samedi 30 novembre 2019

Rivers of London


Chaosium annonce une adaptation au système Basic des romans Rivers of London de l'auteur britannique Ben Aaaronovitch.

La série compte déjà depuis 2011 près d'une douzaine d'histoires et au moins sept albums de comics (et un projet de série TV). Ce sont des romans policiers dans une Terre parallèle où la Police londonienne a une section secrète pour s'occuper du surnaturel, des Fées ou des Divinités anciennes (section surnommée "The Folly"), qui peut même occasionnellement former des policiers-mages.

La Magie n'est quand même pas aussi manifeste que le Ministère de la Magie dans l'univers de Harry Potter puisque les collègues de la section les prennent pour des charlatans et qu'on a l'air de compter les mages réels sur les doigts d'une main (et les personnages dans la fiction connaissent d'ailleurs le cycle de Rowlings). Il y a plusieurs histoires à des dates différentes : un roman dans le Londinium romain, quelques aventures de Thomas Nightingale, mage-policier dans le passé, et de nos jours (alors que Nightingale dirige la Folly), avec Peter Grant, qui est devenu son apprenti et est le héros de la série. Il y a même des équivalents de The Folly qui sont cités dans d'autres pays, en Allemagne ou en Russie. L'Académie française de Magie a été décimée pendant la Seconde Guerre mondiale. Le fondateur de la Magie britannique moderne et de The Folly est en fait Isaac Newton et les sorts ont gardé des noms latins de son époque avec une combinaison d'éléments qui pourrait évoquer Ars Magica. Les Rivières du premier volume sont les déesses des petits affluents souterrains de la Tamise comme l'Ash, la Brent, la Fleet, la Lea et la Tyburn. Il y a un wiki spécialisé, Follypedia.

La compagnie britannique Cubicle 7 (qui vient de renoncer à la licence Tolkien et donc au jeu de rôle The One Ring) avait déjà un jeu Basic sur l'univers The Laundry de Charles Stross (des informaticiens-magiciens agents secrets enquêtant sur le Mythe lovecraftien et l'Occultisme nazi). Les gouvernements utilise bien plus directement la magie dans cette série, même si cela ne devient pas encore de notoriété publique avant les derniers volumes (où le Premier Ministre David Cameron veut privatiser l'Agence...). La Magie y est une science "objective", au point que tout chercheur peut retrouver indépendamment les mêmes résultats par une simple recherche mathématique et non pas seulement dans des bibliothèques occultes. Aaronovitch joue plus sur le roman policier alors que Stross jouait plus sur les conventions du roman d'espionnage (avec un peu de cyberpunk).

Voir aussi les annonces récentes de Chaosium à la convention DragonMeet chez Gianni.

jeudi 21 novembre 2019

Re: As des As (2)


Rappar désenchante le mythe des "As" dans les commentaires d'un vieux message et je voulais ajouter à ce message d'il y a 12 ans que j'ai depuis vu le film de 2008 sur le Baron rouge et qu'il est hélas très ennuyeux malgré la réussite impressionnante de cette bande-annonce. Ce clip doit d'ailleurs avoir, je le crains, la totalité des scènes aériennes du film, film très peu "cirque volant" finalement et un peu trop terre-à-terre ou prosaïque dans sa tentative d'ajouter une love story.

Ironiquement, des historiens ont trouvé que le film avait trop idéalisé le Baron alors que je trouvais qu'il ne l'avait encore pas assez fait. Le vrai Baron était considéré comme moins bon que son instructeur Oswald Boelcke ou Max Immelmann ("Blauer Max"), les deux vrais pères des As, mais il a survécu plus longtemps qu'eux et a mieux appliqué méthodiquement les tactiques qu'ils avaient inventés (il a deux fois plus d'avions abattus que Boelcke et quatre fois plus qu'Immelmann).

Le seul vrai geste "chevaleresque" qu'il ait fait dans la réalité est d'avoir salué un pilote à terre en refusant de le mitrailler (mais peut-être parce que cela n'aurait rien ajouté à son score). La grande chance de Richthofen est d'être mort en 1917 et de n'avoir pas fini Nazi comme le second meilleur as allemand, Ernst Udet (qui se suicida en 1941 après être tombé dans l'alcoolisme et avoir mal organisé un plan aérien en Russie - René Fonck, l'arrogant As-des-as français finit pétainiste mais fut quand même arrêté par Laval comme insuffisamment germanophile).

D'ailleurs, j'aimerais bien savoir si quelqu'un a vu un bon film sur le Baron rouge (non, en dehors de Snoopy où le Baron invisible devient le symbole de l'adversité, du Fatum, de l'impossibilité à réussir dans tous les domaines puisque les crashs de Snoopy en Sopwith Camels sont les seules fois où il se "charliebrownise" et peut partager un peu de sa mélancolie).

Je voudrais plus une adaptation complètement romantique d'Enemy Ace (et je parle de la série originale de Kanigher & Kubert, pas des suites qui me paraissent hors-sujet sur la 2e Guerre mondiale ou le Vietnam) que du vrai Manfred von Richthofen, qui n'a pas une vie si excitante que cela et qui était en réalité un tueur bien plus froid et insensible que cette vision idéalisée. J'avais dit que je voyais un peu d'Arjuna en "Hans von Hammer", "The Reluctant Warrior", le héros d'Enemy Ace, mais en réalité il est plus torturé et sa Guerre est clairement moins justifiée que celle d'Arjuna.

lundi 18 novembre 2019

DIE (comic book & RPG)



DIE (chez Image Comics) est un comic book brillant et effrayant écrit par Kieron Gillen (auteur par exemple des aventures de Loki ou de Wicked+Divine) et dessiné par Stephanie Hans, mais aussi un jeu de rôle créé par Gillen et distribué en version Beta sur son site.

Le comic est présenté comme un mélange du vieux dessin animé D&D (1983-85, où de jeunes humains de la réalité tombaient dans l'univers du jeu de rôle et héritaient d'objets magiques pour lutter contre Tiamat et une sorcier nommé Venger) et de chroniques de fantasy plus adultes comme l'épouvantable Thomas Covenant de Donaldson.

On peut aussi y voir non seulement un commentaire ironique sur Stranger Things et sur toute l'histoire de la fantasy et de la place des Univers Fictifs : le n°3 est consacré directement à Tolkien (et en même temps aux Kriegspiel et à Little Wars de HG Wells - Gillen cite beaucoup Playing at the World) et le n°9 au premier monde de campagne de jeu de rôle de l'histoire, les oeuvres de jeunesse des soeurs Brontë sur Angria et Gondal. A ma connaissance, personne n'avait encore eu l'idée d'utiliser le paracosme de Charlotte Brontë avant et cela ne peut qu'étonner, non ? (et oui, je vais enterrer mon projet de le faire qui date des années 1990, j'en avais vaguement parlé en 2008)

Gillen, avant de devenir l'Héritier présomptif de l'Invasion Britannique des Moore, Gaiman et Morrison, était un journaliste spécialisé en musique pop et en jeu vidéo. Britannique élevé au biberon de Game Workshop, à MERP ou Vampire, il est encore aujourd'hui une encyclopédie vivante du jeu de rôle et je ne peux m'empêcher de jalouser à quel point il arrive à synthétiser tant de directions. Il y a de nombreuses blagues qui doivent passer inaperçues si vous n'écoutez pas les podcasts de Robin Laws ou si vous n'êtes pas un amateur d'articles obscurs de Ron Edwards (heureusement traduits sur le PTGPTB, ouf). Oui, le premier volume (n°1-5) en Trade Paperback, paru cet été, s'appelle "Fantasy Heartbreakers". Le second, Split the Party, fait référence au cliché selon lequel on ne devrait pas séparer l'équipe.

De nos jours, une équipe de quadragénaires déprimés revient sur les traces d'un monde de campagne où ils étaient tombés et avaient été traumatisés pendant deux ans en 1991-93 (le temps semble passer à la même vitesse dans le Paracosme de DIE et dans la réalité). Il y a trente ans, le MJ, Solomon, leur avait donné à chacun à dé polyhédrique qui les lie à une Classe et les projette dans le monde de DIE, Ce monde, que Solomon croyait avoir créé, a une forme d'Icosaèdre, son propre , mais des indices laissent penser qu'il y a eu d'autres Maîtres de jeu.

Une des différences avec D&D est ces classes, qui sont toutes des subversions des clichés et on devine que Gillen est plus proche des jeux de rôle Indie de la Forge que de l'OSR. Le Maître de jeu est lui-même une classe de Magicien et est donc un PJ avec ses propres desseins, et non un arbitre neutre.

Les autres classes sont :
Le Dictateur (d4): Un Barde qui peut contrôler les émotions par sa Voix.
Le Bouffon (d6 spécial): Casual Player et Tricheur qui utilise sa chance en refusant de se prendre au sérieux.
Le Chevalier des émotions (d8) : remplace le Paladin avec une émotion fondamentale à la place d'un alignement. Le Chevalier du Chagrin a besoin de ressentir de la peine pour augmenter sa puissance.
Le Néo (d10): un Cyberhacker qui utilise des ressources féériques pour altérer des technopièges. C'est une inversion de Shadowrun où la fantasy est altérée par le cyberpunk.
Le Godbinder (d12): la différence entre Shaman, Clerc et Démonologue n'est pas clair quand une athée lie des Dieux par des pactes. Gillen a créé un panthéon de 12 divinités contradictoires comme la Pleureuse (the Mourner), déesse du Chagrin et de l'Empathie. Kieron Gillen connaît aussi Glorantha et j'ai hâte de voir s'il en fera quelque chose mais ici, c'est plus simplement moorcockien sans doute.

La Règle du Jeu que les personnages vont apprendre est qu'ils ne peuvent pas revenir dans la réalité tant que tous les membres vivants de l'équipe ne sont pas unanimement d'accord - donc sauf si un des membres de l'équipe meurt. Or, le Maître de jeu n'était pas d'accord et il est toujours prisonnier du Donjon qu'il a contribué à créer. Et tous les membres peuvent être partagés dans l'idée de revenir ou de demeurer dans le Monde du Dé.

Je n'aime pas tellement le Genre de l'Horreur et il s'agit bien de cela ici même si la corde de diverses émotions négatives est poussée vers la tristesse plus que vers le simple effroi, par exemple, le très réussi et mélancolique n°3 sur la Première Guerre mondiale dans l'oeuvre de Tolkien, qui réussit à montrer un peu d'affection pour cet univers même si Gillen reconnaît avoir un rapport oedipien de parricide vis-à-vis du Père de la High Fantasy épique contemporaine.

Le jeu de rôle utilise aussi des idées qui feraient penser à une exploration narrative de la psychothérapie puisqu'on crée les Personnages de la "Réalité" (Persona) et leurs névroses comme dans la BD avant de voir leurs réactions dans le Paracosme où vivent leurs autres Personnages (Character).

Oui, il y avait eu un jeu chez Talsorian, DreamPark, où on jouait aussi sur ces deux Niveaux baroques du Jeu de rôle dans le Jeu de rôle. Et on a déjà dit que toute la notion de Heroquest est une sorte de dramatisation du processus même du jeu de rôle dans le rituel d'entrer dans les mythes. Mais ici, l'idée psychologique d'exploration des troubles d'identité des "personae" sera plus intime ou individuel. Par exemple, il semble clair que le narrateur principal de la série, Ash le Dictator, a refoulé son identité sexuelle (trans ou homosexuelle) dans son personnage (et le Washington Post vient justement de publier un article sur une transsexuelle qui disait avoir réussi à assumer son "identité" grâce au jeu de rôle). C'est le genre d'idée complexe, comme celles du Spectre de l'Inconscient dans le jeu Wraith, que je ne suis pas entièrement sûr d'être assez mûr même en approchant de la Cinquantaine pour y jouer. Et Gillen reconnaît pour l'instant que c'est plus dirigé vers un one-shot expérimental à la Fiasco que pour un jeu de campagne. Mais c'est quand même une de ces réussites où on a envie d'essayer d'y jouer sans être certain de pouvoir y arriver.

Je n'ai jamais accroché à tous ces nombreux dessins animés japonais sur des jeunes otakus qui tombent dans l'univers de leur jeu vidéo de fantasy favori. La Power Fantasy ou le pouvoir métaphorique de la fantasy m'y semblaient perdre tout son mystère. Mais ici, cela fonctionne à nouveau, quel que soit l'évidence du discours post-moderne de déconstruction des conventions du jeu de rôle.

Add. 

J'ai oublié de raconter une idée géniale dans un des numéros. Les personnages (qui aiment bien se moquer de D&D) ironisent sur le système de Magie "vancienne" Fire & Forget (on perd ses sorts en les lançant et on doit les réapprendre) mais des "PNJs" racontent une histoire sur un système proche où le Magicien perd non pas un sortilège mais un souvenir de sa mémoire à chaque fois qu'il lance un sort, ce qui est bien plus terrifiant.

vendredi 15 novembre 2019

La Malédiction de la Couverture Santé aux USA


Alors que presque toutes les démocraties occidentales mettaient en place un Etat-Providence et des formes d'Assurance-Maladie ou Sécurité sociale après la Seconde Guerre mondiale (loi sur la NHS passée par les Travaillistes en 1946 à partir du rapport du Libéral Beveridge de 1942), Roosevelt (New Deal) puis Truman (Fair Deal) échouaient à passer leurs projets équivalents aux USA comme le Congrès estimait que c'était du Communisme.

Le terme Social Security fut limité aux retraites et seuls les retraités obtinrent une forme de Medicare en 1966 sous Johnson avec un Medicaid limité uniquement aux plus démunis. Pendant toutes les années 1970 et malgré la majorité démocrate, la gauche du Parti (Ted Kennedy) échoua toujours à faire passer les réformes par un système fédéral "universel".

C'est comme si l'après-guerre avait été un passage critique à ne pas manquer. La Guerre froide avait empêché en 1948 aux USA ce qui avait été possible ailleurs.

(Ce n'est pas tout à fait exact. En Amérique du Nord, le Canada, qui avait raté le passage au niveau fédéral juste après la Guerre, eut une seconde chance dans les années 1960 grâce au pasteur NDP du Saskatchewan Tommy Douglas et ensuite le Premier Ministre libéral Lester Pearson.)

Les plans d'assurances de santé privés américains Blue Shield (créé par des associations de médecins privés) et Blue Cross (créées par des hopitaux, dès les années 1930 contre les projets du New Deal) sont toujours globalement le modèle dominant, même après les révisions importantes d'Obama de l'Affordable Care Act. La couverture dépend essentiellement des employeurs qui obtiennent en échange des déductions fiscales. Obama obtint en 2010 à peu près ce que le Républicain Nixon avait tenté en 1971, conserver le système privé mais avec une obligation de prendre une assurance (dans les années 1970, avant le grand réalignement du Parti démocrate, ce sont les Démocrates conservateurs qui avaient bloqué toute tentative de système national par Ted Kennedy et même la version privée de Nixon).

Obama avait certes ajouté un élément essentiel qui était de lutter contre les "conditions pré-existantes" (les clauses qui permettaient aux assurances privées de ne pas rembourser des malades à cause de problèmes chroniques ou jugés sérieux). Mais quelques Sénateurs démocrates conservateurs ou stipendiés par les lobbies d'assurances comme Joe Lieberman (Connecticut) suffirent à faire échouer l'idée d'une Option Publique en plus de l'obligation d'assurance (ironiquement, le Connecticut fut ensuite un des rares Etats à réussir à faire passer une forme d'Option Publique, le Vermont réussit même à faire passer un système quasi-universel). (Voir de vieux messages de 2009 comme ces insultes contre Lieberman ou sur les stratégies pour faire passer une Option).

La violence des réactions au début des années 2010 montrait qu'un projet modeste (qui avait simplement étendu des projets défendus par des Républicains modérés comme Mitt Romney et les vieux projets des Républicains des années 1970) pouvait susciter un lobbying intense des assurances privées. Obama avait d'abord parlé d'un système universel puis seulement d'une "Option" publique et ensuite même cet aspect avait dû être abandonné, à cause d'un seul Sénateur traître du Connecticut.

Depuis 2016, l'ObamaCare est à nouveau attaqué et dégradé par le pouvoir républicain qui nomme des Juges pour tenter de détruire les avancées du système.

Warren et Sanders sont d'accord tous les deux sur une demande maximaliste, un système universel. Le plan de Warren est plus précis mais cristallise aussi plus d'opposition. C'est un système qui affirme que les entreprises n'auront pas plus à payer puisque la somme sera calculée à partir de ce qu'elles payent actuellement au privé. Le système de Sanders ressemble plus au système européen avec une contribution calculée à partir des salaires, ce qui est plus progressif que la proposition de Warren.

Ce qui rend complètement fataliste sur l'état de la démocratie-ploutocratique américaine est que :

(1) les sondages montrent clairement qu'une majorité écrasante des Américains souhaiteraient un système universel.

(2) et pourtant, le système est tellement bloqué que même si Warren ou Sanders gagnent, il paraît impossible qu'ils puissent faire passer un de leurs projets ambitieux alors que le Congrès semble être encore plus conservateur qu'en 2008-2010 quand Obama a dû se contenter d'un NixonCare 2.0.

Certes, les élections législatives de 2020 pourraient être un peu plus surprenantes mais comme les Millenials votent peu, il y a peu de chance que ce soit une révolution, quel que soit le ressentiment de la base démocrate contre Trump ou l'enthousiasme des Sandersiens.

Au mieux, on peut espérer qu'un(e) Président(e) démocrate pourra protéger ou sanctuariser un peu l'ObamaCare face à tous les Juges d'extrême droite nommés par Trump.

I(e)l pourrait peut-être même ajouter à nouveau une Option Publique mais le contexte d'une Crise économique qui se profile dans les années 2020 rend cela hélas très peu probable. Les lobbies bloquent l'Option car ils redoutent que cela suffise à faire entrer le système étatique universel à moyen terme (au moment où les Etats-Providence sont aussi en train de les démanteler).

Et si Trump gagne, on reviendra sans aucun doute au statu quo ante, y compris sur les conditions pré-existantes qui commencent à réapparaître.

jeudi 14 novembre 2019

[Comics] Far Sector


Far Sector est le nouveau comic book écrit par la romancière de SF N.K. Jemisin. C'est (tout comme le titre principal de Green Lantern en ce moment avec les scénarios de Grant Morrison) un hommage au roman policier, qui joue sur ses conventions, mais avec une Green Lantern humaine, Sojourner Mullen, avec un Anneau très particulier (même si on n'en sait pas encore plus). L'Agent Mullen a été assignée dans le "Secteur Lointain", loin d'Oa et loin de tout, sur The City Enduring, une Cité construite dans un Essaim ou Archipel de Dyson autour de son étoile.



La gigantesque Cité de 20 milliards d'habitants abrite trois espèces humanoïdes :

(1) Les Nah, humanoïdes mais légèrement reptiliens avec leur appendice caudale et leurs membranes empoisonnées. Leurs longs noms formés de descriptions poétiques font un peu penser à la langue métaphorique des Tamariens.

(2) Les @At, qui semblent être une espèce "numérisée" ou Uploadée et qui méprisent les êtres demeurés dans la matière biologique.

(3) Les ke-Topli, dont je crois comprendre qu'ils vivent avec des végétaux intelligents qui les parasitent de l'intérieur.

Les trois espèces ont jadis failli s'entre-détruire et ont même annihilé deux mondes dans leurs guerres. La Cité a donc été créée comme une arche pour mettre fin à leur conflit et les trois espèces ont été dotées d'une modification de leurs systèmes pour empêcher en théorie toute émotion et inhiber la violence. And then the Murders began... 

La Green Lantern terrienne exilée se retrouve donc dans une position à être la seule à avoir des émotions dans un monde où elle est à la fois la représentante des Forces de l'ordre, la gardienne de la Cité et une étrangère singulière. Ce thème de l'émotion sonne bien sûr un peu stratrekien mais il faut voir ce que NK Jemisin compte en faire. Comment Mullen sait-elle déjà que cette violence va resurgir ? Que cache-t-elle dès le début ?

Je croyais ce genre d'atmosphère de Film Noir un peu épuisée depuis Blade Runner mais la Mégalopole dessinée par Jamal Campbell pourrait réussir à devenir un personnage à part entière dans la BD, même si l'arrière-fond paraît moins présent que les personnages.

Pour l'instant, le statut de Green Lantern peut paraître relativement accessoire mais Jemisin a dit qu'elle va peu à peu plus nouer la Cité du Secteur Lointain avec le reste de la mythologie GL qu'elle a absorbée pour rédiger cette expérience de mystère spatial. Avec ce premier numéro, cela pourrait évoquer un peu Hardcore Station de Jim Starlin, qui était aussi une série d'enquête dans une station pleine d'ETs (mais où Starlin jouait surtout sur son obsession sur le théologico-politique). Il reste aussi à voir si l'Empire anonyme mystérieux qui a manipulé les trois espèces dans le passé va réapparaître.

mercredi 13 novembre 2019

Hârn en français


Le prolifique Grümph va traduire les vieux suppléments Hârn une trentaine d'années après (en refaisant les couvertures dans son style d'enluminure). Il éditera notamment en plus des livres de base le Royaume de Kaldor (la petite monarchie faible à l'est de Hârn) et la petite aventure Trobridge Inn (qui se situe entre le Kaldor et la République Thardique à l'ouest).

Voir le GoogleMap de Hârn. Oui, Hârn a son GoogleMap...

Je ne suis pas particulièrement fan de Hârn (en partie parce que je trouve la dispersion des territoires "barbares des Dark Ages", le mélange de cité-Etat romaine décadente et de Heptarchie saxonne peu crédibles, le panthéon hétéroclite peu inspiré - il faut vraiment trois dieux de la Guerre différents alors qu'il n'y a que dix divinités ? - et que la low fantasy n'est pas vraiment mon genre de choix) mais des illustrations par Joe Grümph font hésiter.

Et il y a des concepts que j'aime bien (comme les "Ivashu", ces créatures aux formes diverses qui permettent d'insérer n'importe quelle créature unique, les intrigues féodales compliquées en Rethem et Kanday - mais GRR Martin a certes fait mieux depuis...).



J'avais fait une petite introduction à l'île de Hârn... il y a 12 ans (assez peu enthousiaste, peut-être, rétrospectivement) et une présentation du Royaume de Kanday pour une partie one-shot en 2013.


mardi 12 novembre 2019

La Route de Dune (2005)


Ce livre réuni par Brian Herbert a le défaut de mélanger beaucoup de textes de Brian (& Kevin) à ceux de son père Frank Herbert mais il y a des documents fascinants.

1 Il y a par exemple quelques extraits (p. 227) sur les origines de Dune : journaliste de la Côte Ouest en 1957, Frank Herbert a tenté de vendre un reportage sur les Dunes du Pacifique et le combat écologique de certaines communautés de l'Orégon contre l'Ensablement et la Désertification (die Wüste wächst) autour de l'embouchure du fleuve Siuslaw (d'où les indigènes siuslaw éponymes ont été chassés). Il mentionne déjà dans son projet le Proche Orient et notamment les projets hydrauliques d'Israël (son premier roman de 1955, Dragon in the Sea, mentionnait aussi les combats futurs sur l'énergie et les hydrocarbures).

Son éditeur a jugé cela peu intéressant et Herbert est passé en quelques années de préparation du documentaire à la fiction (Dune mettra six ans à être achevé). Mais Herbert continuera à devoir exercer la profession de journaliste (et notamment journalisme sur l'éducation), d'enseignant (d'études "interdisciplinaires") et de consultant polyvalent jusqu'en 1972 (donc quand il a 52 ans) quand le succès grandissant de Dune lui permet enfin de devenir écrivain à plein temps.

2 Il y a une note drôle dans la correspondance de Herbert à l'été 1963 (p. 240) sur l'Ontologie du temps où il dialogue avec ses amis Jack Vance et Poul Anderson. Imaginez un dialogue intime et métaphysique entre trois des plus grands génies de la science fiction ! Je regrette que le livre résume la discussion en quelques lignes sans pouvoir la livrer de manière plus étendue.

  Poul Anderson défend la thèse physicaliste ou objective (compatible avec son propre cycle de la Patrouille Temporelle, même s'il y a des nuances à préciser) : l'écoulement subjectif du temps n'est qu'une illusion qui émerge à partir de la réalité physique des mouvements (ou en gros ce que McTaggart appelle "la série-B" d'une relation d'ordre intemporel, Eternisme ou Quadri-dimensionalisme).

  Jack Vance défend la thèse inverse qu'on appelle aujourd'hui en philosophie analytique le Présentisme (ce que McTaggart appelle "la série-A" d'indexicalité du Maintenant) et cela exclut a première vue tout récit de voyage dans le temps (Vance en a-t-il jamais écrit ? Peut-être dans ses nouvelles ?).

Herbert, quant à lui, défend une troisième thèse que je ne comprends pas, qui semble être l'idée que la notion de Vie dépasserait toute relation à l'écoulement du Temps (peut-être plus proche de l'Augustinisme ou du Néo-Platonisme sur l'éternité de l'Âme, que la position présentiste de Vance ?).

3 Enfin, j'apprends que l'éditeur légendaire de SF John W. Campbell, qui avait été enthousiaste pour Dune a ensuite refusé Le Messie de Dune !

John Campbell avait accepté les réticences de Paul face au pouvoir comme une trope dans le roman initiatique du Héros. Cela correspondait bien à ce que l'autre Campbell, le Jungien, Joseph, sans rapport avec le premier, avait appelé l'étape Refusal of the Call dans le Hero's Journey.

Mais dans le Messie, John Campbell comprit soudain qu'il avait été victime d'une erreur d'interprétation ou d'une projection, que la critique de l'Héroïsme et du Pouvoir était bien plus profonde chez Herbert qu'un simple "atermoiement" dilatoire. Dune est une manipulation très réussie car superficiellement, cela peut satisfaire nos habitudes du Voyage héroïque (Héros trahi, Héros vengé, Héro triomphant) mais Herbert détruit en fait toutes nos conventions du Bildungsroman : le Héros se méfie de sa propre destinée en Messie et échoue à l'éviter, son parcours semble être un triomphe ou une réconciliation avec sa destinée mais ce n'est pas le cas. C'est une résignation, c'est en partie un échec à détourner ce destin et même Leto II, dans la seconde trilogie inachevée, mettra des milliers d'années de Tyrannie avant de se libérer et de libérer l'Humanité de son "Despotisme éclairé". Herbert ne veut pas que le Héros se réconcilie avec le Pouvoir (comme le voudrait John Campbell - ou comme Joseph Campbell voudrait que le Héros se réconcilie avec "l'imago de son Père") mais au contraire mettre en garde contre le danger du Héros et de sa recherche du Pouvoir (et cette critique a l'avantage sur Tolkien de ne pas exalter pour autant l'idyllique ou romantique retour à la Nature). Cf. ce qu'il disait sur la corruption pathologique du Pouvoir. Toute sa SF est fascinée par les superhéros et les diverses formes d'Intelligences supérieures mais il a aussi l'avantage d'insérer la critique interne à cette hiérarchisation.

Herbert a eu des tentations jungiennes, paraît-il, et aurait même pratiqué l'analyse avec des Jungiens de Californie dans sa formation, mais dès Dune, il subvertit les conventions "archétypales" de (Joseph) Campbell que George Lucas suivra plus linéairement dans Star Wars.

4 Le génie de Frank Herbert est en partie un mystère. Comment cet écrivain (et enseignant "d'études interdisciplinaires") arrive-t-il à absorber tant de mondes et à synthétiser tant de savoirs exotiques et encyclopédiques ? Comment peut-il inventer la SF écologique, jouer sur des références vraiment SF, tout en faisant référence à des détails de la Gnose soufie (comme "Alam al-Mithal" où se rend Paul) qui n'étaient à cette époque connus que de quelques spécialistes d'Henri Corbin, comme le fait remarquer Christian Jambet ?

Jack Vance avait un talent pour l'anthropologie et Poul Anderson savait certes aussi approfondir ses recherches au-delà de sa propre formation de physicien. L'encyclopédisme d'Asimov donnait parfois moins l'impression d'une maîtrise élégante que chez Herbert, je trouve.