jeudi 28 février 2019

Different Worlds #7 (avril-mai 1980)




Site officiel
Prix : $2.50, mais passage à 48 pages. Le magazine fait de plus en plus professionnel et les publicités commencent à être plus variées. La couverture est par l'artiste Cora L. Healy.

 "Beginner's Brew: The Compleat Adventurer"
Une liste d'adresses de magazines, de compagnies de jeu de rôle et de figurines.
Chaosium y annonce deux jeux futurs en préparation : "Dark Worlds" (le jeu sur Lovecraft par Kurt Lortz (1953-2006), frère de Steve Lortz qui écrivait dans les premiers numéros, cela deviendra Call of Cthulhu par Sandy Petersen) et Elric Runequest (par Rudy Kraft, qui deviendra Stormbringer par Ken St. Andre).
On annonce toujours Heroes of Middle-Earth de Steve Perrin chez Heritage.
Dans les petites annonces, un certain David Dunham de New York dit chercher des joueurs. Il deviendra un célèbre fan de Runequest, écrira d'ailleurs dans DW dès le numéro suivant (puis dans le n°15, 26 et 36) et créera le jeu informatique King of Dragon Pass.

"Ten Days in the Arena of Khazan: A Tunnels & Trolls Campaign" Ken St. Andre
Hélas, en dehors de la jolie carte de la tête du continent Dragon (la cité de Khazan) par Liz Danforth, ces 7 pages de survol du monde de Tunnels & Trolls n'apportent que quelques lignes d'informations.

L'Empire de Khazan est dirigée par la reine-déesse des Orcs, Lerotra'hh, qui est cruelle et elfophobe mais quand même assez rationnelle pour souhaiter l'ordre, la prospérité et la stabilité dans sa cité. Je soupçonne St. Andre d'avoir toujours fait un certain effort volontaire pour ne pas approfondir son Trollworld. Là, il décrit un par un des combats en solitaire de son personnage contre diverses créatures mais je n'aurais pas appelé cela une "campagne" de jeu de rôle.

"Sourcebook Review: Cults of Prax" Richard L. Snider
   "In summation, Cults of Prax is the best extant cosmology designed for use with any FRP that has been published."    C'est vrai.

"RQ/Glorantha: Gloranthan Birthday Tables" Morgan O. Woodward III
C'est une explication du calendrier de Glorantha avec une petite règle amusante : si le personnage est né pendant le Temps sacré (les 2 semaines intermédiaires hors des cinq saisons), il a des chances d'avoir une bénédiction ou malédiction divine (dont une chance de naître avec un Trait chaotique ou de la lycanthropie). L'auteur écrit un an après dans le premier numéro de Pegasus, la revue de Judges Guild.

"D&D Variant: Vardy Combat System - Part 2" John T. Sapienza, Jr.
Bon, au moins, c'est fini. Là, la synthèse avec Runequest est plus nette, avec des règles de parade. Pourquoi Sapienza ne juge pas préférable de passer directement à RQ est un mystère.

"RQ/Glorantha: Foundchild Cult" Sandy Petersen
Culte de l'Enfant-Trouvé, le dieu des chasseurs de Prax. Très utile comme complément à Waha le Chef ou Eiritha l'Eleveuse dans Cults of Prax qui venait de sortir et qui contenait 15 cultes.
On sait maintenant que les chasseurs orlanthis, eux, suivent plutôt Odayla l'Ours ou Yinkin l'Alynx. Sandy Petersen écrit ce culte avant même de s'être mis à Call of Cthulhu et les données anthropologiques y sont intéressants dans l'idée que le Chasseur d'une société animiste doit accomplir des rituels expiatoires pour bien tuer l'animal. Petersen et Stafford ne devaient pas connaître Walter Burkert, Homo Necans, 1972, traduit en anglais en 1983 - Burkert veut y montrer à quel point la violence de la chasse et du sacrifice était quelque chose qui n'allait pas de soi pour les humains archaïques qui ressentaient le besoin de le ritualiser et de s'en purifier.
Le culte est bien entendu repris dans The Cult Compendium chez Moon Design.

"Game Review: In The Labyrinth" Steve Perrin
L'auteur de RQ dit avoir aimé ce dernier supplément de The Fantasy Trip de Steve Jackson (l'ancêtre de GURPS), à part la croissance des caractéristiques avec les Niveaux (trait commun avec T&T).

"Better Game Mastering: Power Groups and Player Characters in RPGs" James M. Ward
L'auteur de Metamorphosis Alpha raconte comment il a créé plusieurs factions de PNJ dans sa campagne et comment cela a motivé ses PJ à réagir et à définir eux aussi des buts les uns par rapport aux autres. C'est assez intéressant car des mécanismes d'interactions entre factions deviendront en effet un des apports de Gamma World au jeu de rôle.

"Commentary: System Snobbery" Larry DiTillio
Le célèbre scénariste (qui co-écrira 4 ans après Masks of Nyarlathotep avec Lynn Willis mais aussi des aventures pour T&T) se plaint que certaines Conventions de jeu de rôle interdisent de fait certains systèmes et que les rôlistes deviennent intolérants. Apparemment, la GrimCon d'Oakland organisée avec l'aide des créateurs d'Arduin à l'été 1979 avait blacklisté toute partie de D&D et T&T. Il mentionne aussi en passant un jeu en prototype, quelque chose nommé The Endless Abyss, qui était joué dans la Convention mais j'imagine qu'il n'est jamais sorti. DiTillo appelle les rôlistes à essayer de varier les jeux qu'ils connaissent et à ne pas snober tout un système pour certains de leurs défauts.

"Letter From Gigi: Gossip" Gigi D'Arn
Tim Kask quitte la direction de The Dragon. (à partir du n°34, février 1980). TSR (qui avait condamné toute hérésie hors de l'Unique Vraie Voie) annonce une compilation de "variantes" qui s'appellerait The AD&D Companion. J'imagine que c'est une version de ce qui sera finalement Unearthed Arcana ? Elle dit aussi que TSR prépare toujours un film sur D&D.
FGU annonce des suppléments pour C&S, comme Land of the Rising Sun, un jeu de sf qui sera Space Opera et un jeu sur la mythologie grecque, Odysseus.
Bushido (dont il y avait eu une critique dans le n°3) de Hume et Charette (les auteurs de SpaceQuest) qui était sorti d'abord chez Tyr est maintenant chez un second éditeur, Phoenix Games (il finira ensuite chez FGU).
Elle fait parfois des blagues obscures (comme ce gag récurrent sur la belle-mère commune à Stafford et Scott Bizar). Elle mentionne que Greg Stafford a été interviewé par Ian Livingstone dans White Dwarf #17 (fev.-mars 1980, p. 25-26). Il y cite ses auteurs favoris comme Tolkien, Campbell, Eliade, Frazer et Bob Dylan. Et je ne résiste pas à en citer un extrait où il théorise sur les jeux de rôle :

RPGs fulfil several very important functions for people today. I have done some very serious discussion and analysis on this question and broken down the answers to fill four needs:
1. Communication with others ;
2. Participation in a shared fantasy;
3. Exploration of our minds;
4. Exploration of the psyche .
These may vary in importance, of course, but all are important.

Communication is the basis for a group activity . It is the basis for society at large. Without communication we are stunted and hurt . Any hobby fills this function if it gets people together to share their ideas. That is, we game so that we can get with other people and have a good time .

Participation in a shared fantasy occurs among people who are intense or involved with the game and other players. Many of us have read a good book and been so impressed by its impact on us that we want to share it . So we get together and talk about it . But none of this talk can capture the experience and share it, first hand . A good RPGdoes allow people to actually share their experience, though, and so surpasses the enjoyment we can get out of talking about a book .

Exploration of our minds is always educational . By this I mean that when we play a good RPG we can get into a sort of "adventure Dreamland" and stretch our activities to include things we'd only ordinarily think or dream of . I mean, of course, the regular murder and mayhem which most RPGs consist of . And, I hope, people will be educated by these subliminations of their activities . I would hope that they will take the opportunities to experiment on what their minds can devise beyond the superficial possibilities of a FRP game . Within this category I include the pleasure of players discovering just how clever they really can be .

Evolution of Psyche is an occasional by product of FRP too. By this I mean that it is possible to actually learn something of value to apply to everyday life by playing a RPG. Of course, it is not the purpose of RPG to be a moral instructor, but it is part of the possible by product. Overall, of course, all this goes to provide fun, some play and relaxation . Without that it is an empty game .



"RuneQuest/Gateway: Oriental Weapons for RuneQuest" Sean Summers & Steve Perrin
Une liste d'armes nouvelles pour RQ, je ne sais si elles furent reprises dans Land of the Ninja. Sean Summers dit faire sa campagne RQ dans un monde qui utilise le Japon et les civilisations amérindiennes.

Different Views
Dave Hargrave répond à la critique d'Arduin dans le n°5, qui était très positive même si elle appelait plutôt les joueurs à l'utiliser comme une source d'idées. Hargrave dit notamment que son jeu n'est pas une simple variante de D&D de "première génération" mais bien un jeu original de "seconde génération" (ce qui était pour le moins discutable au début de ce jeu). Il se vante ensuite d'avoir une énorme expérience réelle du combat depuis la Guerre du Vietnam.
Les autres lettres reviennent encore sur des questions techniques assez ennuyeuses sur les variantes de Sapienza.

Conclusion
Un numéro meilleur que le précédent, grâce au matériel gloranthien, l'article sur le calendrier et le culte de Foundchild. Curieusement, DW n'eut finalement pas tant de matériels spécifiquement gloranthien dans son histoire et son rédacteur en chef Tadashi Ehara cherche longtemps à être un magazine de jeu de rôle qui ne se réduirait pas au magazine "maison" de Chaosium. L'identité du magazine fut en quelque sorte celle du jeu de rôle non-pas-seulement-TSR face au Dragon.

En passant, ce numéro 7 de DW sort donc en même temps que le numéro 1 de notre Casus Belli ou que The Dragon n°36.

mercredi 27 février 2019

Different Worlds #6 (jan. 1980)

Site officiel
$2 (abonnement $10.50). 40 pages.
La couverture, assez chouette, est par Rick Becker, dont je ne connais rien et qui fait aussi une illustration intérieure.

Il y a des publicités pour Judges Guild, pour Adventures in Fantasy (le jeu d'Arneson quand il quitta TSR) et pour Tunnels & Trolls (il y aura toujours une bonne entente entre Chaosium et Ken St. André). Cela reste assez faible en dehors de quelques pubs pour des "jeux par correspondance".

"Gangster! An Overview"
Gangster! (1979, ne pas confondre avec Gangbusters, le jeu sur les criminels de la Prohibition qui sortira chez TSR en 1982) est aussi édité par FGU (par Nick Marinacci et Pete Petrone) et il est donc étrange de confier la critique au Dr. Leonard H. Kanterman qui est l'auteur de Starships & Spacemen du même éditeur (déjà interrogé dans le n°1). Cela dit, on ne peut pas vraiment l'accuser d'enthousiasme excessif. Gangster! était un jeu pour simuler soit des patrouilles de police (un des deux auteurs était policier à New York dans la réalité) soit un gangster à n'importe quelle période du XXe siècle même si la couverture insiste sur les années 1920. Kanterman dit que les règles avantagent les gangsters (qui ont plus de compétences) mais qu'il conseille de commencer par un jeu plus simple en interprétant les policiers car ils reçoivent des missions mieux définies. Comme le jeu de Kanterman était en gros Star Trek, on reconnaît ses préférences (alors que Traveller prend plutôt le parti inverse de jouer des bandits ou contrebandiers).

"Game Variant: Super Rules for Superhero: 44" Brian Wagner
L'auteur fait remarquer (justement) que Superhero:44 (1977) est en partie "inachevé" et laissait de nombreuses règles à développer par l'arbitre. Mais les compléments qu'il ajoute sur les coûts financiers me paraissent assez mineurs par rapport au plus grand défaut du jeu qui consistait à ne pas tenter de faire de liste précise des Superpouvoirs.

"RQ and D&D: Finding Level in RuneQuest" Ray Turney
Ray Turney, un des co-auteurs de RQ, propose un système approximatif pour convertir des personnages de D&D pour RQ. Cela donne un résultat assez étrange. On commence par générer le POUvoir d'après le Niveau si c'est un personnage plutôt "magicien" et ensuite on détermine la quantité de sorts en sachant que le "guerrier" y a droit aussi. Puis on détermine le pourcentage au combat selon la Classe. Un guerrier de 8e Niveau (donc assez solide) est mis seulement à 60% à son arme (Niveau x 5 + 20). Il propose aussi un système inverse de RQ vers D&D mais cela ne fait qu'affadir le personnage dans la conversion.

"How to Make Monsters Interesting" Lee Gold
On sait qu'un défaut des jeux de rôle est que tout joueur devient vite blasé vis-à-vis des créatures rencontrées. Lee Gold (qui dirige la fanzine Alarums & Excursions) conseille de garder l'étonnement, le suspense et le merveilleux en variant davantage les capacités possibles de chaque type de créature (avec par exemple une table de possibilités aléatoires propre à chaque espèce, un peu comme les tables de mutations ou de traits chaotiques). Les PJ ont le droit de s'attendre à une certaine régularité mais en craignant aussi les pouvoirs particuliers. Mais cela reste bien trop court avec un concept qui n'est pas développé.

"D&D Variant: Vardy Combat System - Part 1" John T. Sapienza, Jr.
John Sapienza s'inspire de Runequest (la table des armes) pour proposer une variante de combat pour D&D assez lourde et qui va un peu dans la direction de ce que fera Arms Law (qui sort justement en 1980 !) et Rolemaster (garder des tableaux et le système Roll High de D&D mais avec un d100 à la place du d20). Cette variante sans intérêt est déjà parue aussi dans Alarums & Excursions.

"The World of Crane" George V. Schubel
L'éditeur de Tribes of Crane, jeu par courrier (qui a aussi inséré une publicité quelques pages avant) décrit le principe et quelques tours de jeu où chaque joueur contrôle une Tribu de nomades. Il dit qu'à l'époque, il y avait deux mondes différents avec "1100 joueurs dans l'un et 400 dans l'autre", avec 6 Maîtres de jeu permanents qui traitent 4000 ordres de jeu par mois. On ne se rend pas bien compte à quel point les jeux par voie postale ont pu être populaires avant les jeux informatiques. Flying Buffalo utilisait déjà une gestion informatisée qui était paraît-il moins frustrante que les MJ humains de la compagnie de Schubel. Parmi les autres jeux par correspondance décrits dans les publicités, il y en a un où on joue un investisseur en Mer de Chine en 1860, ce qui paraît assez pointu.

"Insanity Table" Lewis Pulsipher
Peut-être l'article le plus directement utilisable de ce numéro, une liste de folies qui peut enrichir celles qui apparaîtront ensuite dans Call of Cthulhu.

"RQ/Gateway Cult: The Cult of Gestetner" Greg Costikyan
Costikyan peut être un humoriste doué mais je crains qu'il ne faille avoir vécu les débuts des fanzines pour trouver cette parodie du dieu des duplicateurs amusante.

Different Views
Encore du courrier assez critique qui fait remarquer que DW ne devrait pas tenter de concurrencer Dragon en parlant de D&D et se concentrer sur les autres jeux dont RQ. Stafford défend en partie Sapienza en disant que ses articles pour D&D (listes d'épées magiques) lui ont donné des idées pour sa propre campagne de Humaktis qui utiliserait le fameux Heroquest dont il a déjà donné une "preview" dans le n°4. Sapienza dans sa lettre demande à DW de ne plus publier de lettres attaquant TSR car il trouve que le ton est devenu trop agressif des deux côtés entre Dragon et Different Worlds, notamment à cause du ton sarcastique utilisé par la rubrique de ragots de "Gigi d'Arn". Un éditorial de Dragon aurait d'ailleurs attaqué DW comme des "amateurs".

"A Letter From Gigi"
Comme si "Gigi d'Arn", le bras armé de DW, voulait tout de suite répondre à Sapienza, la rubrique commence les hostilités contre Gary Gygax qui est passé à la télévision dans un talk-show nocturne de NBC et n'a jamais mentionné le fait qu'il a utilisé Dave Arneson ou Tolkien. Elle ajoute même que le fait que Gygax n'ait pas voulu faire une petite démonstration de jeu de rôle sur le plateau prouve qu'il ne doit pas vraiment être un Gamemaster.
Lou Zocchi (Gamescience) se bat pour reprendre Empire of Petal Throne de MAR Barker à TSR et Steve Jackson a repris la revue SpaceGamer à son ancien patron Metagaming. Elle se moque aussi de Game Workshop qui a organisé une remise de prix en Angleterre où ses propres jeux et White Dwarf l'ont emporté sur les autres, ce qui commence une tradition de cette compagnie... Elle parle aussi de l'auteur de wargame anglais Charles Vasey qui dirige le fanzine Perfidious Albion et je crois comprendre qu'aujourd'hui 40 ans après, il le dirigeait toujours encore assez récemment.  Il est censé écrire un livre d'introduction au jeu de rôle avec l'aide du Chaosium mais je n'en vois pas trace. Gigi d'Arn écrit toujours "you guys at Chaosium" comme si "elle" n'en faisait pas partie.
On dit que Eric Goldberg prépare un jeu de rôle pour SPI qui s'appellerait Dragonflayer (ils feront aussi un jeu de plateau sur le film Dragonslayer mais c'est en fait DragonQuest).

Conclusion
Pas grand chose à sauver dans ce n°6, à part peut-être la Table de génération aléatoire de syndromes psychiatriques par Lewis Pulsipher... Heureusement, le n°7 a l'air meilleur.

lundi 25 février 2019

Deux Mondes partagés de Jean-Luc Istin


La bande-dessinée des Maîtres Inquisiteurs (11 volumes parus depuis 2015) est une série avec un "univers partagé" chez Soleil. Le scénariste principal ou directeur de la collection derrière le travail éditorial est Jean-Luc Istin mais les auteurs et dessinateurs sont en "rotation". Il a écrit directement les volumes 3 (avec Augustin Popescu), 6 (avec Stefano Martino) et 9 (avec Vladimir Krstić dit "Laci") mais en variant donc à chaque fois les artistes. Il y a eu trois autres scénaristes, Olivier Peru, Nicolas Jarry et Cordurié (Sylvain Cordurié fut aussi avant de devenir scénariste un illustrateur chez Oriflam, notamment sur la série Hawkmoon) et un quatrième, Jean-Charles Gaudin, récemment. 

Jean-Luc Istin avait déjà utilisé un principe similaire d'univers partagé avec auteurs en rotation pour une autre gamme d'heroic fantasy (22 volumes parus depuis 2013), les séries Elfes et Nains (plus Orcs), si ce n'est que les 5 duos d'auteurs sont plus rigides dans ces "séries-concepts".  Jean-Luc Istin ne scénarise que les volumes sur les Elfes bleus de la Mer, les 1, 6, 11, 16, 21, mais toujours avec le même artiste, l'espagnol Kyko Duarte. Les Elfes et Nains aussi ont une intrigue continue mais on peut presque au début suivre les BD des auteurs séparément alors que ce serait moins facile pour la série des Maîtres Inquisiteurs puisque les épisodes sont groupés en 6 épisodes avec un "finale" (qu'ils appellent un "épilogue") de chaque saison qui regroupe les personnages introduits dans les précédents. 

Les "Maîtres Inquisiteurs" sont une série parodiant les romans policiers. Ce sont des Mages "Juges" et chaque Maître a un pouvoir magique unique et individuel (se multiplier, téléportation, etc.) en plus de quelques capacités mentales générales comme une certaine dose de télépathie (pour pouvoir communiquer avec les dirigeants de leur Ordre avec un peu de méditation). Cela donne donc clairement (un peu comme dans le manga Fairy Tail) un aspect superhéros, et plus précisément un côté X-Men avec l'Académie qui forme ces Maîtres Inquisiteurs. 

Chaque Maître porte aussi une épée magique (l'épée de justice) qui peut servir de détecteur de vérité (elle ne coupe sa cible que si elle est innocente de ce dont le Maître l'accuse, mais encore faut-il que la cible accepte de passer cette ordalie). 

Quand la Guerre entre les Nations dévasta tout le continent, les Magiciens en eurent assez d'alimenter le conflit et prirent le pouvoir pour contraindre à la paix, en imposant un pouvoir bicéphale, un couple d'un Empereur et d'une Impératrice qu'ils avaient formés eux-mêmes pour devenir les deux monarques parfaits des deux moitiés.

Le traité de paix avec les Elfes décidait que les Maîtres seraient toujours accompagnés d'un Eclaireur elfe qui lui servirait à la fois de "Limier" pour l'enquête et de garde du corps (les Elfes sont d'une grande agilité et ont des capacités de perception extraordinaires mais sans les capacités magiques des Maîtres). Le cliché des séries américaines du Buddy Cop Movie (film de flics copains) est renforcé par la dualité Humains-Elfes (déjà utilisée d'ailleurs dans la série des Elfes bleus mais de manière inversée car c'était l'Elfe la magicienne et l'Humain l'éclaireur) et le duo peut aller de la simple collaboration, à l'amitié ou à la relation amoureuse.

(Istin réutilise très souvent le thème du couple Humain-Elfe et il a une autre série non-partagée, uchronie de fantasy historique, Le Sang du Dragon (12 volumes depuis 2005), où le héros Hannibal Meriadec est un pirate breton de 1707 qui lutte contre les pouvoirs terrestres de Louis XIV ou des autres Puissances avec l'aide d'Elween, une magicienne elfe immortelle d'une île féerique près du Mont Saint-Michel. )

Les Maîtres Inquisiteurs sont considérés comme une "Police fédérale" qui l'emporterait sur la juridiction des différents royaumes des deux Empires mais les Maisons locales se méfient de ce pouvoir "judiciaire" et magique central. 

Sans gâcher l'intrigue continue, un des secrets qui est révélé progressivement dans la première "Saison" est que la Magie en ce monde est lié au désordre. La Magie était donc bien plus forte pendant la Guerre du Chaos et elle est en déclin à chaque fois que les Maîtres Inquisiteurs réussissent à pacifier le continent. Le paradoxe est donc qu'ils affaiblissent leurs propres pouvoirs quand ils "réussissent", ce qui rend leur cause d'autant plus noble mais assez contradictoire. 

L'univers de la série Elfes est assez classiquement donjonnesque (sans doute inspiré aussi par DragonLance, et l'invasion actuelle de Morts-Vivants fait très Game of Thrones) mais la série des Maîtres Inquisiteurs me paraît plus originale même s'il n'est pas facile d'écrire des histoires policières avec de la magie qui risque toujours d'ajouter un peu d'arbitraire. 

dimanche 24 février 2019

[JDR] Les mondes de la Couronne de Fer (7) Emer


Après avoir beaucoup parlé de l'île de Jaiman, passons plus au sud au continent d'Emer, le plus grand de tout le Monde des Ombres (on peut en voir là la taille comparée à celle de l'Europe).

Si Jaiman est assez "occidental médiéval-fantastique", Emer est un mélange de cités-Etats antiques à l'Âge de Fer à l'ouest (Niveau Technologique 3-4) et de royaumes plus africains ou moyen-orientaux, avec un niveau technologique très variable puisque l'Orient (les Hauts-Elfes "Constructeurs" technophiles de Námar-Tol) a atteint depuis longtemps un niveau de la fin de la Renaissance, sur le point d'arriver à un niveau industriel (et la chronologie multi-millénaire de Kulthéa est ici assez ridicule car cela fait des milliers d'années qu'ils stagnent au XVI-XVIIIe siècle, soit le Niveau Technologique 6 en termes de SpaceMaster).



Terry Amthor a décrit ce continent, un peu plus vaste que l'Europe, notamment dans un supplément dans une grande boite Emer; The Great Continent (1990, une centaine de pages) et ensuite dans la série encore inachevée des Emer Atlas (trois volumes parus sur quatre, environ 400 pages ; Northwest 1997, Northeast, 2002, Southeast 2014). En 25 ans, certaines descriptions ont beaucoup évolué et il y a souvent des contradictions avec des suppléments antérieurs quand ils ne sont pas de la main d'Amthor (Curse of Kabis, 1995, par exemple, était censé décrire aussi une version de Sarnak mais Amthor dit ne pas en avoir tenu compte et n'avoir pas même lu le scénario).

Les Titans d'Emer
Une originalité d'Emer est qu'il a des divinités locales, dont un panthéon d'êtres semi-divins physiquement incarnés, les Six Titans ou "Maîtres d'Emer". Ces immortels n'ont pas vraiment une fonction ou un porte-feuille et ils sont donc très mal individualisés. Ils s'étaient répartis le pouvoir en divisant six régions dont ils se disaient les despotes bienveillants, avant de se retirer ces derniers siècles au sommet de hautes montagnes nuageuses dans la Mer intérieure de Votania (alors que leurs ancêtres, les Seigneurs d'Orhan, vivent sur l'une des Lunes de Kulthea). Ils descendraient d'un mélange de ces Dieux avec les Elfes mais de toute façon, le Monde des Ombres est un univers de science fiction résolument athée ou "anti-mythologique" (tout comme Mystara) : toutes les divinités n'y sont toujours que des immortels qui exploitent de la magie et/ou une haute technologie, que ce soient les Seigneurs de l'Essænce, les Seigneurs d'Orhan ou les Seigneurs de Châron. Ils avaient soumis divers peuples humains mais avaient laissé leur indépendance aux Hauts-Elfes des Îles de Námar-Tol à l'Est (ce qui soutient la théorie qu'ils sont des Nephilim d'origine elfique car ils n'ont soumis que des peuples humains).

Le chef des Six Maîtres d'Emer était Titus Hiaz maître de Haestra (Nord-Ouest) et il vit maintenant en Votania avec trois autres Maîtres, Xaym Jyax du Tai-Emer (Nord), Ria Xain du Khum-kaan (Centre), Xaix Yjan de l'Onar (Est). Parmi les deux autres Maîtres d'Emer, Kio Viax, brouillé avec Titus Hiaz, est perdu quelque part dans l'Uj (Sud-Ouest) et la Maîtresse Mira Zyan du Silaar (Nord-Est) a été vaincue et faite prisonnière par le Seigneur-Dragon d'argent Voriig Kye de Vog Mur. De fait, ces "Maîtres" n'interviennent plus depuis plusieurs milliers d'années. Les Ordres monastiques-combattants des Changramai (au nord d'Emer) descendent en fait des anciens gardes fanatiques des Maîtres (The Grand Campaign avait un PNJ qui en était membre).



L'Empire d'Aldaron
Après la disparition des Maîtres d'Emer et la chute d'anciens empires humains (Thanor dans le Silaar, détruit par des Prêtres du Dieu serpent Klysus et par le Seigneur-Dragon d'argent Voriig Kye), Emer va être réunifié une seconde fois par un Etat légèrement plus humain. Ce Empire naquit il y a 5000 ans, fondé par Aldaron, qui dispose de technologies avancées et va fonder les Huit Ordres de magiciens : Les Epées d'Argent (guerriers magiques), Les Capes Cramoisies de Zanar (sorciers du feu), l'Anneau Gris (mages des essences), le Soleil (druides), les Quatre Vents (messagers et mages de l'air), l'Oeil (voyants), les Mains (aussi appelés Les Masques ou Les Serpents, espions) et la Flamme Blanche (artisans).

Aldaron (peut-être en imitant les Couronnes magiques de Jaiman qu'il renonce à envahir ?) divise son Empire en quatre Royaumes (qui correspondent aux "Quatre Vents") : l'Haestra (Nord-Ouest, La Licorne), le Tai-Emer (Nord, le Lion), le Silaar (Nord-Ouest, le Faucon) et l'Uj (Sud-Ouest, la Vouivre) plus une Principauté pour son frère sur les Marches de Khûm-kaan au centre du continent. Son Empire crée des colonies dans tout Emer mais l'archipel elfe de Namar-Tol, les extrêmes sud de Rael et d'Onar ne seront pas des domaines impériaux (contrairement aux anciens "Maîtres d'Emer").

L'Empire qui unifia tout l'ouest et le centre finit par s'écrouler après le départ d'Aldaron, après plus de 500 ans, rongé de l'intérieur par les différents Ordres de sorcellerie qui se déchirent entre eux. La cause principale de la chute est l'Ordre des Capes Cramoisies de Zanar qui se retourne contre l'Empire pour instaurer une Théocratie intolérante et violente depuis l'Île de Feu dans la baie d'Haestra. Emer se fragmente définitivement.

Le dernier siècle
Depuis des milliers d'années, cette ancienne Inquisition de Zanar autrefois si puissante a décliné et n'est plus qu'une secte à demi oubliée. La plupart des terres suivent les Seigneurs d'Orhan, comme Shaal des Mers et Phaon le Soleil mais les Cités du sud-ouest de Haestra ont une religion régionale, la Triple-Déesse Mynistra. Le Stroane en Haestra a aussi un culte de l'ambigu Dieu Félin Andaras (qui, par opportunisme plus que malveillance, est historiquement lié aux divinités des Ténèbres). L'Empire lankanok en Tai-Emer est une théocratie expansionniste du dieu serpent Klysus (un des "Seigneur de Charôn", voir plus bas).

En parlant de la Triple-Déesse Mynistra (qui est en gros Héra + Athéna + Aphrodite), ses adorateurs n'ont rien de féministes et ont des cités-Etats patriarcales. A l'inverse la gynocratie de Sarnak est athée et anti-religieuse, ce qui évite le cliché idéologique où des adorateurs d'une Déesse échapperaient au sexisme. Amthor s'est amusé sur les "rôles des genres" et l'île sudiste d'Itanis a à la fois une caste militaire féminine et pourtant un pouvoir patriarcal (une oligarchie de "sorciers" où le pouvoir est réservé à la minorité des hommes ayant un pouvoir Psi focalisé par un cristal particulier).

Depuis, l'Emer est fragmenté en douzaines d'Etats. Un exemple célèbre est la cité marchande de Sel-Kai (au nord de Silaar). Elle s'est développée depuis la chute de l'Empire Emérien, il y a 4500 ans, a une flotte de vaisseaux volants et une forteresse volante (Eidolon) depuis des douzaines de siècles. La Principauté de Sel-Kai et les sept îles elfiques de Námar-Tol sont les plus avancées technologiquement du continent et les seuls à avoir des aéronefs (les Elfes ne sont d'ailleurs pas très loin du Nexus, le centre des Guildes des Navigateurs. (Si on choisit de relier le Monde des Ombres et l'univers de science-fiction de SpaceMaster, l'Empire Terrien vient d'envoyer des éclaireurs qui explorent cette région et tentent de comprendre les Flux d'Essaence magiques uniques de la planète Kulthea. Le Tabernacle du Verbe, l'ordre religieux des Communications de l'Empire Terrien, a même implanté des agents sur un autre continent.)

Depuis au moins un siècle, un personnage mystérieux (en fait un ancien héros mythique elfe) Le Sans Nom apparaît dans divers endroits en tentant d'avertir de prophéties de destruction qui se réalisent toujours peu de temps après. La Cité de Zinvar (Haestra) il y a un siècle ou le Royaume de Pochanto (Tai-Emer) il y a quelques années se sont écroulés tous les deux après sa visite (l'Empire lankanok occupe maintenant le Pochanto) et le Nuyan-Khôm (Silaar) soigne ses plaies. Le Sans Nom commence à être craint dans tout Emer. Sa vraie identité est révélée dans le supplément (il y a souvent des PNJ amnésiques ou insensés dans le Monde des Ombres : Andraax, Elor, Tethior...) mais franchement je ne vois pas trop quoi en faire pour une campagne.

Le Directorat de Sarnak, république gynarchique, fait assassiner par une de ses agentes son ennemi, le roi de Stroane et le culte d'Andaras prend encore plus directement le contrôle de ce Royaume avant de se retrouver en compétition avec des organisations secrètes. De l'autre côté de la Grande Epine dorsale d'Emer, un nouvel Etat, l'Ardania, entre Tai-Emer et Khûm-kaan, prétend restaurer l'ancien Empire d'Aldaron avec une recréation de ce qui affirme être l'Ordre des Epées d'argent.


Quelques remarques sur Haestra


Cette région du nord-ouest est décrite avec une ambiance de Cités-Etats antiques et a une navigation plus aisée qu'ailleurs grâce à plusieurs Mers intérieures, la Baie d'Izar et la Mer de Votania. Les Bergers des Onze Vaux sont protégés par Kel(los), un Potaméide de la Rivière. La Forêt d'Emeraude est peuplée de Nymphes et de Faunes. Aquitar (archipel de Komaren) a un "Bataillon sacré" clairement imité de la Thèbes d'Epaminondas. La Cité de Helbernia est le siège du Temple de la Triple-Déesse Mynistra et de ses Prêtresses, la Sororité.

La Baie d'Izar (l'ouest de Haestra) avait été choisie comme cadre de départ dans la 4e édition de l'Atlas du Shadow World (2003).

Une note sur les Treize Seigneurs d'Orhan

Les dieux du Monde des Ombres ressemblent beaucoup aux Olympiens mais des indices laissent penser que l'une des inspirations principales était en fait les Valar des Terres du Milieu.

Kuor, leur Roi, est dieu des Vents, des Flux d'Essences magiques et du Tonnerre (Zeus/Eole, Manwë). Il est marié à Valris, déesse de la sagesse (Athéna, Varda).

Phaon, dieu du soleil (Hélios, remplace Kuor dans plusieurs cultures) est marié à Oriana, déesse de l'amour et du mariage (Aphrodite + Héra). Leur fils serait Cay, dieu des guerriers et de la force (Arès, Tulkas).

Iorak le Forgeron (Héphaïstos, Aulë) est marié à Iloura, déesse de la fertilité (Déméter, Yavana).

D'autres dieux sont par paires de jumeaux : Eissa (déesse de la Mort mais aussi du Renouveau, Perséphone, Mandos + Nienna + Estë ?) et son frère Reann (dieu des songes et gardien de la nuit contre l'Anti-Vie, Morphée, Irmo, peut-être aussi avec certains aspects d'Oromë le Chasseur - et bien entendu l'influence de Sandman), et deux frères qui divisent à peu près tous les deux Apollon + Dionysos : Kieron (dieu des fêtes, de la musique) et Jaysek (dieu des arts visuels et des illusions).

Shaal le Destructeur est dieu de la Mer (Poseidon, Ulmo) et Teris est le/la Messager androgyne et Trickster (Hermès). Il n'y a pas d'équivalent strict d'Artémis (mais Iloura est aussi la dame des Bêtes, pas seulement de la végétation).

Il y a aussi une association avec les Quatre Saisons : le Printemps est Oriana, l'Eté Phaon, l'Automne Iloura (en tant que déesse des moissons) et l'Hiver Eissa (qui est déesse de la Mort et du Renouveau qui conduit ensuite à Oriana).

Source : Powers of Light & Darkness, 2003, p. 121. 
Dans ce schéma au double pentagone qui distingue 5 aspects majeurs et dix aspects mineurs, Kuor est associé à Teris et Reann (les plus actifs). Valris à Jaysek et Kieron. Eissa à deux "enfants", le Gardien et l'Exorciste. Phaon à Oriana et Cay. Shaal à Iloura et Iorak (trois divinités "élémentaires").

On peut comparer ce système de quasi-Olympiens avec beaucoup d'autres qui se fondaient sur la mythologie greco-romaine : celui des Douze Dieux de l'Oeil Noir (où  Athéna a été divisée en une déesse de la sagesse et une déesse de la guerre mais où Aphrodite et Dionysos ont été fusionnés en une déesse des plaisirs, de l'amour et du vin), le système des Neuf Dieux des Terres Balafrées (qui utilise à la fois les Neuf alignements de D&D et une opposition fondamentale entre dieux et Titans indépendante de l'alignement), les Dieux du Monde d'Arcanis (où la Déesse du Destin est en même temps Déesse de l'abandon à l'extase hédoniste en un mélange étrange d'Apollon l'Oracle et de Dionysos) ou le système réorganisé et très "rationalisé" du Panthéon des Douze dieux d'Hel-Las.

On peut directement comparer les Treize Seigneurs d'Orhan à leurs "doubles" les Neuf Seigneurs de Charôn (peut-être étaient-ils plus nombreux avant leur défaite à la fin du Second Âge) : Orgiana (Nuit, anti-Phaon - il est étrange que son nom évoque tant celui de l'épouse de Phaon), Inis (Tentation, anti-Oriana), Keshtakai (Magie, anti-Jaysek), Andaras (Félins, Intelligence, anti-Valris), Ztaar (Guerre, anti-Cay), Scalu (Cauchemar, anti-Reann), Moralis (Intempérance, Plaisir & Douleur, anti-Kieron), Klysus (Reptiles, Mort, anti-Eissa), Nynaku (Volcans, Séismes, anti-Iorak). Keshtakai et Andaras sont décrits comme les plus "neutres" des Seigneurs de Charôn, assez indifférents ou froids plus que directement maléfiques et plus alliés aux autres Seigneurs de Charôn par haine de ceux d'Orhan. Andaras est sans doute issu de Rexfelis, le Seigneur des chats dans Greyhawk qui était d'autant plus important qu'il était l'aïeul de Gord le Voleur, le héros des romans de Gary Gygax.

5 aventures émeriennes (1989-1995)

I.C.E. a publié au moins cinq aventures en Emer qui ne furent pas rédigées par Terry Amthor et ne sont donc plus considérées comme "canoniques".

Tales of the Loremasters, vol. I (1989, 34 pages) était écrit par Tom Kane (j'ai déjà évoqué son volume II qui a encore plus de rencontres et est vaguement censé être sur Jaiman). Il y a 4 petites aventures, et seule la première a un lien avec Emer. La première se déroule sur l'archipel Shinh à l'ouest de Haestra et décrit un peuple de monteurs de Tortues de Mer avec plusieurs îles. ICE ne semble plus avoir les copyrights des travaux de Tom Kane mais l'archipel de Shinh est toujours mentionné sur les cartes actuelles. Les trois autres se déroulent toutes du côté d'Urulan sur Jaiman. La seconde aventure est une rencontre avec des bandits trolls. La troisième est Shyrac (oui), une région hantée au sud des Montagnes Grises. La quatrième, toujours en Urulan, utilise un noble un peu libertin, un Arbre intelligent et un dragon.

The Orgilion Horror (1989, 34 pages) est par Timothy Taylor (qui fit notamment la gamme des wargames de I.C.E. comme Bladestorm et War Law). C'est un donjon d'introduction avec une ancien manoir hanté d'un explorateur à visiter (un mage vient d'en hériter) et ensuite les ruines pseudo-égyptiennes dans le Désert sur lesquelles cet explorateur enquêtait. C'est une ambiance un peu anachronique, d'horreur victorienne ou "Pulps", mais pas très "kulthéane". Une carte dit que c'est au centre d'Emer, à peu près entre le Désert d'Uj et les Jungles de Khûm-Kaan mais il n'y a strictement aucune donnée sur le monde. Je ne sais pas exactement quelle civilisation morte pourrait jouer le rôle de cette "pseudo-Egypte", peut-être les Jinteni, peuple disparu du Premier Âge qui aurait eu accès à des technologies secrètes et seraient les ancêtres des Thésiens / Kinsai. De fait, on n'est pas très loin de l'ancienne Nécropole des Jinteni d'Uj (qui contient des secrets technologiques des anciens Seigneurs des Essences) et de Gethæna, la porte d'un Enfer sous-terrain (voir plus bas).

Cyclops Vale & Other Tales (1989, 34 pages) est toujours par Timothy Taylor. C'est une série d'idées pour un bac-à-sable en extérieur. Les différentes scènes manquent sans doute de lien et de raisons pour que les personnages aient envie de rester dans cette région. On est dans les Monts Peligris au sud de Tai-Emer (et donc quelque part entre la Théocratie Lankanok et le Nouvel Empire Ardanien) et il y a un peu plus d'allusions à l'univers (aux dieux, par exemple). Ce sont des successions de scénarios parfois un peu "prosaïques" au début (aider un aubergiste, aider des fermiers, aider les mineurs). On visite Coranan ("Airain"), un petit village de mineurs au pied des Pics Peligris (qui vont d'environ 2000 à 3000 mètres mais sont assez "secs" et rocailleux). Il y a quelques pistes sur divers secrets du coin, un peuple caché de petits demi-elfes (les Pechs), un peuple d'hommes ailés (les Hirazis), des Troglis dans les mines, des Griffons, des Aigles géants, des Thyfurs (Faucons géants - il vaut mieux que les personnages n'en apprivoisent pas ou tout le scénario deviendra très facile pour arriver jusqu'aux sommets de ces Pics), des Dragons de Lumière (une créature de RoleMaster qui lancent des sortilèges de lumière et dont les organes servent d'ingrédients pour en lancer)... Le Cyclope du titre fait 8 mètres et on pourrait négocier avec lui s'il ne jetait pas des rochers sur les personnages dès qu'on le rencontre. Une carte parle d'un trésor englouti dans un lac de montagnes (des sacrifices d'un peuple oublié). Toute la région est surplombée par un pic de 3000 mètres (le Mont Nalrothorn) avec une obélisque noire et le secret de ce monument est qu'une ancienne sorcière (hélas très peu étoffée) l'a fait construire pour son amant. Le meilleur passage pour y monter est un escalier empli de pièges mortels et il faut trouver un moyen pour que les personnages n'y aillent pas trop vite.

Carte extraite de l'Emer Atlas vol. II, p. 126


Gethæna: Underearth Emer (1993, 130 pages) est écrit par Jessica M. Ney-Grimm (directrice artistique de ICE et qui est depuis devenue une écrivaine) et pour une fois, Terry Amthor l'a accepté comme canonique (même s'il précise qu'il trouve ces PNJ trop puissants, ce qui est assez ironique comme c'est justement le défaut de ses propres scénarios). Cela décrit un monde parallèle sous-terrain (en dessous de l'Uj), une sorte d'Enfer éclairé par le toit d'airain lumineux. La plupart des habitants ignorent que leur "ciel" est un Dôme pour les emprisonner. Les Maîtres du Savoir et la Guilde des Navigateurs, eux, ont découvert ce monde caché. Il est peuplé des six Ishru, des Princes d'un groupe de sorciers démoniaques qui furent emprisonnés là (ils font plus penser à des Anges déchus ou surtout à des Princes d'Ambre). Leur sujets sont les Dain Sædhu, dont certains souhaitent se rebeller contre les Princes Ishru ou tenter de se libérer de Gethæna (il y a aussi des factions liées à l'Anti-Vie ou bien aux anciens Seigneurs des Essences). C'est une campagne originale mais qui se situe donc dans un "univers de poche" bien séparé (même si une des fins possibles de la campagne peut conduire à l'évasion des exilés, ce qui perturberait sans doute le monde de la surface). La présentation des informations est souvent dispersée dans des textes de fiction mais J. Ney-Grimm a réussi à créer une atmosphère.

Curse of Kabis (1995, 112 pages) est écrit par un certain "Jesse R. Wood" (?) à une époque où Terry Amthor n'était plus chez ICE et ce dernier a décidé de l'effacer complètement. C'était pourtant cette fois très intégrée aux textes d'Amthor et cela ressemble sur bien des points à une version un peu simplifiée de The Great Campaign d'Amthor (au point de faire un peu double emploi) : à cheval sur Jaiman (Détroit Mélurien, Zor, Urulan) et Emer (Baie d'Izar, Crête du Scorpion, Directoire de Sarnak), avec un McGuffin à rassembler contre des sectateurs d'un Démon de l'Anti-Vie (Kabis jouant un peu le même rôle que Shrek). Ce Démon Kabis est emprisonné depuis le Second Âge mais il est lié à la Masse-Sceptre magique fragmentée d'un ancien héros Elfe d'Urulan (en Jaiman) qui avait pu le vaincre. Les personnages devront donc partir à la recherche des fragments pour contrecarrer les plans de ses agents et éviter un retour de Kabis. La présentation du scénario n'est pas très pratique, avec des descriptions de cadres et PNJ séparées des intrigues.

lundi 18 février 2019

Varie sable lié


Les hydres desséchées dispersent leurs tronçons
En vers é
               car
                    te
                       lé, tout ton fil se consume
Dans les venins secrets que ton silence exhume,
De ces deltas du styx, tu renies la rançon.

Aucun lit ne parcourt la dune du terril
Nulle écume ne vient maculer les lacunes
Entre les cavités épurées de rancune
Poudroyant isolé dans ton chaos stérile.

Mais un infime écho reflète une moisson,
Mesurant le doux glas dont tu saisis le son
Tu recueilles un tesson dans chaque distension

S'égrenant cristallin en des éclats glacés,
De pulsars extérieurs fredonnant la scansion
Dans cette liaison tue d'instants entrelacés.


(suite du précédent)

dimanche 17 février 2019

[JDR] Les mondes de la Couronne de Fer (6)


Voir Iron Wind ; Cloudlords of Tanara ; World of Vog Mur,
4 Jaiman, Demons of the Burning night, Norek ;
Quellbourne & Sky Giants of the Brass Stairs



Les Six Couronnes (suite)

Dès le supplément Jaiman: Land of Twilight (1989), le créateur du Monde des Ombres Terry Amthor avait décrit une petite campagne utilisant quelques reliques liées aux "Six Couronnes" qui unifiaient jadis cette île (j'ai déjà expliqué comment Amthor avait inversé l'histoire des Sept Anneaux tolkiéniens). Dans le sens des aiguilles d'une montre, on avait en effet six pays et six "totems" : (1) le Griffon de Zor, (2) le Cheval Ailé de Tanara, (3) la Licorne d'Urulan, (4) le Phénix de Rhaakan au centre, (5) le Serpent de Mer pour U-Lyshak,  et enfin (6) la Vouivre de Saralis.



En dehors de la Couronne du Phénix, les cinq autres semblent avoir été détruites ou avoir disparu (Griffon et Serpent de Mer subsisteraient encore). Seule (je crois) la Couronne du Griffon pouvait transformer littéralement son porteur dans la créature liée (idée qu'on retrouve dans les Chroniques des Féals de Matthieu Gaborit). L'île de Jaiman est prise en étau à l'ouest par les forces maléfiques du Vent de Fer et du Sorcier elfe corrompu Lorgalis (dont on ne comprend d'ailleurs pas pourquoi il n'a pas encore réussi à tout conquérir depuis des siècles) et au nord par les hordes du Seigneur-Dragon rouge Sulthon Ni’shaang (sans parler du Seigneur-Dragon Blanc alchimiste Oran Jatar, encore plus au nord).

Après avoir aidé le Collège du Griffon (en délivrant une druidesse capturée par des prêtres), les personnages pouvaient explorer les anciens mausolées des rois de Zor et retrouver l'épée du Griffon. Puis ils sont contactés au Collège par Kier Ianis, prince d'Helyssa (un des restes de l'U-Lyshak) qui fuit les Prêtres de Yaathrak et qui recherche le Pendentif du Serpent de Mer, une des parties du trésor de l'U-Lyshak. Ils doivent ensuite découvrir que la Couronne du Serpent de Mer est gardée par le Seigneur-Dragon rouge (voir aussi Sky Giants of the Brass Stairs pour une description qui n'est plus "canonique" d'une partie du Wuliris au nord-est). Une fois la Couronne retrouvée, cela doit conduire à une transformation du Prince Kier Ianis et un final dans l'île d'Arion où les Six Couronnes furent jadis forgées par Tethior (qui n'est autre que la version kultheane d'Ilmarinen ou Celebrimbor).

Ce sont de longs donjons qui ne m'enthousiasment guère, en dehors peut-être des interactions avec le Prince d'Helyssa (qui est encore un Aragorn mais les PJ peuvent craindre qu'il ne soit un Boromir). Certains des adversaires de cette campagne ont des niveaux ridiculement divins (Andraax le seigneur des essences est au "120e" niveau, je ne sais pas si cela a encore un sens). Les très nombreux détails historiques sur le Royaume détruit de Zor ne me semblent pas enrichir vraiment l'expérience de ces successions de Portes-Monstres-Couronnes

The Grand Campaign

Terry Amthor avait commencé par écrire des suppléments sur Jaiman et sur Emer (le continent où se trouvent divers mystères dont l'île volante d'Eidolon) mais il préparait depuis la fin du siècle dernier une campagne qui devait consister en un grand périple visitant ces deux régions à la fois. Il mit en forme la première partie sur le Jaiman (A Gathering Darkness, aussi sous-titré Shadows Lengthen) mais en voyant qu'elle ne serait jamais publiée officiellement,  offrit gratuitement en ligne ce "prélude" (une centaine de pages environ), en annonçant que la Grand Campaign de Shadow World ne serait sans doute jamais achevée pour le second volet émerien. Sur le forum de I.C.E., il a encore précisé que cela ne lui paraît plus d'actualité par rapport aux publications contemporaines sur ces deux régions depuis vingt ans.

6 Couronne + 8 Cercles

Je suis assez circonspect sur l'idée d'une campagne comme un "Grand Tour" qui parodie les romans de fantasy et qui épuise un peu une par une toutes les pistes de scénario disposées par l'auteur. Cela transforme directement le décor qui pourrait servir à un bac-à-sable en une intrigue linéaire uniforme. Tout le mythe de Jaiman est centré sur ses Six Couronnes et on sait que le scénario va donc en réutiliser au moins une. L'histoire de l'ancien Empire émerien, elle, est centrée sur les "Huit Ordres" qui ont survécu à la chute de l'Empire qu'ils servaient et ont évolué en des sociétés secrètes rivales, souvent corrompues loin de leur fonction initiale et manipulées par diverses factions du Monde des Ombres, que ce soient les Seigneurs-Dragons ou les forces de l'Anti-Vie : Les Epées de Feu (guerriers magiques), Les Capes Rouges (sorciers du feu), l'Anneau (mages des essences), le Soleil (druides), les Quatre Vents (messagers et mages de l'air), l'Oeil (voyants), les Serpents (espions) et la Flamme Blanche (artisans).

10 Personnages

La campagne propose 10 personnages pré-tirés d'importance assez différente. Sur les dix, au moins quatre ont des origines elfiques (dont une Dryade), ce qui rappelle l'obsession "elfocentriste" d'Amthor (et on pourrait même compter les Duranaki ou les Itanis comme des humains qui se prennent pour des variantes d'elfes).  Beaucoup ont des noms que je trouve trop peu discernables comme "RaekTorren" et "RaelenThirok" (au moins on peut dire que cela donne une phonétique assez cohérente).

Je crois ne compter que trois seulement sur 10 qui viennent de Jaiman :
  -- Un Prince (non-héritier) de l'Empire du Phénix (Rhaakan). Cela pourrait faire un peu double emploi après le Prince exilé d'U-Lyshak dans la campagne précédente. Il semble être un guerrier assez primaire mais a en fait une éducation érudite impressionnante sur les données historiques ou géographiques.
  -- Un Mystique non-xénophobe du peuple duranak (despotes albinos New Wave sous-terrains décrits dès Cloudlords of Tanara), qui a aussi accès à une relique essentielle de l'Empire du Phénix.
  -- Un Moine Guerrier d'un peuple demi-elfe né dans les îles du nord de Jaiman mais qui a été formé dans les monastères du nord d'Emer (dont il s'est enfui).

Et donc sur les dix, les sept autres viennent d'Emer, ce qui montre bien que la Grand Campaign n'avait pas pour but de se centrer sur Jaiman :
  -- Un Mentaliste aux pouvoirs mystérieux venu du peuple itanien, au sud d'Emer, près de Lys. Il est à la recherche de son vrai père, ce qui recèle un des plus grands secrets du Monde des Ombres. S'il est PJ, il passerait vite pour le chouchou du MJ.
  -- Une Barde elfe venue de Lys, l'île au sud d'Emer.
  -- Une Dryade de la Forêt d'Emeraude, à l'ouest, près de la Mer intérieure de Votania.
  -- Un Guérisseur venu de Kaitaine, la ploutocratie du sud-ouest et qui doit plutôt être partisan de la République homosexuelle de Komaren. Il est lié, sans le savoir, à une des organisations secrètes de l'ancien Empire d'Emer (les Capes cramoisies).
  -- Un Mage haut-elfe technophile des îles de Namar-Tol (à l'est d'Emer). Ce sera lui qui donnerait accès à l'aspect "science fantasy" de cet univers (les Seigneurs des Essences n'étant en réalité que des extraterrestres à très haute technologie).
  -- Un Voleur du Nuyan Khôm (au nord-est d'Emer)
  -- Une Amazone venue du Directoire de Sarnak, la république athée et gynocratique dans la Baie d'Izar à l'ouest d'Emer.


Les étapes de Jaiman
Les personnages se rencontrent dans la grande cité de Lethys à Rhaakan (Partie V). Le Moine découvre des sources (rédigées par Elor le Ci-Devant Ténébreux, un des Maîtres du Savoir) sur les complots de Prêtres de l'Anti-Vie (dont les différentes sociétés vont être les ennemis récurrents de la campagne).

Le Mentaliste aura diverses visions qui doivent guider la quête, ce qui peut paraître un peu trop direct sans doute. De là, ils doivent donc partir vers la Grande Bibliothèque de Nomikos (Partie VI), qui se trouve être gardée par l'Ordre ascétique que le Moine cherche à fuir. Ils doivent y trouver de nombreuses pistes sur les reliques du Phénix (que se trouve porter le Mystique) mais aussi sur le Cercle Secret (la plus puissante organisation maléfique de tout le Monde des Ombres), sur Elor le Ci-Devant Ténébreux qui aurait perdu la raison et vivrait dans le Saralis, pays de la Vouivre mais aussi sur d'autres Maîtres du Savoir moins isolés qui serait en Tanara, pays du Pégase.

Mais une tempête des Flux d'essaence les jette dans les ruines du Royaume de Zor (Partie VII). Il s'enfuient vers Haalkitaine, la capitale de Rhaakan où ils auront l'épée du Phénix en plus du Pendentif (VIII) puis enfin en Tanara (IX) avant de se téléporter à nouveau vers Zor dans le Collège du Griffon (X), où les mages zoriens vont les aider et les guider pour retrouver Elor en Saralis (XI - Terry Amthor a depuis publié un autre supplément The Land of Xa-Ar and Northern Saralis). Ils partiront vers le nord à travers les Forêts bleues de Lu'nak et ensuite contre le Vent de Fer en Mur Fostisyr d'où vient le Moine (parties XII-XIII). Après avoir traversé l'île d'Urulan (l'ancien royaume elfique de la Licorne), ils doivent tomber sur divers secrets des anciens Seigneurs de l'Essence (partie XIV) et cette première partie se termine quand ils prennent un vaisseau volant vers l'île aérienne d'Eidolon en Emer.

Conclusion
En résumé, sur les six royaumes, on en visite cinq, plus une longue partie plus au nord en revisitant le premier supplément Iron Wind, et il semble qu'on évite justement les parties (U-Lyshak, royaume du Serpent de Mer et le Seigneur-dragon rouge) qui étaient au centre de la mini-campagne précédente dans le supplément Jaiman de 1989. Il y a tellement d'échos que si on jouait les deux campagnes, il faudrait sans doute pratiquer quelques fusions pour éviter des répétitions entre Prince du Serpent de Mer et Prince du Phénix.

Un des éléments importants du Monde des Ombres est le problème des Tempêtes d'essence qui gênent les voyages mais les téléportations à répétition dans plusieurs chapitres (grâce à la Guilde des Navigateurs) peuvent aussi finir par gâcher l'importance du voyage. La Partie VII est un détour contraint un peu inutile et il pourrait être plus amusant de laisser davantage les PJ choisir l'ordre de leur itinéraire après la Bibliothèque ou après le Collège (qui a l'air d'être un peu le "Rivendell" de Jaiman). Je ne sais comment éviter l'impression que les PJ se sentent comme des pions des PNJ "Maîtres du Savoir" (même si on changeait les PJ pour que l'un soit lui-même un disciple de cette organisation). Je me demande si je ne donnerais pas un vaisseau volant bien plus tôt aux PJ, au risque de leur donner beaucoup plus de mobilité.

Terry Amthor a toujours de l'attachement au demi-elfe Elor (qui fut, je crois, le PJ de Pete Fenlon ?) qu'il a mis au centre de la quête, ce qui est plus original qu'un McGuffin comme l'épée, le pendentif et la couronne du Phénix. Elor était le narrateur depuis les premiers suppléments originels et cela flatte bien entendu tout auteur de module que ce soit ici un Auteur du sourcebook qui soit le personnage le plus recherché ! Et je dois reconnaître que j'aime beaucoup le fait qu'on insinue toujours ("Elor Once Dark") qu'il a eu l'évolution inverse des ennemis de fantasy : il fut jadis lui-même un sorcier maléfique avant de passer dans le Côté Lumineux, une inversion de Saruman (alors que le Monde des Ombres est rempli d'autres "Saruman" clandestins). Comme Elor n'a plus toute sa raison (on ne devient pas spécialiste des sociétés de l'Anti-Vie sans quelques risques pour sa santé mentale) mais qu'il connaît quasiment tous les complots du Monde des Ombres, il est un PNJ plus inquiétant que l'habituel Gandalf et doit donc être un allié qui suscite beaucoup de paranoïa chez tout personnage-joueur.

L'homosexualité d'un des personnages (et la possibilité d'une sous-intrigue romantique à ce sujet entre les pré-tirés) n'aurait peut-être pas beaucoup d'originalité aujourd'hui mais si la campagne était parue il y a 20 ans je pense que cela aurait pu suffire à bien distinguer ces pré-tirés des nombreux clones de DragonLance.

Sans la seconde partie, la campagne ne peut pas exploiter la majorité des personnages et de leurs secrets. Si on ne veut pas ajouter la partie en Emer, il faudrait donc aussi modifier les pré-tirés et se recentrer entièrement sur Jaiman pour un grand final en Mur Fostisyr ou contre les factions qui contrôlent l'U-Lyshak.

Amthor a bien laissé un petit synopsis de sa vision de la suite (qu'il présente même comme deux autres volumes, The Fall of Night et The Hope of Dawn après A Gathering Darkness) et il a même écrit un roman (The Loremaster Legacy) qui traite en partie de cela. Le début commençait des allusions à l'organisation du Cercle secret dans le préambule et dans les déclarations vagues d'Elor mais la suite centrée sur la guerre contre l'organisation paraîtra assez peu directement issue de ce début. Le fil directeur de l'intrigue est peut-être plus clair si on fait une lecture attentive des détails mais mon expérience des scénarios d'enquête me laisse penser qu'il faudra des . Un autre défaut est que les ennemis du final sont d'une puissance tellement divine que la victoire des PJ aurait quelque chose d'un peu "forcé" ou au contraire ne sera qu'un simple ralentissement pour les méfaits de certains des pires membres du Cercle secret.

Le Monde des Ombres est fondé sur les intrigues secrètes mais je ne suis pas sûr que les personnages-joueurs puissent arriver à faire assez confiance à certains ennemis de leurs ennemis. A force de multiplier les ombres à l'intérieur des secrets (où les méchants ambitieux peuvent aussi avoir des plans pour exposer les pires-méchants nihilistes), je crains qu'on n'arrive à un résultat assez obscur en termes de jeu (alors que cela pourrait fonctionner dans l'arbitraire du roman).

samedi 16 février 2019

Le cas Zak


Je ne veux pas trop en parler au passé comme si c'était une nécrologie mais je n'avais plus suivi ses dernières créations et encore moins toutes les polémiques (voir cet historique déjà dépassé). Zak Sabbath était un auteur de jeu de rôle qui a eu notamment l'intérêt d'insister sur la dimension "DIY" d'initiative créative individuelle. Il était doué et intelligent mais son extrême susceptibilité dans les polémiques laissaient craindre un narcissique assez obsessionnel. Par exemple, lorsque Casus Belli l'interrogeait, au lieu de parler de son oeuvre (comme sa jolie cité de Vornheim), il partait dans une diatribe contre ses ennemis de chez Evil Hat ou autres compagnies avec lesquelles il était en guerre.

Les déclarations de plusieurs femmes, dont son ex-épouse Mandy, laissent aussi penser (bien qu'on doive bien entendu rappeler la présomption d'innocence dans ce procès de l'opinion qui ne conduira probablement pas à un vrai procès judiciaire) qu'il est au mieux un manipulateur harceleur (qui était allé jusqu'à inventer un faux compte usurpant l'identité de Shannon Apelcline sur reddit) et au pire qu'il dissimulait plus que du harcèlement et de la violence sexuelle (même lui reconnaît dans sa réponse qu'il n'a - au mieux - pas pris toutes les précautions de consentement dans des rapports sadiques - comme le fait remarquer Skeples à la fin de ce message). L'acteur porno "James Deen" avait aussi tenté de se créer une image d'acteur sensible "sex positive", non-misogyne, avant d'être dénoncé comme violeur par son ex-amie Stoya (qui fut d'ailleurs aussi une des ex-joueuses de Zak). Il est souvent regrettable que ces personnes qui tentent de rappeler qu'il devrait être logiquement possible d'être "sexuellement libéré" (quoi que cela signifie) sans tomber dans des clichés sexistes ou "objectifiants" ne font ensuite que renforcer le lien qu'on fait entre les deux.

Même parmi les deniers amis de M. Smith, ceux qui le soutenaient ne veulent plus continuer. Ken Hite (qui avait travaillé avec lui) fera don de tout argent qu'il aurait pu en tirer et refuse toute autre association. DriveThru annonce aussi qu'ils refuseront de publier ses travaux futurs. Patrick James Stuart (avec qui il avait fait Maze of the Blue Medusa, Ennie d'Or du meilleur livre électronique en 2016) a expliqué pourquoi il a fini par le désavouer après l'avoir défendu pendant des années. Ce dernier témoignage me paraît frappant car il ne vient pas d'un adversaire "puritain" (comme Zak a toujours tendance à regrouper tout adversaire depuis ses multiples bannissements de tous les sites de discussion des Internets) mais bien d'un ancien proche.

Les appels au boycott deviennent de plus en plus nombreux. WotC va sans doute devoir retirer son nom des testers de D&D5. La GenCon est sous pression pour lui interdire l'accès. Et on peut déjà prévoir que l'auteur ne pourra se remettre en cause ou demander des excuses car il a une tendance à vouloir s'isoler dans une orgueilleuse position de marginalité.

mardi 5 février 2019

Staffordiana


Greg Stafford, qui était retraité depuis quelques temps, avait été enseignant pour un temps au Mexique (et il dit n'avoir appris l'espagnol qu'à cet âge, à 50 ans et repris ensuite ses études abandonnées de religion comparée).

Depuis novembre 2017, il avait trouvé un nouveau hobby : poster des réponses sur Quora. Et il semble le faire avec une patience exemplaire, presque chaque jour, avec une vertu d'enseignant qui m'étonne.

Il répond surtout sur le mythe arthurien, mais aussi sur la mythologie en général et sur l'Amérique pré-colombienne (Aztèques et Mayas), mais aussi parfois sur le sens de la vie, voire sur sa propre vie (il parle parfois des tensions avec sa famille catholique, il raconte un peu comment l'addiction au "meth" a failli le détruire et à quel point il se sent redevable au stoïcisme de Narcotics Anonymous). Sa femme Suzanne intervient même une fois à sa place pour parler de son expérience. Il parle assez peu de jeu de rôle mais mentionne de temps en temps Runequest, Pendragon et un de ses personnages favoris, un gorille à la basse intelligence nommé "Larry".

Il accepte parfois de répondre à des questions idiotes ou mal formulées (sur des mythes contemporains New Age) et on y voit mieux d'autres aspects d'un Stafford intime assez profond et nuancé, non pas seulement le shaman californien (il donne une définition du shamanisme assez sobre) amateur de mythes mais un esprit critique qui peut se méfiee aussi de certains "mythes" populaires.

Voici par exemple sa réponse sur la fonction des mythes.

II discuss “living mythology,” as opposed to the modern meaning that myth = falsehood.
While science is, by far, the best method to define the material world and to slowly uncover its secrets, science is unable to provide meaning to it. Because our human experience includes so much that cannot be measured and determined by science; so much that impacts us daily with the unknown, mysterious meaning of life; we need to have a way to interact with the mystery.
Mythology provides us with meaning. It is absolutely unreliable to explain physics, astronomy, chemistry, subatomic physics, or anything else that can be accurately measured. However, it is still the best way to interact with the unmeasurable, irrational world of mystery.
The language of mythology is metaphor—poetry rather than the mathematics at the base of science. Metaphor does not directly define, but communicates through comparison and symbol. The subjects that we discern within the mystery—things like love, loyalty, anger, compassion, and all the other abstract realities of life, can only be inferred. The images that so well define these immaterial things provoke feelings within us that provide parameters and qualities to allows us to interact with them. They do not define physical absolutes. “Love is two hearts bound together in joy and care,” for instance, is a mythological statement, not a physical one, like “Loyalty is to cast aside one’s self.” “The hurricane tearing at the city is the anger of mutability at war with humankind” tells us more about wrath than it does about the weather. “My youthful rage was a hurricane of confusion, tossing the everyday objects of my life about like boats, palm trees, and roofs in the wind.”
Mythology of old personifies abstractions in a manner less used or understood today. Ancients did not use the words “god” or “goddess” to describe their deities. Zeus was Thunder, Aphrodite was love, Ares was War. Whenever those phenomena occurred, there was the god. The gods are not people, they are metaphors. “Ares wrought ruin over the landscape” does not mean a gigantic guy with Greek armor was stomping houses—war and its destruction were raging.
Mythology allows us to give structure and meaning to the unfathomable. Today the myth of Progress gives is meaning for the confusing and reckless imposition of technology and politics of our lives. The myths of Democracy and Capitalism explain our struggle against the myth of Communism and Fascism—these things whose results can be measured in GDP and social inequality, but whose inner meanings are abstractions to inspire or oppress.
Wherever we see the unknown we fill it with abstraction—with ideas and theorems. Sometimes those can be quantified and, insofar as physical reality is concerned, turned into facts. For the immeasurable, however, reproducable facts fail, and we find meaning in mythology.

De même ce message sur la valeur idéologique et mythique de l'Argent dans notre monde.

C'est un peu plus banal quand il veut résumer son mantra mystique et son propre itinéraire :

While working to change my life for the better I used to visionquest, spending days and nights out in the wilderness (various desert, seashore, mountain, forest, sacred places) without food or diversion, and learned these two things that changed me:
  1. We are all Us.
2. We may suffer to live, but we do not have to live to suffer.
And one I heard from outside of myself: It is better to regret what you have done than to regret what you have not done.