samedi 27 mai 2023

Knave (1e édition)

Il faudrait ajouter à la lignée de Maze Rats de Ben Milton son autre jeu, Knave (dont il a mis la 2e édition sur Kickstarter depuis quelques jours). Ce jeu est globalement plus rapproché des "quasi-clones" de D&D, même s'il refuse toujours la convention des classes de personnages (tout le monde est un filou, un fripon, un coquin). La 1e édition ne faisait que 28 pages (et encore, les règles optionnelles commencent p. 16). 

Knave est fondé sur les caractéristiques puisqu'il n'y a pas de classes. Il reprend les 6 caractéristiques traditionnelles de D&D au lieu des 3 de Maze Rats (Force, Dextérité, Volonté). Mais le tirage est particulier : on tire bien 3d6 mais on ne garde que le plus bas de ces 3 dés, ce qui donne directement le "bonus" de cette caractéristique (entre +1 et +6). On y ajoute 10 pour obtenir le score de cette caractéristique sur 20, entre 11 et 16 à la création, tendant plus vers 11. On gagne un point dans trois caractéristiques (et donc dans le Bonus) à chaque Niveau mais sans pouvoir dépasser un score de 20 (bonus +10). 

Il y a plusieurs tables pour obtenir le physique général, le visage, le type de peau, la chevelure, le style vestimentaire, la vertu, le vice, l'élocution, le passé (ce qui ressemble plus aux classes ou compétences), les malheurs et l'alignement (sur l'axe Loi-Chaos seulement). 

On tire au sort son équipement avec des chances d'avoir des objets à l'utilité discutable comme un sablier ou des sacs de billes, mais on a plus souvent des ustensiles de cambrioleur. Les "emplacements libres" pour l'équipement sont égaux au score en Constitution. L'Armure est notée avec une "Défense" entre 11 et 16. 

1d8 points de coup (pas de bonus). Régénération rapide (1d8 par repos, tous les points après une nuit vraiment paisible). On gagne +1d8 par Niveau. Les Niveaux ont un maximum de 10 et on doit obtenir 1000 points d'expérience par Niveau, en considérant qu'une mission réussite donnerait environ 100 points d'expérience. 

Système : d20, il faut faire haut avec son Bonus de caractéristique (contrairement à Maze Rats) et on réussit à 15+. Dans un jet en opposition, on doit faire plus que le score en Défense de la cible (soit son Bonus + 10). 

Pour un combat, le PJ peut lancer tous les dés. Il touche si on dépasse la Défense de l'armure avec son d20 + son Bonus. Le PJ réussit à se défendre si son d20 + Bonus d'Armure dépasse la caractéristique de l'adversaire. Si on fait un 20, on diminue l'armure de l'adversaire d'un et on fait +1 aux dégâts. 

Pour les créatures, le nombre de PV est le Niveau x 5, le bonus d'attaque est + Niveau. 

Les PJ ne peuvent lancer des sorts que s'ils ont accès à des livres de sorts et ils ne savent pas les recopier eux-mêmes, ils ont besoin de les trouver. La grande différence avec les parchemins est que chaque sort est donc très encombrant et prend une place dans ses emplacements : on se spécialise par son équipement. 

On peut tirer le sortilège sur 1d100 ou alors en reprenant les listes de Maze Rats. Il y a de nombreux exemples étranges et fantastiques. Un des sorts fait apparaître un carrosse spectral qui fonce devant lui sans s'arrêter. Un autre fait surgir des tas infinis de billes (décidément, il y avait déjà des billes dans l'équipement). Un autre invoque un Chevalier sur un Escargot géant et c'est une idée brillante (même si dans les marginalia des manuscrits médiévaux ce sont plus les lapins que les chevaliers qui chevauchent des escargots). 

jeudi 25 mai 2023

Mécaniques défaites

Dans l'Essai III, 6 ("Des coches", Montaigne a une expression célèbre quand il condamne les massacres du Nouveau Monde par les Européens.  

Nous nous sommes servis de leur ignorance et inexperience à les plier plus facilement vers la trahison, luxure, avarice et vers toute sorte d’inhumanité et de cruauté, à l’exemple et patron de nos meurs. Qui mit jamais à tel pris le service de la mercadence et de la trafique ? Tant de villes rasées, tant de nations exterminées, tant de millions de peuples passez au fil de l’espée, et la plus riche et belle partie du monde bouleversée pour la negotiation des perles et du poivre : mechaniques victoires.

Mais pourquoi parle-t-il de "mécanique victoire" ? 

Est-ce un argument technologique sur le fait que notre conquête qui vient de nos armes, de la poudre, du canon et non d'une supériorité de mérite (comme il le dit un peu plus haut) ? 

Est-ce que mécanique viendrait de "machiner, ruser, manipuler" ? 

Non, Villey commente que comme on dépréciait les "arts & mestiers méchaniques" comme indignes d'un honnête homme, "serviles, bas", le mot au XVIe siècle veut simplement dire "vil". Viles victoires. Et c'est d'ailleurs ainsi que c'est rendu dans les traductions modernisées même si on y perd des associations du mot "mécanique". 

Alain cite mal ce passage de mémoire dans Minerve, §87 et veut y mettre de la machine cartésienne : 

"Ce que j’appelle civilisation, c’est ce qui va de soi dans nos vertus. (...) Cela va tout seul, cela est mécanique. « O mécanique civilisation ! » C’est un mot de Montaigne pensant à la conquête de l’Amérique et aux rustiques vertus des indigènes, si promptement broyées. Montaigne va ici au fond. Ce mot réveille. Le mal des civilisations est qu’elles sont mécaniques. On s’y fie ; on s’y repose."

Non, Montaigne ne dit pas cela et ne veut pas du tout dire que les moeurs de notre police seraient des réflexes ou habitudes machinales. Chez Montaigne, cela veut seulement rappeler que nous devrions avoir honte de telles victoires. 

Alain dit qu'on ne pense que lorsqu'on ne suit pas des automatismes et réflexes mais il s'est laissé aller à projeter mécaniquement ses propres oppositions cartésiennes sur Montaigne. 

Mais peut-être qu'Alain veut aussi ironiser contre Henri Bergson, qui opposait le souffle de la civilisation et la "mécanique". Alain n'apprécie pas la métaphysique de Bergson en général (car Alain est du côté moderne où la pensée est avant tout un travail alors que Bergson défend encore que l'esprit est avant tout souplesse et libre contemplation) mais Alain détestait surtout ici le fait qu'elle ait été associée au "bourrage de crâne" de la Grande Guerre. Alain a sans doute raison d'en vouloir à Bergson sur ce point mais les deux font hélas des fautes tragiques et symétriques : Bergson soutient une guerre contestable contre le Kaiser en 14 et Alain reste pacifiste même contre Hitler en 38. 

A la fin de l'année 1914, quand Bergson voudra réinvestir toute sa métaphysique spiritualiste / vitaliste contre l'Allemagne (propagande qui paraît si ridicule ensuite), il opposera aussi leurs "victoires mécaniques" à une supposée défense de la "civilisation" et de "l'âme". Ce n'est pas alors la civilisation qui est mécanique mais la barbarie

« Barbarie scientifique », « barbarie systématique », a-t-on dit. Oui, barbarie qui s'est renforcée elle-même en captant les forces de la civilisation. À travers toute l'histoire que nous venons de raconter, il y a comme une résonance continue de militarisme et d'industrialisme, de machinisme et de mécanisme, de bas matérialisme moral. Dans bien des années, quand le recul du passé n'en laissera plus apercevoir que les grandes lignes, voici peut-être comment un philosophe en parlera. Il dira que l'idée, propre au XIXe siècle, d'employer la science à la satisfaction de nos besoins matériels avait donné aux arts mécaniques une extension inattendue et procuré à l'homme, en moins de cinquante ans, plus d'outils qu'il ne s'en était fabriqué pendant les milliers d'années qu'il avait passés sur la terre. Chaque machine nouvelle étant pour l'homme un nouvel organe, — organe artificiel qui vient prolonger ses organes naturels, — son corps s'en trouva subitement et prodigieusement agrandi, sans que son âme eût pu se dilater assez vite pour embrasser tout ce nouveau corps. De cette disproportion naquirent des problèmes moraux, sociaux, internationaux, que la plupart des peuples s'efforçaient de résoudre en comblant l'intervalle, en faisant qu'il y eût plus de liberté, plus de fraternité, plus de justice qu'on n'en avait encore vu dans le monde. Or, tandis que l'humanité tentait ce grand travail de spiritualisation, des puissances inférieures — j'allais dire infernales — combinaient l’expérience inverse. Qu'arriverait-il si les forces mécaniques, que la science venait d'amener sur un point pour les mettre au service de l'homme, s'emparaient de l'homme pour le convertir à leur propre matérialité ? Que deviendrait le monde si ce mécanisme se saisissait de l’humanité entière et si les peuples, au lieu de se hausser librement à une diversité plus riche et plus harmonieuse, comme des personnes, tombaient dans l'uniformité comme des choses ? Que serait une société qui obéirait automatiquement à un mot d'ordre mécaniquement transmis, qui réglerait sur lui sa science et sa conscience, et qui aurait perdu, avec le sens de la justice, la notion de la vérité ? Que serait une humanité où la force brutale tiendrait lieu de force morale ? Quelle barbarie nouvelle, cette fois définitive, sortirait de là pour étouffer les sentiments, les idées, la civilisation enfin que l'ancienne barbarie portait en germe ? Qu'adviendrait-il, pour tout dire, si l’effort moral de l'humanité se retournait contre lui-même au moment d'atteindre son terme, et si quelque artifice diabolique lui faisait produire, au lieu d'une spiritualisation de la matière, la mécanisation de l'esprit ?

Pour tenter l'expérience, il y avait un peuple prédestiné. La Prusse avait été militarisée par ses rois ; l'Allemagne avait été militarisée par la Prusse ; une nation puissante était là, marchant à la mécanique. Mécanisme administratif et mécanisme militaire n'attendaient que l'apparition du mécanisme industriel pour se combiner avec lui. La combinaison une fois faite, une machine formidable se dresserait. Elle n'aurait qu'à se déclencher pour entraîner les autres peuples à la suite de l'Allemagne, assujettis au même mouvement, prisonniers du même mécanisme. Telle serait la signification de la guerre, le jour où l'Allemagne se déciderait à la déclarer. Elle s'y décida ; mais le résultat fut bien différent de ce qui avait été prévu. Car les forces morales, qu'il s'agissait de soumettre aux puissances les plus voisines de la matière, se révélèrent subitement créatrices de force matérielle.

Cet embrigadement veut rassurer les Français dans ces dernières lignes où il faut dire que l'énergie spirituelle va l'emporter en un sursaut vital, comme les taxis de la Marne en septembre 1914. On est en décembre 1914, la guerre n'a commencé que depuis 4 mois et vient de s'immobiliser en guerre de tranchées après la 1e bataille d'Ypres (mais je ne sais pas à quoi pense Bergson quand il parle de barbarie scientifique, le gaz moutarde ou "ypérite" ne sera utilisé qu'en 1917 à la 3e bataille d'Ypres). 

Peut-être qu'une partie enfouie profondément dans la mémoire de Bergson se souvient alors aussi non pas seulement de sa philosophie évolutionniste (où la Grande Guerre serait révolte de l'esprit et de la vie contre la Machine) mais de la condamnation morale de Montaigne. 

Dans les satires "ménippées" de Montaigne dans "Des coches", les Amérindiens étaient des sortes de "Cyniques" vertueux face à nous, féroces barbares cupides : ils avaient les actes vertueux et nous n'avons que des arts et des prétextes. Si on superposait alors le sous-titre de Montaigne sur Bergson, cela ferait des Français ces "sages" amérindiens et des Allemands les envahisseurs destructeurs. 

Mais cela nuirait alors à la propagande si on se contentait de déplorer la "mécanique défaite", puisque ces sages indiens avaient la vertu pour eux mais ont quand même été vaincus par la force brutale et mécanique. 

Et pour Bergson (qui oppose aussi d'ailleurs à l'intérieur de l'Allemagne une âme allemande à la machine prussienne dans le Kulturkampf bismarckien), il faut aussi que l'âme française soit la gardienne de la "civilisation" et d'une part saine des "Lumières "contre une "Kultur" mécanisée. 




On pourrait retrouver un spectre de ce bergsonisme quand De Gaulle veut justifier notre "mécanique défaite" dans l'Appel du 18 juin (et même avant l'invasion dans un mémorandum de janvier 1940 sur la "force mécanique"). 

Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l'ennemi. (...) Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. (...) Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure.

Mais là où Bergson invente un élan vital européen contre l'Industrie allemande, De Gaulle reconnaît que c'est l'Empire (ou les Empires français et britanniques) et l'Industrie américaine qui fourniront simplement une réaction mécanique contre la pression. Bergson joue encore avec un dualisme anti-mécaniste et une force spirituelle alors que le discours de De Gaulle invoque de manière plus "machiavélienne" un jeu des forces et des rétroactions différées. 

mercredi 24 mai 2023

Comme Xénophon

[J'ai dû corriger le titre, censuré par Blogger qui doit être contrôlé par des fans de Xénophon]

J'avais un prof de grec qui quand on faisait des sottises et confusions nous disait "Vous êtes c... comme Xénophon !" - ou "comme du Xénophon", je ne me souviens plus très bien. 

Et c'est une rime raisonnable, comme en atteste le résumé décalé de l'Anabase que fait Histoires Mythiques sur Mastodon. Dans la littérature ancienne, Xénophon est un refoulé un peu honteux des études grecques, celui qui a écrit sur les mêmes sujets que Platon (BanquetApologie de Socrate, Mémorables), qu'Aristote (Economiques), que Thucydide (Hellenika) pour à chaque fois sembler être une version moins intéressante de l'autre. Il sert un peu de faire-valoir pour nous rappeler à quel point Platon devait être un bien meilleur élève de Socrate que lui pour atteindre un tel génie. On sent bien quand on lit Xénophon qu'il aurait eu plus de sympathie pour la timocratie spartiate et on peut se demander pourquoi il n'a pas fini par trahir comme Alcibiade, ou bien trahi comme cette andouille antipathique de Ménon. 

Il est douteux qu'il existe un invariant transhistorique du réac ethnocentriste, imbu de sa supériorité sociale, fasciné par le brutalité et la violence mais en gros c'est Xénophon (et d'ailleurs ce facho de Leo Strauss adore Xénophon, ce qui est le dernier clou dans le cercueil). On exagère le relativisme historiciste quand on croit que Xénophon aurait quand même un mérite en ayant été à l'origine de certaines formes de bêtise viriliste de l'opinion commune. Il y a des auteurs dont on peut se demander si leur place dans le canon n'est pas en grande partie un hasard dans la succession des temps. Les Humanités devraient rappeler cette contingence pour éviter toute déférence. 

Oui, oui, je suis juste de mauvaise foi, j'écris ce genre de xénophoneries juste pour voir comment cela sonne. Et on avait même évoqué un jeu de rôle sur Xénophon il y a 10 ans. 

Il a dû être très populaire si on en croit le filtre du temps qui a été si indulgent envers ses oeuvres. Le sort a voulu qu'on perde quasiment tout Epicure mais on n'a, je crois, rien perdu de Xénophon, comme pour Platon. 

Il était peut-être vraiment aussi bon tacticien qu'il le prétend si Alexandre l'a pris au sérieux. Et quand "la Muse de l'Attique" recompose ses propres discours, il a l'air d'être un bon orateur, un peu narcissique et manipulateur, mais un bon élève des sophistes - même s'il insiste à la fin de son traité sur la chasse sur le fait qu'il a bien compris la différence entre philosophes et sophistes et qu'il est fier de n'avoir rien à faire avec ces derniers. 

Socrate a dû lui trouver quelque chose s'il ne l'a pas chassé (et si, selon un récit mal daté et apocryphe, il lui aurait même sauvé la vie lors d'une bataille contre les Béotiens). Cicéron dit que la Muse de l'Attique écrit bien, je le crois sur parole. Il est moins bon philosophe que Platon, moins bon historien que Thucydide, moins bon orateur qu'Isocrate, mais il est un peu tout cela à la fois, un éclectique dilettante avant l'encyclopédisme d'Aristote, un essayiste peu profond mais capable d'une certaine astuce rusée. C'est certain que Platon ne pourrait pas écrire un traité d'équitation (Aristote pourrait, lui, mais il a une autre sorte de génie). Xénophon aime dangereusement l'oligarchie et la hiérarchie mais il exprime parfois plus de doutes que nos plus grands penseurs Platon et Aristote sur la viabilité d'un despotisme éclairé (quand il laisse entendre que les monarques réels sont rarement aussi bons que Cyrus le Grand). Il a peut-être ce petit côté d'aventurier raté devenu écrivain ou d'écrivain qui s'invente une vie de baroudeur, à la Malraux ou Debray. C'est pourquoi les écrivains de droite l'aimeront toujours comme ils fantasment sur un intellectuel prêt à partir en expédition militaire. 

Mais il y a une chose qui est quand même touchante chez Xénophon, c'est que quelle que soit sa vanité et sa volonté de toujours se faire "mousser" dans ses textes, je suis perplexe sur le fait qu'il n'a pas l'air de trop vouloir dissimuler que son grand maître Socrate se moquait aussi de lui. 

Sauras-tu retrouver Xénophon dans ces interlocuteurs de Socrate ?


Au début du IIIe livre de l'Anabase (histoire reprise aussi chez Diogène Laërce II, 6), Xénophon raconte qu'il veut aller rejoindre le prince perse Cyrus (le jeune) et son maître Socrate craint qu'aller collaborer chez un satrape perse avec son copain béotien ne nuise à la carrière du jeune Athénien (on suppose que Xénophon a une trentaine d'années). On est en -401 et la démocratie vient d'y être restaurée en -403 (et Socrate va se faire condamner à mort en -399 alors que Xénophon ne sera pas encore revenu). Le philosophe lui conseille de demander à l'Oracle de Delphes s'il doit y aller ou non

Xénophon (qui a déjà dû faire son choix ou qui est incapable de bien écouter Socrate) demanda seulement de manière biaisée à Apollon quels sacrifices il devait faire avant de s'embarquer (Xénophon parle ici de lui à la 3e personne). 

καὶ ἀνεῖλεν αὐτῷ ὁ Ἀπόλλων θεοῖς οἷς ἔδει θύειν. ἐπεὶ δὲ πάλιν ἦλθε, λέγει τὴν μαντείαν τῷ Σωκράτει. ὁ δ᾽ἀκούσας ᾐτιᾶτο αὐτὸν ὅτι οὐ τοῦτο πρῶτον ἠρώτα πότερον λῷον εἴη αὐτῷ πορεύεσθαι ἢ μένειν, ἀλλ᾽αὐτὸς κρίνας ἰτέον εἶναι τοῦτ᾽ἐπυνθάνετο ὅπως ἂν κάλλιστα πορευθείη. ἐπεὶ μέντοι οὕτως ἤρου, ταῦτ᾽, ἔφη, χρὴ ποιεῖν ὅσα ὁ θεὸς ἐκέλευσεν.

La réponse d'Apollon lui désigna à quels dieux il convenait de faire des sacrifices. Quand Xénophon est de retour à Athènes, il relate l'oracle à Socrate. Ce dernier l'ayant entendu, lui reproche de n'avoir pas demandé d'abord lequel valait mieux pour lui de partir ou de rester ; mais de s'être déterminé lui‑même à partir, et de n'avoir consulté l'oracle que sur les moyens les plus propres à rendre son voyage heureux. "Cependant, puisque vous vous êtes borné à cette question, ajouta Socrate, il faut faire ce que le Dieu a prescrit."

Soit Socrate est vraiment plus superstitieux qu'on pourrait le croire (ce qui est possible, le rapport de nos fondateurs du Logos à Apollon n'est pas si clair), soit (ce qui est tout aussi plausible) Xénophon n'a pas bien compris que l'Ironique lassé et visiblement un peu passif-agressif veut se débarrasser de lui. 

dimanche 21 mai 2023

La lignée Whitehack / Blackhack / Macchiato

Comme Gianni disait en commentaire à la comparaison de la lignée Into the Odd qu'il préférait Macchiato Monsters (2018) et que je ne suis pas familier du tout avec cette lignée, voici une brève comparaison. Whitehack était plus complexe que Blackhack et Macchiato d'Eric Nieudan est une sorte d'hybride entre la simplicité de Blackhack et les classes ou les sorts de Whitehack. L'écologie des jeux OSR est telle qu'il y a encore d'autres variantes comme Café Noir ou Donjon & Cie

De manière générale, cette lignée n'aime pas les additions et les jets de dé en dessous d'un score permettent de réduire le nombre d'additions. 

En passant, moi qui me croyais original en mettant des sacrifices de HP pour des actions ou des sorts dans Es&Es, je vois que c'est déjà standard dans cette lignée. Peut-être en avais-je entendu parler ? 

 Whitehack (2013) de Christian Mehrstam (3e édition - le jeu en est actuellement à sa 4e édition)

Les 6 caractéristiques traditionnelles sur 3d6 (la 4e en a changé les noms). Il y a trois classes, le Fort (le guerrier), l'Habile (spécialiste, voleur, ranger, moine, assassin), le Sage (le clerc mais aussi le magicien). Mais il a ajouté d'autres classes qui sont le Brave, l'Intelligent et le Chanceux). Le personnage est aussi défini par son espèce et son "groupe" (comme un métier ou une affiliation). Les espèces génériques des Elfes et Nains ont été retirées dans cette édition et Mehrstam a mis à la place les Dagonites (des amphibiens adorant Dagon), les Marionnettes et les Géant Gelés. 

L'Habile a plus de compétences et peut même obtenir des réussites automatiques. Seul le Fort peut avoir des bonus de sa Force. Le Sage peut utiliser des parchemins ou lancer des sorts. 

Il y a des Niveaux et des points d'expérience à l'ancienne avec des progressions différentes selon les classes comme dans un vrai D&D. 

Les HP sont souvent assez faibles : 1d6 ou moins par Niveau selon la Classe. De plus, il y a des talents qui demandent de sacrifier des HP. 

Système : faire moins qu'un score sur 1d20 (ou deux d20 si on a un avantage). Une réussite critique est le fait d'obtenir exactement le score maximal (blackjack). Règle des enchères : on lance 1d6 (initiative) et on mise un chiffre minimal sur 20 (inférieur ou égal à ce score sur le d6) et celui qui a le plus grand chiffre tire le premier, le gagnant du duel sera celui qui fait à la fois moins que son score + le score sur le d6 et plus que sa mise minimale. 

Le combat a l'air d'utiliser une Classe d'armure ascendante maintenant mais ce n'était pas le cas des premières éditions. 

La Magie est très libre : le Sage détermine un effet qu'il veut obtenir et le MJ lui donne le dégât en HP que son sort va causer. 

La première édition avait tout un monde de jeu intégré qui a été retiré ensuite, le monde de la Malédiction blanche où la mort d'un ancien Roi-Sorcier maléfique a altéré le monde. On peut jouer soit des Veilleurs qui luttent contre ces effets soit des sectateurs du Roi-Sorcier qui ont infiltré la cité corrompue d'Ode. C'est très riche en atmosphère. 


The Black Hack (2016) de David Black

6 caractéristiques, 3d6. 4 classes (Guerrier, Clerc, Conjurateur, Voleur). 

On compte l'expérience de manière bien plus simple : une "expérience" peut être une action glorieuse ou une mission réussie, pour atteindre le Niveau N, il faut N expériences. Il y a une chouette table de beuveries et socialisation lors du changement de niveau qui peut avoir des effets originaux (y compris le fait que le PJ, ivre, révèle de nouvelles origines !). 

Système : faire en dessous d'une caractéristique sur 1d20. 

Combat : Force pour attaque de mêlée et Dextérité pour attaque à distance. Seul les PJ lancent des dés soit pour attaquer soit pour se défendre. Dans la 1e édition, l'Armure absorbait simplement des dégâts et finissait par s'user. Dans la 2e édition, l'Armure indique seulement un nombre de coups (1-4) qui sont arrêtés automatiquement si le PJ le désire, avant d'être brisées. A 0 PV, on tire une séquelle. Chaque jour, on récupère des PV et on peut aussi rétablir son Armure brisée (si on obtient moins que sa valeur d'armure sur 1d20. 

Pour les consommables (munitions, équipement...), on utilise un système de dé d'usure : un objet a une durée notée sur d20 > d12 > d10 > d8 > d6 > d4 et à quand on l'utilise, on tire le dé et si c'est un 1-2, l'objet passe à la catégorie inférieure ou est détruit après le niveau d4 (David Black expérimente en ce moment de changer même les HP en dé d'usure, je crois). 

Pour la magie, on peut lancer un sort sans jet mais ensuite il faut faire un jet d'Intelligence (conjurateur) ou de Sagesse (prêtre) avec un malus égal au Niveau du sort pour savoir si le sort est perdu pour aujourd'hui. On a simplement autant de sorts par jour que son Niveau. Les listes sont plus traditionnelles que dans The White Hack.  


Macchiato Monsters (2018) d'Eric Nieudan

Caractéristiques habituelles et jet sur d20 en dessous du score (et règle avantage / désavantage qui a l'air si omniprésente dans tous les jeux depuis la 5e édition de D&D). 

A la création, on a deux  options en plus comme (1) ajouter 1d6 à une caractéristique inférieure à 10, (2) ajouter un second dé de vie, (3) entraînement martial (augmenter d'un cran le dé de vie, par exemple d8 au lieu de d6 avec un maximum de d10), (4) entraînement magique (2 sorts), (5) une capacité une fois par jour. A chaque Niveau, on peut choisir une de ces options supplémentaires. 

Dans la création de personnage, les petites touches fournissent un mini-système : on répartit les 6 dés polyhédriques à lancer sur des tables pour divers équipements ou héritages familiaux. 

Le dé d'usage est généralisé comme dé de risque mais cela échoue à 1-3, pas 1-2 et on a un maximum de d12 (noté avec un delta, ∆12). L'argent est un dé de risque (avoir une bourse à ∆4 en pièces d'argent). Même un suivant est noté avec un dé de risque qui représente à la fois sa compétence et sa loyauté. 

Dans le combat, une originalité est de rendre l'Initiative optionnelle. On fait un jet sur FORce pour la mêlée ou la DEXtérité pour les projectiles. Si on a moins de DV que l'adversaire on est "en désavantage" et vice versa, mais le PJ peut aussi tenter des manoeuvres pour obtenir un avantage. L'armure aussi se gère avec un dé de risque qui représente le nombre de points de dégâts absorbés (mais si le dé est 1-3, l'armure est cassée). Un bouclier peut être sacrifié une fois pour arrêter une attaque. 

Pour lancer un sort, on prend des dégâts en HP, puis on fait un jet sur sa caractéristique. Si on a 1, réussite critique, pas de dépense de HP, si on a échoué, on a une seconde chance avec la règle du dé du chaos : on lance un d12 sur un tableau pour voir les effets aléatoires. Le prêtre, lui, a droit à un dé de foi qu'il peut améliorer par la dévotion. 

L'arbitre peut mettre un "dé de flashback" par exemple un ∆8 ou un ∆10. Les joueurs le lancent et s'ils réussissent (score supérieur ou égal à 4), ils obtiennent une information, sinon le dé baisse d'un cran. 

Il y a aussi de nombreuses tables aléatoires et la liste des Monstres est pleine de gags, plus proche d'Alice au Pays des Merveilles que d'un monde sombre. 

The Electrum Archive

 The Electrum Archive est un jeu de rôle d'Emiel Boven dans un univers original de science fantasy (j'avais mentionné sa chouette carte). Le métal y est courant et sans grande valeur mais ce qui est vraiment recherché et sert même de monnaie est les gouttes d'encre des Anciens, un dépôt noir qui peut donner des pouvoir magiques et faire fonctionner des objets comme des golems ou des aéronefs. 

Au nord-ouest, dans Nol, la Cité de la sorcellerie règne l'Empereur aux Âmes Gémellaires. Au nord-est rôde encore l'épidémie des Spores Osseuses. 

4 caractéristiques sur 1d4 : Agilité, Archive, Corps, Esprit et Masque (Discrétion et Diplomatie). 

HP : 2d4 (à 0, on fait un test ou on meurt). Puis on détermine le background (qui donne des talents). 

A chaque Niveau, on gagne +1 en une caractéristique et +2 HP (ou +1 à une seconde caractéristique). 

Il y a 3 archétypes : le Fixer (équivalent du Spécialiste ou du Voleur), le Vagabond (équivalent du guerrier) et le Warlock (qui doit porter un Inhalateur à Encre pour lancer son Sort). 

Le système consiste à tirer sous sa caractéristique avec un d10 (ou le meilleur de deux d10 si on a un avantage). 

Le combat est comme dans Into the Odd : pas de jet pour toucher, on tire les dégâts moins la protection. En cas de maximum aux dégats, on ne tient pas compte de la protection. A chaque fois qu'on survit à 0 HP, on en garde une séquelle sur une table aléatoire. Il y a quelques armes chouettes comme le Pistolet à Spores (1d6, sauf sur les fongoïdes) ou la dague Buveuse-d'Encre qui peut se transformer en épée longue si elle reçoit des gouttes d'encre. 

L'équipement est évalué comme dans Cairn avec des "10 emplacements" (2 mains, 2 sur le corps, 6 dans un sac-à-dos). 

Les sortilèges du Warlock sont déterminés aléatoirement (sur un d88) avec une combinaison de Verbes, d'Objets ou d'Adjectifs. 

samedi 20 mai 2023

The Manhattan Projects (2012-2015)

Une raison pour laquelle je censure mes critiques de comics est qu'un jugement n'est pas très intéressant si vous vous rendez compte des limites de vos critères, de votre faiblesse connaissance de certains genres ou de votre manque d'ouverture d'esprit. Il est très plaisant dans la lecture de changer d'avis sur un genre mais c'est une expérience rare. Je reste borné dans mes goûts et je ne suis donc pas compétent pour toutes les bandes dessinées fondées sur l'horreur ou la violence qui suscitent des émotions auxquelles je suis peu sensible. 

Pourtant, j'aurais voulu aimer Manhattan Projects écrit par le grand scénariste Jonathan Hickman et dessiné par Nick Pitarra (dans un style qui évoque souvent Frank Quitely). 

C'est une uchronie satirique parfois très ingénieuse comme on peut s'y attendre d'un auteur aussi malin que Hickman. Mais toute cette ironie me semble ternie par ces dégoulinements de tripes, cette atmosphère cynique et ces massacres de psychotiques. Je veux bien croire que c'est de l'infantilisme manichéen de ma part mais ce genre de défoulement sadique m'ennuie trop pour que je puisse apprécier. 

Hickman a l'air amusé à l'idée de ne pas idéaliser des nouveaux héros modernes que sont Einstein et Feynman et je m'étonne à quel point ce genre de provocations ou profanations me gêne un peu. Pourquoi écrire une histoire sur Einstein si c'est pour en faire un alcoolique cynique meurtrier qui aurait pu s'appeler n'importe quoi d'autre ? Qu'arrive-t-il à la fiction si elle craint d'être kitsch ou naïve dès qu'il n'y aurait pas ce trouble où tout le monde devient amoral ? 

L'histoire parallèle du Projet Manhattan à Los Alamos a les déviations suivantes dans les savants : Enrico Fermi est en fait un espion extraterrestre (ce qui est une jolie inversion du Paradoxe de Fermi !), Robert Oppenheimer a été remplacé par son jumeau maléfique, un psychopathe cannibale qui avale les personnalités de ceux qu'il dévore (ce qui me paraît complètement gratuit), Albert Einstein a réussi à ouvrir un portail dimensionnel et a été remplacé par un double amoral, Albrecht Einstein (le thème du double commence à se répéter, c'est même là que cela a "sauté par-dessus le requin" pour moi), Harry Daghlian (un des rares personnages un peu sympathiques) a été transformé en un zombie radioactif (qui semble clairement être un clin d'oeil à Dr Manhattan dans Watchmen), le jeune Richard Feynman est hypernarcissique mais a un peu plus de scrupules moraux que les autres et enfin, comme on pouvait s'y attendre, Werner von Braun est un cyborg absolument pas repenti de son nazisme (mais avouons que dans une fiction où Einstein est antipathique, on n'escomptait pas que von Braun ait de la complexité). 

Les hommes politiques sont bien sûr encore plus caricaturaux. Tous les Présidents sont tarés à divers degrés : FDR a été transformé en une IA à sa mort en 1944 et c'est lui qui fait Hiroshima contre la volonté de son successeur, Truman est un sectateur obsédé sexuel, tout comme JFK (j'ai dû rater des épisodes, je ne me souviens pas si on voit Eisenhower), Lyndon B. Johnson est un cowboy meurtrier... Très vite, l'uchronie dévie vers la place que la Terre peut prendre dans le grand jeu martial entre les puissances intergalactiques (ce qui veut dire uniquement des pages et pages de génocides divers de formes innombrables). La Guerre froide terrienne devient vite un détail par rapport à toutes les théories du complot où les Savants et les ETs sont les seuls moteurs de l'histoire. N'aurait-il pas été plus intéressant que Fermi (l'espion polymorphe à la Skrull) soit plus ambigu et sympathique ? Pourquoi une histoire ne doit-elle avoir que des degrés de salauds ? On s'y attend chez Mark Millar ou chez Garth Ennis mais je croyais Jonathan Hickman plus nuancé, plus subtil et plus "empathique". 

A la fin de la série, une courte mini-série, The Sun Beyond the Stars, a presque failli susciter de l'intérêt avec les aventures spatiales de Yuri Gagarin et de la chienne Laika (qui n'est pas morte et a été mutée en une humanoïde canine intelligente). Il y avait quelque chose qui aurait pu devenir plus optimiste et drôle mais bien entendu cela ne dure pas longtemps comme la tonalité générale de la série ne permettrait pas que Gagarine et Laïka deviennent simplement Valérian & Laureline, ou Caleb & Mezoké... Et le chien russe Cosmo dans les Guardians of the Galaxy occupe peut-être déjà trop directement la place que pourrait prendre Laïka dans un comic book mainstream. 

Une fiction doit aussi nous apprendre ce qu'on ignorait qu'on aimerait lire. De ce point de vue, c'est une trouvaille. Je ne savais pas à quel point j'aurais aimé lire plus d'aventures de Gagarine et Laika, mais dans un cadre différent qui aurait pu être une parodie de la propagande soviétique sans ce nihilisme. 

vendredi 19 mai 2023

La côte chimérique (3) Les Zwercs

Les Zwercs et les Aulnes

Contrairement aux Humains mortels (soumis à l'Oubli), les Esprits Invisibles peuvent garder leur mémoire quand ils renaissent. Ils accèdent donc à une forme d'immortalité - à condition de pouvoir se réincarner, ce qui n'est pas le cas si leur âme est détruite ou s'ils ne trouvent pas de nouveaux corps à former. 

Les Esprits Invisibles ont pris dans ce Monde plusieurs formes matérielles : les artisans Zwercs gardiens de géométrie et les chasseurs Aulnes vêtus de florescences, de germinations et de sève vitale (Elfes). Ils ont deux formes de mémoire différentes : Les premiers étaient les scribes des Invisibles, les seconds étaient les aèdes

Les Zwercs combinent les matériaux, figent des statues, gravent des glyphes et dressent des monolithes, les Aulnes sèment à tout vent et chassent les rêves et les âmes dans les vernaies des marais. 

Les Zwercs sont le peuple qui tentent de préserver l'information là où le Fleuve de l'Oubli risque toujours de perturber tous les souvenirs. Ils ont des pouvoirs sur l'espace et apparaissent souvent assez petits bien que certains puissent se rendre encore plus minuscules et ont pu former des forteresses à l'intérieur de lingots ou de gemmes (comme leur cité d'Electrum qui fut jadis scindée en deux fragments de pièce). 

Mythologie gnostique des Zwercs : la Carte de la Mémoire

Ils disent qu'au début était la Carte, la "Carte" avant le Monde. 

C'était un "lieu" avant tout lieu, le Palais de tous les symboles, qui contenait toutes les significations, tous les codes. C'était une structure idéale qui organisait de manière éternelle toutes les voies entre toutes les idées possibles, tous les êtres, toutes les âmes, l'alphabet universel de tous les caractères. La mémoire était alors parfaite car tous les signes se soutenaient en un dialogue harmonieux. 

Chapelle Druillet, Angoulême 2023


Puis vint l'Oubli. Il surgit comme un déluge ou un incendie consumant la Carte, recombinant et simplifiant tous les signes, dégradant la Carte en la rendant méconnaissable. Depuis, les âmes peuvent perdre des fragments des signes qu'ils chantaient encore dans la Carte. C'est pourquoi les âmes peuvent périr et oublier qui elles sont. C'est l'Oubli qui a sculpté l'illimité pour lui donner sa forme contingente, ruine de l'éternité. 

Là où l'Oubli envahit le Palais se trouva la première Limite. C'est là que Terme, dieu des Limites, Maître de l'Horizon, construisit plus tard Limen, la Cité du Seuil à l'embouchure du Fleuve. 

La Magie consiste à pouvoir retrouver certaines des "voies" de la Carte, relire les souvenirs dans les rêves ou dans les esprits qui hantent les échos de la Carte. Les Tombeaux sont des cartes des signes qui peuvent préserver les souvenirs contre l'Oubli. Ceux qui auraient accès à la Carte pourraient alors replier l'espace et le temps. 

La Cité-Mère et la Guerre du Cristal Croissant

Parmi les Esprits, les Zwercs sont les artisans de la matière, les bornes vivantes. Ils suivaient le forgeron Los et sa parèdre l'Extension spatiale Enitharmon

Ils construisirent sept Monolithes vivants pour bâtir la Cité-Mère. Les sept Golems commencèrent par les sept portes qui allaient former les axes de l'heptacle. La Cité-Mère était une ébauche dans le monde matériel pour reconstruire le Palais de la Mémoire. La Cité-Mère était un cristal symétrique qui s'étirait en un filet ou une toile d'écailles de cristal, pour reformer le grand livre de la Carte. Son but était d'absorber tout ce monde imparfait et temporel dans les couloirs et les lignes gravées de ce grand Livre-Mère. 

oui, cela vient d'Urbicande

Mais cette structure n'était qu'une forme et les Invisibles de la Terre, la Grande Chasse des Fées, dirent que ce n'était qu'un copie imparfaite, une falsification morte des chants infinis. Les Aulnes croient que ce chant ne s'est jamais arrêté depuis l'Oubli et qu'il n'a fait que se moduler. Le vrai Palais de la Mémoire devait se trouver dans l'évolution créatrice, dans la croissance vivante de la Forêt des Symboles. 

Le Roi des Aulnes lança la Guerre contre le Cristal Croissant

La Terre fertile et verte se souleva contre la Cité-Mère et une légion de ronces s'attaqua aux constructions minérales. Les épines griffues des voies tortueuses encerclèrent les murailles pour arrêter la croissance de la Cité-Mère. La Grande Haie de la Sylve construite par les Druides est un mur végétal plein de sucs empoisonné contre les murailles palpitantes de la Cité. 

La clôture de la Cité-Mère

Enfermée dans la Grande Haie, la Cité-Mère perdit la raison. Elle commença des excroissances insensées, des tumeurs cancéreuses de villes cauchemardesques qui tombaient en ruine de manière désordonnée. La ville se vida de la plupart des Zwercs mais a encore ses Monolithes vivants et certaines de ses voies pourraient contourner la Grande Haie par des chemins repliés, les anciennes voies obscures. 

Les Aulnes disent que cette ancienne Cité-Mère des Zwercs est une ville morte et vivante à la fois mais certains Zwercs disent qu'elle n'est que mise en sommeil et ils cherchent toujours à la libérer de la gangue épineuse qui l'enserre. 

Les Zwercs à Limen

Les serviteurs du Livre-Mère écrivent la grande Encyclopédie des Zwercs et voyagent pour pouvoir réécrire la Carte des souvenirs. Comme c'est à Limen que l'Oubli a détruit le Palais de la Mémoire, ce serait aussi l'endroit qui contient le plus de lambeaux et de fantômes de ce qui a été perdu. Les Zwercs disent y chercher l'entrée pour revenir consulter un écho fragile du Palais.  Certains fouillent (avec des scaphandres) le lit du Fleuve de l'Oubli pour y trouver une clef, l'une des Runes submergées qui auraient été perdues quand la Carte se changea en un territoire imparfait. 

Ils durent brûler leur Archive à Limen quand les Dragons de la Maison de Sable vinrent tenter de la conquérir mais ils en gardent une structure archétypale dans leurs esquisses du Palais de la Mémoire, la Bibliothèque des Cendres

Livres et mémoires

Sous la Terre se trouvent Archive, le silo des signes, et Enclume, la Cité des Zwercs cachés où ils forgent des livres de métal dont ils peuvent varier la taille pour mieux les stocker. La Cité d'Electrum avait été réduite à la taille d'un ongle mais elle fut coupée en deux. Ils archivent les ébauches de réparation de la Cité-Mère. 

Chaque Zwerc, chacune de leurs pièces de métal, chacune de leurs armes et de leurs armures, est aussi un Livre.

Chaque Zwerc passe son temps à s'éditer, à graver des runes et tatouages sur son corps pour servir de chapitres de corrections, pour soigner la Cité-Mère et la délivrer du long siège des Ronces. Certains Zwercs deviennent des géants pour avoir plus de place sur leur corps. 

Les Druides, prêtres des Aulnes, eux, brûlent les livres en un grand "acte de foi" en la mémoire. Ils interdisent l'écriture car ils veulent garder une mémoire vivante sans aucun signe gravé, mais ils peuvent aussi purifier les pluies de l'Oubli et enlever les effets amnésiques de ceux qui ont bu de ses eaux. 

Certains Zwercs prétendent que leurs philtres peuvent être aussi mensongers en manipulant de faux souvenirs pour que tous les mortels aiment le peuple des Aulnes malgré toutes leurs chasses à l'âme impitoyables. 

Les Prêtres des eaux sont indispensables dans la vallée (même si certains mortels désespérés préfèrent vivre hagards et sans souvenir toute leur vie). 

jeudi 18 mai 2023

La côte chimérique (2) Limen

 


Limen, la cité du Seuil, a été construite à l'embouchure du Fleuve de l'Oubli. Les Décanteurs alchimiques, les sorts des hydromanciens ou les formules druidiques de purification doivent être utilisés pour que l'eau puisse être bue sans danger mais les trous de mémoire sont tout de même assez fréquents chez les habitants de la région. Certains ignorants continuent à venir le boire en croyant à tort que c'est une source de jouvence. 

Histoire : L'amour et la mort

Naguère vivait Alian et elle était la plus belle mortelle. Le grand musicien Alef composa sa musique en sa faveur. Le grand sculpteur Almet Pumayyaton tomba amoureux d'elle et tenta de saisir au moins un fragment de sa beauté dans une statue. Il n'était pas satisfait de son oeuvre qui n'avait pas la grâce vivante de l'original mais tous ceux qui voyaient sa statue tombaient aussi amoureux d'elle. Des voyageurs venaient en pèlerinage rien que pour la contempler. 

C'est alors que Terme, le Seigneur des Limites (que l'on représente comme un grand dragon noir aux yeux blancs), la remarqua, bien qu'il fût aveugle depuis la grande Oblation, et décida qu'il était temps pour elle de mourir et de l'épouser.

La Guerre contre la Mort

Mais lorsque Terme l'emmena, Almet le sculpteur appela à la révolte. Les mortels avaient accepté leur sort tant qu'elle ne touchait pas Alian mais ils n'arrivaient pas à accepter d'être privés à jamais de voir sa beauté. La statue n'était plus devenue qu'un douloureux monument. 

Ce fut le début de la Première Guerre contre la Mort. Partout où passaient Alef, Almet et sa statue vivante, les mortels quittaient tout pour aller marcher contre le Monde des Morts et ramener Alian. Ces légions comprenaient aussi bien des héros en quête de gloire, de puissants seigneurs que les hères les plus misérables qui n'avaient rien à perdre en suivant ce combat si différent de tous les autres. Certains avaient peut-être aussi l'espoir de l'épouser ou d'y gagner la fin de leur mortalité. 

Ils marchèrent de tous les côtés en convergeant vers le lointain Occident, là où l'Oubli se jette dans la Mer des Âmes. Chaque jour leurs légions grandissaient. 

L'immense armée des mortels arriva alors devant le Pont de Cristal. Devant ces rebelles, Terme appela la Maison de Sable, sa famille draconique, et une nuée de Gargouilles pour arrêter les envahisseurs. Leur essaim forma la Muraille des Gueules Grimaçantes. 

La brèche

Certains des mortels arrivèrent pourtant à passer mais sans parvenir à délivrer celle qu'ils voulaient sauver. Ils finirent par se résigner et errant dans l'Au-delà, ils décidèrent de s'y installer en fondant le Château d'Amande, le seul avant-poste de la vie au-delà du Seuil. Désabusés, ils ne croyaient plus en leur guerre mais n'étaient plus prêts non plus à repartir et à redevenir des mortels. 

Ils y existent toujours, fragments de rebelles immortels assiégés pour toujours par les morts. Nul ne sait pourquoi Terme n'a jamais pu reprendre cette enclave mais une prophétie prétend que le jour où le Château d'Amande tombera arrivera le Glas final. Le Château Où La Mort ne Va Jamais a les meilleurs guerriers de l'histoire car ils ont passé des années à combattre sans jamais périr, mais ils ne peuvent pas sortir de leur forteresse (sauf pour quelques messagers) et certains se demandent s'ils ne sont pas finalement dans une prison aux enfers, une prison créée par une espérance amère. 

La trêve

Mais Terme, le Pontife, le Guide des Âmes accepta alors de faire une Trêve avec les armées qui étaient restées de ce côté-ci. C'est ainsi que naquit Limen-sur-le-Léthé comme frontière et zone d'armistice entre la Mort et la Vie. Sa Reine laisserait une part de sa beauté dans la statue Pandora qui fut dressée au milieu de la Cité du Seuil. Pandora prétend être devenue la vraie réceptacle de l'âme d'Alian. On dit que la Princesse de la Nuit (Lila) qui réside dans la Cité serait l'Ombre de cette beauté, l'une des seules qui a le pouvoir d'aller et de venir sur le Pont de Cristal avec ses Feux-Follets, âmes d'enfants qu'elle n'a pas pu avoir. 

Libre passage

Les différents quartiers de Limen sont dirigés par un des Psychopompes ou Juges des Morts. Certains des Psychopompes acceptent d'offrir un sauf-conduit ou laisser-passer avec leur sceau pour entrer dans l'Autre Monde. 

Ce passeport est parfois inscrit dans un sablier et lorsque le sablier est écoulé, les porteurs risquent de périr s'ils ne sont pas revenus. Le sceau peut aussi être porté par une arme runique, qui exige parfois de boire du sang pour pouvoir passer. Le sceau est parfois un fantôme qui devient alors un guide mais qui peut demander des services. Les Psychopompes possèdent aussi des casques spéciaux, casques de l'Invisible, qui permettent de se faire passer pour un fantôme quand on franchit le passage. 

Il existe de faux sceaux vendus par des escrocs qui peuvent être dangereux. Les Psychopompes refusent en revanche de signer un sauf-conduit si c'est pour aller vers le Château d'Amande. 

Hantise

Hantise est un des quartiers de Limen. La nuit, la Chasse du Roi Cornu des Aulnes y passe avec ses Chiens d'enfer, et ses suivants montent des Pérytons (des cerfs ailés). L'Ordre des Pérytons est composé de Chevaliers-Fantômes qui protège ce quartier. 

Les fantômes de Hantise attendent souvent là quelque chose qu'ils ont besoin d'accomplir avant de faire leur deuil de leur vie. Mais ils sont parfois poursuivis par les Collecteurs d'âmes ou les exorcistes qui viennent les chercher. Certains des fantômes prennent alors possession de corps mortels pour se faire passer pour des vivants (on les appelle des Coucous). D'autres fument l'herbe d'asphodèle qui leur permet de devenir "solides" (mais cette herbe a le défaut de devenir une drogue qui peut finir par transformer le fantôme en un spectre violent). 

On distingue parmi les Fantômes (1) les Echos (qui sont les plus simples, fantômes incomplets et répétitifs comme un disque rayé) ou les Feux-Follets (fantômes naïfs et souvent muets), (2) les Murmures sont plus intelligents mais souvent mélancoliques mais ne peuvent plus faire grand-chose à part communiquer avec les Mediums (si leur désespoir va trop loin, ils deviennent des Spectres, voir plus bas), (3) les Menteurs sont des fantômes dans le déni qui s'accrochent à l'idée qu'ils sont encore vivants (certains savent vraiment solidifier leur ectoplasme), (4) les Coucous ou parasites (qui ne sont pas tous maléfiques et acceptent parfois de négocier avec le corps mortel qu'ils occupent), (5) les Rêveurs sont parfois liés avec la Cité d'Ivoire et ils cherchent des moyens de soigner les autres fantômes comme les Menteurs ou les Spectres, (6) les Ombres peuvent voyager à travers les ténèbres mais ils peuvent aussi être dissipés par les Lanternes magiques dans certains quartiers, (7) les Spectres sont les fantômes dévorés par leurs passions négatives de ressentiment. 

On appelle parfois Limen la Cité des Yeux car on ne peut échapper au regard de nombreux fantômes invisibles. Mais il existe aussi des signes d'yeux gravés ou sculptés qui peuvent servir de protections pour empêcher les fantômes de traverser les murs et d'entrer dans les demeures. De nombreux bâtiments sont donc recouverts d'yeux par superstition mais certains de ces yeux ont des pouvoirs réels. 

On dit que la Bibliothèque des Cendres peut parfois demander qu'on sacrifie un de ses yeux pour accéder à ses livres perdus. 

Le Quartier d'Or

C'est un quartier vide et maudit, le plus silencieux et le plus brillant, le plus lugubre, celui de l'attachement aux choses de ce monde, où tout est en or. C'est parce qu'une épidémie alchimique y aurait créé un effet "Midas" d'une pierre philosophale. Ceux qui s'approchent de cet or sont eux-mêmes transformés en statues d'or, corps affamés qui "meurent" de soif et de faim pour l'éternité sous leur gangue dorée sans pouvoir mourir. Les pillards qui tentent de venir gratter cet or rejoignent alors le butin qu'ils croyait arracher. Il existe de nombreux alchimistes qui espèrent un jour en reprendre le contrôle. 

La Rune engloutie

Sous le Fleuve de l'Oubli scintille un signe perdu, un "glyphe" dont on dit qu'elle serait une "clef" plus ancienne que la Mort, mais nul ne sait comment la retrouver. Le peuple des Zwercs donnerait cher pour retrouver cette "lettre" qui manque à leurs archives. 

[OSR] Une lignée Into the Odd

Dans l'histoire du jeu de rôle dit "OSR", après la période des "rétro-clones" (rendre les anciens systèmes Open License) et des "quasi-clones" (les refaire mais en les modifiant) sont apparus d'autres jeux qui disaient chercher à imiter ce style supposé "OSR" mais avec des systèmes complètement différents (comme DungeonWorld, 2012, qui adaptait le système Powered by the Apocalypse, 2010, ou comme Quest, 2020). Les jeux de rôle "open source" qui acceptent ces "hacks" ont encore plus tendance à avoir des généalogies avec des variantes. En 2015, Chris McDowall (BastionLand) a créé un jeu de rôle d'inspiration "OSR" mais qui révisait D&D d'une manière radicalement minimaliste avec Into the Odd (dont la nouvelle édition révisée atteint 144 pages en V.O.). Into the Odd devint ensuite l'ancêtre de Maze Rats (13 pages) de Ben Milton (Questing Beast) en 2016 et Milton réalisa ensuite Knave (1e édition 2018, 2e édition en foulancement en ce moment en 2023) et ensuite Yochai Gal créa à partir d'eux (surtout en mélangeant Into the Odd et KnaveCairn (1e version 2020, je crois ?). J'ignore s'il y en d'autres depuis 2015. Tous ces jeux semblent aussi avoir déjà de nombreux patchs possibles. Il y a aussi eu des éditions françaises qui ont enrichi ou développé certains aspects (la version française chez les 12 Singes de Maze Rats de 300 pages a même ajouté un univers, Selestya). Panayotis Lines sur Leylines a fait une analyse comparative de nombreux jeux OSR dont Into the Odd. Je vais me servir de ses messages pour survoler leur évolution. 

Into the Odd

3 caractéristiques sur 3d6 : Force, Dextérité, Volonté. 

Pas de classes de personnage mais on tire 1d6 "Hit Protection" (les dégâts passent ensuite sur la Force). La création de personnage rééquilibre à partir des HP : on tire aléatoirement l'équipement et plus les HP sont faibles plus on a de chances d'avoir des objets magiques (un "Arcanum") ou de la protection autre. Il n'y a pas de magicien mais certains objets magiques jouent le rôle de sortilèges parfois puissants. 

Il y a 6 Niveaux et on gagne 1d6 HP par Niveau (avec aussi une chance de monter dans une caractéristique). Il n'y a pas de points d'expérience mais simplement un nombre d'expéditions pour monter. 

Le système est d20 sous la caractéristique comme dans The Black Hack (sauf un jet de "chance" sur 1d6). 

Combat : pas de jet pour toucher, on touche automatiquement : on ne tire que les dégâts moins la protection. Une arme normale fait 1d6 points de dégâts. 

Maze Rats

Mêmes caractéristiques Force, Dextérité, Volonté que dans Into the Odd mais elles sont notées de 0 à +2 (on tire une répartition qui est l'une à 0, une à +1 et une à +2). [Une version avancée, Maze Monkeys, a proposé de scinder Volonté et Perception]

4 HP pour tous et à 0 on est mort (les PJ sont donc très fragiles sans armure). On choisit si on veut avoir un +1 en combat ("guerrier"), un sortilège (qui est tiré au sort avec à chaque fois un verbe d'action et un type d'objet) ou une compétence (une voie de "spécialiste" qui peut être l'équivalent d'un ranger, acrobate, espion ou d'un voleur). Tout le monde peut commencer avec une armure, un bouclier et deux armes. 

On gagne des points d'expérience (généralement 1-3). Pour atteindre le Niveau N, il faut N x (N-1) points d'expérience. Quand on monte en Niveau, on gagne +2 en HP et autre chose comme un bonus en caractéristique. Mais on peut aussi sélectionner soit une compétence soit un nouveau sortilège à un Niveau "impair" (3, 5, 7). 

Le système est 2d6 + bonus. Réussite sur 10+ (ce qui signifie des probabilités assez dangereuses en général). Certains avantages (compétences) permettent de tirer deux fois. Le jet peut aussi être en opposition pour voir qui a le meilleur total. 

Combat : un seul jet 2d6 + bonus pour toucher contre le niveau de l'Armure (6-8) ou le bouclier. Les dégâts sont la différence entre le Niveau à atteindre et le jet (plus des bonus liés à l'arme). Un double 6 donne un doublement des dégâts. 

Le jeu propose énormément de tables aléatoires pour tirer de nombreux détails pour individualiser un personnage ou une situation. En fait, même si on n'utilise pas le système, le jeu pourrait se justifier comme un catalogue de tables pour improviser des noms ou des trouver des idées en jeu. 

Cairn

3 caractéristiques sur 3d6 : Force, Dextérité, Volonté. 

1d6 HP. La version de base ne prévoit pas de changer de Niveau ?

Comme dans Maze Rats, on tire des traits pour individualiser le personnage et des équipements, dont éventuellement un Livre de sorts où le sort (souvent tiré d'AD&D) est tiré aléatoirement sur 1d100 (et Cairn a depuis ajouté plus de sorts avec un d666). 

Il faut deux mains libres pour utiliser le grimoire. Lancer un sortilège fatigue tant le lanceur qu'on perd le droit à un "emplacement" (slot) d'équipement (on commence avec 10 emplacement, dont six pour un sac-à-dos, plus la tête, le torse et les deux mains). Je crois que ce système de sorts vient de Knave. L'équipement peut être représenté par des cartes à placer dans l'inventaire de ses 10 emplacements (ce qui viendrait de Mausritter). 

Le système est de faire moins qu'un score sur 1d20, comme dans Into the Odd. Le combat semble assez similaire. 

lundi 15 mai 2023

Du Capitaine Némo au Docteur Mystère

 J'aime tellement le Capitaine Némo que c'est un grand plaisir de lui trouver une seconde vie (hors de la version assez discutable chez Alan Moore, qui en a fait un Hindou, et même un Hindou-Sikh ??? - alors que Jules Verne semble bien impliquer qu'il doit plutôt être musulman s'il est de la famille de Tipu Sultan). 

Le Capitaine a en effet donné clairement non seulement le célèbre Sandokan (1883, censé se passer dans les années 1860 en Malaisie) de Salgari mais aussi le Docteur Mystère (1900) de Paul d'Ivoi. 

Paul d'Ivoi est un des plus célèbres imitateurs de Jules Verne et il a créé plusieurs Némo, que ce soit le Corsaire Triplex (qui lutte contre les Turcs pour libérer la Crète) ou la Capitaine Nilia (qui lutte contre les Britanniques pour libérer l'Egypte). Les nationalistes français de cette période de Fachoda sont très prompts à dénoncer le colonialisme dès qu'il n'est pas le colonialisme français. Le racisme de Paul d'Ivoi est souvent bien plus affiché que les préjugés de Verne. 

Voir cette présentation sur le site French Wold Newton de Jean-Marc Lofficier (même si je ne suis pas d'accord avec sa vision de Nemo où il veut aussi le fusionner avec la moitié des autres héros de la littérature). 

Paul d'Ivoi a créé le Docteur Mystère, qui est d'origine hindoue mais qui est un savant-aventurier rationaliste qui passe son temps à lutter contre les cultes hindous et notamment contre la caste brahmane (qu'il accuse d'être des alliés objectifs et des soutiens idéologiques de tous les envahisseurs, des Moghols à l'occupant britannique en ayant "désarmé" l'âme indienne). Le Prince Dakkar de Verne dans l'Île mystérieuse (1875) voulait surtout se venger des Britanniques. 

De son vrai nom le Prince Rama Rundjee, il se fait appeler juste le "Docteur", comme Doctor Who, mais qui a été surnommé Docteur Mystère par son jeune assistant Cigale. Il cherche à se venger de ses ennemis dans le Grand Jeu, non seulement le culte de Kali mais aussi les Russes et les Afghans (même s'il est aussi prêt à s'allier aux Russes contre les Britanniques, curieusement). Le grand brahmane d'Ellora, Arkabad, a fait massacrer toute sa famille et il s'est formé en Europe pour revenir le châtier. Il s'est créé un véhicule d'aluminium, l'Hôtel électrique, de 15 m de long et complètement opaque, qui lui sert de forteresse mobile. Il est revenu en Inde avec ce petit gavroche parisien orphelin, nommé Cigale, qui a déjà fait tous les métiers possibles, son ours nain intelligent, une jeune princesse indienne Anoor et celle qu'il aime, Na-Indra

— Pauvres gens, murmura-t-il, comme ils sont loin encore de la liberté! Que de mensonges, de charlatanisme sont nécessaires pour les conduire à un esclavage moins dur!
Puis, avec un geste brusque :
— À chaque jour suffit sa tâche. Il faut des siècles à la Vérité pour éclater à la face du monde, et c'est la succession des tyrannies qui amène l'avènement de la Liberté. (Le Docteur Mystère, 1900, p. 34)

Par la suite, ce fut le jeune Cigale, qui eut ses propres aventures dans trois romans suivants de Paul d'Ivoi, Cigale en Chine (1901, où il assiste à la révolte des Boxers et retrouve le héros Jean Fanfare déjà vu dans La Diane de l'Archipel, 1897), Massiliague de Marseille (1902, Cigale en Amérique), Les Semeurs de Glace (1903, Cigale en Amazonie). 

Dans le fumetto italien Martin Mystère n°174-175 (septembre 1996) par Alberto Castelli, on apprend que le Docteur Mystère a ensuite adopté Cigale et que ce dernier a pris pour nom "Mystère", ce qui fait de lui un arrière-arrière-grand-père de Martin Mystère (qui, dans la réalité, est plutôt inspiré par un autre fumetto moins connu, I misteri di Jacques Mystère par Tiziano Sclavi. 

C'est suite à cette histoire qu'Alfredo Castelli (qui a l'air assez érudit en littérature populaire du XIXe siècle) a créé des aventures inédites du Docteur Mystère dans un style parodique et des allusions littéraires comme dans la Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Dans Les mystères de Milan (2003), il lutte contre le Docteur Fu Manchu et une étrange version uchronique de Von Radetzky. Il y eut au moins deux autres histoires, La Guerre des mondes et La Jungle noire (où ils vont croiser aussi un descendant très étrange de Sandokan). La version de Cigale de la BD semble avoir un peu perdu la truculence du Gavroche parisien pour s'affadir en un Watson. 

dimanche 14 mai 2023

Electropensées

Lorsque j'étais enfant, une des premières expériences dont je me rappelle est mon extrême susceptibilité à certaines peines qui étaient plus sociales ou psychologiques que physiques. 

J'avais trouvé un nom dans mon jeune âge qui est devenu ensuite un terme dans mon "langage privé". J'appelais cela mes "électropensées" car je pensais que ce désagrément psychologique ressemblait à une douleur aiguë mais très brève comme un électrochoc, une crampe ou une convulsion. 

J'ignore si c'est une expérience universelle dont on ne parle pas ensemble publiquement, comme de nombreux autres mouvements organiques ou des scènes de nos vies intérieures qu'on ne veut pas exhiber. 

Je devais être influencé par une vague représentation (peut-être tirée de BD car je ne crois pas que j'avais déjà la moindre connaissance sur le sujet) que la pensée était physique et qu'elle était un courant électrique. J'avais lu (dans des pages de documents d'actualités que les périodiques pour la jeunesse devait inclure selon la législation française) que des Soviétiques croyaient pouvoir un jour expérimenter physiquement sur des données de parapsychologie et j'ai dû croire que cela garantissait du sérieux. 

L'électropensée ne m'arrivait pas au moment originel d'une gêne psychologique mais après coup, dans le souvenir, comme un flash et une blessure narcissique de l'amour-propre. Je re-visualisais involontairement des scènes d'embarras devant autrui et j'avais l'impression que ma tête se rétractait ou m'oppressait comme si j'avais été frappé. Il n'y avait pas nécessairement une proportionnalité claire entre le degré de la honte que j'aurais dû ressentir et l'intensité de la peine. Certains simples faux-pas assez banals provoquaient ces petites crises qui revenaient me faire sursauter la nuit. J'ai lu des décennies plus tard qu'il devait y avoir des analogies cérébrales entre les douleurs physiques et nos petits tas de chagrins imaginaires. 

Quand je tressaillais ainsi avec une grimace douloureuse, ma mère me demandait avec inquiétude : 

"Qu'est-ce qu'il t'arrive ? 

- Encore une électropensée. 

- Encore ? (avec agacement) C'est n'importe quoi ! Cela n'existe pas, une électropensée. 

Lecture lente d'Emysfer V : Le Livre II

I Création, II SystèmeIII Magie, IV Combat, Actions diverses & Mémoire

Le Livre II Guide du Bâtisseur de Monde (266 pages) est le livre de conseils au "Maître de la Narration" avec une partie d'aides pour créer des éléments du monde d'Emysfer (p. 5-158) et 6 scénarios (p. 158-256). 

J'aurais plus de mal à résumer cette première partie comme il s'agit souvent de "listes". 

L'introduction générale se concentre sur des conseils (p. 5-9) pour la gestion des Jetons de Souvenir sur lesquels s'était terminé le dernier chapitre du livre I. Je n'avais pas saisi à quel point les Jetons de Souvenir peuvent parfois aller plus loin que des informations et même devenir des sortes de "Points de destin" pour faire sortir les PJ d'un embarras. 

Ecrire des conseils pour les MJ me paraît souvent plus difficile à faire que d'écrire des règles. Il y a une partie de conseils généraux mais aussi des conseils plus adaptés spécifiquement à Emysfer et notamment à trois idées de campagne qui se trouvent ensuite dans le Livre III sur l'histoire de l'univers (le mystère de l'Appel, qui est très important pour comprendre le passé secret, L'arrivée d'Un autre peuple inconnu et les Révolutions technologiques à venir, p. 20-23). Il y a ensuite une trentaine d'amorces de scénarios en quelques phrases et je ne crois pas avoir déjà vu un seul jeu de rôle avec autant de pistes d'histoires. 

Je saute le chapitre sur la création de communautés et de structures politiques pour passer directement à la biologie, qui doit être une des trouvailles les plus originales, que je crois sans précédent. De nombreux mondes fictifs ont de longues listes de bêtes et de végétaux aussi illustrées mais là, on a une organisation des taxons, un arbre de la vie pour que le MJ puisse placer d'éventuelles espèces nouvelles à l'intérieur de ces classifications propres au monde d'Emysfer. Quel autre monde classe autant les espèces et montre les lignages et les proximités cladistiques ? Dans l'imaginaire, je ne vois guère les arbres généalogiques des Trolls dans le Trollpack ou le livre After Man du paléontologue Douglas Dixon qui était parti simplement des espèces terriennes actuelles pour les transformer. Je crois que l'auteur Olivier "Alnomcys" Ranisio a fait des études de biologiste. Je compare souvent Emysfer avec Jorune (notamment parce que de nombreuses formes de vie utilisent aussi une sorte de magie "naturelle") mais Jorune n'avait pas du tout ce souci de cohérence scientifique et était une mosaïque fantastique (qui avait commencé avec un monde plus proche des mutations de Gamma World).  

Les espèces ne seront ensuite détaillées que dans le volume III. Il y a des secrets biologiques intéressants dans cette évolution (comme les Draviks, p. 63, voir volume III p. 326). 

Pour mieux ajouter de nouvelles créatures, il y a aussi une longue liste des capacités spéciales des animaux qu'on peut faire varier (p. 80-99). 

La botanique est peut-être plus impressionnante que la faune comme il paraît plus "aride" de distinguer de nombreux végétaux (p. 100-130). Les détails biologiques comprennent les différents milieux, les maladies, les toxines (131-150). Puis viennent les ruines et les différentes matières (150-158). 

La prochaine fois, on passera aux scénarios, qui ont aussi des pré-tirés. 

Une campagne d'espionnage sur Greyhawk

Cloak & Dagger

Il y a souvent une contradiction dans les vieux modules de Gygax comme Vault of the Drows (1978) : 

(1) Il aime décrire plusieurs factions dans les ennemis et dire que les PJ sont censés utiliser de la diplomatie pour dresser les factions les unes contre les autres, et c'est très attirant pour des MJ et joueurs qui veulent éviter le combat répétitif du dungeoncrawling

(2) Mais en pratique, on voit mal comment des aventuriers "bons" arrivant du dehors, pleins de sang et de trésors volés dans les couloirs de gangs ennemis ou de hordes d'humanoïdes pourraient deviner quelles factions sont susceptibles d'accepter de s'allier avec eux à moins d'attribuer aux PNJ une étrange naïveté. Et c'est parfois arbitraire quand le module décide que telle faction refusera ou pas d'écouter les aventuriers. 

Pour que ces diplomaties et leur role-play soient plus faciles à organiser, il vaudrait mieux passer du modèle traditionnel des pillards mercenaires à des espions déjà renseignés au moins en partie sur des possibilités de diviser l'ennemi. Il faudrait alors renforcer cet élément d'espionnage dès le départ (sans avoir besoin de faire de tous les PJ des picaros ambigus moralement). 

Ils seraient des agents doubles qui pourraient donner quelques gages aux forces maléfiques pour mieux infiltrer les grands complots d'Iuz et Lolth. 

L'exemple de la série du "Temple du Mal élémentaire"

Temple of Elemental Evil est une série de modules qui sont surévalués par la nostalgie (ce village d'Hommlet était nettement moins intéressant que le petit hameau sartarite d'Apple Lane pour comparer des villages de même époque). Les vieux grognards confondent parfois tout le travail qu'ils ont dû accomplir pour le rendre jouable et sa qualité supposée (de nombreux PNJ y restaient encore anonymes !). Mais comme je ne l'ai jamais joué, je crois que je me demande toujours ce que cela donnerait. 

Un des intérêts est en effet qu'il y a plusieurs "agents", agents de diverses factions du Temple ou au contraire agents de factions luttant contre le Temple mais dans la plupart des parties, je crains que ces secrets risquent simplement de ne jamais être trouvés et donc exploités en termes de jeu. En tout cas, je ne suis pas sûr que j'aurais vu comment faire pour que les PJ les découvrent. 

Le réseau des agents comprend Otis le forgeron/Ranger/chevalier de Veluna et son petit frère le ranger Elmo, Hruda la vieille herboriste (en fait Murfles l'Elfe) et Mère Screng (en fait la Chanoinesse Y'dey de St Cuthbert). Il y a aussi les Druides de la Forêt Noueuse (Gnarley Forest) comme Kella la demi-elfe (Niveau 9) qui a réussi une infiltration ou Jaroo Ashtaff (Niveau 7). Pas très loin, on pourrait donc supposer toute une organisation des Druides. Le dirigeant du Comté Palatin d'Ulek est l'Archi-Druide humain Lewenn (13e Niveau), Reynard Yargrove est la Haute Druidesse change-forme de Dreadwood en Keoland. 

Au lieu de tomber par hasard sur le Temple, les PJ pourraient depuis le début enquêter ou être envoyés avec quelques informations plus ou moins fiables. Bien sûr on y perd un peu dans le côté d'exploration et de mystère ou la surprise de découvrir que tel ou tel PNJ est en fait un allié caché mais la vraisemblance y gagne si on veut qu'ils puissent vraiment exploiter l'angle de négociation et manipulation. Il faut qu'ils aient pu faire sortir quelques informations du ToEE pour qu'on puisse justifier qu'ils vont pouvoir jouer à diviser pour régner. 

Exemple d'une progression possible

Etape 1 : Les PJ apprennent à connaître l'Archevêché de Veluna ou le Royaume de Furyondie pour qu'ils aient des raisons de s'attacher au Prince Thrommel. Ils peuvent même assister à une version de la Première Bataille des Prairies d'Emridy (569) en extérieur et des sorciers scellent le ToEE. Les PJ peuvent croire que ce premier niveau est la fin du ToEE. La Bataille peut avoir été le moment où ils se sont fait des amis. On inverse ainsi l'ordre traditionnel dungeoncrawling puis bataille épique finale : on commence par la Bataille épique et on gère ensuite les retombées et les échecs de la guerre. Le Mage Serten (membre de la Citadelle des Huit) meurt pendant la bataille et ne pourra pas finir l'étude du Temple. 

Etape 2 : La demi-déesse de l'espionnage aerdienne (Neutre Bonne) Johydee révèle qu'elle a retrouvé la trace de ses Masques Magiques qui permettent de cacher son identité. Il y en a à peu près nombre de PJ -1. Cette recherche des Masque est une guerre des Prêtres d'Almor contre leurs ennemis du Saint Siège de Medegia ou alors plus au sud dans la Ligue de Fer qui organise aussi des réseaux d'espions contre le Grand Royaume. On va dire que le Masque peut aussi cacher l'Alignement si vous gardez encore cette notion. Les PJ partent en quête des Masques (peut-être détenus par des agents Hextorites par exemple ?) mais ils savent qu'il leur en manque un (juste pour créer de la paranoïa). Une fois qu'ils les récupèrent, cela fait d'eux de parfaits super-espions. 

Si on veut sauter cette étape 2 et ce Deus Ex Machina des Masques (il y a un léger risque que cela soit trop puissant), on peut aussi commencer par des PJ qui inclut par exemple quelques espèces comme le cliché du "Drow en Rédemption" (ou le demi-Olve gris-demi-Drow) ou "le Bon Orc", voire un Suelois (pour mieux infiltrer la Confrérie écarlate). 

Etape 3 : Les PJ sont envoyés par le Royaume de Furyondie ou par le culte de Johydee contre un célèbre groupe de mercenaires qui négocie avec des groupes dans les Pomarj (certains de ces mercenaires ont des liens avec les Marchands d'Esclaves de la série A et aussi avec Eclavdra, l'agente de Lolth ?). Stalman Klim du Dragon de Terre réunit les Neuf Seigneurs Esclavagistes en 573. On crée les dirigeants de ces criminels pour qu'ils puissent comme par hasard avoir quelques analogies avec le groupe des PJ et qu'ils puissent ainsi plus aisément les remplacer (mais on a les Masques de l'Etape 2). Ces PNJ de la série A (et les factions du D4) sont plus intéressants que ceux de la série T mais je suppose qu'on veut aller vers l'iconique T... 

Les Neuf Seigneurs comprennent en plus de ce Stalman Klim, deux moines de la Confréries écarlate, deux sorciers (Ajakstu et Lammonsten), quatre voleurs-assassins (dont un pirate qui dirige les "Voiles Jaunes") et Edralve une prêtresse elfe-noire de Lolth (tous ces modules ont toujours une connexion avec Lolth). La lutte interne entre Stalman Klim et Edralve est une des tensions entre les Despotes-Marchands d'Âmes de Drachensgrab. 

Etape 4 : On peut contracter un peu la chronologie après 569 : le Prince Thrommel est enlevé (officiellement en 573, bien après la Bataille d'Emridy Meadows, contrairement au RttToE) et bien sûr, contrairement au module, il vient d'être enlevé quand les PJ interviennent, pas plusieurs années après. Quelle drôle d'idée de Gygax que de croire que le ToEE l'aurait gardé sans rien en faire pendant plusieurs années ? Il faudrait savoir quel chantage ils espèrent obtenir s'ils ne l'ont pas simplement tué. 

On peut dire que le Prince Thrommel de Furyondie et le Prévôt de Veluna sont deux personnes différentes si on veut (c'est une petite contradiction dans les chronologies greyhawkiennes où les auteurs ont distingué ou identifié les deux descriptions). 

Ils doivent enquêter sur diverses rumeurs. Est-ce le Royaume de Nyrond (avec son agent le barde borgne Nelbor Gellor, qui est en fait le cousin de la Vicomtesse Bessilisica d'Urnst - c'est une fausse piste) ? Est-ce le  Cercle des Huit de Mordenkainen parce qu'ils craignaient que l'alliance Veluna-Furyondie déséquilibrait trop la région ? Mordenkainen le Gris en ennemi des joueurs et pour une fois allié aux forces du Mal serait un retournement intéressant. Est-ce un complot de la Confrérie écarlate (qui finance aussi les Neuf Seigneurs Esclavagistes), alliée ici à Iuz ? Est-ce un soupirant éconduit de la Dame Jolene de Veluna ? Finalement, leur enquête les conduit à des informations sur ce réseau criminel qui serait en lien avec des Drows, la Confrérie écarlate et des humanoïdes. 

Après les avoir vaincus, ils peuvent ainsi prendre leur place. Les Masques trouvés à l'étape 2 vont leur servir à se faire passer pour les membres. 

Etape 5 : On refait le ToEE mais cette fois les PJ sont des informateurs infiltrés et connaissent quelques alliés. On peut ainsi plus facilement expliquer comment ils vont pouvoir manipuler par exemple les Bugbears ou un des quatre éléments (par exemple le Feu qui est en déclin, si je me souviens bien) contre d'autres factions. 

Bien sûr, il faut beaucoup réduire les salles pour éviter les répétitions des combats. 

Thrommel

J'hésite sur Thrommel. Dans le scénario d'origine, les Méchants font croire qu'ils l'ont transformé en Vampire par pur sadisme gratuit de Gygax qui veut que les PJ tuent Thrommel avant de découvrir qu'il n'avait jamais été vampirisé et qu'ils l'ont attaqué pour rien. Dans la version Return to the Temple of Evil, Thrommel est vraiment devenu un Prince vampire (ce qui veut dire que toute la mission pour le sauver serait vaine en réalité). 

Une solution intermédiaire serait que les vampires du ToEE ont voulu le remplacer par son Ombre à leurs ordres mais que Thrommel vit toujours ? Ils tombent d'abord sur ce double Vampire avant de découvrir qu'il est un imposteur mais que Thrommel vit toujours ? Avec les Masques, cela risque de faire beaucoup d'imposteurs... Ou alors il est vraiment à demi-vampirisé mais peut encore être sauvé dans un Temple de Veluna et tente de lutter contre sa nature vampirique ? 

L'Ancien Oeil du Mal Elémentaire

Une autre chose qui me tient un peu à coeur serait de changer un détail dans le vrai Temple de Gygax & Mentzer qui me gêne depuis la première fois que j'ai lu l'expression "Elemental Evil" il y a 40 ans. 

Le "Mal Elémentaire", dans ma version ne serait pas les versions maléfiques des 4 éléments mais au contraire un 5e élément, du "Mal" vu comme un élément, la Disruption élémentaire, la Haine comme un anti-élément. Cela explique pourquoi les 4 éléments du Temple ne cessent de se faire la Guerre et pourquoi les PJ peuvent jouer dessus. Ce n'est pas de la simple jalousie mais un effet même de leur culte de désunion. Le Grand Ancien est plus un principe "Eris" de discorde et dissolution du cosmos. 

Je ne sais pas quoi faire des conflits entre l'Ancien Elémentaire, Lolth (la déesse araignée des Drows), Zuggtmoy, déesse des moisissures (alliée de Iuz l'Ancien) et pourquoi pas Iggilw et autres. Gygax voulait d'abord que le ToEE soit allié à Lolth (d'après des indices dans le T1) et a changé d'avis quand David Sutherland a fini la campagne Descent-Vault of the Drow (1978) dans Q1 Queen of the Demonweb Pits. On s'est retrouvé avec cette version bizarre par Frank Mentzer où on ne sait même plus vraiment si le Mal élémentaire est si important dans son Temple et où une déesse des moisissures devient la vraie nemesis. 

Contrairement aux vieux fans puristes du ToEE, je ne suis en revanche pas opposé à l'idée de Monte Cook de fusionner l'Ancien Mal Elémentaire et Tharizdun, à cause d'un simple Rasoir d'Occam : on ne va pas trop multiplier les dieux enfermés dans un donjon et Gygax avait déjà abusé des Morgoth qui sortent de leurs geôles. Les dieux de Château Greyhawk ont en fait été capturés parce que Zagyg voulait se servir de son Piège à Dieux pour atteindre son apothéose. Certes, l'Ancien Maléfique est un "Aspect" de Tharizdun, qui est plus malsain et "lovecraftien", associé au Chaos et à la Folie. Tharizdun le Mauve a l'air d'être une imitation par Gygax du dieu de Tékumel, Ksarul le Prince Maudit de la Chambre Bleue en moins intéressant et il n'y perd donc pas à être aussi identifié au Mal élémentaire. 

vendredi 12 mai 2023

La côte chimérique (1)

Les Côtes chimériques sont un univers fictif que j'avais commencé il y a une douzaine d'années (j'en ai mis des passages sur un ancien blog défunt que j'écrivais vers 2010-2012 et une fois sur ce blog). 

C'est loin au couchant que se découpe la côte chimérique, près de la Mer des âmes, où chaque vague est un spectre d'un noyé. La côte est à l'embouchure de la Rivière de l'Oubli dont les pluies peuvent effacer tous les souvenirs. 



On divise la côte en trois régions principales : l'Isthme du Serpent au centre, les Plaines fertiles du Bouc Sacrificiel et le Chaudron du Lion d'Emeraude. 

Le point commun entre ces trois régions est la barrière mince entre ce monde matériel et l'Autre Monde, le monde des morts et des rêves

Getty Museum, Ms. 23 (1480)


Sept Cités des Côtes chimériques

  • Sur l'Isthme des Serpents est construit une Cité nommée Limen, la cité au seuil, cité du crépuscule, cité aux cent yeux. C'est une des Sept Portes de l'Autre Monde et la plus accessible, plus que la Margelle Noire. D'un côté du Pont de Cristal se trouve le Monde des vivants, et de l'autre les étendues grises des défunts. Les médiums qui y mangent certaines des plantes locales (le thé d'asphodèle) peuvent y voir les âmes mortes et même converser avec elles avant qu'elles n'aillent franchir le Pont, la Porte d'obsidienne et la Muraille des Gargouilles dans un voyage sans retour.

  • Reliquaire (Eucharistie, Khupnigurath), la Cité du Bouc Sacrificiel, est dirigée par les Officiants qui ont accès à la Manne,  le Soma, l'"Hostie" qui régénère et augmente la Longévité. Leur Garde Troll les protège contre ceux qui voudraient leur prendre la Manne, qu'ils vendent chèrement. 

  • Athanor, le Chaudron des Alchimistes, est une Cité de Golems de différents métaux. Les habitants y sont des sorciers qui ont transféré leur âme en des statues pour échapper à la mort. Pas très loin se trouve Ossuaire, la Cité des Nécromanciens et Ivoire, la Cité des Dormeurs, a des habitants vêtus uniquement de l'Ivoire d'une Licorne qui leur permet de demeurer dans leurs rêves (la matière organique vivante est la seule chose qui puisse entrer dans leur plan). 

Enfermée dans les Bois Très-épineux se trouve la Cité-Mère où des Monolithes vivants tentent de continuer à construire les bâtiments de leur Ville. 

Sur la Mer des Âmes que nul n'ose franchir se trouve le Léviathan, qui tient dans sa Gueule ouverte une autre cité, refuge de ceux qui ont fui le sol des Côtes chimériques en espérant ainsi un jour échapper aussi à la mortalité. 

mercredi 10 mai 2023

Castes et religions non-indiennes


J'ignore tout de la sociologie ou de l'anthropologie et j'ignore donc quelle est l'explication historique du fait que les basses caste ou hors-castes exclues ne se sont pas converties en masse à d'autres religions. Naïvement, on pourrait croire que de fortes proportions de ceux à qui les supérieurs disaient qu'ils ne devraient avoir aucun droit seraient vite attirées par des religions sans justification du castisme

Une explication simple de cette absence apparente de conversion de masse serait simplement l'aliénation ou l'ignorance : les hors-castes avaient assez intériorisé l'hindouisme pour ne pas voir le problème. Ou peut-être que ceux qui se convertissaient trouvaient ensuite trop de difficultés pour se marier : ils devenaient rejetés par leur propre caste (voire discriminés encore plus nettement ou massacrés ?). Une autre explication "fonctionnelle" serait que l'autre grande rivale plus "universaliste", l'Islam local des Moghols, par exemple, a vite assimilé le castisme aussi, malgré l'égalitarisme musulman pour ne pas avoir à trop émanciper les sujets. Les élites musulmanes avaient un intérêt à ce qu'une si grande part de la population demeure des serfs hindous. Un catholique indien racontait que dans son église, les fidèles étaient surtout de basses castes mais que la hiérarchie ecclésiastique était de manière disproportionnée uniquement des descendants de Brahmanes, ce qui prouvait que les biais culturels se maintenaient dans les autres religions. 

Pour simplifier, j'ai l'hypothèse que les grandes réformes religieuses indiennes furent faites non pas par des révoltes des basses castes mais plutôt par des critiques des castes "nobles" contre la caste sacerdotale. Le conflit principal était à la tête, entre les Brahmanes et les Kshatriyas, entre "prêtres" et "chevaliers". Le Bouddhisme (inventé par un Kshatriya) ou le Sikhisme (qui venait d'une caste militaire), par exemple, ont séduit des Kshatriyas qui voulaient acquérir les prérogatives symboliques de la caste sacerdotales. C'étaient plus des nobles qui voulaient aussi être moines et aspiraient à certains de leurs voeux et restrictions que des serfs s'insurgeant contre leur exploitation (on peut dire la même chose pour St François d'Assise). Ou pour parler en termes nietzschéens, l'idéal ascétique des dominants était plus influent dans l'histoire des religions indiennes que le ressentiment des dominés. J'ignore si cela fonctionne pour le Jainisme (d'où vient sans doute le Bouddhisme, mais qui a plus réussi à survivre par un repli communautaire et un "hyper-ascétisme intramondain") : les Jains sont très peu liés aux basses castes mais malgré la critique du védisme, ils ont refondé à leur tour de nouvelles castes endogames en continuant à imiter la majorité hindoue. 

Dans l'Inde moderne en revanche, le Bouddhisme avait été détruit dès l'Antiquité et les Bouddhistes récents sont soit des immigrés soit en effet plus liés à des basses castes qui ont pu commencer le processus de rejet du système "castiste".