lundi 1 mai 2023

Homo viator

Liè Zǐ, sage taoïste, un siècle après Lao Zi, aurait vécu vers la fin de l'époque des Printemps et des Automnes ou au début de l'époque des Royaumes Combattants, vers le Ve siècle, dans le Duché de Zhèng (qui fut aussi la région du législateur Zǐchǎn, Liezi est aussi censé avoir pu connaître Confucius mort vers -480). 

Ici, il dialogue sur son goût pour les voyages, avec un certain philosophe Húqiū Zǐ mais on n'en sait pas plus sur lui (si ce n'est qu'il aurait aussi été du Duché de Zheng).

 

列子曰:「游之樂所玩無故。人之游也,觀其所見;我之游也,觀其所變。游乎游乎!未有能辨其游者。」

壺丘子曰:「禦寇之游固與人同歟,而曰固與人異歟?凡所見,亦恆見其變。玩彼物之無故,不知我亦無故。務外游,不知務內觀。外游者,求備於物;內觀者,取足於身。取足於身,游之至也;求備於物,游之不至也。」

於是列子終身不出,自以爲不知游。

壺丘子曰:「游其至乎!至游者,不知所適;至觀者,不知所眂。物物皆游矣,物物皆觀矣,是我之所謂游,是我之所謂觀也。故曰:游其至矣乎,游其至矣乎!

Liè Zǐ (列子) dit : "La joie du voyage (游, Yóu - le mot peut ausi vouloir dire "ramer") réside dans la nouveauté. Mais alors que les autres voyagent pour regarder le spectacle de la nature, moi, je voyage pour contempler ses changements. Ah ! Le voyage, le voyage, qui a jamais su ce qu'est le vrai voyage 

Húqiū Zǐ (壺丘子) répliqua : "Ta manière de voyager est au fond identique à celle des autres, et pourtant, tu prétends qu'elle est d'une autre sorte. Tout le monde dans le spectacle qu'il considère voit constamment le changement. Tu te réjouis de la nouveauté des choses sans savoir que notre moi, lui aussi, se renouvelle constamment. Or celui qui voyage n'est attentif qu'à la surface des choses, il est incapable d'attention pour la contemplation de sa vie intérieure. Le voyageur, attentif au monde extérieur, cherche la perfection dans les choses. Celui qui prête attention à sa vie intérieure est comblé dans son être propre. Trouver la satisfaction dans son être propre, c'est l'aboutissement suprême du voyageur. Par contre, chercher la plénitude dans les choses, c'est ne pas atteindre le but suprême du voyage."

Après cet entretien, Liè Zǐ ne sortit plus de toute sa vie. Il s'estimait incapable de voyager

Húqiū Zǐ dit : "Quel est le but suprême du voyageur ? Le but suprême du voyageur est d'ignorer où il va. Le but suprême de celui qui contemple est de ne plus savoir ce qu'il contemple. Chaque chose, chaque être est occasion de voyage, de contemplation. Voilà ce que j'appelle voyager, voilà ce que j'appelle contempler. C'est pourquoi je dis : "Voyage en fonction du but suprême ! Voyage jusqu'au bout !"

    Liè Zǐ (ou Liè Yùkòu), Le Vrai Classique du Vide Parfait (Chōngxū zhēnjīng), Livre IV (Confucius), 7 (traduction Benedykt Grynpas 1961, Folio p. 115-116 ou Pléiade Philosophes taoïstes p. 456-457, source chinoise)

Une autre traduction (anglaise) dit "Le vrai but du voyage, c'est qu'il n'y ait plus de division entre toi et ce qui est autre."

Juste après, ce même thème du voyage est pris un peu différemment, comme distance et liberté : Lóng shū vient demander au médecin Wén zhì comment le guérir car il se sent toujours au monde comme un étranger, comme un voyageur dans une auberge, même dans sa propre demeure et le médecin lui répond qu'il ne peut le guérir car il a atteint la sagesse tout en l'ignorant et en confondant sa sagesse avec une maladie. 

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