vendredi 31 mai 2013

[ORPGAD] Retour à Carse




oie Umu0 PWl3 Ploq"Obscure" RPG Appreciation Day!

Comme Brett Slocum a commencé une présentation des cités de Midkemia comme Tulan, je vais revenir sur le cas de la Cité de Carse (qui se trouvait dans la campagne originelle au nord de Jonril et de Tulan) dont je parlais le mois dernier. La ville était dite sur la couverture de 1980 "prévue pour D&D, C&S ou Runequest"

Toute l'intrigue de cette ville côtière de Carse (créée par Stephen & April Adams) est fondée sur une opposition à la fois ethnique, sexuelle et religieuse.

Les Anciens, peuplade humaine qui a fondé la forteresse, étaient une société matriarcale qui adorait surtout Killian, la Déesse de la Mer (et plus largement des Cycles de la nature).

Mais depuis des années, Carse a été conquise et colonisée par un nouveau peuple venu du sud, patriarcal, qui apporta son propre panthéon d'Astalon, Dieu du Ciel et de la Justice. Ce n'est pas vraiment précisé mais il semble plus rigide et plus sexiste que le culte "indigène". [En terme de D&D, Kilian est décrite comme Neutre et Astalon comme Loyal.]

Il y a d'autres habitants, notamment des marchands venus de lointains désert dans le quartier du Caravansérail (W).


Le Baron actuel de Carse, Bogardis IV Almareth, descend de ces nouveaux conquérants et le pouvoir politique est détenu par les Maisons de ces colons. Mais le Baron Bogardis a épousé une noble du peuple indigène, Dame Winona, qui tente d'agir pour restaurer l'autorité traditionnelle de la Déesse Kilian et des femmes qui la servent. La Baronne Winona est membre de la société secrète féminine Sharwen de l'Ancien Peuple, et d'ailleurs sa mystérieuse soeur jumelle (dont Bogardis ignore l'existence) Serena est la dirigeante de cette secte. Elles ont plusieurs agents et intrigantes dans la Cité, depuis le Lupanar de Madame Margala (J6), à la maîtresse de Malac, le Prêtre d'Astalon (C18). Mais le Culte de la Déesse de la Mer (D10) refuse de soutenir les opérations du Sharwen.

Mais à l'inverse, le Baron Bogardis ignore aussi que plusieurs des dirigeants parmi les colons et l'administration urbaine (le Bailli et l'Assistant du Chambellan notamment) appartiennent à une autre société secrète, la faction du Poing de Fer, dont le but est d'imposer la domination coloniale contre les Anciens et contre leurs moeurs plus "libéraux" sexuellement. Le Poing de Fer désapprouve les ouvertures du Baron envers les Anciens et déteste la nouvelle épouse du seigneur. Le Poing de Fer se réunit à l'auberge de la Sirène de Bronze (A4 - Il y a une vingtaine d'auberges à Carse).

L'organisation discriminatoire domine aussi tout le travail dans les Docks de Carse si vous voulez vous rejouer la Saison 2 de The Wire en version heroic fantasy.



Deux autres guildes sont des factions politiques importantes qui se superposent sur la haine entre Sharwen et Poing de Fer. Il y a d'abord la pègre locale ("La Guilde des Moqueurs"), qui a certains liens avec le Sharwen. Une autre force discrète est la petite Guilde des Mages (K4), dont le but occulte de certains membres extrémistes (la Confrérie de Dalshra) est de renverser le Baron et son armée, et d'installer une "magiocratie" à Carse. Le chef de la Guilde, Zelhilde, n'est pas du tout en réalité le meilleur Mage de la ville. Sagrath, le Magicien du Baron, n'est pas membre de la Guilde, et vit au Château.

[En passant, le supplément n'explique pas en détails une distinction du monde de Midkemia entre "Magie de la Voie Inférieure" (Lesser Path, qui a l'air d'être en gros la magie primitive et moins érudite, le Shamanisme, Druidisme et les Sorcières indigènes) et la "Magie de la Voie Supérieure" (Greater Path, la Haute-Magie hermétique habituelle). Cela donne une division intérieure dans la Guilde des Mages car on ne peut pas apprendre les deux voies, les GP méprisent les LP, même si Thormold, un des meilleurs GP est l'amant de la sorcière Wilona, une LP.]

Adapter Carse/Karse à Glorantha

Cela n'est pas très difficile comme Karse est censée se trouver aussi dans le Pays Saint de Kethaela,

Voir par exemple ce détail de cette carte en français du Pays Saint.


Tom Zunder avait modifié la dynamique Anciens/Envahisseurs en faisant simplement des Anciens des Orlanthis et des Envahisseurs des Lunaires. Dans la version de Joerg Baumgartner, les Anciens deviennent des adorateurs de Pelaskos le Pêcheur et Choralinthor la Baie des Miroirs, mais comme il l'ajoute, il faut aussi garder la dynamique sexuelle. Il faudrait donc insister sur des influences esroliennes de la déesse Ketha pour remplacer la déesse "Killian", voire des influences éventuellement troll matriarcales du Plateau des Ombres (et Kitori ?), ou bien de Triolina, déesse des bêtes marines. Les "Envahisseurs" peuvent être alors de culture Heortienne plus aeolienne (l'hérésie hénothéiste) au lieu d'être des Lunaires qu'on a déjà dans tant d'autres cités du coin.

Le Dragon Pass: Land of Thunder. A Gazetteer of Kerofinela (2003) p. 36 décrit un peu plus cette Karse.
Ancienne cité portuaire du Pays d'Héort. C'est le principal point d'arrivée pour les marchandises pour Sartar ou Tarsh. Elle est à l'embouchure de la rivière Marzeel (qui descend de la Montagne de Marche-Tempête et des Bois Trolls des Kitori, naviguable seulement à partir du Gué de Vinga). On trouve encore les ruines d'une ancien emplacement abandonné depuis plusieurs siècles sur l'autre rive avec une forteresse sur la colline.
La nouvelle ville fut fondée à l'époque de l'Empire des Amis des Wyrms et elle prospéra pendant des siècles. Mais la ville fut frappée par le désastre quand la Passe des Dragons devint infranchissable et quand la Clôture des Océans déssécha le commerce maritime au XIe siècle. Il ne restait plus qu'une communauté de pêcheurs blottie sous la grandeur déclinante de leurs ancêtres. Après la Recolonisation de la Passe, le Pharaon encouragea les gens à se réinstaller dans la "Baronnie de Karse" pour fournir une route de Sartar vers la Baie de Choralinthor. A la Réouverture des Mers (1581), Karse connut à nouveau un essor. En 1619, l'Empire lunaire captura la Cité par surprise. Des troupes venues de Corflu en Prax débarquèrent sur la côte et la ville fut encerclée à la fois par la mer et la terre. 
Pourquoi avoir mis une autre ruine urbaine à côté ? Cela distingue en tout cas cette Karse gloranthienne de la Carse de Midkemia. Je ne pense pas que ce soit une allusion volontaire à la Karse créée par Paul Jaquays et qui est maintenant dans les Royaumes Oubliés.

[ORPGAD] Les Marches de Malkut (1)

oie Umu0 PWl3 Ploq"Obscure" RPG Appreciation Day!


Castelli & Chimere a un message intéressant sur la réimpression de "Chevalier" (le brouillon de 1976 de ce qui devint ensuite Chivalry & Sorcery I).
Comme j'avais proposé de développer pour C&S un milieu de campagne inspiré de certaines versions du Prêtre Jean (ce qui a déjà été fait au moins deux fois dans les jeux de rôle, que ce soit une fois pour Ars Magica et dans cette campagne de Pentexoire), voici un premier jet.


Quand ?
"Je suis parti au Royaume de Zazamanc sous le Pontificat de Notre Saint Père Innocent, Frédéric étant Empereur des Germains et Roi de Sicile, Louis le Lion étant Roi de France et Jean Sans-Terre Roi d'Angleterre. Nombreux se croisaient alors à travers toute la Chrétienté, comme ils l'avaient fait pour reprendre la cité de Constantinople aux hérétiques grecs, pour conquérir les terres païennes du Nord ou pour marcher contre les hérétiques albigeois. Mais le Saint Sépulcre est toujours sous les mains infidèles depuis l'échec de la Croisade des Rois Philippe et Richard. Les Princes d'Acre et d'Antioche sont environnés d'ennemis. Plusieurs Monarques dont l'Empereur, le Duc d'Autriche et le Roi de Hongrie sont en train de préparer un grand Ost pour reprendre l'Egypte et ensuite la Terre Sainte.



Où ?
J'étais mandé dans ces Terres Lointaines, pour savoir si nous pourrions avoir le soutien de ce Royaume chrétien au-delà de l'Outremer et de la Perse.

Mais apprenez d'abord, Monseigneur, que le Prêtre Jean, bien qu'il ait de Saintes Reliques en sa garde, est lui aussi sous un parfum d'hérésie. Il a suivi l'erreur de Nestorius que Notre Dame n'a accouché que de la nature corporelle du Christ et non pas aussi de sa nature divine, comme me l'ont appris les Moines de Géorgie, qui eux reconnaissaient le Concile d'Ephèse.

Les Montagnes du Caucase avaient été la voie la plus aisée pour contourner non seulement les Seljuks, mais aussi les armées de l'Empire de Trébizonde qui sont hostiles envers les Latins. Dans ces Montagnes d'Asie se trouve plusieurs grandes Reines là où avait vécu Thamyris des Scythes : la Reine Tamar, descendante du Roi David, qui dut épouser un Khan des Alains, et la Reine Isabelle de Cilicie et Albanie-Mineure [en fait, région arménienne].  La Perse, de l'Hyrcanie à Samarcande, est sous le contrôle des Chorasmiens, qui ne sont pas de la même secte mahométane que les Seljouks. Mais ces Chorasmiens sont eux-mêmes en guerre avec un autre tyran des Infidèles, le Vieux de la Montagne, un Thaumaturge qui prétend détenir comme Enoch la Clef du Vrai Paradis et qui vit dans un endroit appelé le Mont de la Mort [une des étymologies fausses pour Alamut].

Qui ?
Comme on le sait, le Prêtre Jean est un titre héréditaire qui vient de la Maison de Feirefiz, fils du chevalier Gahmuret, dont on dit que son Heaume, Adamant, le rendait invincible, et qui portait comme armoiries une Ancre marine. Cette Maison de Feirefiz, le Chevalier à la peau de damier, a fait abstinence et redevenue chrétienne même si ce n'est pas le cas de tous ses sujets entre la Perse et les Indes.

Le Prêtre Jean a divisé le Zazamanc en dix domaines. Le premier, frontalier et en guerre avec les Chorasmiens, s'appelle les Marches de Malkut. Jean y avait autorisé un potentat hyrcanien mais depuis quelques temps, les Marches sont en réalité dirigées par l'Ordre Militant des Chevaliers au Cygne.

Le Patriarche Jean a en effet fort à faire à l'est contre la Horde du Grand Khan de Cathay, dont les cavaliers sont aussi nombreux que les étoiles. En sa capitale de Kether, on dit qu'il garde encore le corps intact de l'Apôtre Thomas le Jumeau ainsi que la Sainte Ceinture de Notre Mère Qui Dénoua les Liens d'Eve et permet de remonter vers l'Arbre de Vie.

Pndapetzim
La principale cité des Marches de Malkut, qui ouvre les portes du Royaume de Zazamanc, est Pndapetzim. La Cité eut longtemps pour tradition d'avoir des Satrapes monstrueux, comme l'Oiseau Simourgh ou le Dragon Aži Dahāka car on disait que le Siège du Satrape, appelé le "Trône d'Otanes" dévorait "tout Humain qui se prenait pour un Maître d'Hommes". C'est pourquoi les satrapes furent plutôt des bêtes intelligentes, cynocéphales, lycanthropes, égipans, pygmées ou bien parfois de rares Démocrates.

Le Gouverneur officiel s'appelle en ce moment le Vice-Diacre Jean. Mais nul n'ignore qu'il doit laisser le pouvoir aux Chevaliers étrangers qui sont devenus Empire dans son Empire.

L'Ordre des Chevaliers au Cygne
On raconte que le premier Chevalier au Cygne fut un fils du démon Poséidon, blanc comme l'écume, et qui avait reçu de son père le Heaume d'Invulnérabilité. Achille, fils d'une Néréide, qui ne pouvait percer sa peau blanche, l'ensevelit finalement sous des rochers jusqu'à l'étouffer.

Le Heaume passa ensuite à la reine des Amazones Penthésilée mais cette fois, Achille tomba amoureux de ce Heaume et ne la tua de même manière que lorsqu'elle se refusa à lui. C'est pourquoi Penthésilée fut la première Chevalière au Cygne.



Ensuite, on dit que lorsque le roi Lothaire, alors qu'il chassait un Cerf blanc, tomba amoureux d'une fée nommée Elioxe, elle lui donna six garçons et une fille. Mais la mère de Lothaire voulut noyer ces enfants-fées et ils se transformèrent en six cygnes. Lorsque leur soeur réussit à retrouver la chaîne d'or qui leur rendrait leur vraie forme, un seul fils nommé Hélias ne put changer sa forme.



Perceval, le Chevalier du Graal et demi-frère de Feirefiz, eut un fils avec Blanchefleur nommé Lohengrin et ce fut lui, avec le Cygne Hélias qui guidait son navire, qui vint sauver Elise de Brabant. La fille de Lohengrin, Ida, fut l'ancêtre de la Maison de Bouillon qui devait devenir Rois de Terre-Sainte. Le Prêtre Jean, fils de Feirefiz, est donc cousin de cette Maison brabançonne.

Bien des Ordres de Chevaliers furent créés en notre siècle, comme l'Ordre des Chevaliers de la Maison de Sainte-Marie-des-Teutons-de-Jérusalem [Chevaliers Teutoniques] ou bien au nord l'Ordre des Frères Porte-Glaive du Christ-en-Livonie autorisé par notre Saint Père Innocent. L'Ordre des Chevaliers au Cygne est moins étendu et a fondé sa Commanderie ici dans l'Orient, dans les Marches de Malkut.


Quelques personnages des Marches :

1 Geraint au Heaume, héritier de la Maison des Cygnes.
Chef actuel de l'Ordre dans les Marches de Malkut. Son prédécesseur, Balean est mort dans des conditions mystérieuses et Geraint est persuadé qu'il a été assassiné par le Vieux de la Montagne. Devenu paranoïaque et imaginant des Assassins partout, Geraint porte le Heaume Adamant en permanence, ce qui a créé la rumeur qu'il aurait été défiguré et rendu monstrueux par une malédiction. Dès qu'il dort, il se demande si le Heaume a été remplacé. Mais surtout, il ignore si le Heaume peut aussi le protéger du poison, ce qui le rend encore plus inquiet. Il se méfie désormais de son ancien ami Cynien, dont il pense qu'il veut prendre sa place, et commence même à éviter ses frères Gligoil le Bel et Giréflain.

2 Cynien le Sénéchal
Assistant de Geraint et excellent combattant. Il pense que Geraint est en train de perdre la raison. Une rumeur malveillante dit qu'il aurait déjà volé le Heaume d'Invulnérabilité, alors qu'il veut seulement préserver l'Ordre. Il déteste Durnudd, qu'il soupçonne de déloyauté, voire d'être un agent infiltré par le Vieux de la Montagne. Il est épris de celui qu'il croit être son écuyer "Orévain". Il engage souvent des aventuriers pour enquêter dans les Marches de Malkut.

3 Durnudd le Goliath
Durnudd aurait aussi du sang de Géant ou de Nephilim de Gog et Magog. Il est d'une extrême laideur mais d'une grande Foi, dévote et superstitieuse. Il porte de nombreuses médailles de Saints et de la Vierge. Il est honnête, malgré son intransigeance contre les Nestoriens. C'est un ami fidèle de Gligoil et un ennemi de Cynien, qu'il considère comme un hypocrite.

4 Gligoil le Bel
Petit-frère de Geraint. Il a prononcé plusieurs voeux monastiques, sous l'influence de la foi de son ami, le Géant Durnudd. Mais il est aussi devenu secrètement amoureux d'une Péri (fée perse), Dinéane, dame de compagnie d'Esclarmonde. Ils ont des rencontres secrètes dans le Jardin de l'Arbre sec. Gligoil peut aussi communiquer avec un Cygne blanc nommé Mélarme, ce qui le désigne comme un des élus de l'Ordre.

5 Giréflain du Jardin
Dernier frère de Geraint, connu pour son goût pour l'herboristerie. Moins pieux que Gligoil et Durnudd, il a aussi développé une vulnérabilité pour une drogue hallucinogène que lui apporte une espionne du Vieux de la Montagne nommée Héliagreste. Le plan de cette dernière est de charmer Giréflain pour obtenir les informations dont il a besoin sur Geraint et sa famille.

6 Dame Vénéore / "Orévain" l'Ecuyer
Noble hyrcanienne et héritière d'une tradition de vierges guerrières, elle s'est fait engager comme écuyer de Cynien le Sénéchal sous le nom d'Orévain. Elle est tombée amoureuse de Gligoil le Bel. Elle a repéré les agissements d'Héliagreste autour de la Maison des Cygnes, qui vient visiter Giréflain et elle est devenue jalouse en imaginant qu'elle serait la maîtresse secrète de Gligoil.

[ORPGAD] Capsule Review of Légendes Celtiques (1984)

oie Umu0 PWl3 Ploq"Obscure" RPG Apprectiation Day!

Since the Catacomb Librarian expressed interest in Légendes celtiques, this is only another (badly translated) version of the French presentation I wrote last year. Please correct any mistakes.


Légendes celtiques (1984) was the second French RPG (1984, after The Ultimate Challenge). It was clearly supposed to be a "simulationist" game and may have been inspired by some FGU games, like BushidoDaredevils or Aftermaths!

A Unified System
The Légendes rules are all based on the same system: you have to roll low under your score (your Ability, your Skill or your Spell Level) with a d20. Difficulty is a modifier to your basic score. The Margin of Success is the difference between your score and what you rolled. "01" is a Critical Hit and "20" is a Fumble.

There were two parts: (1) Generic (Fantasy) Rules and (2) Civilization books which included setting-appropriate Skills and Spells, but Jeux Descartes published only a few sourcebooks (Celtic, Arabian Nights, and later for the simplified edition, another edition of the Celtic setting, Arthurian Knights and Ancient Egypt). There was also an unofficial, fan-produced Greek pseudo-historical setting (Légendes des Cités).

A Complex Character Generation

The main problem with the Légendes rules was Character Generation. It may take even longer than Space Opera. HârnMaster is very similar.

Character Generation mixes some randomness and allocation of points. There are 8 Abilities (Aura, Coordination, Endurance, Intelligence, Sanity, Speed, Strength, Will, you may allocate 70 + 6d10 points, minimum is 5, maximum is 20) and 8 General Talents or Areas of Expertise (Art, Communication, Faith, Fighting, Magic, Mechanics, Nature, Perception). Perception is divided in five different senses, plus a Sixth Sense.

There are many derived characteristics, like Fatigue and Breath (roughly Hit Points and Stress: you gain Breath Points when you are shocked, left breathless, injured or exhausted). If you lose too many Fatigue Points or if you are wounded, all your abilities and your skills will decrease proportionally. There are 3 "thresholds" before coma (-25%, -50%, -75%). It means that wounds can start a "Spiral of Death" effect where you become less and less able to defend yourself.

Then you buy Skills with a different set of Skill Points. The charts for each Skill are in the setting sourcebooks. The list is quite fine-grained (the Character Sheet is 4 page long). Each Skill has a cost which is proportional to a few related Abilities and/or Talents. A character with a low Coordination, low Strength, low Fighting Talent could try to improve a Weapon Skill but it would be costly. There were no Character Classes but some Professions were defined by a list of relevant Skills.

Contrarily to many other early RPGs like RuneQuest, beginning characters could be quite knowledgeable (but Magicians had less Skills since they had to learn Spells). On the other hand, experience was really slow.

Combat
Combat is based on the same system as Skills, with one roll. You do not roll for damages, damages are proportional to your Margin of Success when you hit. On average, a skilled fighter is therefore more likely to cause more damages. But it is not always linear, each weapon skill has a different chart to calculate damages.

There is another optional roll for Hit Location, which is more detailed and may be more lethal than RuneQuest.

There are a few tactical options, like the speed of your attack (the faster you act, the less precise you are). You can choose to parry (passive defence, a modifier to your opponent's score) or to dodge (you cannot strike next turn).


Magic
Spells are essentially learnt like Skills (once again, it is the same as in Bushido). In the Celtic sourcebook, Druids, Magicians, Doctors, Bards (& Jesters) could all devote time to learn Spells. The Arabian Nights guide has even more Colleges (Greek Elementalism, Egyptian Alchemy, Jewish Kabbalah, Arabian Djinn-Summoning...).

Each Spell is ranked in a Spell List (which is called a "Phylum") where you are supposed to learn lower Spells before you can learn more advanced versions (like in RoleMaster or in GURPS). Some mundane Skills are also prerequisite. For instance, you need a minimal score in the Animal Handling Skill to cast Animal Control.

Magic is a dangerous art and it is the most difficult section of the rules, with even more acronyms and derived attributes and equations. You need time for your ritual and some Spells are not suited for combat. In fact, you are often supposed to prepare a Spell beforehand to be able to cast it later. You also need a few rare Material Components which are specified in the Spell Description. For instance, you need a feather of eagle, a branch of birch, a pinch of verbena and some copper to cast Fly. Then you roll a d20. If you fumble, the Spell can backfire.

Fatigue cost is inversely proportional to your score: the better you know the Spell, the less tiring it becomes. The effect of the Spell is proportional to your Margin of Success after you succeed, like damage in the combat rules. That makes Magic really unpredictable. When you cast "Wind", you never know if you get the storm you expected or only a gentle breeze.

There are a few options I would not recommend, like that frustrating rule where another Wizard could "steal" the Mana of your Spell if he recognized it before you had finished your ritual.

Conclusion
Légendes was created by a committee. One of the designers, Guillaume Rohmer, co-created the narrativist Gothic Horror game, Maléfices, maybe because he wanted to avoid the complexity of Légendes. Another author, Philippe Mercier, created Féérie, which is unfortunately very difficult to find.

There were a few modules for Légendes celtiques and Légendes des Mille et Une Nuits, and even a simplified edition ("Premières Légendes", 1987). The RPG has been out-of-print since the 1980's and I don't even know who owns the copyrights now.

I've already mentioned a few problems. Légendes used too many acronyms. In fact, I've never seen a RPG which is more in love with acronyms. Character Generation was too long but it could be improved by a computer program. You really needed the 4-page detailed Character Sheets if you didn't want to use many charts and slow down the game.

But in spite of this simulationist complexity, Légendes was impressive. There are few games that can cause this impression of immersion. Légendes is very consistent and logical. It's also really fun.

Nous interrompons nos programmes ludiques pour un bref message de tératologie politique


Ce blog s'est progressivement dépolitisé avec la victoire d'Obama au pays de John Wayne et de François Hollande au pays de Gérard Depardieu (je suis trop malhonnête intellectuellement pour jouer à les critiquer, quels que soient leurs défauts).

Mais il faut signaler une perte pour toute comédie sur la politique américaine :  Mme Michele Bachmann, représentante de la 6e circonscription du Minnesota (St-Cloud, nord de la capitale de St-Paul), a annoncé qu'elle irait après les élections de novembre 2014 chercher plus d'argent dans la Ressentimentosphère médiatique qu'au Congrès.

Comme a dit The Onion, "C'est Dieu qui veut que je gagne un salaire à sept chiffres dans le lobbying".

On disait jadis que la politique américaine était du show business pour les gens trop moches pour faire du cinéma, mais à présent avec Bachmann ou Palin, c'est devenu du télévangélisme pour les dingues assez télégéniques pour ne pas rester dans une simple secte locale. Michele Bachmann, fiscaliste libertarienne et fondatrice de mouvements contre l'école publique (qui corrompt la jeunesse), était la synthèse de tout ce qu'il y a de dérangé à la droite du Parti républicain depuis que la Révolution reaganienne a détruit toute l'aile modérée du vieux Parti de Lincoln.

Il y a chez TPM une brève anthologie de quelques propos paranoïaques qu'elle a tenus (comme "répondre au recensement risque de vous faire envoyer en camp d'internement", "se faire vacciner risque de vous rendre attardé mental" - ils ont oublié le célèbre "Le FMI cherche à remplacer le Dollar par une Monnaie Cosmopolite du Nouvel Ordre Mondial", ou bien "Les Frères Musulmans ont commencé à infiltrer le gouvernement américain - et même le Parti républicain !". ).

Heureusement, le GOP garde tout son potentiel pour fournir bien d'autres fous dangereux. Même nos médiocres Guillaume Peltier peuvent difficilement faire pire qu'un vrai prédicateur sudiste ou un fou d'armes à feu texan.

lundi 27 mai 2013

Lundi, c'est Luise

L'artiste Luise Perenne est l'épouse de Steve Perrin, le créateur de RuneQuest, et ils se sont épousés à la Society for Creative Anachronism de Californie en 1968 (An II Anno Societatis, on a d'ailleurs encore des photos de leur mariage en costume, sous les noms de "Stefan de Lorraine" et "Luise du Phénix" sur le site du "Royaume d'Occident"). Ils viennent donc de fêter leurs Noces de Vermeil cette année (mais on appelle cela "Sapphire Anniversary" en anglais).

Elle a illustré de nombreux suppléments chez Chaosium, mais elle a aussi accompagné son mari quand il partit en auteur indépendant chez d'autres éditeurs (par exemple sur le module N5 Under Illefarn, 1987, où elle fait un portrait de tous les personnages non-joueurs de Daggerford).

Son style me semble souvent imiter plus celui de gravures du début du siècle que la fantasy habituelle. Voilà une de mes illustrations favorites (dans le chapitre de RuneQuest 1979 sur le Chamanisme, p. 43) :


dimanche 26 mai 2013

The Obscure RPG Appreciation Day

oie Umu0 PWl3 Ploq
The Catacomb Librarian created this Blog Carnival for the end of the month: the ORPGAD.

You have to blog about a Fantasy RPG published between 1975 and 1989. I don't own really obscure RPGs like what The Catacomb Librarian collects, but obscurity is relative and for the purpose of that day, it means roughly anything but D&D.

I will try to write something around May 30th/May 31st but the Post will probably be in French since I am not confident enough to write in English.

Du nouveau pour Superhero 2044

Superhero 2044 (le tout premier jeu de rôle de superhéros, 1977, d'ailleurs inspiré en partie par la Légion des Superhéros) vient de recevoir ce qui doit être sa première extension (36 ans après) par son auteur Donald Saxman sur le blog Thoul's Paradise, avec un début de liste de superpouvoirs très abstraits. La première édition avait en effet un univers et même quelques PNJ mais n'avait pas osé donner de liste précise de pouvoirs, contrairement à ses successeurs Villains & Vigilantes ou Champions. Perdustin donne aussi une interview de l'auteur.

mardi 14 mai 2013

[Comics] Long Live the Legion!


Oui, la Légion des Superhéros va être à nouveau arrêtée par DC. Via MGK

La Légion des Superhéros, groupe à part dans son contexte de Science-Fiction, a une réputation de complexité. Cette image la place dans un piège dangereux depuis au moins vingt ans (le premier Reboot de 1994, une révision assez radicale en 2000, un second Reboot de 2004).

Soit elle tente de continuer ses anciennes histoires et ellle conserve alors sa réputation d'être incompréhensible en raison de ses douzaines de personnages (bien que les X-Men continuent d'être un succès en ayant encore plus de membres et de paradoxes temporels).

Soit elle tente de rompre avec son passé, ce qui a généralement pour effet de faire perdre plus d'anciens fans sans en attirer assez de nouveaux.

DC Comics ayant toujours oscillé dans ses stratégies, comme la tentative actuelle de néo-classicisme et de retour à la version pré-reboot a encore échoué, ils vont sans doute aller vers de nouveaux reboots pour 2014, comme tous les dix ans... En attendant, on parle d'une "Justice Legion" (pour capitaliser sur le succès de la Justice League).



(Bon, on ne leur demande pas nécessairement de conserver l'intégralité de la version classique comme la Légion des Super-animaux)

Je vais radoter et reexpliquer pouquoi la Légion est un peu à part dans les comics de superhéros.

La SF populaire américaine est née en partie avec John Carter (1912), humain normal qui devient un surhomme en étant plongé dans un autre monde exotique. Ce modèle fut imité dès la toute première bande-dessinée de science-fiction, Buck Rogers (nouvelle en 1928, bande-dessinée en 1929, il est envoyé dans un lointain Futur) ou Flash Gordon (1934, il part vers une lointaine Planète).

Superman (1938) est l'inversion de ce modèle de John Carter, avec un héros inhumain, anormal, plongé dans un environnement quotidien, banal. Le superhéros n'est plus un conquérant de l'Autre Monde, mais l'irruption de l'Autre Monde dans le nôtre. Le modèle profondément colonial de la SF (nous devons aller exploiter les autres mondes ou les "sauver") commence une crise. C'est Superman qui pourrait nous coloniser comme John Carter pacifiait les indigènes martiens, mais il se dévoue à la démocratie en crise contre l'idéologie du Surhomme.

La Légion des superhéros (1958 - mais il y a des précédents dans la SF de l'Âge d'Or comme les Lensmen, modèle du Green Lantern Corps, ou la Légion de l'Espace, tous les deux de 1934), qui se déroule au XXXe siècle, est la synthèse de ces deux modèles. Ce ne sont plus des humains auxquels on s'identifieraient, ni des personnages isolés dans un contexte normal, ce sont des héros inhumains dans un cadre exotique de science-fiction où c'est maintenant leurs super-humanité qui est devenue banale, d'où ce vertige où l'anormal devient le quotidien. Ce fut le premier comic-book de superhéros à insister sur cette distanciation totale avec tout environnement réaliste pour constituer son propre univers séparé.



Au fur et à mesure, tous les univers de superhéros (même Marvel, censé être un peu plus "réaliste" au départ) se sont écartés de notre réalité au point qu'on peut même se demander s'ils peuvent encore avoir vraiment une fonction de métaphore comme ils ont une tendance à devenir absorbés par leurs propres références internes. Mais dans le cas de la Légion, cette distance (temporelle) définissait le projet depuis le début. A chaque fois qu'ils veulent gommer cette distanciation en mettant les Légionnaires dans le Présent, on voit qu'ils n'ont pas compris la fonction même de leur comic.



Et une petite REDIFF (message du 21 Mai 2007) :

BECAUSE YOU DEMANDED IT!


THE CLASH OF THE MILLENIUM!!


THE LEGION OF SUPERHEROES
C'était aussi la couverture du supplément pour le jeu de rôle DC Heroes.

VS

Le PETIT PRINCE
Ok, pourquoi, moi ça me fait vraiment rire ??

Oui, je crois bien que Gim Allon (Colossal Boy/Leviathan) est en train de piétiner la Rose.
Tant mieux, ça lui fera les racines à cette pimbêche.
Qu'il essaye donc, ce monarque monadique, de demander à Lone Wolf de lui dessiner un mouton.
Princess Projectra ou Saturn Girl peuvent le noyer sous une illusion d'un océan d'ovidés. Chameleon peut devenir un Mouton Géant Norstrilien, et qu'il essaye donc d'apprivoiser ça.
Element Lad peut transformer tout son planétoïde en inertron pour qu'on comprenne enfin sa stabilité, et Starman pourrait même transformer cet astéroïde à la gravité ridicule en un Trou noir.

Ah, ah, ON RIT MOINS, Môssieur le Roitelet -Autoproclamé- Extraterrestre Horticole qui vient harceler nos aviateurs égarés de Sol III.

lundi 13 mai 2013

Lovecraft & le Mythe Ouvert



Un argument intéressant (via) de Jess Nevins (le célèbre annotateur érudit de League of Extraordinary Gentlemen) : H.P. Lovecraft dans les années 1920-1930 n'est pas seulement avec le "Mythe" un auteur d'horreur "sécularisée" athée où les formes de vie d'un univers amoral remplacent les anciennes craintes théologiques, il est aussi le premier auteur de fantasy/horreur/science-fiction à rendre son univers "ouvert" aux fans et aux lecteurs (lui-même va d'ailleurs cannibaliser des oeuvres antérieures comme Robert W. Chambers).


Lovecraft was the first author to create an open-source fictional universe. The crossover, the meeting between two or more characters from discrete texts, is nearly as old as human culture, beginning with the Greeks if not the Sumerians. The idea of a fictional universe open to any creator who wants to take part in it is considerably newer. French authors like Verne and Balzac had created the idea of a single universe linked through multiple texts, and following them, the dime novels and story papers of the late nineteenth and early twentieth centuries had established the idea of ongoing fictional universes, but those universes were limited to magazines published by the original stories’ publishers. It was Lovecraft who first created a fictional universe that anyone was welcome to take part in. Both during his lifetime and immediately afterward, other authors made use of Lovecraft’s ideas and creations in their own stories and novels. Lovecraft’s generosity with his own creations ultimately gave them a longevity that other, better writers’ ideas and characters did not have.

L'idée est donc que Lovecraft n'a pas seulement été "pillé", il était déjà presque postérieur à l'idée moderne de propriété intellectuelle et favorisait lui-même la FanFiction. Il y a un lien essentiel entre la naissance de la science-fiction et la culture des Fans qui apparaît avec le Courrier des Lecteurs et les premières Conventions au début du XXe siècle. Le Roman gothique de la fin XVIIIe était une mode mais n'avait pas encore un fandom. La Fantasy moderne est aussi un medium collaboratif (malgré toutes les résistances compréhensibles à perdre le contrôle de son oeuvre, qu'on trouve par exemple récemment chez McCaffrey ou chez GRR Martin).

Même un futur auteur professionnel comme Fritz Leiber, quand il créa d'abord les aventures de Fafhrd et Gray Mouser, réutilisait le Cthulhu Mythos dans ses histoires, mais il raconte (si je me souviens bien) que Lovecraft lui dit que ses histoires seraient meilleures en étant un peu moins dérivatives, ce qui fait que Leiber retira les références. On comprend que Leiber, qui avait voulu mixer du Azathoth avec son Nehwon, fut un des rares auteurs classiques, avec Michael Moorcock, à soutenir ensuite la naissance du jeu de rôle. La présence du Mythos (avec les dieux de Leiber, ceux de Howard [Correction : Non, pas ceux de Howard] et ceux de Moorcock) dans la première édition du Deities & Demi-Gods était dans cette idée assez normale : c'était avant que TSR ne tente de retransformer ses créations en "propriété intellectuelle" à commercialiser.

Dr Who sur le prétendu "scandale" de Benghazi


D'habitude dans un scandale, on découvre une anomalie qui dévoile peu à peu une malversation qu'on voulait cacher. Ici, l'Industrie de l'Indignation du Parti republicain (les groupes de FOX ou du TEA Party) tente de fabriquer des suppositions sur des erreurs mineures (ooooh, le Département d'Etat a révisé une déclaration en désaccord avec celle de la CIA ! Destitution !) qui ne cachent aucune intention criminelle imaginable (sauf si on part déjà de l'hypothèse absurde qu'Obama a laissé volontairement se faire tuer un ambassadeur américain).

Le fait que le pseudo-scandale semble commencer à "prendre" rend très relativiste. Finalement, l'importance d'un fait dépend parfois vraiment du nombre de cris hystériques qu'il suscite indépendamment de son importance objective.

Note : Le phrase, très russellienne dans son esprit, est extraite de l'épisode The Face of Evil (Saison 14, 4e feuilleton, janvier 1977, écrit par Chris Boucher).

dimanche 12 mai 2013

[Comics] Dungeons & Dragons: Forgotten Realms 1-5

Il y a plus de 20 ans, en 1989-1991, Jeff Grubb (co-créateur des Royaumes Oubliés) et Rags Morales firent un comic-book chez DC Comics intitulé Forgotten Realms, l'histoire d'un équipage de vaisseau magique dirigé par le Mage Dwalimor Omen, avec Minder la Golem,  Priam Agrivar le Paladin, Fox Cardluck le Halfling et Vartan Hai Sylvar le Prêtre Haut-Elfe de Labelas Enoreth. C'était très réussi et je recommande l'album trade paperback qui a été réédité l'année dernière.

Il n'en va pas du tout de même ici hélas dans cette série de 2012 éditée chez IDW.

C'est écrit par Ed Greenwood lui-même, le créateur originel des Royaumes Oubliés, et dessiné par Lee Ferguson (même s'il est encré par le vieux et légendaire frère de John, Sal Buscema). Je ne m'éterniserai pas sur le dessin car les goûts peuvent varier. Mais je pense que même si le scénario avait été bon, cela aurait été quand même très laid et difficile à suivre avec de tels graphismes. Le rythme est souvent très mal articulé, avec des cases très répétitives de fuites identiques et ensuite des cases d'action qui sont expédiées ou bâclées à la va-vite. On a beaucoup de mal à distinguer les personnages (au point que j'ai cru à un changement de dessinateur), ce qui accroît encore la confusion.

Le scénario peut se recomposer en partie grâce aux résumés de chaque épisode. Nous sommes à Eauprofonde (et je présume que c'est à l'époque du "présent" officiel au XVe siècle Calendrier des Vaux, plus au XIVe). Les deux héros sont deux voleurs, un petit, Randral Daunter, et un grand, Torn "Steeleye" Telmantle. Ceux qui auront dit "Fafrhd et Souricier Gris" ont déjà deviné qu'on ne va pas vraiment battre des records d'originalité (si ce n'est que le plus grand, Torn Telmantle, est plus cynique que Fafhrd). Il est vrai que toutes les cités de jeu de rôle, que ce soit Greyhawk ou Eauprofonde, doivent énormément à Lankhmar.

La jeune Lady Talandra Roaringhorn (pour sa famille, voir la boîte de 1994, City of Splendors, Book II Who's Who p. 23, Villa N42 - ce qui correspond au n°145 dans la version Waterdeep & the North de 1987) a simulé son propre enlèvement. Mais là où cela se complique est que (1) son oncle Malric Roaringhorn, qui est au courant, veut en profiter pour se débarrasser de cette héritière du clan (et il semble lui-même manipulé par un marchand-magicien nommé Oljak si j'ai bien compris) ; (2) mais à son insu, une autre faction mystérieuse, Imbrar Salkyn (qui serait en réalité un mort-vivant ?), Blaeyz Glasgerd et un change-forme nommé Awngryth (allié d'Oljak ?) souhaitent aussi en profiter pour tuer les Roaringhorn et récupérer quelque chose qui s'appelle le "Moondar", qui n'est jamais expliqué.

Mais il y a tellement de silhouettes en capuches dont on ne voit jamais les visages que cela pourrait aussi bien être une BD monochrome en Noir sur Noir (ce qui est le cas dans certaines cases). Voir aussi ce Blog qui a tenté de déchiffrer ces intrigues incompréhensibles et arrive à la même perplexité. Greenwood n'a simplement pas su éclaircir les choses.

Randal Daunter et Torn Telmantle sont maudits par un fidèle de Tempus (le dieu faérunien de la Guerre) pour les forcer à faire tout leur possible pour sauver Lady Talandra. Leur motivation est donc uniquement au début cette malédiction.

En 5 numéros, les personnages courent. Ils courent beaucoup. Ils échappent à la Garde incompétente de la Cité d'Eauprofonde, aux gardes de la famille Roaringhorn, aux divers assassins à leurs trousses. Puis ils se retrouvent téléportés hors d'Eauprofonde dans un endroit nommé les "Domaines Fantômes" (The Ghost Holds), territoire abandonné dans le Val des Batailles au nord de la Sembie. Les Domaines Fantômes sont des forteresses en ruines avec divers Monstres Errants, brigands et quelques spectres (dont un qui s'est auto-proclamé le "Roi des Fantômes"). Et quand je dis "Monstres Errants", ce sont vraiment n'importe quoi d'aléatoire, des Trolls, des Drows, un Drake, un Coeurl (pardon, un Displacer Beast), ainsi qu'un Nain qui vient les sauver et disparaît.

(Une des plus grosses déceptions est la couverture du n°2, qui annonce un Beholder, la créature la plus caricaturale du jeu - et qui règne sur la pègre d'Eauprofonde. Mais ce Beholder est seulement un mannequin inanimé censé détourner d'un passage...)

Et là, au 5e numéro, faute de lecteurs peut-être, la série s'est arrêtée, dans la plus parfaite obscurité et sans aucune explication. Peut-être est-ce un arrêt brutal prématuré et improvisé avant le dénouement car cela se clôt sur une fin particulièrement peu satisfaisante.

Ed Greenwood a certains dons de minutie et de patience, il a aussi de l'imagination et de l'humour. Mais je dois avouer que mes préjugés augmentent encore contre ses scénarios. Non seulement il est l'auteur d'un des plus mauvais modules de l'histoire du jeu de rôle (le FRE1-3, qui est si dirigiste et raté qu'il ferait passer DragonLance pour un modèle d'ouverture et de liberté des PJ) mais les romans des Royaumes Oubliés qu'il a écrits ne sont vraiment pas parmi les meilleurs (je pense à son Spellfire, 1988). En dehors des Royaumes Oubliés, son monde de Castlemourn était vraiment très fade et sa série Falconfar ressemble vraiment à un Mary Sue de fanfic autoparodique écrit par un auteur professionnel (c'est l'histoire d'un auteur de fantasy qui tombe dans son propre univers).

A éviter, donc.

C'est presque un modèle de Comment ne pas faire une bande-dessinée de fantasy. Certes, les dialogues sont quand même moins pénibles que ceux des Chroniques de la Lune noire mais ce serait mettre le niveau très bas. Et au moins les Chroniques sont faciles à suivre.

En revanche, la série récente Dungeons & Dragons de chez IDW qui se déroule dans le Val de Nentir était nettement plus lisible et divertissante que celle-ci (même si on n'échappe pas à certains clichés) et l'Annual 2012 dans le monde Pulpfantasy d'Eberron (un whodunnit dans un train) se laissait lire avec plaisir.

La série Pathfinder chez Dynamite est horriblement mal dessinée (par Andrew Huerta) mais a au moins l'avantage d'inclure des notes sur le monde à chaque fois. J'ignore si ces notes sont reprises dans l'édition en album (un hardcover pour l'instant qui a repris les numéros 1-6) car il serait dommage que ce ne soit pas le cas.

vendredi 10 mai 2013

[Comics] The Olympians vol. 5 : Poseidon Earth-Shaker


George O'Connor est un créateur indépendant complet et depuis deux ans, il a commencé une série en 12 volumes sur les Dieux grecs (Pour l'instant, il a sorti Zeus, Athena, Hera, Hadès et Poseidon, le prochain sera Aphrodite). La série vise un public jeune (et je trouve parfois les questions de fin de volume un peu condescendantes) mais O'Connor est assez scrupuleux dans sa compréhension des mythes, il n'édulcore pas la bizarrerie ou la violence des mythes et on voit qu'il aime broder à partir de plusieurs références classiques. C'est donc très accessible (plus que le très joli Age of Bronze d'Eric Shanower, par exemple) mais sans écarter le besoin d'approfondissement érudit (les notes qui se servent aussi de réécritures contemporaines des mythes utilisent ici par exemple Borges).


Chaque volume profite d'un Dieu pour regrouper quelques mythes autour de lui (je vois d'ailleurs que le site Theoi, qu'il cite, a la même méthode). Athéna The Grey-Eyed Goddess avait par exemple eu plusieurs mythes sur la Gorgone ou sur Athènes et Poseidon Earth-Shaker y fait allusion mais ajoute surtout Thésée (avec la variante qui fait de Poseidon le vrai père de Thésée - j'aime beaucoup l'idée que Thésée est un Monstre marin comme tous ses autres enfants) et Ulysse, tueur de Polyphème.

O'Connor a beau écrire dans un genre qui s'apparenterait à l'illustration pour enfants, il se permet aussi des expérimentations graphiques comme d'utiliser la structure même du Labyrinthe de Dédale pour ses cases dans le récit du Minotaure. La résolution des mésaventures d'Ariane devra bien sûr attendre le volume sur Dionysos.

O'Connor exploite très bien une variante des origines de Poseidon où il aurait pu échapper aussi à Kronos à sa naissance caché sous une forme d'agneau ou de poulain. Pausanias en parle par exemple dans sa Description de la Grèce, 8, 8. Et O'Connor fait un renversement intéressant sur cette version du Poseidon Equestre qui montre à quel point il peut être créatif de piller plusieurs variantes (il l'a fait avec beaucoup d'esprit pour le nom de Pallas dans le volume sur Athéna).

En revanche, l'hypothèse qu'il évoque dans les notes selon laquelle Ποσειδῶν aurait été d'abord chez les Pélasges ou chez les Libyens un dieu terrestre des cavaliers et des chevaux avant de devenir un dieu des eaux douces ou salées me paraît invérifiable. N'est-il pas plus plausible qu'il ait été simplement associé à ce qui se meut, de l'onde fluide des eaux aux Tremblements de terre (d'où son surnom principal d'Ebranleur de la Terre, Ἐννοσίγαιος, ou bien Γαιήοχος littéralement, "Qui Tient les Terres") et ainsi aux chariots ou aux chevaux ?

Il est le Dieu Instable, ce qui explique qu'il ne puisse pas être un bon Dieu poliade et qu'il échoue si souvent face à d'autres dieux dans des récits de fondation. (Même Platon s'en souviendra quand il créera l'Atlantide, elle-même submergée sans doute parce qu'elle est aussi terre des séismes).

La série d'O'Connor a plus de subtilité que son public enfantin pourrait le faire penser. On voit qu'il pense aussi en tant qu'auteur dans un médium et pas seulement comme un illustrateur. Même quand on connaît déjà tous ces mythes, c'est souvent une bonne synthèse.

Le seul reproche que je pourrais faire est que dans certains volumes, je trouve qu'il a tendance à accélérer le rythme quand il a beaucoup de récits à accumuler. Mais il prend plus son temps ici.

jeudi 9 mai 2013

[Comics] Wonder Woman #19

Voir Wonder Woman 1-3, #7, 9, 11

Oui, un an sans parler de ces comics, on dirait...
Travailler à temps partiel et ne plus avoir par conséquent assez d'argent pour m'acheter mes bandes-dessinées peut aussi avoir fait cela. Mais je viens de faire un retour en librairie (chez Arkham) après six mois d'absence.

Couverture du #18


Diana continue depuis 18 numéros (avec à peu près la même équipe de créateurs, Brian Azzarello, Cliff Chiang et Tony Akins) à tenter de sauver un jeune bébé, fils des amours de Zeus et d'une mortelle. Après l'avoir protégé de la rancoeur de Héra, elle l'a vu se faire enlever par Hermès et Déméter et le petit semble être annoncé comme "Le Dernier Fils de Zeus". Je crois deviner qu'il va simplement être l'avatar de son père, mais j'espère encore être surpris. Le petit nourrisson reçoit ici enfin un prénom de sa mère Zola : "Zeke" (dérivé d'Ezekiel, ce qui insiste sur le côté prophétique du petit, même si on n'a pas encore eu d'allusion à son chariot).

En plus de Zola et Zeke, WW a retrouvé pour l'instant trois autres enfants de Zeus : Lennox (dont le pouvoir est l'invulnérabilité), Siracca (spectre de tempête de sable, WW #14-15) et Milan (aux Myriades d'Yeux, condamné à voir par les yeux de toutes les mouches du monde, WW #15-16).

Apollon, particulièrement sinistre et narcissique dans cette version, aidé de sa soeur Artemis  a pris le trône de Héra et l'ex-Reine a été exilée avec Diana et Zola, la jeune mortelle. Diana reçoit à nouveau l'aide d'Hephaïstos et il lui fournit de nouveaux bracelets, qui lui permettent de faire apparaître des sortes de glaives magiques. Voir l'héroïne abandonner de plus en plus ses poings (et donc les conventions des superhéros) pour des armes tranchantes d'une épopée antique ou de l'heroic fantasy a quelque chose de finalement assez rafraichissant.



Arès avait été changé en vieux vétéran désabusé à la Allan Quatermain, et pour l'instant Azzarello n'a heureusement pas repris le cliché de l'opposition entre Wonder Woman (en personnification de la Paix & l'Amour) et Arès (la Guerre et la Discorde). Au contraire, il va même jusqu'à une complicité et au moins une alliance temporaire entre eux. Rappelons que dans cette nouvelle version, Arès a été le Mentor de Diana sur l'île des Amazones et qu'Azzarello a abandonné tous les récits sur les Amazones comme pacifistes utopiques (cf. l'épisode 0 de novembre 2012, entre le #12 et #13).

Le dieu le plus ambigu, et qui ferait penser à certains des Endless de Sandman, semble être finalement Dionysos. Une des bonnes idées est d'avoir abandonné l'image d'un Bacchus romain fêtard pour un bel adolescent à l'air assez inquiétant et manipulateur (amant d'Apollon, comme Midnighter était l'amant d'Apollo ?). Même s'il sert parfois d'échanson, il peut-être plus un dieu de la Folie que de l'Ivresse (même si la plus dérangée est toujours Eris). Le Dionysiaque est ici une facette ou l'ombre de l'Apollinien et non son ennemi.

Il y a deux autres intrigues liées au petit Zeke.

La première est le retour du Fils Aîné de Zeus, un autre enfant pour l'instant anonyme de Zeus et Héra, que les autres Olympiens redoutaient tant qu'il a été enfermé par Hadès depuis des milliers d'années. Furieux depuis sa libération, il a l'air encore plus brutal qu'un simple Hercule et plus antipathique encore qu'Apollon. J'aime bien le fait que les autres fils de Kronos, Hadès et Poséidon, soient plus préoccupés de garder le contrôle de leurs domaines que de l'arrêter.

Mais il a l'air pour l'instant assez peu singularisé, encore un Hercule ou un Titan qui ne présenterait guère qu'une opposition physique à WW. Du temps du scénariste Jimenez il y a une douzaine d'années, WW avait déjà affronté une "fille" de Kronos, Devastation, qui avait à peu près la même fonction d'équivalent inversé de l'héroïne (cf. Wonder Woman vol. 2, #143, avril 1999) et suivants).

L'autre intrigue me gêne encore plus puisque c'est encore la réintroduction du mythe du "Quatrième Monde", la mythologie créée par Jack Kirby avec les Nouveaux Dieux de la Nouvelle Genèse et les créatures de Darkseid et Apokolips. Orion, le fils de Darkseid élevé par les Nouveaux Dieux, devient le nouveau compagnon de WW et il est censé y avoir une tension romantique entre lui et Diana. On n'y croit pas tellement, surtout quand elle se sert de moyens aussi directs qu'une menace de castration. Certes, on me dira que Diane Chasseresse et Orion le Chasseur feraient un couple prévisible. Il est caractérisé avant tout comme impulsif et crâneur et a reçu une prophétie qui lui conseille de tuer le petit Zeke dès son berceau.

Mais je confesse ne guère être convaincu en général par cette mythologie kirbyenne. De nombreux auteurs ont tenté la greffe de mythologies terrestres et de cette prétendu suite de Comics post-Raganarok. Mais cela m'apparaît toujours aussi pertinent que de tenter de réincorporer de force, disons, Nono Le Petit Robot d'Ulysse 31 dans l'Odyssée (et je dis cela sans aucune animosité envers cette adaptation). Les Nouveaux Dieux sont censés remplacer les anciens mythes, dévoiler le contenu "SF" derrière des Dieux morts. Quand on les superpose avec ces Anciens Dieux révolus, il y a un décalage entre ces Extraterrestres Dänikeniens et le mythe, un hiatus assez désagréable (et c'est le même problème avec les Eternels dans l'Univers Marvel, qui font vraiment double emploi avec les Asgardiens).

En résumé, Wonder Woman a toujours de bonnes histoires mythologiques. Mais l'action a très peu avancé en un an et demi et je ne suis pas très enthousiasmé par l'arrivée du Fils Aîné de Zeus ou celle d'Orion, fils de Darkseid. Mais Brian Azzarello peut être rusé et je continue à espérer qu'il soit aussi surprenant que l'était Kieron Gillen sur les aventures de Loki (je n'ai pas encore essayé les récentes aventures de la Déesse Sif chez Marvel).

lundi 6 mai 2013

[comics] Pas de chance

Ramayan Reloaded, l'adaptation du Rāmāyaṇam en comics déjà lancée chez Virgin Comics reprend chez Liquid Comics avec des dessins de Jim Starlin et Michael Avon-Oeming... 

Chouette ! Même si je n'aime pas les adaptations d'épopées classiques en SF, cela pourrait donner une bd intéressante...

... et un scénario de Ron Marz.

BBBBBBBBBBBBerk (voir ce GIF). Bon, ben, tant pis.

Ravine est une nouvelle série de Sword & Sorcery, avec des dessins de Stjepan Sejic...

Ah, enfin un peu plus d'offre dans l'heroic fantasy !

.... et un scénario de Ron Marz. 

NNNNNNNNNNNON, POURQUOI !? POURQUOI !? Est-ce que je viens gâcher les possibilités chez ce Monsieur Marz, moi ! Non ! Alors pourquoi vient-il détruire tout espoir d'un bon comic d'heroic fantasy ? Hein ??

Add. Ok, pas de traces de Marz pour l'instant sur Rat Queens, le nouveau comic prévu pour Septembre sur une équipe féminine de D&D.

samedi 4 mai 2013

[Légendes dinka] Descente aux enfers

(Encore une rediffusion)

Je visite les Enfers de temps en temps et j'ai demandé à quelques mythologues célèbres ce qu'ils auraient dit sur le mythe d'Aiwel résumé hier. Leurs ombres demandaient à être rétribuées en sang sacrificiel, ce qui a rapidement été assez coûteux.

1) Théagenes de Rhegium (aurait écrit vers 530 avant notre ère) : "Tous les mythes ont une "hyponoia" ("sous-entendu", un sens allégorique, le plus souvent physique). Aiwel et sa Lance qui tombe en averse est une personnification du Principe humide, la pluie fécondante."

2) Evhémère de Messine (IVe siècle avant notre ère) : "Tous les mythes sont des déformations de faits historiques. Aiwel doit être simplement un chef qui régnait pendant une sécheresse."

3) Les Stoïciens : "Théagenes (ou bien Phérécyde) ont raison (voir 1). Mais il peut aussi y avoir un sens allégorique moral."

4) Plutarque (46-120) : "Tous les mythes sont un Mystère ésotérique. Aiwel est dit être le fondateur d'une lignée d'Initiés et ses mythes représentent symboliquement les rites occultes qui ne peuvent être dévoilés qu'aux Maîtres des Lances. Le passage de la Rivière représente donc le seuil de l'Initiation du néophyte profane en un Myste. Je crois qu'Aiwel est un des Noms d'Osiris."

5) Max Müller (1823-1900) : "Tous les mythes sont des pathologies linguistiques, des maladies du langage et des souvenirs confus de théories étiologiques et météorologiques. *aiwel doit être un ancien mot en langue Thuɔŋjäŋ (du groupe nilotique) dont la racine signifie "pluie" et par extension "fécondité". Le bœuf est dit être "de la couleur de la pluie". Il doit donc s'agir d'un cumulo-nimbus. La légende retrace le fait que le héros apporte la précipitation et, par extension le lait (la vache étant aussi un substitut des nuages). C'est donc une figure issue de Diw/Dyaus Pitar, le Dieu-Ciel qui détient la pluie, et non le modèle plus courant du Héros Solaire qui disperse la nuée. Ok, Théagènes (voir 1) a globalement raison en fait."

6) James Frazer (1854-1941) : "Tous les mythes sont des rites, et notamment des rituels magiques sur la souveraineté. L'ancien Roi (Jiel) est tué par les Lions ou dans une autre version (Fadol) parce qu'il a transgressé un interdit en regardant le rituel sacré au-delà de sa limite. Le nouveau Roi est intrônisé parce qu'il apporte un taureau. Mais ensuite, le nouveau Roi sacré est à son tour tué en duel par un nouveau souverain, pour symboliser la transmission de la fonction (même si on déguise son sacrifice en départ volontaire). Aiwel est aussi un culture hero qui apporte la Lance (représentant la diffusion des outils) et fonde une société magique. "

7) Sigmund Freud (1856-1939) : "Tous les mythes sont des désirs déplacés, fantasmes condensés ou refoulés, comme les rêves. Ce peut aussi être une trace inconsciente de la Horde Primitive. Aiwel exprime clairement le parricide. Il assassine son père Jiel (qui est castré, le lion-Aiwel lui enlève "le pouce et l'anneau") puis à nouveau en tuant Fadol, et il prétend être en fait un bâtard d'un dieu-père imaginaire, associé à l'eau maternelle (de même, il fait ensuite revivre Fadol son beau-père, en intériorisant la culpabilité). Mais son Père fantasmatique est donc sa mère, dont il causera aussi la mort pour rejoindre son Père symbolique. Aiwel naît avec toutes ses dents, ce qui insiste sur le refus de la castration, même si après l'initiation il accepte le rôle de castration quand son père devenu Surmoi divin lui arrache les dents de lait. Il prend le lait maternel sans que sa mère le sache et elle doit ignorer ainsi qu'il transgresse le tabou incestueux (déplacé en refus du sevrage après la poussée des dents). Son père lui a transmis via sa mère la Lance, le phallus. Il envoie à la fin le Phallus dans un os de bassin de vache, qui représente donc sa mère, dernier déplacement de l'Oedipe refoulé."

8) Carl Jung (1875-1961) : "Comme a dit Sigmund (mais je suis un VRAI ARYEN, MOI). Aiwel est une figure du Héros Archétypal dans notre Inconscient Collectif. Il est fils d'une rivière comme Thésée, lui aussi associé au Taureau, est fils de Poséidon dans certaines versions. Il représente aussi un secret alchimique de la transformation de l'eau en lait, transformation intérieure, et la coincidentia oppositorum."

9) Robert Graves (1895-1985) : "La société dinka était sans aucun doute originellement matriarcale, adorant la grande Déesse blanche, symbolisée ici par le lait et la vache (figure égyptienne d'Hathor / Io). Aiwel est un personnage qui représente originellement le Poète qui doit puiser son inspiration auprès des cycles menstruels et lunaires de la Grande Déesse. Mais par la suite, le mythe est inversé et devient un récit misogyne où le héros se débarasse de sa mère et sa sœur et croit même avoir en lui même la fonction créatrice qu'il a usurpée à la Déesse. Mais la Déesse se vengera !"

10) Georges Dumézil (1898-1986) : "Je n'ai rien à dire. Dans les années 20, quand j'étais encore dans ma période Müller-Frazer, j'aurais dit qu'Aiwel rappelle le cycle de l'Amṛta et du Samudra manthanam et que Longar est une figure de Soma. Quel idiot j'étais ! Mais je ne suis qu'un humble comparatiste et pas un africaniste. Ma théorie de l'idéologie des Trois fonctions ne s'applique qu'aux Indo-européens et le mythe d'Aiwel le prouve puisqu'il mêle de manière non-indo-européenne à la fois une fonction magique/souveraine (en tant que fondateur de la classe sacerdotale), guerrière (la Lance) et de fertilité (le lait, les pâturages). Je ne suis qu'un humble comparatiste confiné au monde celto-germano-scandinavo-romano-scytho-osséto-slavo-perso-indien et tout spécialiste qui voudrait appliquer ma théorie à un tel exemple de société nilotique est vraiment un demeuré, comme certains comparatistes de ma connaissance (insérer ici une longue note assassine où je règle mes comptes avec 15 autres mythologues jaloux)."

11) Joseph Campbell (1904-1987) : "Comme a dit Jung (voir 8, plus haut). Mais je ne suis pas un Nazi, hein ? Aiwel, c'est un des visages reflété par Dieu dans Sa Création. Bon, et si vous y tenez, je peux trouver un texte de James Joyce qui aurait une analogie lointaine avec ce récit. Je vais convaincre George Lucas de mettre des vaches couleurs de nuages dans le prochain Star Wars."

12) Mircea Eliade (1907-1986) : "En gros, comme a dit Plutarque (voir 4, plus haut). Et comme Jung (mais je ne suis pas Nazi !, juste un fasciste chrétien inspiré par la Garde de Fer de Codreanu). Tous les mythes se déroulent dans un Hors-Temps archétypal et tout Rituel représente dans le Temps historique la répétition de cette Hiérophanie. C'est pourquoi les Dinkas doivent répéter des rituels avec la Lance de Fer (secret ésotérique de l'alchimie primitive comme ancêtre mythique de la sidérurgie).

13) Claude Lévi-Strauss (ok, il n'est pas encore mort [réactualisation : 1908-2009]) : "Tous les mythes représentent la tentative de rendre compatible des contradictions qui semblent irrésolubles par un jeu d'oppositions structurales, que ce soit dans la structure sociale ou dans les explications naturelles. On a donc plusieurs structures d'oppositions à la fois sur les normes de la filiation, la culture et la transmission de la vie :
lance, lait qui coule (vertical) / rivière (horizontal),
traire la vache, lait descend / frapper le sol avec la lance, l'eau remonte,
lion (sauvage, carnivore) / bœuf (domestiqué, herbivore),
plonger dans la rivière à cause du Lion / sortir la Lance de la rivière avec le bœuf,
passer la rivière / jeter la Lance sur l'autre rive,
Lance de Fer rectiligne / anneau de fer circulaire / longue tige organique avec un os organique de vache ;
Fer (métal, artificiel, résistant) / Os animal (organique, naturel, fragile).
Aiwel est un personnage médiateur, au centre de ce réseau d'oppositions qui structurent l'expérience et la logique dinka. Aiwel hérite du mari de sa mère son troupeau malgré les protestations de sa demie-sœur, qui serait la vraie héritière. Or les Dinkas sont un peuple exogame (polygame) où la famille reçoit une douaire de la famille du gendre et il n'y a pas de transmissions via les agnats, ce qui montre que la structure mythique est ici une inversion du modèle social et que sa signification doit se trouver dans l'ensemble du mythe à condition de prendre en compte la totalité des variantes (notamment celles sur Fadol, son troupeau, sa fille, son fils et Aiwel, qui viennent restaurer la structure sociale)."

vendredi 3 mai 2013

[Légendes dinka] Aiwel Longar, la Lance et les Cornes

Rediff : légende déjà racontée le 21 juillet 2004

Les Dinkas du Sud-Soudan comprennent les Agar, Bor, Dongjol, Padang, Reks. Ils s'appellent eux-mêmes les "Moinjaang" ("les Gens"). C'est un peuple pastoral où toute la vie est encore concentrée autour des troupeaux de bovins et les migrations (on en trouve des branches jusqu'en Ouganda, au Congo et l'ouest du Kenya).

Une des légendes les plus connues des Moinjaang (notamment ceux de la Cité de Bor, sur la rive orientale du Nil Blanc) est celle d'Aiwel Longar.



Le Fils de la Veuve et de la Rivière

Il était une fois un homme nommé Jiel qui possédait un anneau de fer et qui vivait dans la Cité de Bor. Un jour, il vit tout un groupe de Lions qui dansaient. Il était le premier homme à assister à la Danse des Lions. Un Lion vint le voir et lui ordonna de lui donner son anneau de fer. Jiel refusa. Le Lion se jeta alors sur Jiel et lui arracha le pouce.

Jiel perdit tout son sang et mourut. Il laissait une veuve âgée, et qui n'avait pour seul enfant qu'une fille. La veuve était pauvre et vivait dans une maison de boue au bord de la Rivière. Elle vint pleurer qu'elle n'avait plus personne pour la nourrir et qu'elle ne pouvait plus attraper de poissons.

Alors, Malengdit (Malek, Maleng yath), un esprit de la Rivière, celui qui apporte les épidémies (la variole), dit à la veuve de venir près de l'eau en relevant sa jupe. Une vague surgit de la Rivière et éclaboussa ses cuisses.

Malengdit lui donna ensuite une longue tige de fer. C'était la première Lance mais la veuve ne savait pas s'en servir pour pêcher.

La veuve rentra chez elle avec la Lance et elle accoucha d'un garçon, Aiwel.

Enfance d'Aiwel

Sa fille était très irritée car elle refusait de croire que sa mère si âgée ait pu encore avoir un enfant.

Dès sa naissance, Aiwel avait toutes ses dents. Sa mère sortit et le laissa sous la garde de sa sœur.

Quand elle revint, tout le lait de la maison avait été bu et les pis des vaches étaient vidés. Elle commença à punir sa fille, qui jurait son innocence. La mère se cacha alors, et vit le nouveau-né sortir de son berceau pour aller traire la vache lui-même.

Quand il vit que sa mère l'avait observé, Aiwel lui dit qu'elle ne devrait jamais révéler ce prodige qu'elle avait vu car il y a des interdits magiques qu'on ne doit pas transgresser.

Mais sa mère ne put s'empêcher d'en parler et elle mourut sur le champ.

Aiwel prit sa Lance de Fer et repartit vivre chez son père, Malengdit, dans la Rivière.



Le Retour du Taureau : Aiwel Longar

Quand Aiwel devint un Parapuol (un Initié, littéralement "qui a fini son sevrage") et que Malengdit lui avait fait passer les rituels de scarifications sur le front et lui avait enlevé ses dents de lait, il revint de la Rivière, avec son propre Bœuf et avec la Lance de Fer.

Ce Bœuf miraculeux était de toutes les couleurs qui existent, "y compris la couleur des nuées et de la pluie" et il se nommait Longar.

Selon une autre version, Fadol, le chef du village, lui avait donné une vache qui se mettait à donner du lait dès qu'Aiwel s'approchait. Cette vache donna naissance à un veau jaune. Il grandit en un taureau tacheté qui fut le grand Longar, compagnon fraternel d'Aiwel.

Aiwel fut donc appelé Aiwel Longar, du nom de son animal. Depuis, chaque Moinjaang a son propre bœuf et un homme n'est qu'une moitié d'homme sans une tête de bétail.

Aiwel et la Traversée de la Rivière de la Vie et de la Mort

Un jour eut lieu une grande sécheresse.

Aiwel Longar gardait le troupeau de Jiel, le mari défunt de sa mère (ou bien de Fadol, le chef du village). Tous les autres troupeaux étaient faméliques et malingres. Les bêtes d'Aiwel étaient seules saines et fécondes.

Le chef Fadol voulut savoir pourquoi ces bêtes vivaient mieux que les autres et il suivit Aiwel en secret. Il vit Aiwel conduire les bêtes de l'autre côté de la Rivière, frapper le sol de sa Lance pour appeler les flots qui venait désaltérer le troupeau.

Mais dès que Fadol vit ce prodige, il mourut à son tour, comme l'avait déjà fait la mère d'Aiwel.

Aiwel Longar fut contrit d'avoir causé involontairement la mort du chef du clan. Il vint expliquer ce qui était arrivé au fils de Fadol, qui lui dit qu'il était déjà pardonné s'il sauvait le troupeau car ce bétail était toute la vie de Fadol.

Aiwel fut ému et il rendit la vie au chef Fadol. Fadol donna en remerciement sa fille en mariage à Aiwel.

Aiwel en gardien de l'Au-delà

Mais la sécheresse continuait.

Aiwel dit alors qu'il connaissait le chemin vers les pâturages éternels où n'existaient ni Soif ni Mort, mais qu'ils devraient tout abandonner de cette terre pour le suivre.

Les chefs et les Anciens refusèrent de tout quitter et maudirent Aiwel d'avoir voulu les entraîner à traverser la Rivière. Mais selon une autre version, ils voulurent prendre le chemin mais en refusant seulement d'avoir Aiwel Longar comme leur guide. Il leur dit qu'ils le regretteraient.

Il prit sa Lance de Fer et sa monture, Longar au cuir multicolore. Il traversa les roseaux et les marais. Nhialic (Celui d'En-Haut, le Dieu suprême des Dinkas, voir mythe précédent) éleva une grande Digue pour bloquer ceux qui suivraient le chemin d'Aiwel.

Quand les mortels continuèrent à périr, ils virent la folie du Conseil des Anciens. Ils tentèrent de poursuivre Aiwel vers les roseaux et la digue. Mais Aiwel tenait la garde du Jardin et sa Lance frappait quiconque faisait bouger les roseaux. Personne ne pouvait passer.

Un homme aux mille tours nommé Agothyathik conçut alors une ruse. Il prit un bassin d'un grand bœuf, l'attacha à un long bâton et le mit dans les roseaux. Aiwel jeta sa Lance, qui vint se ficher dans l'os du bassin, qu'il prit pour le crâne d'un intrus.

Agothyathik et Aiwel s'empoignèrent à mains nues et leur combat dura longtemps, jusqu'à ce qu'Agothyathik réussisse à convaincre le gardien de ces pâturages.

Finalement, Aiwel accepta de laisser passer les quelques mortels courageux qui prendraient la Voie des Roseaux. Ceux qui ont pris cette voie sont les Maîtres des Lances et ils connaissent bien des secrets de pêche et de magie. Aiwel fut un des Héros Bénis (Wan Dyor) et les mages Man Dyor descendent de ces clans.

jeudi 2 mai 2013

[Légendes dinka] Cosmogonie et anthropogonie


On a vu au mois d'avril plusieurs légendes des peuples Luo : Chien, Araignée, Crocodile, Poisson.
A l'été 2004 sur un ancien blog (à l'époque où je parlais déjà de ce M. Obama, lui-même d'origine Luo du Kenya par son père), j'avais écrit quelques notes sur des mythes du Sud-Soudan sur la plateforme 20six.fr, sur le peuple Dinka, principale ethnie de la région, avant même les Nuer et les Luo. Comme j'ai une confiance très limitée sur la pérennité de ces supports (même sur Internet Archive) et comme les accents y ont tous disparu, je vais les recopier ici (Rubrique : Rediff), en corrigeant un peu. Bien entendu, tout cela n'a aucune valeur ethnographique comme j'adapte librement et de seconde main, en superposant des sources hétérogènes (ce qui serait scandaleux pour un vrai anthropologue).

Nhialic

Au début était le grand Dieu céleste Nhialic (ou Nyalich, "Celui d'En-Haut"), que les Dinkas mettent au-dessus des simples jok (les esprits des ancêtres, qui ont un nom proche de Juok, le Créateur amoral des Luo) ou de Deng, la Pluie qui tombe du Ciel vers la Terre.

Nhialic avait une épouse nommée Aciek (et on l'appelle lui-même parfois Acek) et en ce temps-là, le Ciel et la Terre n'étaient pas séparés. Il n'y avait ni jour, ni nuit, ni mort. Nhialic avait mis une Corde entre le Ciel et la Terre pour les unir et permettre les échanges entre les deux.

Le Premier Sacrifice, la Première Aurore et la Première Séparation

Au début, tout n'était encore que ténèbres. Nhialic créa un être nommé Aruu Pabek (l'Aurore). Aruu Pabek remonta la Corde jusqu'aux cieux et Nhialic lui offrit alors des Yeux pour voir.

Et Aruu Pabek ouvrit ses Yeux. Et il vit que tout était encore obscurité autour de lui.

Aruu Pabek noua une Corde et captura une bête sur la terre et il offrit sa patte en sacrifice à Aciek, l'épouse de Nhialic. Elle aima ce repas et demanda à son mari de récompenser Aruu Pabek.

Celui-ci pria alors Nhialic d'ouvrir le Ciel pour faire entrer la Lumière sur la Terre mais Nhialic refusa. Nhialic fit la première Lance et l'offrit à Aruu Pabek mais celui-ci refusa. Nhialic offrit la première Hache et Aruu Pabek l'accepta.

Aruu Pabek prit alors la Hache et s'en servit pour tailler la terre, il sépara le Dessus et le Dessous pour faire entrer la Lumière.

Nhialic recousut le Dessus et le Dessous, il jeta alors sa Lance sur Aruu Pabek mais celui-ci l'évita par la pierre qu'il portait sur la tête. Nhialic saisit alors Aruu Pabek et l'enfonça dans la Terre en lui disant : "Mais pourquoi es-tu ainsi comme un Homme ?"

Le Choix de la Mortalité

Nhialic créa le premier homme Garang et la première femme Abuk à l'est sous un grand Tamarinier.



Il les fit en argile et ils étaient grands comme un demi-bras. Il les mit dans un pot et le recouvrit. A l'aube, ils avaient déjà grandi et atteint leur taille adulte. Garang portait une longue Lance et Abuk avait de grands Seins. Ils se marièrent et eurent des enfants, qui eurent à leur tour des enfants.

Nhialic leur donna un seul grain de millet par jour et c'était assez pour les nourrir.

Il leur interdit de cultiver la terre et d'écraser les grains car il craignait que les outils ne frôlent son corps sur la Voute céleste, qui jouxtait encore la Terre. Il dit que leurs enfants mourraient mais qu'ils pourraient revenir en repassant par la Corde entre le Ciel et la Terre, après quinze jours.

Mais Garang protesta. Il dit que la Mort devait être permanente et qu'il ne fallait pas qu'ils reviennent, sans quoi il y aurait trop d'habitants sur Terre et qu'ils souffriraient de la Faim et n'auraient plus de place pour leur demeure.

Le premier homme persuada alors le Dieu d'accorder la Mortalité pour protéger l'espace libre.

L'Invention de la Culture

Nhialic avait interdit l'usage des outils.

Mais Abuk la Femme, qui souffrait de la Faim, voulait manger plus qu'un grain de millet par jour et elle décida de travailler la terre.

Elle prit alors une longue houe et un pilon pour planter plus de grains. Mais quand elle leva la houe, l'instrument frappa un orteil de Nhialic et le blessa.

Offensé, le Dieu se retira alors en hauteur, hors d'atteinte et il envoya un oiseau bleu couper la Corde qui liait le Ciel et la Terre.

Depuis, les hommes doivent travailler la Terre et ils connaissent le Labeur, la Faim et la Mort.

Notes : 
Le mythe étiologique de séparation du Ciel et de la Terre est l'un des plus courants en mythologie comparée et on avait déjà vu une version avec l'Araignée à la place de cet Oiseau Bleu chez les Luo.

Si on compare le mythe dinka avec d'autres Mythes de Chutes, la responsabilité est certes encore rejetée sur la Femme (encore que dans une variante, c'est l'Homme qui a fait le choix de la Mortalité), et l'appétit a remplacé la Conscience morale de la pudeur ou la libido sciendi comme source du péché. Mais au moins ils ne sont pas victimes d'un Trickster serpent, l'invention de l'agriculture est une invention volontaire, et la transgression technique d'Abuk comme mère de la culture est plus ambiguë.

L'analyse de la rareté est aussi inverse par rapport au Paradis originel : les premiers hommes n'étaient pas dans l'abondance mais dans la frugalité, mais cette modération n'est déjà pas satisfaisante, l'agriculture (et la culture) inventent donc à la fois la conscience de la rareté et l'âpre moyen de tenter d'y remédier. Le travail n'y est plus une simple malédiction comme dans la Bible mais semble plus être un pari dangereux : le poids répétitif du labeur et le risque de la famine pour écarter la permanence de la faim.

Ce qui est curieux est que les Dinkas, peuple d'éleveurs, n'ont souvent quasiment pas d'agriculture, tout au plus un peu d'horticulture du millet. La houe et le pilon de la Femme, qui servent à la vie, deviennent étrangement un instrument de mort alors que la Lance masculine d'Abuk, qui devrait porter la mort, est ici, sans freudisme abusif, clairement un moyen de procréation.

Une variante chez les Bongo, voisins des Dinkas, change assez le sens de la fable. Leur dieu suprême Loma donne aussi un seul grain de millet par jour aux humains primordiaux mais (contrairement à Nhialic) assure que ce grain va se multiplier, à condition de n'en mettre qu'un seul. La Femme se dit par intempérance qu'elle pourrait en avoir plus et met donc deux grains, ce qui a pour conséquence que Loma, furieux, se sépare de la terre et impose aux hommes de désormais travailler. Ici, le grain n'a donc pas la même signification de frugalité s'il avait se pouvoir magique de devenir potentiellement infini sans travail.

Aruu Pabek (l'Aurore) est un personnage prométhéen ou luciférien intéressant. Cela prouve qu'on n'a pas eu besoin d'attendre le Romantisme pour faire de ce Porteur de Lumière un rebelle sympathique contre l'ordre divin. La fin du récit n'est hélas pas claire : est-il envoyé sous la Terre ? La Corde qu'il utilise est à la fois la liaison divine du Ciel et la Terre (Médiation) et l'outil technique de chasse qui va mettre fin à cette liaison en permettant la demande de la Lumière (Séparation). Il ne fait pas son sacrifice à Nhialic directement mais à son épouse : la différence sexuelle est la première source des autres séparations, c'est ainsi qu'il va obtenir la Hache et pas seulement la Corde. J'ignore pourquoi il refuse la Lance phallique et la laisse à Nhialic, surtout quand on sait l'importance sacrée de la Lance pour les Dinkas.

Il faudra aussi comparer la légende dinka avec des versions Nuer de Kar et "Kwoth Nhial" (Nhialic) chez Evans-Pritchard.