Lorsque j'étais enfant, une des premières expériences dont je me rappelle est mon extrême susceptibilité à certaines peines qui étaient plus sociales ou psychologiques que physiques.
J'avais trouvé un nom dans mon jeune âge qui est devenu ensuite un terme dans mon "langage privé". J'appelais cela mes "électropensées" car je pensais que ce désagrément psychologique ressemblait à une douleur aiguë mais très brève comme un électrochoc, une crampe ou une convulsion.
J'ignore si c'est une expérience universelle dont on ne parle pas ensemble publiquement, comme de nombreux autres mouvements organiques ou des scènes de nos vies intérieures qu'on ne veut pas exhiber.
Je devais être influencé par une vague représentation (peut-être tirée de BD car je ne crois pas que j'avais déjà la moindre connaissance sur le sujet) que la pensée était physique et qu'elle était un courant électrique. J'avais lu (dans des pages de documents d'actualités que les périodiques pour la jeunesse devait inclure selon la législation française) que des Soviétiques croyaient pouvoir un jour expérimenter physiquement sur des données de parapsychologie et j'ai dû croire que cela garantissait du sérieux.
L'électropensée ne m'arrivait pas au moment originel d'une gêne psychologique mais après coup, dans le souvenir, comme un flash et une blessure narcissique de l'amour-propre. Je re-visualisais involontairement des scènes d'embarras devant autrui et j'avais l'impression que ma tête se rétractait ou m'oppressait comme si j'avais été frappé. Il n'y avait pas nécessairement une proportionnalité claire entre le degré de la honte que j'aurais dû ressentir et l'intensité de la peine. Certains simples faux-pas assez banals provoquaient ces petites crises qui revenaient me faire sursauter la nuit. J'ai lu des décennies plus tard qu'il devait y avoir des analogies cérébrales entre les douleurs physiques et nos petits tas de chagrins imaginaires.
Quand je tressaillais ainsi avec une grimace douloureuse, ma mère me demandait avec inquiétude :
"Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
- Encore une électropensée.
- Encore ? (avec agacement) C'est n'importe quoi ! Cela n'existe pas, une électropensée.
2 commentaires:
Je ne cherche pas, je vous le jure, à provoquer expérimentalement une électropensée en vous infligeant une blessure d'amour propre (je ne suis pas savant-fou à ce point) mais je trouve que la phrase "J'avais lu dans les pages ... j'ai dû croire que cela garantissait du sérieux" se lit mal, à cause d'un problème de construction. Peut-être la rendrait-on plus claire en isolant entre parenthèses la précision, du reste fort utile: "dans les pages de documents d'actualités que les périodiques pour la jeunesse devait inclure dans la législation française" et en y remplaçant "dans " par "selon"?
Je me souviens d'avoir été impressionné - peut-être au même âge que vous? - par un dossier sur des "expériences secrètes" soviétiques qu'on aurait pu croire inspirées par les romans de Paul d'Ivoi, dans Science et Vie, ou peut-être Science et Avenir, en tous cas une source qui semblait donner des garanties de sérieux.
Merci, j'ai corrigé !
Oui, c'était drôle d'imaginer des Matérialistes historiques en train de faire des expériences sur la télépathie (et des Américains répondant par une course aux armements télépathiques). J'ignore quel était la part de pur délire des journalistes mais je trouvais cela plus amusant que les OVNI.
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