lundi 15 mai 2023

Du Capitaine Némo au Docteur Mystère

 J'aime tellement le Capitaine Némo que c'est un grand plaisir de lui trouver une seconde vie (hors de la version assez discutable chez Alan Moore, qui en a fait un Hindou, et même un Hindou-Sikh ??? - alors que Jules Verne semble bien impliquer qu'il doit plutôt être musulman s'il est de la famille de Tipu Sultan). 

Le Capitaine a en effet donné clairement non seulement le célèbre Sandokan (1883, censé se passer dans les années 1860 en Malaisie) de Salgari mais aussi le Docteur Mystère (1900) de Paul d'Ivoi. 

Paul d'Ivoi est un des plus célèbres imitateurs de Jules Verne et il a créé plusieurs Némo, que ce soit le Corsaire Triplex (qui lutte contre les Turcs pour libérer la Crète) ou la Capitaine Nilia (qui lutte contre les Britanniques pour libérer l'Egypte). Les nationalistes français de cette période de Fachoda sont très prompts à dénoncer le colonialisme dès qu'il n'est pas le colonialisme français. Le racisme de Paul d'Ivoi est souvent bien plus affiché que les préjugés de Verne. 

Voir cette présentation sur le site French Wold Newton de Jean-Marc Lofficier (même si je ne suis pas d'accord avec sa vision de Nemo où il veut aussi le fusionner avec la moitié des autres héros de la littérature). 

Paul d'Ivoi a créé le Docteur Mystère, qui est d'origine hindoue mais qui est un savant-aventurier rationaliste qui passe son temps à lutter contre les cultes hindous et notamment contre la caste brahmane (qu'il accuse d'être des alliés objectifs et des soutiens idéologiques de tous les envahisseurs, des Moghols à l'occupant britannique en ayant "désarmé" l'âme indienne). Le Prince Dakkar de Verne dans l'Île mystérieuse (1875) voulait surtout se venger des Britanniques. 

De son vrai nom le Prince Rama Rundjee, il se fait appeler juste le "Docteur", comme Doctor Who, mais qui a été surnommé Docteur Mystère par son jeune assistant Cigale. Il cherche à se venger de ses ennemis dans le Grand Jeu, non seulement le culte de Kali mais aussi les Russes et les Afghans (même s'il est aussi prêt à s'allier aux Russes contre les Britanniques, curieusement). Le grand brahmane d'Ellora, Arkabad, a fait massacrer toute sa famille et il s'est formé en Europe pour revenir le châtier. Il s'est créé un véhicule d'aluminium, l'Hôtel électrique, de 15 m de long et complètement opaque, qui lui sert de forteresse mobile. Il est revenu en Inde avec ce petit gavroche parisien orphelin, nommé Cigale, qui a déjà fait tous les métiers possibles, son ours nain intelligent, une jeune princesse indienne Anoor et celle qu'il aime, Na-Indra

— Pauvres gens, murmura-t-il, comme ils sont loin encore de la liberté! Que de mensonges, de charlatanisme sont nécessaires pour les conduire à un esclavage moins dur!
Puis, avec un geste brusque :
— À chaque jour suffit sa tâche. Il faut des siècles à la Vérité pour éclater à la face du monde, et c'est la succession des tyrannies qui amène l'avènement de la Liberté. (Le Docteur Mystère, 1900, p. 34)

Par la suite, ce fut le jeune Cigale, qui eut ses propres aventures dans trois romans suivants de Paul d'Ivoi, Cigale en Chine (1901, où il assiste à la révolte des Boxers et retrouve le héros Jean Fanfare déjà vu dans La Diane de l'Archipel, 1897), Massiliague de Marseille (1902, Cigale en Amérique), Les Semeurs de Glace (1903, Cigale en Amazonie). 

Dans le fumetto italien Martin Mystère n°174-175 (septembre 1996) par Alberto Castelli, on apprend que le Docteur Mystère a ensuite adopté Cigale et que ce dernier a pris pour nom "Mystère", ce qui fait de lui un arrière-arrière-grand-père de Martin Mystère (qui, dans la réalité, est plutôt inspiré par un autre fumetto moins connu, I misteri di Jacques Mystère par Tiziano Sclavi. 

C'est suite à cette histoire qu'Alfredo Castelli (qui a l'air assez érudit en littérature populaire du XIXe siècle) a créé des aventures inédites du Docteur Mystère dans un style parodique et des allusions littéraires comme dans la Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Dans Les mystères de Milan (2003), il lutte contre le Docteur Fu Manchu et une étrange version uchronique de Von Radetzky. Il y eut au moins deux autres histoires, La Guerre des mondes et La Jungle noire (où ils vont croiser aussi un descendant très étrange de Sandokan). La version de Cigale de la BD semble avoir un peu perdu la truculence du Gavroche parisien pour s'affadir en un Watson. 

2 commentaires:

賈尼 a dit…

Je vais voir « 20 000 lieues sous les mers » adapté en pièce de théâtre demain soir 🙂

https://www.portestmartin.com/20-000-lieues-sous-les-mers

Phersv a dit…

Dans ce même théâtre, je déconseille Oublie-moi, que j'ai trouvé très lourdingue et sans subtilité.