et de l'encombrement) a l'air de jouer un rôle assez essentiel si on veut faire la moindre charge ou manoeuvre. Il faut au contraire ralentir ses attaques si on veut garder des points d'énergie et je crains que cela ne devienne un cauchemar de comptabilité pour le MJ et ses PNJ.

    Les scores d'attaque sont des compétences, ce qui est assez simple. Les armes de mélée (je ne vais même pas m'aventurer dans l'énergie cinétique des armes de jet) font un score de dégât fixe égal au poids de l'arme en livres multiplié par 2 (donc une dague de 0.5 livre fait 1 point de dégât) et j'ai l'impression que la Force ou le talent du personnage n'y ajoute rien (contrairement à C&S qui utilisait aussi des dégâts fixes, mais multipliés par un facteur tiré du Niveau du combattant). Les vieux jeux Old School ont d'habitude trop peu de points de vie mais ici, c'est l'inverse, il paraît impossible de mourir d'un seul coup. Les combats doivent être terriblement longs tant qu'on n'a pas de réussite critique. Un humain normal doit avoir environ 15 Points de Corps et environ 10 Points de Vie. Un bébé Dragon, en revanche, a 250 Points de Corps, en tenant compte de son armure, mais le Dragon âgé a près de 9000 Points de Corps et son Souffle fait 300 points de dégât (p. 29)...

    Les armures ont l'ambiguïté d'être fatigantes à porter (et donc elles coûtent des Points d'Energie) tout en multipliant les Points de Corps. C'est un dilemme tactique mais le système accorde tant d'importance aux Points d'énergie que je me demande si cela ne dévalorise pas les armures lourdes (ce qui serait peu "simulationniste"). Les Points d'Energie interviennent tout le temps puisqu'il faut pouvoir en dépenser pour accomplir des actions comme des attaques mais aussi des parades ou une esquive. La parade est un malus à l'attaque de l'adversaire proportionnel à la moitié de son score de base en Mélée et au nombre de Points d'Energie investis. Les Echecs critiques font perdre des Points d'Energie ou bien ont une chance de casser l'arme.

    En cas de réussite critique (moins de 10% du score d'attaque), les dégâts passent des Points de Corps au Points de Vie et on peut tirer la localisation des coups uniquement dans ce cas. On récupère environ 3-5 Points d'énergie par heure de repos et ensuite, le joueur doit choisir s'il "convertit" ses Points d'Energie récupérés en Points de Corps (2 points d'Energie pour un Point de Corps) ou en Points de Vie (5 points d'Energie pour un point de Vie). C'est un mécanisme de guérison que je n'avais jamais vu dans un jeu : cicatriser fatigue dans Lands of Adventure et on peut choisir son énergie à court terme au détriment de sa santé à long terme.

    (4) La Magie et les Miracles

    Les règles de Magie sont en revanche plus élégantes, bien que très uniformisées, limitées et peu génériques encore une fois. Les Sortilèges sont construits avec une combinatoire de plusieurs facteurs dans les effets (Intensité, Portée, Durée, Volume, un peu comme la Sorcellerie de RuneQuest 3e édition).

    Il y a seulement 4 types de Sorts : Compulsion (manipuler les émotions), Illusion (manipuler les perceptions), Amélioration (augmenter une Compétence ou une capacité) et Energie (effets physiques quels qu'ils soient). De nombreux Sorts déjà pré-construits sont en fait des combinaisons de plusieurs de ces types à la fois. Pour d'autres types d'effets plus puissants, il faut plutôt passer aux Miracles.

    Si on rate son jet de compétence, on a une chance de Contre-coup (Backlash, encore un terme de C&S) et la sévérité du malus en Points d'Energie ou dans les capacités est proportionnelle à la marge d'échec sur 1d20 (système que le jeu ne généralise d'ailleurs pas, contrairement à Bushido ou à Légendes). Une table que j'adore (p. 21) est celle des effets indirects d'atmosphère qui entourent la magie. Jolie idée sans effet mécanique : votre sort peut aussi s'accompagner d'un parfum ou d'une musique particulière.

    Les Miracles sont des interventions de divinités ou démons et ce sont eux qui peuvent par exemple créer des Métamorphoses, des Soins ou des manipulations d'Esprits immatériels, qui n'existent pas en Magie simple. Les Divinités sont catégorisées en spécialités appelées "Aspects" et un Dieu Majeur a plusieurs Aspects à la fois.

    Il y a aussi (p. 22) une table de génération aléatoire de Noms de Divinité. Exemples de résultats : Aynaynay, Brohsmeenieg, Deva, Ednoh, Oormegow. Oui, c'est soit moche soit peu original.

    Une prière peut être longue (1d3 Rounds) et fatigante (1d10 Points d'Energie dépensés, sauf si on a le temps de lancer un plus long rituel, qui coûtera alors plus de sacrifices matériels que de fatigue). Si on réussit l'Invocation, on sait seulement que le message a été envoyé mais la réponse peut être aussi décevante qu'un simple Oracle, sans Intervention réelle. Lee Gold tente d'avoir un système uniforme pour ce type de Magie divine et la Démonologie et le résultat me semble moins heureux que les différentes écoles de C&S.

    Le Livre sur les Cultures : Grèce mythique & Angleterre médiévale


    (1) Les Enfants des Dieux (p. 2-13)

    La description de la Grèce de l'Âge de Bronze n'est pas historique. Elle est très fortement axée sur les théories mythologiques imaginatives du poète Robert Graves (inspirées des vieilles interprétations de Bachofen et Frazer) et insiste donc sur une opposition culturelle entre des "autochtones", les Pélasges, et des envahisseurs récents indo-européens, les Hellènes. Les Pélasges sont donc décrits comme une matriarchie adorant la Triple Déesse de la Lune (et Ophion), sacrifiant encore un "Roi de l'Année" (comme dans le Rameau d'Or) et les Hellènes adorent les Olympiens patriarcaux (et la divinité n'a donc pas exactement le même "aspect" selon ces cultures, même si le nom est le même : l'Artémis, par exemple, devient un visage de la Grande Déesse si on est un Pélasgien).

    Le statut social donne obligatoirement une ascendance royale, héroïque ou divine, plus des espèces comme Centaure, Satyre ou Nymphe. La table doit inclure des adoptions et pas seulement des parents stricts puisqu'il y a des divinités comme Athéné, Artémis ou Hadès. Les règles de magie ajoutent aussi des règles sur la Divination, l'Herboristerie (enfin de la magie de soins plus simple que l'Intervention divine) et l'artisanat à la Dédale.

    Il y a une deux petites pistes de scénario, "Les Ruines de Xenia et le Chien d'Or", et "La Mission Nuptiale", qui se fonde encore une fois sur la reconstruction Gravesienne de la mythologie grecque, ce qui peut donner quelques péripéties amusantes pour quelqu'un qui connaît la Grèce sans connaître ces interprétations. Des idées de scénario très standards deviennent plus originales en exploitant cet arrière-fond du Rituel dans le jeu.

    Les cartes du livre sont trop schématiques et celle de Grèce a un choix curieux des cités (pourquoi mettre Vapheio et pas Lacédémone ? Kakovatos ? Corinthe est enlevée ?). Bien qu'on soit censé être à une époque archaïque, il y a déjà une unité monétaire de la Drachme, par simplification.

    (2) L'Angleterre en 1070 (p. 16-27)

    La noblesse est Normande et leurs sujets Saxons ou Celtes et la Conquête ne doit donc pas être si récente que cela si les seigneurs parlent tous français. Mais il y a peu d'informations historiques (voir plutôt la fin sur la féodalité, p. 26). Ce sont surtout des bestiaires fantastiques.

    Sur cette Angleterre "médiévale" aussi, on a des influences de Robert Graves et les Celtes ou Pré-Celtes (les Faeries) adorent encore la Grande Déesse à travers les rituels de la Sorcellerie. Les conseils sur le Druidisme  viennent de Graves et reprennent donc le modèle des Pélasges. Ce jeu aurait dû s'appeler The White Goddess Role-Playing Game. (Une option propose de mettre la campagne sous le Roi Arthur gallois et pas sous Guillaume le Conquérant, mais le jeu n'a pas vraiment l'ambition de concurrencer Pendragon ou le récent Keltia).

    Cela donne finalement pas mal de continuité avec le chapitre sur la Grèce antique (on retrouve les mêmes ajouts de Magie qui auraient donc pu être mis directement dans les règles de base). Les idées de scénario paraissent être encore une transposition de la même intrigue que dans le chapitre précédent (remplacez les Pélasges par des Celtes et les Hellènes par des Normands).

    Conclusion

    Lands of Adventure est un "crève-coeur" d'un autre type. Non, ce n'est pas du tout un clone de D&D et l'auteur montre au contraire un désir d'innovation et a annoncé en introduction une liste de ses désidérata en game design : (1) un système qui n'ait pas besoin qu'on utilise le livre de règles en cours de jeu, sauf pour le MJ, (2) un combat qui puisse être rapide, pas nécessairement fatal et qui offre beaucoup d'options tactiques aux différents types de personnages (3) une magie qui soit souple tout en donnant une impression de mystère, avec un rôle de la religion qui donne plus d'importance à la volonté divine. Mais on voit qu'il y a quelques idées originales qui ont été négligées dans ce jeu de rôle. J'ai beau critiquer la comptabilité de la fatigue, on pourrait y voir un effet finalement assez peu pris en compte en dehors des jeux de superhéros. FGU n'avait vraisemblablement pas de relecture ou d'édition du manuscrit, ce qui doit expliquer la densité un peu abstraite de ce jeu si rapide. Lands of Adventure mériterait sans doute d'être assoupli encore si Lee Gold avait pu développer plus d'extensions (par exemple en réadaptant son propre Land of the Rising Sun).

    Tel qu'il est, cela me paraît difficile d'y jouer, à moins de simplifier grandement les Compétences et le système de combat.

    LoA a parfois quelques ressemblances avec Légendes, publié l'année suivante mais il doit s'agir de coïncidences. Les deux mettaient un système de règle de fantasy et des livrets de Civilisation. Certaines caractéristiques générales comme Art ou Technique s'y retrouvent. Légendes aussi distingue la Fatigue et le Souffle dans le combat. La Magie de LoA utilise des "Marges d'échec" sur 1d20 comme Légendes qui l'utilise pour tout son système - mais ce détail me semble venir plus du système de Bushido.

    Dans le numéro 6 (été 2009) de Fight On! dédié à Lee Gold, elle raconte quelques-unes de ses campagnes. Dans l'une, l'Angleterre de Richard Coeur de Lion, l'Aragon et une Castille particulièrement tolérante commencent la colonisation du Nouveau Monde. Une autre est une guerre dans un Japon alternatif du XIVe où l'Empereur Go Daigo s'est allié, après sa destitution, à des Dragons et des forces obscures contre le shogun Ashigaka Takauji. Dans une autre en Islande au Xe siècle, les personnages sont des amis de Loki qui forment un front de païens contre la transformation du Plan mythique par la victoire du Christianisme. Elle continue donc aujourd'hui à jouer avec l'Histoire et j'imagine qu'elle joue encore avec des variantes issues lointainement de Lands of Adventure.

    Autres recensions :
    White Dwarf #58 (octobre 1984) : Noté 5/10 (ouch !).
    Curieusement, le magazine californien Different Worlds n'a fait à ma connaissance aucune recension de LoA alors qu'ils avaient un article de Lee Gold dès leur numéro 1 et sur le game design de Land of the Rising Sun dans DW #8.
    Chroniques d'Outre-Monde n°6 dit que c'est "le plus mauvais jeu de FGU".

    Chez Voyages in Eternity (chez qui j'ai pris l'illustration de couverture)
    Chez Faoladh, que je trouve un peu sévère.

    L'investiture des dieux

    Grâce à l'Internet Archive Wayback Machine, je retrouve cette vieille note de mon blog du 20 octobre 2004. Comme ce blog (phersu.20six.fr) a disparu, je la recopie ici dans le même mode de translittération Wade choisie par cette édition française chez You-Feng (2002).


    L'Investiture des Dieux

    L'investiture des Dieux, en chinois Feng Shen Yen I (ou Feng Shén Yan yi) est aussi traduit en anglais Creation of the Gods.

    C'est un énorme roman, en 100 chapitres. La version chinoise fait quatre tomes. L'adaptation française abrégée de Jacques Garnier (éditée par la Librairie You Feng, en retranscription Wade) fait 944 pages assez denses (le papier est étrangement fin et tout cela manque un peu de notes, même s'il y a un glossaire des personnages).

    Le texte, l'un des plus grands classiques de la mythologie chinoise, serait assez tardif, sans doute du XVIe siècle, sous la dynastie Ming (1368-1644), attribué souvent à Hsü Chunglin(ou « Xu Zhonglin » en retranscription Pinyin).

    L'épopée est censée remonter à un passé très lointain, vers le XII siècle avant notre ère, il y a plus de 3000 ans (à peu près donc à la même époque que la Guerre de Troie ou l'Exode des Hébreux dans notre hémisphère, mais rédigé à la Renaissance).

    Elle relate la fin de la dynastie mythique des Shang (ou Yin) et le début de la dynastie proto-historique des Chou (Tchéou, Zhou) dans la guerre entre le roi Chou (qui est le dernier des Shang) et le roi Wu (qui est un Chou - je ne sais pas si je suis clair).

    Mais pour simplifier on va appeler le dernier empereur Chouwang et son ennemi Wuwang.

    Le passage d'une dynastie à une autre parce que l'Empereur est devenu un tyran est l'un des thèmes principaux des histoires chinoises mais ici, contrairement au rationalisme habituel confucéen démystifiant, le fond mythologique, merveilleux et épique a été conservé.

    Le texte explique même l'origine de foules de dieux et génies par des apothéoses des personnages du roman, dont la fameuse scène des Investitures au 99e chapitre, où 365 personnages sont déifiés ou "canonisés" (y compris certains des adversaires).

    Comme dans la Guerre de Troie (Hélène) ou la fin du Cycle arthurien (Guenièvre), ce grand conflit cosmogonique commence par un amour destructeur.

    Le dernier empereur Chouwang montre son intempérance quand il se rend dans le temple de la Déesse primordiale Nüwa (Nu Wa, Nü Kwa, déesse du ciel et de l'ordre cosmique) et tombe amoureux de sa statue. Il proclame qu'elle doit être sa concubine.

    Nu Wa est tellement furieuse de l'outrecuidance de l'empereur mortel qu'elle envoie trois Démones-renardes polymorphes (les renardes sont toujours des démones, en Chine les hǔlijīng comme au Japon les kitsune) pour causer la perte de son Empire.

    Ensuite l'Empereur Chouwang exige du grand seigneur Su Hu sa fille puisqu'il n'a pu avoir la déesse (Su Hu est choisi par les conseillers corrompus de la Cour parce qu'il est le seul à ne pas leur avoir payé de pots de vin).

    Après une brève guerre civile, Su Hu accepte mais sa fille Tachi (Daji) est tuée et remplacée à l'insu de tous par la succube vulpine envoyée par Nu Wa. "Tachi" ensorcelle l'Empereur et conduit le gouvernement à la ruine. Elle renforce les conseillers corrompus, fait torturer les nobles et les meilleurs conseillers (quand ils ne se suicident pas en protestation), la Reine (en organisant une fausse tentative d'assassinat dont elle est accusée), puis les Princes qui s'étaient rebellés (mais ils sont sauvés par les Dieux).

    Les scènes d'atrocités sont nombreuses. la fausse Tachi innove dans ses méthodes de répression et ses projets dignes de Babel. Dans une scène, elle fait arracher les yeux d'un ministre qui lui était opposé et les dieux transforment les orbites vides en "mains qui peuvent voir l'invisible".

    La scène clef est quand elle force le seigneur de l'Ouest (Ji Chang) à manger son propre fils exécuté. Ce duc écœuré deviendra le Prince Wenwang, père de Wǔwáng (Ji Fa), futur fondateur de la dynastie des Chou (Zhou).

    C'est à la même époque (chapitre 14) que naît Necha (Nezha, Nuocha, Na Zha), le "Hercule" chinois qui a aussi un cycle d'aventures indépendant [il serait aussi dans la tradition indienne Nata, un fils de Vaishravana]. Réincarnation de l'Esprit de Perle, élevé par un Sage taoïste, il est encore enfant, un colosse armé d'un anneau magique et d'autres trésors comme le Ruban du Jour de Brume ou l'Arc du Ciel et de la Terre. Necha tue même des Rois Dragons et il en vient à se battre contre son père mortel, Liching (Li Jing). Par la suite, Necha sera l'un des héros soutenant la cause des Chou et du sage Tzuya.

    Ce sage Chiang Tzuya (Jiang Ziya, Lu Wang) vient tuer magiquement une des trois démones, le Spectre du Luth de Jade et se fait ainsi un ennemi de Tachi, qui est en fait la sœur du monstre. Elle le fait proscrire de l'Empire. Tzuya devient le Premier ministre du Prince Wenwang puis de son fils le futur Empereur Wuwang.

    La renarde Tachi fait venir sa troisième sœur, la démone Hu Hsimei (Hu Ximei), déguisée en nonne taoïste qui séduit l'Empereur et le maintient au lit dans des pièges voluptueux.

    Les Immortels du Mont Kunlun sont divisés en deux camps, ceux qui soutiennent la dynastie Shang et ceux qui soutiennent les rebelles autour du sage Tzuya. La Guerre devient donc un conflit cosmique, les divinités mauvaises, les Pestes mais aussi quelques sorciers loyaux soutenant les projets de la concubine démoniaque Tachi.

    Après une longue guerre magique et militaire pleine de rebondissements, de stratégies et de pièges, Tzuya détruit avec l'aide de la déesse Nu Wa les démones qu'elle avait envoyées sur Terre. Le tyran Chouwang fait brûler son palais, avec lui à l'intérieur. Wuwang, fils du Prince Wen, devient Empereur.

    Chiang Tzuya proclame la liste, qu'il avait lue avant les faits dans le Mont Kun Lun, des 365 héros morts dans les deux camps qui sont déifiés, et le nouvel Empereur Wuwang commence à organiser son Etat.

    La dynastie des Chou mettra huit siècles à décliner, les Etats vassaux se dispersant pendant la Période du Printemps et de l'Automne (qui correspond à l'époque de la Grèce archaïque) et la Période des Royaumes Combattants (qui correspond à l'époque de la Grèce classique).

    La loi naturelle suit un cercle comme la roie d'un char,
    Tour à tour, grandeur et ruine, sans jamais de cesse.
    Aller, puis venir, croître puis décroître.
    Tout cela n'amène que sourire,
    Un cycle monotone de grandeur et décadence.
    Chouwang de Shang brûlé, ses cendres dispersées au vent.

    [Sur ce cercle chinois, voir Richard Nisbett, The Geography of Thought, Londres, 2003, chapitre IV. ]

    jeudi 21 janvier 2016

    L'histoire de France en BD de Nathan


    Tout le monde connaît l'Histoire de France en bandes dessinées éditée chez Larousse en 1976-1978 et rééditée par la suite sous différents formats (au début des années 1980 et plus récemment en 2008 par Le Monde). Les scénaristes étaient très divers comme Pierre Castex ou Victor Mora (qui travaillaient plutôt dans la Presse Vaillant) et les dessinateurs étaient pour la plupart des Italiens, des Espagnols ou des Argentins (Victor de la Fuente, Julio Ribera, Eduardo Coelho, Manara, José Bielsa, Guido Buzzelli) avec quelques dessinateurs français issus de Vaillant comme Raymond Poïvet ou Forton. Le ton était assez sérieux et "réaliste", du roman national scolaire mais assez peu "épique".

    Mais dix ans avant, en 1967, Fernand Nathan avait tenté L'Histoire de France avec le sourire, une bd plus humoristique. Les deux auteurs étaient des femmes, ce qui est assez original dans la bd des années 1960 : la scénariste était Gabrielle Rolin, journaliste et écrivaine belge, qui avait travaillé dans la presse gaulliste (dans le Nouveau Candide, qui n'était plus le périodique maurassien) mais écrivit dans les années 70 dans la presse proche du PS. Aux dessins, ce fut, je crois, la première oeuvre publiée de Françoise Pichard, qui, elle, était déjà et est toujours d'extrême droite comme la dessinatrice attitrée de Rivarol (sous le pseudonyme de "Chard", qui a depuis gagné un prix décidé par le régime d'Ahmadinejad pour ses dessins négationnistes, qui semblent être une de ses obsessions). En dehors de quelques cases sur la Bataille de Poitiers où on reconnaît son style de caricatures haineuses (les Sarrasins y sont à peu près des Orcs de Tolkien), ses passions racistes ne se voient pas trop.

    J'aime pourtant plutôt ce premier volume ("de la Préhistoire à Louis XI"), qui n'est pas très drôle mais me paraît plus intéressant que la version Larousse dans son jeu sur les "Images d'Epinal" et son absence de toute prétention au réalisme. La version Larousse m'ennuie souvent (mais cela dépend aussi du scénariste). Dans la version de Gabrielle Rolin, on est parfois étonné de certains détails (elle se met à expliquer la situation politique en Lombardie quand elle parle de Pépin le Bref). Quand on arrive aux Mérovingiens, on reprend bien la chanson de Dagobert mais en changeant de style graphique pour marquer l'écart entre les légendes et l'histoire. Bien que ce soit nettement plus bref que la version Larousse (46 pages seulement), je me surprends à trouver que j'y découvre parfois plus de densité.

    La BD a introduit un gag qui sera repris directement dans les dessins animés d'Albert Barillé Il Etait Une Fois l'Homme (1978) : c'est une même famille générique, Martin et Martine (ce sera Pierre, Pierrette et Pierrot dans le dessin animé) qui traverse les siècles.

    Il y eut un second volume, "De Charles VIII au Roi Soleil" (qui, contrairement à ce que le site BDthèque me semble être de 1968, pas 1988) mais ce fut la fin de la série. Le prix de ce volume est trop cher pour que je l'achète mais je serais curieux de voir comment la dessinatrice intégriste et maurassienne traite les Guerres de Religion par exemple (et je préfère ne pas imaginer ce qu'aurait donné la Révolution française). J'aime croire que l'interruption de cette série fut causée par une dispute politique entre Rolin et Pichard mais si cela se trouve, la vraie cause fut simplement commerciale et le livre était peut-être arrivé trop tôt pour son temps.

    A la même époque que Rolin, Jean-Marc Reiser avait fait ses premières BD chez Pilote (après ses débuts chez Hara-Kiri) avec une série qu'il scénarisait, L'Histoire de France en 80 gags (1967-1969, Pilote n°382-499, dessins de Pouzet dont je ne connais rien d'autre). Ce fut publié en album chez Dargaud (109 pages, 1969). Je ne sais pas si Reiser se censurait trop pour un marché tout public mais le résultat est décevant et n'est pas plus drôle que la version de Gabrielle Rolin (et dans son humour noir c'est parfois plus stéréotypé que du Pichard !).

    Fanfaronnade


    Ca y est, six ans après l'avoir acheté et après seulement 4 parties, j'ai enfin eu une victoire au jeu de plateau Ghost Stories et en plus sans sacrifice de Moine (même si on est allé deux fois voir la Sorcière). On a eu de la chance, avec une seule incarnation assez faible de Wu Feng (Résistance 3), et il faut aussi avouer qu'on était encore au niveau Normal (3 point de Qi par moine). J'étais le Moine jaune et cela aide pas mal de recevoir du Tao sans avoir à chaque fois à passer chez l'Herboriste. Il reste encore quelques petites ambiguïtés d'interprétation de toutes ces règles qui se modifient les unes les autres mais j'espère ne pas avoir triché pour nous avantager. C'est agréable de se dire que gagner est bien une possibilité (encore que je ne vois toujours pas comment ce serait possible à des niveaux plus difficiles avec dix incarnations de Wu Feng). En un sens, je me demande si cela ne retire une part de mystique où je croyais ne jamais voir une victoire.

    Presque tous les jeux que j'ai achetés ces dernières années sont d'Antoine Bauza : Ghost Stories, 7 Wonders et Takenoko. Le matériel de Ghost Stories est le plus beau mais Takenoko est en ce moment celui que je trouve le plus amusant. Il y a (comme le faisait remarquer le ludologue Shannon Appelcline) une "école française" du jeu de société qui tente une synthèse entre la présentation luxueuse américaine (Ameritrash), avec une importance des graphismes, et la jouabilité plus abstraite des jeux allemands.

    Au fait : pourquoi le Nécromancien s'appelle-t-il Wu Feng dans Ghost Stories ? J'imagine que cela n'a aucun rapport avec ce Wúfèng 元輝 légendaire du XVIIIe à Taiwan qui se serait fait couper la tête pour enseigner à des indigènes Ālǐshān à cesser de pratiquer la décapitation.

    La financiarisation des esprits


    Un cri de Cassandre qui me semble assez vraisemblable (après avoir entendu encore une nouvelle provocation sur la vertu morale des Riscophiles de notre Ministre de l'économie) est que nous allons arriver dans quelques années dans une période inouïe d'hégémonie intellectuelle libertarienne, ce qui serait sans doute un moment dialectique après une hégémonie marxisante des années 1960 [j'utilise ce terme d'hégémonie de manière très vague, les théories de Gramsci et Laclau ne m'ayant pas vraiment éclairé sur la métaphore - et bien entendu le libéralisme aurait beau jeu de dire, comme le faisait un argument du philosophe Robert Nozick, qu'en un sens, son éloge du pluralisme et de la concurrence implique l'impossibilité d'une "hégémonie" qui serait par essence monopolistique et totalitaire. ]

    Ce sera une longue nuit cyberpunk avec un cercle vicieux de prophétie auto-réalisatrice où la critique des services publics les affaibliront et ne feront que renforcer cette critique. Le libertarianisme est déjà devenu l'idéologie dominante des entrepreneurs des start ups des nouvelles technologies (un des cas étant le penseur et financier Peter Thiel). Et c'est une idéologie qui se donne de manière cohérente les moyens de sa propre propagande en finançant ouvertement sa défense contre la coquille vide des vieilles souverainetés des Léviathans. Il est rare qu'un mécénat ou de l'évergétisme ait affiché aussi clairement son intérêt utilitaire. Et la plupart des propagandistes, bien qu'ils ne croient qu'en l'Intérêt, n'ont même pas besoin d'être mercenaires pour montrer du zèle de missionnaire pour leur Utopie radicale. On voit en effet chez eux une éthique de la conviction : tout impôt est une spoliation et il faut aller jusqu'au bout de cette thèse radicale sur la propriété privée, quelles que soient les conséquences, pereat mundus.

    L'investisseur et essayiste William Bonner a orienté ses éditions des Belles Lettres (la maison de philologie mais qui distribue bien d'autres choses) vers cette hégémonie future avec des collections qui y sont consacrées (de même que les frères Koch et la banque BB&T financent maintenant des chaires de Randisme). Parmi ces éditeurs des Belles Lettres stipendiés par les capitaux de Bill Bonner, il y a par exemple Laurent ou Leter. Dans cette interview, on retrouve des éléments très drôles du libéralisme : riche et dominant dans les faits, il est bien entendu opprimé et censuré puisque son ascension n'est pas encore totale et que l'opinion croit encore y résister.

    L'argument est un peu du Michéa à l'envers. Michéa ne cesse de dire que la "gauche" est trop fondamentalement libérale et qu'il faut que le socialisme se détourne du libéralisme (y compris sociétal ou culturel) pour ne pas être dominé par le libéralisme économique (ce qui le conduit parfois à une forme de conservatisme sociétal au nom de la décence commune). Leter au contraire reprend une jérémiade contemporaine du libéralisme (mais certes, pas seulement de lui) et un ton de persecution où en fait tous les partis, y compris dans la vieille droite oligarchique ou la gauche, seraient trop anticapitalistes et antilibéraux. Les malheureux libéraux seraient une petite minorité incomprise et marginalisée par une intelligentsia collectiviste (ou "spoliatrice") et le peuple se rangerait nécessairement à ses arguments entièrement rationnels s'il n'était pas conditionné et hypnotisé par la propagande étatiste.

    Avec un goût intéressant du renversement, Leter dit aussi que le libéralisme est le vrai progressisme démocratique, anti-conservateur (sauf pour la transmission des patrimoines) et anti-oligarchique (car bien sûr cette conservation des patrimoines ne conduit pas à une oligarchie illégitime) et que l'extrême gauche sert en fait les intérêts des Banques et que l'anti-capitalisme est avant tout la défense de la Monnaie-dette comme "Monnaie fiat" des Banques centrales (il défend donc son libéralisme comme anti-monétarisme contre Milton Friedmann).

    Il va jusqu'à avoir une théorie du complot où Marx travaillait pour l'Etat prussien et pour les Banques et aurait écrit le Manifeste du parti communiste pour soutenir la cause de la construction des Banques fédérales. Mais ensuite, après avoir dit que le libéralisme était le vrai progressisme et le socialisme un fétichisme mythologique réactionnaire et pré-moderne, il attaque ce dernier comme une hérésie satanique, ce qui laisse un peu songeur sur le caractère vraiment "progressiste" d'une telle théologie (où la Propriété privée est le Droit inaliénable car elle est le Don de Dieu). Il est très attaché à montrer que la "droite" n'est pas libérale (au sens où elle est plutôt oligarchique) mais c'est négliger qu'à l'inverse, le libéralisme (quel que soit le discours révolutionnaire sur la destruction créatrice et ce "mobilisme" perpétuel) s'adapte toujours bien mieux avec cette "droite" qu'il juge si décevante. Cela a l'avantage d'être très paradoxal mais j'ai du mal à comprendre comment on peut aussi obstinément prétendre s'opposer courageusement aux oligarchies étatiques sans voir qu'on sert directement d'autres oligarchies qui pourraient être plus puissantes et qui ont un intérêt plus immédiat à financer la diffusion de telles théories. Ces libertariens peuvent bien dire que leur critique de la Monnaie fiat est en fait révolutionnaire aussi contre la financiarisation de l'économie, ils ne voient aucune contradiction à être des mercenaires de ces financiers.

    Curieusement, l'école marxiste la plus "radicale" que je connaisse (dans son rejet de la valeur travail ou de la fonction du prolétariat comme sujet historique), la Critique de la valeur, semble au contraire rejeter le procès de diabolisation de tous les partis contre la financiarisation (elle ne serait pas la cause de la Crise ni son accélération mais simplement une réaction face à ces Crises) et à l'inverse elle critique ce qu'on peut appeler le "progressisme" de Marx comme un de ses préjugés du XIXe siècle.

    Mais un point commun entre ces deux courants des anarcho-capitalistes et des marxiens critiques est la méfiance envers le concept même de "néo-libéralisme" ou de "capitalisme tardif", la financiarisation étant pour les deux non pas une évolution du capitalisme mais plutôt déjà son antithèse (que ce soit pour le constater ou pour le déplorer). Un second point commun relatif serait sur la question de la judéité : le pamphlétaire libéral Leter réduit Marx à un judéophobe à cause des passages de la Question juive et certains auteurs de la Wertkritik comme Robert Kurz et Moishe Postone ont une tendance à identifier dans la critique de la financiarisation un lien avec le complotisme antisémite.

    jeudi 14 janvier 2016

    La tolérance a plusieurs maisons


    Nos amis les "Unitariens Universalistes" (les théistes les plus "ouverts" du monde puisqu'ils en arrivent à ne plus avoir de dogme en dehors de leur lien social - ce qui en devient presque suspect comme dépouillement de la religion) font remarquer que c'est le 448e anniversaire de l'Edit de Torda en Transylvanie (1568) qui accorda la tolérance religieuse en Hongrie pour quelques temps (tolérance garantie pour Catholiques Romains, Luthériens, Calvinistes et Unitariens, tolérance de facto pour les Chrétiens orthodoxes (majoritaires), les Juifs et les Musulmans). Les Unitariens disent que ce texte qu'ils sont fiers d'avoir inspiré fut le premier texte aussi "oecuménique" de l'histoire moderne (Wikipedia fait remarquer que le texte protège les prêcheurs et les congrégations mais pas les individus et la liberté de conscience en général). Mais l'Edit fut vite annulé par le nouveau voïvode István Báthory (un lointain cousin de la célèbre Elizabeth des romans gothiques) qui prit le pouvoir en 1571 (et qui fut un souverain catholique relativement "tolérant" quand même pour cette période, en protégeant par exemple les Juifs de Pologne).

    Mais même Catherine de Médicis avait signé l'Edit de Saint-Germain (janvier 1562, donc six ans avant l'Edit de Torda). C'était aussi une tolérance, certes très limitée pour les Huguenots : ils obtenaient le droit de se réunir mais seulement à l'extérieur des villes et en restituant les anciennes églises catholiques. Paradoxalement, c'est ce début de tentative de conciliation qui va déclencher les Guerres de Religion : la Ligue des Guise va considérer qu'on a trop cédé aux Protestants (et vont commencer les massacres) et les Réformés vont refuser de rendre les lieux de culte et les vandaliser.

    Add. J'avais cité il y a un an le passage d'Utopie (1516) où le catholique Thomas More utilisait un argument de tolérance théiste où l'Être divin ineffable veut être adoré dans la multiplicité.

    Mais cette tolérance d'Utopia ne vaut que pour les théistes. Les athées, eux, et tous ceux niant l'immortalité de l'âme (par exemple les Epicuriens, qui ne sont pas exactement "athées" en un sens, mais aussi les Aristotéliciens), même s'ils n'étaient pas punis physiquement (ce qui est certes un grand progrès par rapport aux Lois 909a-910c de Platon qui préconise encore la peine de mort pour athéisme), devaient être déchus de leurs droits civiques : quelqu'un qui ne croit pas en l'immortalité de l'âme ne peut bien entendu pas tenir un serment ou signer un contrat et il est donc un péril pour la Cité Parfaite.