dimanche 15 septembre 2024

"Attendre et espérer"


Cette formule écrite par Alexandre Dumas & Auguste Maquet comme devise finale du Comte de Monte-Cristo paraît curieusement quiétiste pour un roman sur l'énergie et la force de la volonté (un Stoïcien dirait plutôt qu'il faut s'abstenir et soutenir, se forcer à agir sans rien espérer). La fin du livre reprend un ton assez chrétien sur la nécessité de l'espérance, alors que le personnage du Vengeur avait semblé remettre en cause toute idée de Providence divine. 

Le nouveau film de Matthieu Delaporte et d'Alexandre de La Patellière est efficace et reprend même les tropes habituels du superhéros, ce qui rappelle la thèse d'Umberto Eco selon laquelle Le Comte de Monte-Cristo a créé le genre du superhéros en 1844 (60 ans avant Arsène Lupin ou The Scarlet Pimpernel). Le père d'Alexandre, Denys de La Patellière, avait réalisé une adaptation TV assez fidèle en 4 épisodes du roman en 1979 avec Jacques Weber (elle est sur le site de l'INA). 

L'erreur principale à mes yeux dans cette version, qui doit relever du montage, est sur Maxilimien Morrel

Dans le film, on insiste pour nous montrer Morrel et son fils Maximilien encore enfant, puis on raconte que Morrel est le seul à avoir tenté de sauver Dantès avant de mourir dans la misère (ce qui n'est pas le cas dans le livre) et Dantès oublie complètement Maximilien (alors qu'il en fait un de ses principaux héritiers dans le roman). 

La scène avec le petit Maximilien doit venir d'une étape dans le scénario où le petit Morrel devait encore jouer un rôle alors que ce Pistolet de Tchekhov est complètement oublié dans le film, ce qui retire un mécanisme de satisfaction, oubli facile à corriger. S'il y a une version longue, j'espère qu'il y aura au moins une scène avec Maximilien adulte ou bien un testament en sa faveur, cela changerait pas mal de chose. 

Autres changements dans l'adaptation : 

Le nouveau personnage d'Angèle de Villefort (la soeur du procureur Gérard de Villefort) remplace dans ce film le personnage de Noirtier : on a changé le père bonapartiste en une soeur et on ajouté une scène d'action où Edmond sauve Angèle. Et Noirtier va jouer un rôle plus durable dans le roman avant de finir tué lui aussi, sans que ce soit la faute de Villefort. 

Fernand Mondego ou Mercedes Herrera n'étaient pas (encore) nobles au début, il n'y a donc pas de mésalliance si Dantès épouse Mercedes (alors que dans le film, ils sont déjà les cousins Morcerf et Danglars est le seul à être roturier). Mondego est bien plus coupable dans le livre (c'est lui qui envoie la lettre de dénonciation, pas Danglars) et Danglars est un comptable, pas un marin. 

Le Trésor de Faria n'a rien à voir avec les Templiers dans le roman. Mais je trouve que c'est plutôt une bonne idée qui relie toutes les théories du complot du XIXe. 


Ils ont retiré la scène où Dantès se lie d'amitié (juste après son évasion) avec le marin Jacopo, qui va devenir un de ses associés. 

La scène où Monte-Cristo sauve Albert de Morcerf (le fils de Fernand et Mercedes) a lieu en Italie, pas à Paris et il y a plus de transitions pour faire accepter Monte-Cristo dans la bonne société parisienne. 

UN : Villefort

Le personnage du Prince Andrea de Cavalcanti (le bâtard abandonné, fiancé à la fille Danglars) dans le film est le bandit Benedetto dans le roman. En revanche, Villefort est aussi puni par une autre intrigue dans le livre où sa femme (qui a empoisonné plusieurs membres de sa famille dans l'espoir d'enrichir leur héritier) se tue et tue leur fils légitime Edouard en même temps. Villefort devient fou, il n'est pas tué par son fils (mais Dantès a plus de doutes sur les conséquences que sa vengeance a eu pour toute la famille). Mais Villefort a aussi une fille, Valentine, qui sera sauvée et épousera Maximilien Morrel (qui avait failli se suicider en croyant Valentine morte). 

DEUX : Morcerf

Le fait que Fernand de Morcerf ait trahi le Pacha de Janina est rendu public dans le roman (grâce au journal contrôlé par Monte-Cristo, l'intrigue qui est dans le film contre Danglars) et il finit par se suicider, sans ce duel à l'épée assez ridicule du film. Albert de Morcerf tentera de sauver son honneur en se faisant engager en Algérie. 

TROIS : Danglars

Danglars sera ruiné (sans cette histoire de flotte), puis capturé par les bandits, forcé de jeûner en châtiment pour le père de Dantès qui était mort en cessant de se nourrir. Mais Monte-Cristo lui laissera la vie sauve. Il est sous-entendu qu'Eugénie Danglars (Emilie dans le film, si je me souviens bien) est lesbienne mais ce n'est pas affirmé aussi clairement que dans le film. 

Le film a donc redistribué sur Haydée (jouée par la franco-roumaine Annamaria Vartololomei dans le film) et Albert de Morcerf ce qui arrivait en fait à Valentine de Villefort et Maximilien Morrel qui sont tous les deux retirés (et toute l'histoire de l'épouse de Villefort aussi). 

Dans le livre, Haydée est amoureuse de Monte-Cristo, pas du tout d'Albert et c'est sans doute un des changements majeurs du film qui semble avoir craint cette happy end. Et Monte-Cristo ne finit donc pas seul, comme dans le film (comme si le film avait voulu mettre un peu de Jean Valjean sur lui, avec Haydée en Cosette et Albert en Marius Pontmercy). 

Cela dit, je suis plutôt d'accord avec l'idée que la relation Haydée-Edmond ne marche plus bien pour nous en raison de son statut de fille adoptive. C'est assez difficile à dépasser. 

Il y a 6 ans, j'avais déjà parlé d'Edmond Dantès. Mais à l'époque, je ne connaissais pas le délire absurde qui se demande si Pouchkine n'aurait pas pu survivre à son meurtre par d'Anthès en 1838 avant de changer d'identité et de devenir... Alexandre Dumas (alors qu'on a tant de données sur ce Dumas avant 1838). Sans doute une sorte de blague russe, en fait. 

Si vous voulez comparer entre elles les différentes adaptations du Comte de Monte Cristo, il y a ce très utile site : 1 les films de 1918 à 1959, 2 les films de 1960 à 2002, et une amusante synthèse de tous. Il dit que la version de 1979 est la plus fidèle de toutes (à part l'ajout obligatoire d'une scène de duel d'escrime) mais que hélas Jacques Weber est trop froid en Dantès et que Haydée n'a aucune "chimie" avec lui. La version Disney de 2002 est, elle, allée jusqu'à faire d'Albert le vrai fils d'Edmond Dantès et non de Fernand (!!!). 

samedi 14 septembre 2024

Rings of Power Saison 2, épisode 5 "Halls of Stone"

SPOILERS abondants, variés et violents.


Episodes 1-34 (j'avais en revanche peu détaillé la saison 1)

Il n'y a pas de secret : c'est meilleur quand on n'a que les intrigues d'Eregion & Khazad-dûm et Númenor sans les histoires sans grand intérêt de Gandalf-Bis-à l'est et Legolas-du-sud, ce qui est le cas ici (même si on a hâte qu'Isildur revienne en Númenor).

Pourtant, même dans cet épisode, l'esthétique du Prequel me paraît souvent peu réussie, nous donnant la gratification de l'origine des scènes qu'on attend mais d'une manière tellement maladroite que le plaisir de l'analepse est un peu décevant. 

Prenons la scène de dévoilement de la Porte Ouest de Narvi.


Mon fils Mellon devant les Portes de Durin
Expo Tolkien de la Bibliothèque nationale

Depuis qu'on avait vu le constructeur Narvi, on s'attendait à cette scène et ces magnifiques Portes de Durin, dites "Portes Occidentales de la Moria" ou Porte d'Eregion (ou de la "Houssaie" en français) fournit à Tolkien l'une des plus belles scènes de tout le Seigneur des Anneaux en contenant en puissance toute la force de l'imaginaire "liminal" du jeu de rôle (et je regarde presque la série rien que pour avoir cette scène). Ici, la scène est expédiée comme un remerciement pour l'Anneau de Durin, sans aucun lien d'amitié réelle entre Celebrimbor et Narvi, sans aucun travail commun avec Celebrimbor et j'imagine que ce dernier va y ajouter ensuite les runes lunaires en ithildin de tengwar féanoriennes qui disent le célèbre texte :  

"Ennyn Durin Aran Moria. Pedo Mellon a Minno.
Im Narvi hain echant. Celebrimbor o Eregion teithant i thiw hin." 

Le fait que le siège d'Ost-in-Edhil par les Orcs d'Adar commence déjà me fait hésiter sur la possibilité d'avoir cette scène.

Les nombreuses scènes de manipulation avec Annatar ont au moins l'avantage de jouer sur la perversité où Sauron prêche le vrai pour mieux tromper (comme lorsqu'il s'amuse à accuser Celebrimbor d'être le seul responsable de la corruption des Sept Anneaux Nains). Mais s'il n'utilisait pas la magie, son Verbe seul ne nous impressionnerait pas tellement. Il tente de séduire Mirdania (une Noldo des Gwaith-i-Mírdain, les Orfèvres d'Eregion) en jouant sur son ressentiment contre Celebrimbor et en la comparant à la chevelure de Galadriel (chevelure magique qui contient encore, telle les Silmarils, un reste de l'éclat des Deux Arbres de Valinor). Mirdania va-t-elle même jouer un rôle dans la construction de l'Anneau Unique (que Sauron construira seul dans les Monts Orodruin) ? 

Malgré toute l'hubris des Orfèvres noldor, on a du mal à croire à ces manipulations mais c'est une idée de scénario intéressante que Sauron réussisse toujours à s'en sortir en projetant sur d'autres la cause réelle de sa propre corruption ou que ses mensonges favoris reposent sur le fait de dire la vérité sur ce que va faire un certain "Sauron". 

Je n'ai rien contre la chronologie compressée (c'était inévitable) ou contre certaines des modifications importantes. Adar, par exemple, me paraît être une très bonne idée pour avoir un adversaire ambigu, Père des Orcs, elfe corrompu mais en même temps ennemi de Sauron qui a créé le Mordor sans deviner qu'il ne fait que servir involontairement la cause du Seigneur Ténébreux. Et dans cet épisode, l'idée qu'Adar puisse vraiment devenir un allié contre Sauron est plutôt attirante dans sa source de complexité : Galadriel, malgré toute sa haine des Orcs, est-elle prête à s'allier à l'ennemi de son Ennemi ? 

Mais d'autres modifications continuent à poser des problèmes qui s'accumulent. Comme tout le monde l'a déjà dit, c'est le cas de l'ordre de construction des Anneaux. 

Dans la série, Celebrimbor fabrique d'abord les Trois sans Sauron puis fabrique à la chaîne les 7 puis les 9 avec lui (ainsi que divers anneaux d'invisibilité plus mineurs). Mais les 3 sont censés être plus puissants que les 16 autres, ce qui veut dire qu'il a donc bâclé les 16 en les fabriquant ensuite avec Sauron . De plus, les scénaristes doivent regretter d'avoir révélé l'identité de Sauron ainsi dès le début à Galadriel : elle a prévenu Celebrimbor mais maladroitement et il décide quand même de ne pas l'écouter. On a toujours envie de revenir en arrière pour corriger cette scène pour que la corruption de Celebrimbor soit plus crédible. L'interprétation plausible est que les scénaristes ont choisi de suivre l'ordre croissant du poème alors que ce n'était pas un ordre chronologique : "Trois pour les Rois elfes sous le ciel, // sept pour les seigneurs des Nains dans leurs demeures de pierre"

Dans les livres, tous les Elfes (sauf en partie Gil-Galad, Elrond et Galadriel) sont trompés par Annatar. Annatar et Celebrimbor forgent d'abord les 16 ensemble puis Celebrimbor commence à avoir des doutes sur Annatar et il se retire pour créer son chef d'oeuvre, les Trois (mais même sans l'intervention de Sauron, les Trois restent potentiellement corrupteurs et Cirdan, Gandalf et Elrond s'en méfient comme d'une arme de dernier recours). Cela aurait donné une meilleure progression si Celebrimbor s'était ainsi rédimé en créant les Trois Anneaux des Elfes comme un remède atténuant le poison auquel il avait contribué. 

Disa a retrouvé sa lucidité et comme Durin IV elle ne croit plus du tout à l'Anneau (mais la scène où elle suit une boule pour descendre jusqu'aux profondeurs sombres est ridicule, les scénaristes n'avaient aucun autre moyen qu'une boule qui roule ?). La corruption de Durin III est ultra-rapide et facile à remarquer, comme si le Roi des Nains était ivre. Le rythme de cette série est parfois très curieux, trop lent dans certains épisodes (les Hobbits) et soudain très précipité pour arriver brutalement au but attendu. Relier si vite le don des Anneaux et quelques jours plus tard déjà l'arrivée du Fléau de Durin compresse tout le Second Âge et les 2000 premières années du Troisième Âge. La Moria n'est censée tomber qu'après la chute finale d'Arnor-Arthedain et là, Arnor n'est pas encore prête d'être fondée puisque cela devrait être à la fin de la série ! 

Gil-Galad refuse d'intervenir en Eregion, prétextant qu'ils sont seuls. Cela annonce l'alliance future mais précaire avec le Numenor d'Ar-Pharazon. Mais le Haut-Roi des Elfes de Lindon a l'air encore une fois assez ridicule (mais c'est un problème général de quasiment tous les Elfes des films et de cette série, sauf Legolas, Arwen et Galadriel). 

En Numenor dans la cité d'Armenelos, il y a une scène que même moi (qu'on accuse à raison de ne pas toujours assez se soucier de ne pas trop divulgâcher) je ne voudrais pas spoiler ici comme c'est une surprise et je n'en vois pas vraiment l'utilité (si ce n'est que le choix d'Isildur pour les noms de ses enfants va prendre un sens nouveau, le nom de "Valandil" étant à la fois le nom d'un oncle et d'un fils d'Isildur et non d'un de ses amis dans les livres). 

Le personnage du Prince Kemen (le fils d'Ar-Pharazôn) est très caricatural parmi les "Hommes du Roi" quand il brise la statue de Nienna. Mais après tout, le pauvre Kemen est destiné par son père de toute éternité à échouer et les scénaristes ont choisi de gommer les mères pour n'avoir que deux veufs, Pharazon et Elendil. J'aimerais bien un jour que l'école des scénaristes apprenne d'autres intrigues que les Daddy Issues

Après cet épisode, j'imagine qu'on aura enfin une scène de rédemption d'Eärien, la fille d'Elendil qui aurait un peu l'arc de Sansa dans GoT (passant de l'alliée de Joffrey à son ennemi), même si Captain Popcorn propose dans sa vidéo que Kemen et Eärien pourraient devenir des Nazgûls au cours de la future Saison 3 ou 4. 

Je ne sais pas s'il était possible de rendre la cause des Numénoréens anti-elfes un peu plus ambiguë. La scène où Pharazon regarde avec une envie dévorante l'île de Tol Eressëa est assez bien faite. Le seuil du Paradis était censé être un signe d'espérance et de confiance, une arche d'alliance, et devient une source d'amertume : le peuple des mortels au seuil de l'immortalité n'y voit que le fardeau de sa mort et non pas le présent des Valar

L'idée d'avoir fait démocratisé Elendil en en faisant un simple officier capitaine de Numenor et non pas un des cousins de la famille royale me paraît toujours aussi discutable dans une adaptation : je préférerais aussi un imaginaire plus démocratique comme les scénaristes mais on sait bien que ce n'est pas ce que Tolkien utilise. Elendil est censé être l'héritier fidèle qui va restaurer la monarchie, pas un fonctionnaire en résistance. C'est un roi Arthur ou peut-être Moïse, pas Jean Moulin. 

jeudi 5 septembre 2024

Recombinaison d'éléments négligés : Galgals & Bombadil

 The Rings of Power Saison 2, épisode 4

Voir épisodes 1-3.

Il se peut que cette série fût meilleure si elle avait réduit le nombre d'histoires parallèles pour se restreindre aux plus épiques comme celles de Lindon/Eregion (Gil-Galad, Elrond, Galadriel et Celebrimbor face à "Annatar"), Khazad-Dum (Durin IV et le Balrog) et Númenor (la chute de Pharazôn). 

L'histoire des Humains de Mordor/Pelargir ou surtout l'histoire des Halflings et de "l'Etranger" paraissent moins intéressantes et dans le cas des Halflings presque une parodie superflue du LotR. La fonction de l'énigme sur l'Etranger était au début de lancer des fausses pistes pour préserver l'identité du vrai Sauron. 

La série ne se veut pas une adaptation de Tolkien mais un prequel de Peter Jackson et cet épisode paraît être construit à partir des lambeaux du roman que Jackson n'avait pas adaptés mais qui sont recombinés pour devenir des aventures antérieures : Tom Bombadil et les Barrow Wights, avec quelques Huorns et Ents. Tom Bombadil est un Ermite dans le désert de Rhûn au lieu d'être dans la Vieille Forêt près de la Comté (ce qui ferait penser qu'il doit suivre la pérégrination des Halflings).  Le fait que l'Istar en Rhûn (dont je continue à espérer un peu en vain qu'il ne sera pas Gandalf) et Elrond se voient attribuer chacun une partie des aventures de Frodo ne prend son sens que si on voit la série comme une sorte de supplément ou d'amendement à Jackson. 

Mais ils ont au moins réussi à garder une impression de mystère sur ce Tom Bombadil en Vieil Homme Vert de la Nature. La rencontre avec l'Etranger est assez divertissante, tant l'Envoyé des Valar ne comprend pas Bombadil. 

En passant, je ne me souvenais pas avant cet épisode que les Barrow Wights étaient des Tumulus du Premier Âge, je croyais qu'ils ne dataient que du Royaume du Cardolan du Troisième Âge, mais Cardolan n'est que leur localisation, pas leur origine, ils étaient déjà anciens bien avant la fondation ou la chute d'Arnor.

Les Wildmen sont peut-être des ancêtres des Druedain et des Pukel-Men de Dunharrow, et le Marais contre lequel lutte Isildur face aux Ents (avec une Entwife) est peut-être un préfiguration des Spectres des Montagnes blanches (Dunharrow) qui seront maudits par Isildur pendant la Guerre de l'Anneau.

Les Stoors (les "Fortauds") ne sont pas vraiment une réussite, notamment ce Merrimac qui fait penser à Jar Jar Binks (peut-être parce qu'il va être un ancêtre de Trahald/Sméagol/Gollum ?). Vont-ils aller jusqu'à changer la date de l'arrivée des Hobbits dans la Comté ? 

La transformation de Theo en adulte responsable et ami des Elfes est trop brutale mais au moins on n'aura plus ses crises de nerfs. 

mardi 3 septembre 2024

L'émission belge Strip-Tease sur les jeux de rôle (1985)

Partie d'AD&D 1e édition, sans doute un peu customisée et un peu punk de Namurois il y a 40 ans, qui veulent jouer des "Chaotiques" pour se défouler. Le portrait n'est pas particulièrement flatteur mais par rapport aux habitudes plutôt cruelles de l'émission documentaire Strip Tease, c'est presque favorable. 


Trois Anneaux, Un Bâton et un Palantir

Trucs que j'ai plutôt aimés dans Rings of Power Saison 2 (épisodes 1-3)



Cirdan le Constructeur de Navires. Le Haut-Roi Gil-Galad me paraît complètement raté, ridicule et sans charisme, mais Cirdan donne une impression assez réussie d'Elfe immortel sage et super-serein. Il y a quelques personnages qui ne se trompent jamais dans cette série comme Cirdan et les intuitions psychologiques du prince Durin (IV). Cirdan est le Bodhisattva des elfes ou le Psychopompe : il organise le retour en Valinor mais sacrifie sa propre immortalité pour servir cette grande traversée. Ils auraient dû le mettre dès le premier départ avorté de Galadriel. 

L'importance des Chants (chants pour s'orienter, chant pour "parler aux Pierres"). 

Sauron en "maître des loups-garous", son ancien titre au Premier âge quand il servait Morgoth. 

Annatar disant à Celebrimbor de la Maison de Fëanor que ce sera lui, l'artisan, qui sera connu sous le nom de "Seigneur des Anneaux". 

Annatar qui semble vraiment sincèrement effrayé à quel point Celebrimbor est facile à corrompre. Ah, la Maison de Fëanor, l'amour-propre destructeur de l'artiste et l'Hubris qui se retournent contre sa création. 

Le fait qu'Elrond se méfie tant des Trois Anneaux elfiques alors qu'il va devenir le Porteur de Vilya, l'Anneau de l'Air. 

L'humanisation (relative) de certains Orcs grâce au personnage d'Adar (qui doit être un Elfe déchu et pas encore vraiment un Orc à proprement parler). Je n'ai jamais aimé la version Peter Jackson qui insistait pour en faire des monstres artificiels. 

Trucs où j'hésite entre kitsch ridicule et génie

Berek le Super-Jolly Jumper. Il a tellement plus de charisme que son monteur Isildur

Trucs que je trouve moins réussis

La métamorphose de Sauron en slime noir. Bof. 

Sauron assassiné avec sa propre Couronne de Fer ?? Métaphore du Mal qui se dévore lui-même, ok. 

Je n'aime toujours pas l'idée que le mithril soit la seule chose qui puisse arrêter la décrépitude de l'Arbre. Cela sonne trop ad hoc pour relier Elfes de Lindon et Khuzduls de Khazad-dum. 

Le plan de Sauron a l'air tellement inutilement compliqué. 

Les pouvoirs de Sauron n'ont aucune cohérence et varient selon les besoins du scénario entre l'omnipotence et un humain juste habile. 

Le fait que les interlocuteurs de Sauron ont l'air si crétins : Adar ou Celebrimbor sont trop peu crédibles dans leur stupidité dès que Sauron les manipule. 

Le Sorcier de l'Est. Pour l'instant, il ne sert à rien. 

Le fait que l'Etranger semble toujours être Gandalf (la Hobbit lui propose même le nom "gand"). Les indices semblent s'accumuler trop lourdement. Je ne vois pas comment il pourrait être Saruman avec son humilité (et il serait encore plus idiot que le Sorcier de l'est soit Saruman). Il restait l'hypothèse d'un Mage bleu mais cela semble s'éloigner.  

Les Halflings. Et dire qu'on va en plus ajouter les Stoors aux Harfoots. 

Quand Cirdan offre Narya (l'Anneau de Feu) à Gandalf selon Tolkien, il est dit qu'il ne l'a jamais utilisé. Ici, Ulmo le Vala l'a vite convaincu que c'est le seul moyen pour guérir l'Arbre. 

Théo, le jeune mortel tourmenté, est toujours pénible même s'il devient un peu moins unidimensionnel. 

Bronwyn est morte seulement parce que l'actrice Nazanin Bonyadi avait choisi de quitter la série ?? Pourtant ils ont changé d'acteur pour Adar. 

Le complexe d'Oedipe des deux Durin comme imitation de la relation Denethor-Faramir (ou de même pour l'Elfe Arrondir et Théo). 

Le fait que toute la rencontre entre Sauron et Galadriel en mer (dans le flash-back du premier épisode) ne soit qu'une coïncidence si peu crédible. Il devait y avoir un moyen de sauver cet élément du scénario. Tant de choses dans cette série paraissent si arbitraires avec une succession d'intrigues où on semble se dispenser de la crédibilité. 

Toute la scène du couronnement raté. Eärien qui rejoint le racisme anti-elfe le plus vulgaire si facilement. L'Aigle messager qui a l'air très embarrassé que les Numénoréens soient si nuls en interprétation des augures. 

On peut se demander s'il y aura une Saison 3... 

***

Je croyais que je connaissais bien Tolkien mais je ne savais pas avant cette série que les Noldor avaient renoncé au quenya au Premier âge en Beleriand pour passer aussi à la langue sindarin. Gil-Galad, le Haut-Roi des Elfes, ne parle qu'en sindarin. 

vendredi 30 août 2024

Probabilités dans Donjons & Chatons


Dans le système du nouveau jeu de rôle Donjons & Chatons, on lance 3 dés (à six faces) et on doit faire moins qu'un score X pour avoir un succès (on compte alors le nombre de succès). Si on est "en désavantage", on lance 2 dés au lieu de 3 et si on a un avantage (une compétence par exemple), on lance 4 dés. Le système est un peu compliqué par le fait que si on obtient un triple (3 fois le même nombre), l'effet sera positif, et qu'on peut aussi avoir des relances. Mais je vais négliger cette complication. 

Je ne suis pas sûr que les jeunes joueurs se rendent toujours bien compte des probabilités avec un tel système. Dans le cas standard, avec 3 dés, on a (si je ne me suis pas complètement trompé) le tableau suivant, avec en colonne le score et en lignes le nombre de succès obtenus. Le pourcentage en rouge se lit "1 succès AU MOINS" et non pas "exactement UN succès". On remarque les chances assez élevées de réussite : un personnage avec un score faible (2) a quand même 70% de chance d'avoir au moins un succès. Un personnage avec un score de 5 a presque 60% de chance d'avoir trois succès. 


2345
0 succès29,612.53,70,5
1 succès44,4
(70,4%)
37.5
(87.5%)
22,2
(96,3%)
6,9
(99,5%)
2 succès22,2
(26%)
37.5
(50%)
44,4
(73,1%)
34,7
(92,6)
3 succès3,712.529,657,9

Voici le même tableau mais en situation de "désavantage" avec seulement 2 dés à six faces. Même un personnage faible en désavantage garde donc environ une chance sur deux de réussir (en tout cas, d'avoir au moins une réussite). 

2345
0 succès44,42511,12,8
1 succès44,4
(55,6%)
50
(75%)
44,4
(88,9%)
27,8
(97,2)
2 succès 11,1 25 44,4 69,4

Enfin, voici le même tableau, mais avec "Avantage" (+1 dé). 
2345
0 succès19,76,21,20,1
1 succès39,5
(80,3%)
25
(93,8%)
9,9
(98,8%)
1,5
(99,9%)
2 succès29,6
(50,7%)
37.5
(68,8%)
29,6
(88,9%)
11,6
(98,4%)
3 succès9,9
(11,1%)
25
(31,2%)
39,5
(59,2%)
38,6
(86,8%)
4 succès1,26,219,748,2

Les échecs sont donc rares dans D&C.

jeudi 29 août 2024

CM9 Legacy of Blood (1987)


La longue description de ce module de D&D chez Paleologos m'a donné envie de revenir dessus. L'Héritage sanglant est un des rares modules écrits par le créateur de RuneQuestSteve Perrin dans sa période où il travaillait comme free-lancer pour TSR. J'ai déjà parlé de son N5 Under Illefarn dans les Royaumes Oubliés et à la même époque il préparait aussi son supplément (plutôt réussi) sur Alfheim, la forêt elfique dans le Known World de Mystara qui parut l'année suivante. Perrin collabore ici avec l'écrivaine Katherine Kerr, l'autrice du cycle de Deverry (qui cite ici son mari Howard comme testeur des aventures) et ce scénario de 32 pages fut là son seul module pour D&D (elle collabora aussi à Savage Mountains pour Pendragon). 


La série "CM" (Companion - j'ai déjà parlé de la série M, Master) était tous des modules consacrés à des PJ de hauts niveaux (Niveaux 15-22) et l'idée de D&D est qu'à ce niveau on cherche à diriger un Domaine et non plus seulement à chercher l'aventure. Ce sont donc des cadres pour des jeux plus "politiques". 

Les 4 premiers volumes de la série CM se déroulaient tous dans une colonie de peuplement nordique, le Norwold. Ce Norwold était hélas très vide et fade avant que les publications de fans n'y ajoutent des territoires. Les Alphatiens y offraient des Fiefs aux seigneurs entreprenants - mais des PJ habitués à jouer dans le Grand Duché de Karameikos auraient peu d'intérêt à partir ainsi sans raison servir l'Empire alphatien opposé au Thyatis. Ces modules étaient : CM1 "Test of the Warlords" (1984) de Douglas Niles, CM2 "Death's Ride" (1984), CM3 "Sabre River" (1984) encore de Douglas Niles et CM4 "Earthshaker!" (1985) de David Cook. 
Puis venaient des aventures sans lien entre elles. CM5 "Mystery of the Snow Pearls" (1985) était une aventure en solo (par Anne Gray McCready) pour un Elfe de la cité elfique de "Tarylon" (où que ce soit) et le CM7 "The Tree of Life" (1986) par le grand Bruce Heard reprenait l'idée d'une quête elfique et jetait les bases de ce qui devait devenir plus tard l'histoire d'Alfheim. CM6 "Where Chaos Reigns" (1985) de l'auteur britannique Graeme Morris n'était même pas sur Mystara du tout mais une aventure mélangeant SF et fantasy avec une invasion de Cyborgs déshumanisés, les "Oards". CM8 "The Endless Stair" (1987) d'Ed Greenwood était une quête d'une relique majeure, un Trône des dieux, censée partir d'un domaine de Glantri et même Greenwood a dit par la suite qu'il regrettait que ce scénario soit trop généreux en trésors déséquilibrés. 

CM9 reprend à nouveau l'idée du Jeu sur l'exploitation d'un Fief. Mais Perrin et Kerr abandonnent encore le fade territoire glacé du Norwold pour installer le fief des PJ dans un pays qui n'était alors pas encore très décrit plus au sud-ouest : la République de Darokin, une ploutocratie qui a en son centre tout un autre pays en enclave, la grande forêt d'Alfheim - . Peut-être que ce choix du Darokin vient du CM7 the Tree of Life de Bruce Heard mais Steve Perrin écrit ensuite Alfheim en précisant bien que les événements du CM7 n'ont pas encore eu lieu. 

Le supplément officiel sur cette ploutocratie, Gazetteer 11 The Republic of Darokin par Scott Haring ne sortira que deux ans après, en 1989, mais tient pas compte du module CM9 (et ce module de 1987 par Steve Perrin paraissait moins naïf dans son évocation de l'oligarchie que la version idéalisée de Haring, qui ne peut s'empêcher de projeter une vision des Etats-Unis sur la République). Le Grand-Chancelier Président-Directeur de la République (on pourrait peut-être l'appeler le "Doge") est Corwyn Mauntea, de la famille la plus puissante de l'oligarchie. 

L'idée du module est simple : un des PJ de niveau 15-20 hérite d'un autre seigneur la suzeraineté sur une Marche sauvage ("Borderlands") dans un marais. Le domaine de "Fenhold" se trouve en territoire darokinien entre le pays sylvestre d'Alfheim (la forêt de Canolbarth) et les Montagnes des Pics Noirs de Cruth. Le domaine a environ 700 habitants sur un hexagone de 24 km, la moitié des Humains (surtout bûcherons) et la moitié des Hin (Halflings venus des Cinq Comtés, surtout bergers). 

Dans les pré-tirés, si on choisit de les prendre, l'héritier serait le guerrier Hughes des Terres Rouges. Bien que le Darokin ne soit pas un pays féodal classique, certaines des régions ont des Magistrats locaux qui peuvent acheter et transmettre les territoires. Alfheim et Darokin ont plus de relations entre eux que Mirkwood et Laketown (Haring dit que la cité de Dolos a même une part importante de demi-elfes, quelles que soient les tensions entre elfes et bûcherons). 

Il y a eu beaucoup de discussions pour savoir où placer précisément ce domaine de Fenhold dans la carte moderne de Darokin mais la version de synthèse des fans comme le cartographe Thorf est de la déplacer un peu plus vers l'ouest de la capitale, entre Dolos et Nemiston, sur la route entre Darokin et Selenica, avec pas mal d'indications tirées du supplément sur Alfheim (dans cette carte, chaque hex fait 13 km)


Voir aussi la carte dans la version par Jason Hibdon. 

Fenhold est un domaine en crise et les PJ vont vite douter que cet héritage soit vraiment un cadeau. Le prédécesseur des PJ a échoué à drainer les Marais qui semblent même devenir plus dangereux, avec un être nommé le "Seigneur des Eaux" qui déclenche des inondations régulières. Ce n'est pas trop gâcher le suspense que de dire que les eaux du Marais ne sont pas toutes naturelles. Les règles utilisent la notion de "Niveau de Confiance" (expliqué dans D&D Companion). Si les PJ n'arrivent pas à rétablir la confiance face aux crises, ils ont perdu et risquent de voir les autorités de la République de Darokin leur retirer leur Domaine qu'ils n'ont pas su sécuriser. 

On voit qu'on n'est pas loin de zones de magie positive de la Forêt elfique (Glow Tree, Alfheim p. 20) mais aussi de zones de magie maudite (Stalkbrow, Alfheim p. 23). Même si les relations sont globalement bonnes avec Alfheim (un jardinier elfe, Plume Grise, s'est installé dans le domaine pour planter un verger d'agrumes), il y a aussi des Elfes très opposés aux bûcherons de Fenhold. 

Le module commence par une partie politique pour obtenir la charge de Magistrat auprès d'un certain Arnulf qui doit remettre l'héritage. Steve Perrin avait imaginé un schéma abstrait ingénieux des commerces de la capitale Darokin comme substitut de carte, mais on peut utiliser simplement la carte du Gazeteer. La cité de Darokin n'est pas qu'un ville de commerçants, c'est un des plus grands centres diplomatiques du Monde Connu autour du Capitole du Chancelier. 


A Fenhold, la politique doit gérer le Sénéchal Gereint, le Maire Will Duchamp, la Mairesse d'East Riding Hilda (ancienne magicienne) ou les sheriffs Halflings (comme le sheriff Feuille-de-Chêne et sa fille Plume d'Alouette). Il y a aussi plusieurs prêtres de niveau moyen mais la religion de Mystara n'était quasiment pas détaillé à cette période et "l'Eglise de Darokin" reste trop vague. Les descriptions plus récentes l'ont associée à plusieurs divinités et notamment à Asterius, dieu de la lune, des voyageurs et du commerce ou Koryis, dieu de la paix et de la prospérité. Il y a divers bandits dans les marais, des monstres aquatiques, des fantômes et même un Dragon noir, Snagglefang, qui adore dévorer le bétail des bergers halflings (et on n'est pas loin de l'Arbre aux Dragons d'Alfheim). 

Je dois reconnaître que globalement, je ne suis pas vraiment emballé par ce petit module, malgré toute mon admiration pour Steve Perrin. En dehors des relations avec les Elfes, je ne vois pas grand chose pour développer cet endroit. Autant Daggerford (le village dans son autre module Under Illefarn) était assez dense en éléments pour lancer une campagne, ici Fenhold reste un peu trop basique avec seulement un petit mystère que Perrin conseille d'ajouter sur d'éventuelles ruines d'une "Cité submergée" sous les eaux du Marais. Dans le genre d'exploration d'un marais, le vieux module U1 The Sinister Secret of Saltmarsh (1981) ou a fortiori la grosse campagne de gestion de domaine Kingmaker (2010) ont sans doute un peu plus d'atmosphère. 

mercredi 28 août 2024

Juanalberto Maître de l'Univers volume 5

 


Rappel des épisodes précédents : Juanalberto est un Canard-Artiste, fan de livres et de bd, qui est aussi devenu le Dieu démiurge d'un des Univers. Ce n'est pas toujours facile d'être Dieu quand on a décidé de donner du libre-arbitre à ses créatures et que certaines s'en servent si mal pour finir par se retourner contre le désir de créativité que Juanalberto avait voulu insuffler dans son monde. 

Le problème principal est l'Amour. Le Créateur voudrait aimer sa création sans exiger d'eux leur amour, mais ce n'est pas si évident. 

Juanalberto vit avec sa compagne bien-aimée et femme idéale, Victoria, et il est en partie amnésique sur les origines de Vi, soit qu'il l'ait créée et se soit voilé à lui-même sa création, soit qu'elle soit bien une oeuvre du créateur antérieur de Juanalberto (car Juanalberto sait bien qu'il a été lui-même un personnage de bande-dessinée avant de devenir le Créateur local). Vi et Juanalberto vivent dans un paradis, un éternel recommencement sans origine mais la tragédie de l'entropie va pourtant entrer dans ce monde et peut-être ce deuil ou ce manque était-il inévitable pour donner de la valeur à leur relation. 

Pendant ce temps, Limerius le lapin blanc bibliophile rencontre une version d'Alice, "Louise Carole" l'Oedipienne, dans une version cauchemardesque modernisée où le Wonderland est soumis au narcissisme et au court-termisme poshlost des réseaux d'Internet. Limerius dit à Louise-Carole qu'il est homosexuel et elle se dit qu'elle peut enfin avoir une relation platonique avec un Lapin. Ici, ce n'est pas Alice qui poursuit le Lapin mais le Lapin qui tente d'initier Alice à la littérature (les bd de Roosevelt utilisent souvent ce thème du Pygmalion) et au dépassement de son monde étriqué. En relisant mes notes du volume précédent, je ne suis plus du tout d'accord avec ce que j'écrivais à cette époque : les Néo-Oralistes qui ont interdit toute littérature sont clairement condamnés, même si le Livre est souvent représenté aussi comme le Fruit défendu qui va déclencher l'entropie. Roosevelt n'en est pas resté à une opposition si manichéenne entre art et destruction. 

Syprisse, l'avatar de l'Eros, est devenue hermaphrodite et a perdu ses pouvoirs de métamorphose depuis qu'elle (pardon, iel) a eu son overdose avec l'étrange drogue organique du Prygnaf. Elle s'unit à l'Ange Andrea et au chaste Ian (qui était une version de Tintin), chez l'escargot-astronome Loïk Yarbave (je dois avouer que je n'ai pas deviné ce qu'il symbolisait avec son visage d'astre, une référence alchimique ?). Je n'avais pas remarqué à ma première lecture des volumes précédents à quel point Syprisse pourrait être considérée comme le personnage le plus important de la série, comme elle est une des plus actives et change le plus de cadre. Elle est d'ailleurs la seule à apparaître dans toutes les couvertures. Son hédonisme naïf a été remis en cause dans sa relation masturbatoire avec cette drogue vivante et on voit pour la première fois aussi une part plus sombre ou auto-destructrice dans sa libido

Enfin, Krapch, le violent Inhibiteur Photonique qui apparaissait dans les volumes précédents comme le plus clair "méchant" intolérant, fanatique, ascétique et fasciste, est en pleine crise de culpabilité après avoir tué sa maîtresse Kala dans un accès sado-masochiste. Il accuse la Volonté de Puissance d'être la vraie responsable. L'intrigue "policière" sur cet assassinat a l'air de parodier plus nettement du Jodorowsky ou du Bilal (mais le passage le plus nettement hermétique jodorowskyen doit être le jeu de cartes entre Juanalberto et Victoria). 

La série est prévue pour 8 volumes au total. 

samedi 24 août 2024

Flying Circus: The High-Flying Adventure Game (2020)

On peut comparer l'univers de Skies of Fire (qui a été développé pour avoir un jeu de rôle de pilotes de dirigeables) et celui de Flying Circus


Flying Circus est un jeu de rôle utilisant une mécanique "PbtA" par Erika Chappell sur un mélange entre avions de la Première guerre mondiale, monde fantastique avec des Fées et quelques dragons mais aussi dessins animés Ghibli de Miyazaki. 

Le but de cet univers est de jouer des escadrilles comme celle du Baron Rouge mais sans les Impérialismes européens, si cela est possible. On n'est pas du tout sur Terre. Le cadre est le continent fragmenté de Himmilgard, une sorte d'Allemagne alternative rustique post-apocalyptique qui utilise des coucous volants, des biplans comme principal moyen de communication. Il faut dire que les aérostats furent découverts par l'équivalent du Saint Empire dès le Moyen-Âge et le premier avion il y a déjà près d'un siècle. On est en l'an "1619", juste après la Grande Guerre commençant en "l'an 1579" (où l'Empire Gotha était l'Autriche-Hongrie mais il n'y a plus aucun Empire centralisé aujourd'hui et même quasiment plus d'aristocratie féodale car de nombreux Junckers ont été tués par la Guerre. La date choisie de "1619" symbolise ces Etats allemands sans Empire, mais il y a eu aussi un équivalent de la Guerre de Trente Ans quatre siècles avant.

Ces populations "gothiques" sont animistes ou païennes (avec une vision plus néo-païenne syncrétique comme dans beaucoup de jeux de rôle). Elles adorent principalement la Triple Déesse Doana (Danube, la Vierge), Rhona (Rhin, la Mère) et Elba (la Vieille), qui correspondent aux Trois Grands Fleuves d'Himmilgard mais aussi aux Trois Lunes. Il y a aussi des juifs monothéistes (les Rishonim) et un peuple divers de nomades (plus inspirés par l'Inde hindoue que par les Romas), vivant dans des aéronefs bariolés, les Luftkinder, qui survolent les cieux de Himmelgard depuis des siècles. 

Il existe aussi des humains "modifiés" : des sortes d'amphibiens un peu "profonds" avec des branchies, le Fischervolk ou des humanoïdes marqués par les fées qui sont donc en gros des Furries thériomorphes avec queue de renard ou oreilles de lapin (les Wildleute). 

Les Dragons ne risquent pas de concurrencer les avions comme ce sont des monstres rares et cruels (les Humains recherchent leurs oeufs parce qu'ils sont en or) mais le supplément Horrors of the Heights ajoute de nombreuses créatures vivant dans l'atmosphère comme des feux follets, des UFO ou des Himmelwale (baleines célestes). 

Une idée qui ne me plaît pas tellement est que les régions soient toutes nommées d'après des noms de compagnies réelles d'avions de notre Terre, ce qui dépasse un peu mes propres limites d'incrédulité. L'équivalent de l'Angleterre s'appelle donc le pays des Sopwiths, la France "Hanriot" ou "Voisin", l'Italie les cités de "Macchi" et le pays gothique a des régions nommées Albatros ou Fokker. Du coup, les noms d'avions dans ce monde n'ont plus rien à voir et le jeu a un travail très impressionnant de catalogue de douzaines d'avions exotiques. Les avions sont les reliques de la Grande Guerre mais l'univers est post-apo et donc plus rural qu'industriel mais on est toujours dans un cadre "capitaliste" avec des compagnies privées qui remplacent les Etats : le but reste de gagner des Thalers pour entretenir ses avions. 

Les PJ ne sont pas des soldats dans une Guerre mais des groupes de mercenaires indépendants ayant leur Jagdstaffel (escadrille) pour accompagner des services commerciaux (mais certains escadrons sont des pirates aériens). L'univers est dénué de sexisme ou d'autres formes de discriminations racistes ou homophobes : le monde fantastique parallèle est une tentative d'avoir une mythologie "germanique" dénuée de toute récupération possible "völkisch". Le désavantage de ce retrait de l'âge des Impérialismes est qu'on risque de "dé-politiser" le jeu en voulant le "neutraliser". Je me demande si je ne préférerais pas l'utiliser en gardant une Terre alternative comme celle de Castle Falkenstein, (ou d'autres uchronies comme Le Cabinet des Murmures ou Sails full of Stars) pour avoir des noms réels de pays comme "Bavière" ou "Prusse". 

Je n'ai pas encore compris les règles de pilotage qui sont bien entendu assez détaillées mais j'aime beaucoup les règles de "carousing" où l'alcoolisme ou les relations personnelles jouent un rôle central pour évacuer le Stress des pilotes. 

Dommage que le jeu soit cher, à environ 30 euros pour un PDF, soit presque le même prix que pour la version imprimée. Il existe déjà plusieurs suppléments. 

lundi 19 août 2024

Skies of Fire

Skies of Fire (Mythworks) est à la fois une série de comics "dieselpunk" dans un monde fictif avec des combat de zeppelins (et on n'a jamais assez de zeppelins) et un jeu de plateau par le même créateur Vincenzo Ferriero et des dessins de Ray Chou



Le comic a commencé à paraître il y a 10 ans déjà en 2014 et il y a eu 8 numéros (repris en deux volumes en TPB). Vincenzo Ferriero est aussi un rôludiste et cela se voit dans la quantité impressionnante de détails pour son univers (il a aussi fait une encyclopédie sur ce monde). 


C'est un comic de guerre qui repose sur les particularités de cet univers. L'Empire Aquilan a une zone au nord-est, l'Etendue (The Expanse) où se trouve une tempête perpétuelle qui semble impénétrable sauf pour quelques pirates qui ont trouvé un moyen pour ne pas y perdre leur aéronef. L'héroïne est la Capitaine Helen Pierce qui a reçu un vaisseau civil, le Zephyr, avec un équipage composé en partie d'anciens pirates ou rebelles comme William Everett, pour pouvoir retrouver le joyau des aéronefs, le Callisto, caché par le pirate Belmonte dans l'Etendue (et c'est aussi un des scénarios possibles dans le jeu de plateau). 


J'aime beaucoup les dessins de Ray Chou et tout le travail énorme sur l'arrière-fond mais ma déception est que l'histoire ne réussit pas à me persuader que les héros gagnent par des tactiques ingénieuses alors que c'est ce qu'on attend d'une fiction "aéronavale" de ce genre. Dans les BD de Barbe Rouge de Charlier, on admirait toujours les ruses du capitaine et la bataille ne m'a pas donné cette impression. 

Quelques JdR japonais

Via RuneBlogger qui fête ses 10 ans, une de ses idées qui m'intéressent le plus en dehors de ses articles sur d100, une liste de nouveaux jeux japonais récents et il met de nombreuses illustrations. 

Le marché japonais est riche et original. Le jeu de rôle étranger le plus influent est Call of Cthulhu et non pas directement D&D, même s'il y a d'autres équivalents comme un jeu local  d'heroic fantasy Sword World (édition 2.5, 1e édition 1989 - déjà adapté dans de nombreux mangas). Un autre jeu important est Shinobigami (2009, où on joue des Ninjas dans le monde contemporain - jeu relié à d'autres jeux de fantastique contemporain comme Peekaboo). 

Une particularité du marché japonais est que les joueurs semblent très ouverts à l'idée de jouer des one-shots à chaque session et de changer ainsi souvent des PJ (peut-être parce que CoC les a habitués à des PJ "jetables"). Plusieurs jeux utilisent l'idée de jouer deux personnages par joueur ou bien d'une double vie (avec vie aventureuse et vie quotidienne plus ordinaire). 

Voici la liste de quelques concepts récents que donne RuneBlogger : 

Ayabito : On joue dans le Tokyo des années 20 mais avec un Ministère qui s'occupe des Yokais. 

Emo-Klore : Là encore, on joue les relations émotionnelles avec des créatures surnaturelles dans le monde contemporain. 

Jaeger : un jeu générique où les PJ voyagent à travers divers cadres de jeu. 

Karekore of Mixed Blood : jeu humoristique où on joue un magasin surnaturel dans un monde qui ressemblait au nôtre avant que certains humains commencent à se mélanger à des êtres surnaturels. 

Kedamono Opera : monde de conte de fées où les PJ sont des animaux mythiques qui vont se lier à un humain. 

Kizuna Bullet : Chaque joueur joue un couple, des agents reliés par un lien empathique à une créature morte réanimée par des nanomachines. 

Kyokou Shinshokou : Les PJ assistent à des transformations locales où une zone du monde réel devient semblable à une oeuvre de fiction (film ou roman par exemple). 

Last Requiem : On joue des créatures surnaturelles dans le monde contemporain. 

Mofumofu : On joue des dresseurs d'animaux magiques. Jeu pour enfants. 

Shiranui : On joue des samurai amnésiques liés à des dieux shinto dans un monde médiéval japonais imaginaires. 

Vision Connect : On joue un couple : un "personnage réel" et son avatar dans un monde virtuel. 

Il ajoute aussi les jeux les plus répandus : 

Change Action RPG Marginal Heroes : On joue les sentai traditionnels et chaque joueur doit s'attendre à des parties isolées avant que les PJ ne se rejoignent contre l'ennemi. 

Code Layered : On joue des Héros du passé réincarnés dans un monde post-apo pour lutter contre des IA. 

Deadline Heroes : Jeu de superhéros. 

Double Cross : On joue des adolescents ayant acquis des superpouvoirs mais qui doivent aussi lutter contre le risque de perdre leur connexion avec l'humanité (et lutter contre leurs semblables qui ont été ainsi corrompus). Ce jeu a été traduit en anglais. 

Futarisousa : On joue un couple de détectives. 

inSANe : Jeu d'horreur où tous les personnages ont une malédiction ou un secret. Un des concurrents japonais de Call of Cthulhu. Une traduction anglaise est à venir. 

Kill Death Business : On joue dans un reality show... en Enfer. 

Magica Logia : On joue des magiciens immortels qui se cachent dans le monde réel (comme dans Mage). Ils doivent lutter contre des Grimoires ou des Sorts en fuite. Zut, moi qui me croyais original dans mon idée de rendre les sorts animés dans Espadons & Esperluettes. Une traduction anglaise est à venir. 

Monotone Museum : On joue des personnages de contes de fées occidentaux qui cherchent à protéger leur conte contre une fin ratée. 

Nechronica : On joue des Poupées zombies animées par un Nécromancien qui veut les voir se battre entre elles. C'est donc un jeu "PvP". 

Peek-a-boo : On joue des adolescents qui peuvent voir des monstres surnaturels. Même univers que Shinobigami

Picaresque Roman : On joue des bandits et escrocs. 

SATASUPE : On joue dans un Osaka alternatif contrôlé par les Yakuzas dans un Japon rasé par les bombes atomiques dans les années 1960 après diverses divergences historiques. 

Steampunkers : jeu de technologie steampunk mais dans un Royaume-Uni alternatif des années 30. 

Stellar Knights of the Silver Sword : on joue un couple luttant contre des monstres mais chaque joueur joue en croisement une partie du couple d'un autre joueur.

Takujo Suspense Gekijo : Jeu d'enquête. 

Il ne mentionne jamais Blade of Arcana, qui doit donc être devenu assez démodé ? En dehors de Ryuutama, Maid, Tenra Bansho Zero, Double CrossGolden Sky StoriesMeikyuu Kingdom, un autre jeu traduit récemment (après plusieurs années d'attentes des souscripteurs) est Kamigakari

dimanche 18 août 2024

Extra Life - The Refrain


Extra Life, un des groupes de Charlie Looker qui mélange Math Rock et Musique médiévale (il a mis en ligne son nouvel album de 2024 Sacred Vowel).

 

samedi 17 août 2024

Magnus (version 2017)

Gunther Anders appelait "prometheische Scham" non pas seulement la blessure narcissique que les machines nous dépassent mais aussi un secret désir de devenir machine à notre tour, face au fossé grandissant entre nos capacités et la puissance de nos réalisations techniques. Magnus, Robot Fighter 4000 AD (créé en 1963 par Russ Manning chez l'éditeur Gold Key) est une bd de réaction à cette Humiliation Prométhéenne. La scène se passe dans deux mille ans, au XLIe siècle et l'Humanité est devenue complètement aliénée à ses robots. Magnus est le dernier militant humain à ne pas vouloir dépendre des robots et à lutter activement contre eux. Mais son secret est qu'il n'est pas aussi intolérant qu'il en l'air, il a été éduqué par un robot philanthrope, la Première IA (une sorte de R. Daneel Olivaw), qui a formé Magnus depuis son enfance par souci d'une nouvelle 4e Loi asimovienne de la Robotique, règle de ne pas laisser les Humains dans leur aliénation. [En revanche, je pense que ce n'est qu'une coïncidence s'il a le même nom que le Magnus chez DC qui est le Prométhée-Gepetto créant les androïdes Metal Men en 1962. Manning a dit s'être inspiré de Maximus, un acteur secondaire dans le comic strip réaliste Mary Perkins, On Stage. ]

Magnus est à nouveau, tout comme Superman l'avait été à sa manière, un Tarzan inversé : alors que Lord Greystoke doit sa force au retour à la nature élevé par les ancêtres naturels de l'Humain, Magnus a été élevé par les descendants artificiels de l'Humain mais il doit ses capacité à la résistance au progrès des sciences et des techniques. Russ Manning reprit d'ailleurs l'adaptation en comics de Tarzan chez Gold Key en même temps que Magnus. 

Magnus dans cette première version ne se servait au début quasiment pas de gadgets (en dehors d'un moyen de communication), pas d'autres techniques que de techniques du corps, des Arts martiaux qui lui permettait de casser du métal et qui en faisait le seul humain capable de lutter à la fois contre les robots corrompus (les effets indésirables sont des accidents puisque les IA normales respectent les Trois Lois) mais aussi les autres humains qui tentaient d'utiliser les robots pour soumettre les autres. Selon les scénaristes, Magnus pouvait être un vulgaire Luddite fanatique ou un personnage plus nuancé. 

Cette version s'arrête officiellement en 1977 mais cela faisait déjà longtemps que Manning avait arrêté les histoires. En 1991, Jim Shooter reprend la licence de plusieurs personnages de Gold Key et relance une 2e version du personnage qu'il associe à un nouvel "univers" de superhéros et de sf, l'univers Valiant. Ce Magnus commence à nouveau comme Luddite mais évolue et finit par se révolter contre les autorités humaines : il aide certains robots conscients à créer leur propre communauté autonome séparée. En 1997, Valiant fut racheté par Acclaim et Magnus devint une sorte de cyborg. 

Par la suite, Western/Gold Key avait récupéré les droits de Magnus (ce qui explique qu'il n'existe plus dans l'univers Valiant actuel) et le personnage réapparut d' abord chez Dark Horse (2010) dans des comics chez Dynamite Comics (en même temps que bien d'autres personnages Gold Key, y compris certains qui n'avaient pas été dans l'univers Valiant). 

En 2017 parurent deux versions distinctes chez Dynamite : dans Sovereigns, Magnus devient un dieu-cyborg connecté à toutes les machines et on voit à quel point les reboots américains peuvent subvertir complètement ou inverser le concept de départ (comme si on relançait Asterix en un Alix gallo-romain). 

Mais la même année 2017, le même scénariste Kyle Higgins essaya aussi une autre version (avec le dessinateur d'origine catalane Jorge Fornés si adapté à l'atmosphère du "Film Noir") où "Magnus" est cette fois une femme, Kerri Magnus, psychanalyste pour IA. 



Il n'y eut hélas que 5 numéros (et une VF chez Casterman) mais c'était la version la plus subtile : Magnus soignait les IA dans le Cyberespace (le Cloud-World) au lieu de simplement lutter physiquement contre des robots. Elle est à la fois une Blade Runner (Magnus: Robot Hunter) contre les IA psychopathes mais surtout une thérapeute qui se soucie aussi de ce dont "rêvent ces Androïdes" dans leur Univers virtuel qu'ils préfèrent à notre réalité biologique de wetware. Les IA conscientes ont obtenu une sorte d'indenture limitée où ils sont payés en "temps libre" et le droit à pouvoir partir un jour vers l'autonomie vers leurs communautés virtuelles.


On voit passer le Good Doctor Asimov en journaliste

La série révèle ses origines qui sont à nouveau un hommage à Tarzan : Kerri Magnus est la seule humaine qui peut si facilement demeurer en interface dans le Cyberespace sans avoir son cerveau qui frit parce qu'une IA l'a élevée à l'intérieur de ce monde avant qu'elle ne revienne dans notre monde organique. Ces deux mondes fournissent dans la bd une idée graphique amusante : la réalité est dans le style sombre habituel de Jorge Fornés alors que le Monde du Cloud est dessiné dans un style bien plus coloré et épique, presque kirbyesque

Il est dommage que l'histoire n'ait pas de suite car la fin annonçait une intrigue à venir et cette version me paraît la meilleure avatar de Magnus Robot Fighter

dimanche 11 août 2024

Perceforest

Perceforest (écrit en français vers 1340) représente le désir médiéval d'une "continuation" ou continuité entre les mondes imaginaires des chansons : relier le Roman d'Alexandre (qui s'était développé indépendamment de la réalité historique) et la Matière de Bretagne du Roi Arthur, du pseudo-grec et du pseudo-celtique. Dans cette version, après l'arrivée des Troyens comme Corineus en Bretagne (ce que racontent les versions du Brut) c'est Alexandre qui y a apporté les premières bases de la civilisation et même la première forme de Chevalerie (car le roi macédonien du IVe siècle avant JC est bien sûr devenu bien plus proche d'un roi médiéval du XIVe). C'est un univers anachronique où les idéaux chevaleresques apparaissent en pleine Antiquité hellénistique et où des Princes colons grecs sont les ancêtres des Pendragons (les Troyens exilés, Alexandre et l'Empire romain existant souvent à des périodes très proches dans ce genre de légende). 

Le Dr. Mark Shirley est un universitaire britannique (un biologiste spécialiste d'épidémiologie et de zoologie à l'Université de Newcastle) et il a déjà écrit de nombreux suppléments pour Ars Magica et pour Runequest/Mythras (Mythic Constantinople mais aussi des règles de factions). M. Shirley a eu l'idée géniale de reprendre ce long roman Perceforest devenu assez illisible pour créer un univers médiéval fictif qui ne soit ni simplement Arthurien ni complètement étranger à cet univers, un "décalage" dans la Geste habituelle, un Prequel qui offre plus de liberté. Cela mêle le Merveilleux de Pendragon avec un cadre pré-chrétien encore plus magique. Ce cadre est celui des Terres sauvages comme l'indique le nom du Roi "Perce-forêt". Il fait penser au cliché jeu-de-rôle d'un univers avec peu de "points de lumière" qui doivent lutter contre l'arrière-fond archaïque et la prolifération chaotique de la Nature (Shirley parle même de la Forêt - on pourrait dire La Selve pour faire plus archaïque - comme une sorte d'entité lovecraftienne). Les Chevaliers ne doivent pas lutter contre la "Gaste Terre" (Wasteland) chère aux interprétations ritualistes de Jessie Weston mais au contraire contre la Jungle et le retour à l'état sauvage (même s'il y a quand même un Great Waste du côté du Moray écossais). Et on a donc des origines inversées du Roi Pêcheur mais sans tout le christianisme de Joseph d'Arimathie. Il doit aussi y avoir un peu d'influence de la Lyonesse syncrétique inventée par Jack Vance et Shirley y a mis aussi certains personnages de l'oeuvre élizabethaine Faerie Queen (aux allégories pourtant bien plus chrétiennes). Là où on perd en revanche en exotisme est que de nombreux noms sont francisés puisque Perceforest est un roman dans notre langue. 



Perceforest a été traduit en français par Arasmo, Pierre Gehenne, & Arnaud Lecointre de d100. Voir l'article sur le Grog

Le Roi Perceforest de Loegria a vaincu l'enchanteur maléfique Darnant qui régnait sur la Forêt ainsi que ses frères dans le Mauvais Lignage de Darnant, notamment Dragon et Malebranche. La Fée Gloriande est la mère des enfants de Darnant mais a pris parti pour Perceforêt (c'est même elle qui lui a donné son nom). Perceforest est tombé dans une sombre mélancolie depuis la nouvelle de la mort de son suzerain le Roi Alexandre et c'est son épouse la Reine Ydorus qui tient la Régence. Sébille, la Damoiselle du Lac, est une autre Fée qui a eu un enfant avec Alexandre, Vestige de la Joye. Le roi d'Albanie, Gadifer est aussi affligé d'un mal profond depuis une étrange blessure par un sanglier dans la Forêt et la Régente est la Reine Lydoire qui est aussi une Reine-Fée. Avec ce nouveau déclin des deux Rois, leurs chevaliers (comme les douze preux des Chevaliers de la Rose Blanche, les Chevaliers Cornus de Cornubie, les douze champions du Château des Pucelles, les Chevaliers Verts, ou bien les Dames Paladines de Verulam, comme Britomart) doivent défendre la Loegria et l'Albanie contre les maléfices, les brigands et la Forêt. Bientôt va apparaître dans le futur du jeu un nouvel ordre, ancêtre de la Table Ronde, le Franc Palais

La population de Bretagne suit une version un peu générique (à la reconstruction wiccane) de religion quasi-celtique avec 7 Divinités, qui correspondent aussi à 7 jours de la semaine. Il y a la Triple Déesse (la Vierge aux Fleurs, la Mère de l'Eté, la Vieille de l'Hiver) et quatre dieux : le "Roi des Cieux", "Le Dieu Cornu" (ou Roi-Chêne de l'Automne, tué face au Roi-Houx), le Frère-des-épées (le guerrier, souillé par l'aspect chthonien de la Forêt) et enfin le Seigneur (dieu des Cités). Cela ne m'apparaîtrait pas hors sujet d'y mettre aussi un peu de dieux classiques comme Apollon si on veut : même les Médiévaux en avaient encore entendu parler. C'est le Frère des épées qui a donné l'Espée Perrine, qui tua le Roi Lambor de la Gaste Terre Sauvage et l'épée est aujourd'hui gardée par sa veuve, la Reine Morgaude. 

L'univers de Perceforest a une autre différence avec Pendragon : on peut jouer des Bêtes anthropomorphes (souvent issus d'Humains marqués par la Forêt). Il est aussi possible de jouer des roturiers (même si cela paraît peut épique). Les règles comprennent un système pour jouer le Domaine (le "Vill"), qui est aussi influencé par les règles d'Ars Magica pour créer son Alliance (Covenant). 

A la place des Passions de Pendragon, les PJ se donnent un des 7 Sentiers et des "Voeux" de chevaliers : Franchise (qu'on peut traduire plus comme "générosité" ou noblesse, l'Homme Cornu), la Gloire (le Frère des épées), la Justice (le Seigneur), l'Amour (la Vierge aux Fleurs), la Majesté (le Roi des Cieux), la Compassion et la prudence (la Mère de l'été) et la Sagesse et la discrétion (Vieille de l'Hiver). 

Je suis très intrigué : cela capte l'atmosphère si merveilleuse des légendes arthuriennes et en même temps c'est dépaysant. Je dois reconnaître que l'absence de tout Christianisme peut être attirante si on en a assez du mélange de la lettre chrétienne et de légendes païennes que Stafford a essayé d'équilibrer. 

samedi 3 août 2024

[Das Schwarze Auge] Les Chevaliers du Théâtre

Une des campagnes les plus récentes pour l'Oeil Noir en 2023-2024 s'appelle La Garde de l'Hiver et son nom sonne suspicieusement westerosien. Elle se passe dans le pays de Bornland (dans la traduction officielle "Sourcelande") et est une suite de la campagne des Chevaliers du Théâtre (2016, se déroulant en l'an 1039-1040 après la chute de Bosparan). Dany40 sur le Fix a déjà écrit une description plus étendue de cette campagne dans la version anglaise et il critique notamment le fait que l'énorme campagne n'est pas toujours facile à intégrer pour les joueurs. 

Blason de la République de Sourcelande

Si le nord-ouest de l'Aventurie (Thorval) est la Scandinavie (mais une Scandinavie qui adore une Baleine géante, ce qui en fait des Vikings pro-Greenpeace), le Bornland est la terre du nord-est, qui ferait plus penser à un mélange plus slave/finnois de Pologne/Pays Baltes/Russie mais aussi Finlande (avec les Gobelins en Sami/Lapons). La population est en effet un mélange de diverses populations nordiques et d'un ordre de Chevalerie venue du sud (comme les Chevaliers Porte-Glaive et Teutoniques en Courlande). Un détail polonais que j'aime bien est que certains des Hussards ailés ont vraiment des ailes de dragons et pas seulement des ornements. 

Les Gobelins ont une très mauvaise réputation comme tricksters féériques mais certaines tribus vivaient en bonne intelligence avec la population Norbarde (nomades monteurs d'élans avec des caravanes glissant sur la neige) avant la colonisation. Les Gobelins ont même acquis des droits autour de la plus grande cité Festum, (voir la jolie petite aventure à Festum, Un Gobelin de plus ou de moins où les PJ doivent enquêter sur un tueur en série de gobelins - le fan francophone Calenloth a aussi écrit une saga "vernienne" qui passe à la fin vers Festum). Voir cette jolie carte de Bornland

L'Ancien Théâtre est le plus vieux monument de la cité antique d'Arivor dans la région de l'Imperium Horasien et ce fut là que fut fondé juste après la Chute de Bosparan cet Ordre des Chevaliers dits du Théâtre adorant la Déesse de la Guerre Rondra. Cet Ordre chevaleresque fondé au sud-ouest dans les régions horasiennes conquit quelques années après le Bornland dans une "guerre sainte" contre les Gobelins. République aristocratique, le Bornland a une noblesse, les Bronnjar (terme qui rappelle les boyar slaves mais l'idée ressemble à la szlachta de la République des Deux Nations) et cette noblesse descend de ces Chevaliers et élit pour un mandat de 5 ans le Grand Maréchal (Adelsmarschall). Cf. Almanach aventurien p. 50-52. L'Ordre dédié à Rondra n'avait jamais été bien vu par le Nouveau Reich midlandais (on l'accusait de sédition) et il fut écrasé par l'Eglise de Praios au IVe siècle sous les Empereurs-Prêtres, quand Praios faillit évoluer sous une forme monothéiste intolérante (il y a 700 ans). Cette extermination rappelle donc plus ici les Templiers que les Teutoniques et toute la campagne repose sur des secrets concernant l'histoire de l'Ordre qui avait des factions très différentes, certaines authentiquement "chevaleresques" et d'autres bien plus violentes et aveuglées par la haine fanatique. 

La campagne est faite de six aventures d'environ 50-70 pages plus un supplément d'ensemble (L'héritage des Chevaliers du Théâtre), plus quelques mini-aventures plus ou moins liées au contexte et cela s'étale sur plusieurs saisons : 

(0) Mini-aventure Le Tambour Thorvalien : Les Bornlandais ont jadis vaincu des raiders du nord et ont tanné la peau d'un chef pirate en un tambour qui aurait des enchantements maudits. On dit que le chamanisme gobelin utiliserait aussi des Tambours ensorcelés. 

(1) Le Lac blanc : les PJ commencent à connaître plus en détail un clan de Norbards (le clan Jantareff, qui va devenir un exercice d'anthropologie assez intéressant) et à entendre parler de l'histoire des anciens Chevaliers du Théâtre. Avec une histoire d'amour d'un couple tragique de deux gobelins. 

(2) Le Livre bleu : les PJ doivent transporter ce Livre bleu, un ancien document racontant l'histoire secrète de l'Ordre et en le protégeant ils vont peu à peu découvrir plusieurs factions qui déchirent le Bornland moderne. Ce Livre bleu va continuer à accompagner toute la campagne comme une source de révélations à déchiffrer. 

La mini-aventure Récolte des navets (qui a été traduit et se passe à Nouvelle-Wulzen au sud de Festum) peut s'insérer à peu près à ce moment comme "quête secondaire". Une autre mini-aventure, La Neige aux trois couleurs, est une enquête policière pendant un mariage dans un château d'un bronnjar bornlandais. 

(3) La Forêt noire : les PJ aident un marchand norbard du clan Jantareff dans une compétition à Firunen, communauté de bûcherons du nord dans la forêt sur la Born. 

(4) La Verte Compagnie (oui, "Zug" signifie plutôt en allemand "Section", "Détachement" ou "Peloton" de 30-40 que Compagnie mais je trouve cela plus joli et moins moderne que Peloton Vert) : Les Chevaliers de Rondra ont récemment recréé (en 1010) dans la ville d'Ask un autre Ordre, les Chevaliers de la Chasse (et la PJ d'Ulrich Kiesow, l'ancienne Grande Maréchal de Bornlande Thesia von Ilmenstein se battit aussi aux côtés de cet Ordre de la Chasse). C'est un épisode très militaire où les PJ doivent faire connaissance avec la Grande Maréchale de Bornlande nouvellement élue, Nadjescha de Leufurten (Leufurten : Gué-du-Lion ?) et sa Verte Compagnie de Bronnjar. Je redoute un peu que ce genre d'épisode très militaire retire un peu d'initiative aux PJ. Le McGuffin de l'épisode est aussi nettement moins original que le Livre Bleu

(5) La Garde d'Argent : Avec l'aide d'un autre Ordre séculier de chevaliers, l'Ordre du Bélier, les PJ vont entrer dans un épisode plus magique et moins militaire et en apprendre plus sur une autre faction des anciens Chevaliers du Théâtre. 

(6) Le Choeur Rouge : le grand final, avec les élections du Maréchal à la Diète de Bornlande. 

Le Bornland a reçu plusieurs suppléments dans l'histoire de DSA Das Bornland (1989, 40 pages + 12 pages de Secrets, décrit jusqu'en l'an 1011 pour DSA 2e ed.) qui passe à 160 pages dans la boite Rauhes Land im hohen Norden (1998, décrit jusqu'en 1021 pour la 3e ed.) puis en 2008 Land of the Schwarzen Bären (2008, décrit jusqu'en 1030 pour la 4e éd.). L'Héritage des Chevaliers du Théâtre est plus bref et va jusqu'en 1039-1040. La campagne actuelle Die Winterwacht (2023, décrit l'an 1046 pour la 5e édition) comprend donc les conséquences de la campagne précédente et l'éveil féérique de la nature bornlandaise. 

Jeu de rôle Magazine n°64

Voir le n°63 (Hiver 2024). 114 pages

Notules ludiques (p. 5-15)

Le magazine fait un peu de pub pour l'ancien fondateur du magazine, Guillaume Besançon, parti en 2009 et qui a aussi été l'organisateur du Salon Fantastique et plus récemment une nouvelle salle entre l'escape game classique et le Donjon "Semi-Réel" (comme on disait à la place de LARP) avec des classes de PJ, l'Aventure Fantastique, à Paris 20e. Personnellement, l'idée du temps limité me bloque un peu (je n'aime pas jouer avec un sablier) mais cela a l'air différent des autres escape games et pas trop cher (25 euros par personne). 

Le projet de réédition des anciens Miroirs des Terres médianes réapparaît (avec des illustrations nouvelles par Florence Magnin et Rolland Barthelemy). 

La campagne de jdr Pax Elfica sort non seulement en roman mais aussi en bd. J'ai un peu peur que de nombreux joueurs soient spoilés des secrets avec tous ces médias. J'ai parlé des elfes pas si génériques de ce cadre. 

Deux jeux de rôle français vont sortir avec MJ optionnel : Terres Dragons (où les PJ politiciens dans un univers dirigé par les Dragons reçoivent les scénarios en combinant un jeu de cartes) et Shaan Chrysalis (qui lorgne encore plus vers le jeu de plateau narratif, j'ai l'impression). 

Les Chroniques de Vaelran (chez Odonata) est un jeu qui mélange medfan habituel et Révolution des Lumières (les PJ sont tous des publicistes militants). 

Dossier (p. 16-29) : Un long retour illustré sur le colloque de Metz sur les 50 ans du JdR. 

Recensions plus longues (30-69) : Against the Darkmaster (une version légèrement "dé-tolkiénisée" de l'ancien MERP pour jouer l'atmosphère sans la Licence - j'aime bien l'idée qu'on commence par créer son "Rivendell", son petit village qui résiste encore et toujours au Seigneur du Mal), Maléfices (4e édition), Tylestel (j'ai parlé des dieux de Tylestel), Nothingness (j'avais décrit une édition antérieure il y a une douzaine d'années), Blade Runner RPG, City of Mist

Scénarios

 Medium Aevum : Un voyage vers la Terre Sainte. Cela semble donc être plus une introduction pour aller ensuite y jouer. 

 Hawkmoon : Un scénario de 20 pages sur des Résistants dans les Montagnes. 

 D&D : Un court donjon "De Larmes et de Rouille" sur une intrigue dans une mine. 

Inspi : Utiliser le manga sur le Japon médiéval Hell's Paradise Jigokuraku de Yuji Kaku. 

Aspirine : Florent Martin analyse en quoi les prétendus "RPG" vidéos peuvent finir par se rapprocher des jeux-de-rôle-avec-plusieurs-humains-autour-d'une table. 


mardi 23 juillet 2024

[JDR] En relisant... Casus Belli (vol. 1) n°25

Casus Belli (vol. 1) n°25, avril 1985, 70 pages, 20 Fr. (C'est un grand changement puisque ce numéro augmente la pagination de 55 à 70 pages - 20 FF soit environ 6,20 euros de 2024)

Entrée sur RPGGeek.

La couverture mais aussi le poster en encart sont de Didier Guizerix

Voici le poster avec ses aventuriers dans une ville de canaux : 



* Nouvelles du Front (p. 4-11)
Guiserix explique que le magazine restera bimestriel car ils ont déjà trop de retard. On annonce aussi l'arrêt du magazine Runes (parce qu'ils n'avaient pas obtenu de commission paritaire) et une partie de l'équipe (comme Jean Balczezak) rejoindra Casus par la suite. Voir la recension de Runes n°1. Le survol des revues de JdR du moment mentionne la cité de Pellinore dans Imagine n°23 (j'ai un peu parlé de la mythologie de Pellinore ). La cité de Laelith paraîtra dans Casus Belli n°35 (décembre 1986). 

Ces pages sont illustrées par des petits comic strips "JR & Compagnie" (p. 5, p. 11) où les dés polyhédriques se parlent entre eux comme les personnages de Dallas (qui était une série à grand succès dans ces années 1980 - au point qu'il y eut même un jeu de rôle). Le nom faisait allusion non pas seulement à "Jeu de Rôle" mais à "JR Ewing", le méchant très populaire de Dallas. La bd n'est signée que "RB" (Rolland Barthelemy, I presume ?, même s'ils l'ont oublié dans l'Ours). La bande humoristique en quelques cases reprend un modèle des magazines anglophones (Gobbledygook dans White Dwarf par exemple) et cette tradition des petits strips de gags continue encore aujourd'hui dans le Casus Belli actuel. 




Têtes d'affiches
Frank Stora est très positif sur le wargame de Kevin Zucker The Struggle of Nations (Avalon Hill), jeu grand-opérationnel sur la campagne de Napoléon en Saxe en 1813 jusqu'à la défaite finale à la Bataille de Leipzig, jeu présenté comme une longue expérience de méditation stratégique. 
Martin Latallo est plus nuancé sur la campagne pour Call of Cthulhu des Masques de Nyarlathotep, ce qui est amusant quand on sait à quel point Casus la présentera par la suite tout le temps comme une des meilleures campagnes de jeu de rôle de tous les temps : il la recommande et apprécie notamment que ce soit peu linéaire, mais il la juge trop mortelle et pas toujours assez développée sur tous ses aspects (dans cette première édition). 

Dans les wargames, ils mentionnent le jeu de combat de vaisseaux Battlestar Galactica (FASA, 1984). Le jeu Peloponnesian War dont ils parlent est la 2e édition de celui de 1977 par Stephen Newberg, pas encore celui en solo de Mark Herman qui n'apparaît qu'en 1991. 

Dans les jeux de rôle, ils citent de nombreuses parutions, surtout pour D&D, mais aussi Légendes celtiques auquel collaborait Guiserix ( les aventures Le signe du serpent et A la poursuite de Conn Ruadan), MERP, James Bond, Bushido...  

J'ai déjà parlé dans le survol du n°24 du droit de réponse de François Marcela-Froideval (fondateur de Casus) et JP Pécau (de chez Jeux Actuels) contre la recension des jeux d'heroic fantasy par M. Latałło et je ne vais donc pas y revenir. Pour résumer à grands traits, Latałło avait été parfois acerbe contre certains jeux comme D&D ou l'Ultime Epreuve et ces deux droits de réponse étaient encore plus agressifs et de mauvaise foi (Pécau affirme qu'il est faux de dire que le Runequest de Chaosium a plusieurs extensions parce qu'il ne pense qu'à la 3e édition Avalon Hill). 

La page Inspirations par RC Wagner parle d'une grave crise de l'édition française de SF, avec de nombreux problèmes pour les éditeurs et les revues. 

Imaginos n'avait reproché la dernière fois de ne plus parler du tout des wargames et je vais donc faire amende honorable (mais me contenter d'indiquer les titres). La partie wargame (p. 12-28) couvre donc environ un quart du magazine. 

* Opération Market Garden : Frédéric Armand fait une longue (p. 12-17) critique de Hell's Highway: Operation Market Garden (1983, Victory Games) et Storm over Arnhem (1981, Avalon Hill). 

* Duccio Vitale n'apprécie pas Cold War (1984, Victory Games), qu'il accuse d'être plus un boardgame équilibré, simpliste et abstrait qu'une simulation (cela a l'air de lorgner même vers Risk). Il dit même qu'il ne comprend pas pour VG l'a édité. Pourtant, les jeux de Vitale par la suite ne me semblent pas toujours très "simulationnistes". Maintenant que les jeux abstraits à l'allemande (ce qu'on appelle les "Euros") l'ont emporté sur les monster games améritrash, il faudrait voir si on peut défendre Cold War qui est un "Euro" avant la lettre. Mais si on aime le thème de la Guerre froide et qu'on veut un peu de simulation, il faut aller vers Twilight Struggle

* Frank Stora a plutôt aimé le wargame très asymétrique Yom Kippur (1983) sur la guerre de 73, qui est pourtant un jeu d'International Team, mais il propose quand même quelques modifications de règles. 

* Infanterie 39-60, article de l'officier Hervé Hatt sur les armes à feu dans les jeux tactiques. 

* Jean Ricard continue les conseils pour simuler par le jeu Amirauté son scénario du numéro précédent sur l'invasion aéronavale de la Crète en mai 1941. Il propose aussi la suite d'un programme en Basic comme aide de jeu. 

* Un scénario Squad Leader, la bataille de Grussenheim pour la 2e DB en janvier 1945 (là où mourut Joseph Putz). 


* Ludotique : critiques du jeu de rôle de sf (combat et commerce spatial) Sundog, les jeux d'aventure français Meurtre à Grande Vitesse, Scoop, Le Diamant de l'Ile Maudite and et le wargame en solo 1815, ainsi que Tomate Mécanique, un programme d'un jeu en Basic par Guiserix & Olivier Tubach.  

* L'enfer du décor est une nouvelle rubrique de bd courte. Cette double planche doit être de Stéphane Truffert, je crois (?)

* Devine qui vient diner ce soir : Le vestivore, la pétardofougère (qui explose quand on marche dessus), le Diabolo (petit humanoïde cornu Loyal Mauvais) et le Piège de l'éternel retour.

Les souvenirs de Zormilius (dessins de Verlhac/Tignous et texte de Denis Gerfaud (?)) portent sur les Zimadjs, des "enfants sages comme des images" bidimensionnels qui ressemblent à un mélange angoissant d'Alice et du Petit Prince, ultra-polis, serviables mais pourtant destructeurs dans leur gentillesse (un peu comme la version du Petit Prince qui-rend-fou dans le Génie des Alpages). Cela pourrait fournir une rencontre idéale pour Rêve de Dragon




* "Mort aux grosbills!" Casus Belli avait offert son plus célèbre apport à la culture rôludique française, le "grosbill" dans le numéro 4. François Marcela-Froideval, le fondateur de Casus Belli revient évoquer ce péril des joueurs d'AD&D qui exagèrent la montée en puissance disproportionnée (la "grosbillite", ce que les Américains appellent le Munchkinism). Powergamer en anglais implique que le joueur ne pense qu'à la puissance sans se soucier de l'histoire ou du personnage, alors que Grosbill insinue aussi que le joueur est un tricheur qui modifie sa fiche de personnage, s'ajoute des capacités et transgresse les règles dans son souci d'ascension en pouvoir. FMF a bien sûr raison sur le risque mais sans vouloir être trop narquois envers le Grand Ancien, il me semble parfois... paradoxal dans sa critique : "Mon perso, lui, n'est pas un Gros Bill, la preuve je n'ai eu toutes ces reliques surpuissantes qu'après avoir traversé 25 Donjons et en étant exposé à 60 tentatives d'assassinat". Cela sonne presque comme une fanfaronnade "Inutile d'être un Grosbill, JE l'ai déjà été avant vous et mieux que vous sans tricher, moâ". Et en 1989 quand FMF créera Les Chroniques de la Lune noire avec le dessinateur Olivier Ledroit, son plaidoyer contre les grosbills paraîtra encore plus décalé tant les personnages semblent en incarner certains aspects. 

* La Gazette Galactique (p. 44-47), la rubrique des suppléments à MEGA, par Didier Guiserix et Pierre Lejoyeux, propose des règles nouvelles pour le combat de la 1e édition. C'est assez "simulationniste" et on sent une influence assez forte de Légendes (et indirectement, de Runequest). C'est un peu lourd dans le calcul des points de fatigue mais l'intérêt est de multiplier les choix & options pendant le combat au lieu de "je frappe / j'esquive". De ce point de vue, c'est plutôt intéressant, je trouve. J'ai la flemme de comparer précisément mais je crois qu'on retrouve dans la 2e édition de MEGA certaines de ces idées où on peut choisir des modes d'attaques ou de défense. Assez amusant quand on compare avec MEGA 5e édition 35 ans après qui est allé dans la direction opposée des jeux modernes. 

* Des sorts, des sorts, oui mais de Tante Zanie : 16 nouveaux sortilèges pour  L'Ultime Epreuve : Nausée, Rose des Vents, Voix de Lyn, Les 6 Boucliers de Lynaïs, Appel d'Orsia, Crépuscule, Ombre Rouge, Lame Froide, Malédiction, Filet acide, Vampirisme astral, Berserker, Bouclier des Ombres (Anti-vampirisme), Force de l'ombre, Succube, Bouclier des Monolithes (= Dissiper Malédiction). L'article est signé "Tante Zanie". Je ne sais pas s'il s'agit du créateur de l'UE, Fabrice Cayla ou bien de JP Pécau, directeur chez Jeux Actuels (ce qui voudrait dire que les deux auteurs, FMF et JPP, des droits de réponse ont tous les deux un article) mais ces sorts n'apparaissent pas dans l'extension qui venait de paraître en 1985, Chroniques de Linaïs (Règles additionnelles p. 66-68). J'aime beaucoup "Les Six Boucliers de Lynaïs" (Force Magique 45) qui créent 6 boules qui parent les coups mais éclatent en absorbant les attaques. Cela a un petit côté "Docteur Strange" comme "le Bouclier des Seraphim". L'Ombre rouge (FM 40) transforme une Lame pour que les blessures rendent hémophile (la cible perd des points de vie ensuite chaque tour)... Succube a un nom complètement trompeur, c'est juste une sorte d'Invisible StalkerL'Ultime Epreuve a relativement peu de sortilèges (y compris dans l'extension) et ces nouveaux sorts sont probablement eux aussi en partie une "réponse" au banc d'essai de M. Latallo dans le n°24 qui avait dit qu'il y avait trop de sorts inutiles dans D&D

* Les jeux de Super Héros (p. 50-55) : présentation du genre des jeux de rôle de superhéros par Martin Latallo. C'est la naissance de ce qui s'appellera plus tard les "tableaux de famille" décrivant toute une gamme ou un genre.  C'est très bien fait parce qu'il y a des conseils de jeu en campagne et pas seulement des descriptions. Mais c'est surtout un survol de six jeux des années 80 (l'excellent DC Heroes n'était pas encore sorti) :  Villains & Vigilantes, Champions, Superworld, Marvel Super-Heroes, Heroes Unlimited et Golden Heroes. Je suis d'accord avec les critiques contre V&V (trop aléatoire), MSH (un peu simpliste) et HU (déséquilibré), mais un peu étonné qu'il dise que Golden Heroes serait meilleur que Champions/Superworld grâce à ses conseils sur la vie de l'alter ego. Il faudrait vraiment que je lise un jour Golden Heroes jusqu'au bout mais je l'avais trouvé aussi archaïque que V&V en raison de son système de création aléatoire. Martin Latallo reviendra dans le numéro suivant de Casus avec une campagne pour jeux de superhéros pour illustrer son article et il utilise plusieurs systèmes à la fois, dont Superworld

* La nuit de Wormezza, 3e épisode : Le rire de Luda (suite et fin de l'Aventure Dont Vous Êtes le Héros par Denis Gerfaud des numéros 23 - 24). Il y a 53 entrées et cela doit donc atteindre environ 150 paragraphes sur les trois numéros. 

* "Nuit blanche" (p. 60-62), scénario pour l'Appel de Cthulhu par Denis Gerfaud avec illustration de Bernard Verlhac. Aventure d'horreur où les PJ sont attaqués d'emblée par des créatures d'autres plans et doivent découvrir comment y mettre fin avant qu'il ne soit trop tard. 

* "La vie de château", scénario pour D&D/AD&D (Niveau 3) par Marc Laperlier. Comme dans le n°24, je ne crois pas que Laperlier réutilise son cadre de jeu des Îles d'Arglenn expliqué dans le n°23. Ici, ce lieu de "Traverbois" semble très médiéval "français". Il y a une arborescence des choix possibles mais certains de ces choix ne semblent être que de l'anti-jeu (Refus de la Quête), ce qui rend en fait le scénario un peu plus linéaire qu'il n'en a l'air. 

* "Bani des Brouillards" (p. 67-70), scénario pour Légendes des Mille et Une Nuits par "Omar el-Tannejec" (anagramme du nom du grand géologue nancéen et créateur du jeu, Jean-Marc Montel). J'ai déjà résumé cette aventure dans un article passé sur les scénarios de ce jeu.
Les aventuriers doivent retrouver le tombeau d'un pirate près de l'île de Socotra, au large du Yemen, de l'Oman et de la Somalie. Le choix de cette île de Suquṭrā / Saqaṭri est original. Le Yaman (qui avait eu dans le passé une forme originale de monothéisme judaïsant, le Rahmanisme) était contrôlé depuis l'essor de l'Islam par la dynastie ziyadide (cousins des omeyyades) mais il y a aussi des territoires contrôlés par les chiites de l'Imam zaydiste. Socotra avait été conquise par l'Imam d'Oman (qui appartiennent au courant "ibadiste") mais devait être à l'époque des débuts de l'Islam encore à majorité chrétienne, avec un mélange d'Ethiopiens, de Coptes, de Nestoriens mais aussi des Indiens. C'est une base intéressante pour des aventures vers les Mers inexplorées des Indes (selon le degré de fantastique Sinbadien qu'on veut mettre dans l'Océan Indien). L'île de Suqutra est aussi associée au "cinabre" (qu'on appelle aussi en alchimie le "sang de dragon") et une étymologie proposée est Suk Qutra (le Marché au Sang de Dragon). 

Une pub pour les Relais Descartes (dessinée par Pierre-Olivier Vincent) m'apprend qu'à cette époque en 1985 il n'y avait qu'une seule boutique Jeux Descartes à Paris, 15 rue Montalivet dans le très chic 8e arrondissement derrière le Palais de l'Elysée. Il y eut ensuite au moins le Jeux Descartes Rue des écoles, celui de Pasteur et celui de Wagram (rue Meissonier). L'Oeuf Cube devait être assez seul et le Triangle d'Or du Quartier latin n'existait pas encore. Le Jeux Descartes de la Rue des écoles vient maintenant de fusionner avec l'Oeuf Cube




Ce numéro de Casus Belli paraît en même temps que Dragon n°96 (numéro Premier Avril) ou White Dwarf n°64

Et pour ceux qui veulent suivre le Casus Belli actuel édité par Black Books, Jérôme Darmont analyse le n°47 du Printemps 2024