jeudi 27 avril 2023

La liberté et la thèse de l'autonomie


Leibniz avait distingué dans la liberté de la volonté ce qu'il appelait (1) la liberté d'esprit et (2) le libre arbitre

(1) La liberté d'esprit est composée par deux conditions :
(1A) le fait de pouvoir se représenter par la raison ce qu'on devrait faire et
(1B) la capacité de vouloir vraiment le faire malgré toutes les déterminations et contraintes de forces irrationnelles qui nous feraient désirer le contraire. 

(2) le libre arbitre est le fait de pouvoir vouloir quelque chose sans que ce soit déterminé de manière absolument nécessaire par des causes antérieures. 

Le déterminisme est 
(3) Le principe selon lequel tout ce qui arrive est toujours déterminé par des causes antérieures. 

On peut avoir (2) sans avoir (1) - si du moins on accepte que (2) est possible : quelqu'un se représente ce qui est rationnel mais choisit volontairement de ne pas le faire (donc pas 1B). C'est Médée (video meliora proboque // Deteriora sequor). Médée a-t-elle été contrôlée par ses passions irrationnelles ou a-t-elle choisi de se laisser ainsi déterminer ? 

On peut de prime abord quelque chose comme (1) sans avoir (2) : un Saint Robot (Automate "moral") qui se représente ce qui est "bien" mais est programmé pour toujours suivre ce qui est rationnel. 

Le but de Leibniz est de pouvoir avoir (1) et (2) à la fois tout en admettant (3) le déterminisme. Sa solution est de dire que tout est déterminé dans la lignée temporelle (donc on a bien 3) mais qu'un sujet rationnel fait son choix de telle manière qu'il n'est pas absolument contradictoire logiquement que ce sujet (ou du moins une "contrepartie" ou homologue similaire) eût pu choisir autrement dans un autre monde possible (bien que dans cette ligne temporelle il soit en fait déterminé). La théorie de Leibniz est rendue complexe par une théorie sur l'infini : le sujet a une spontanéité en lui mais ses actes sont déterminés par une infinité d'inclinations qui les rendent imprévisibles pour nous mais quand même déterminés et prévisibles du point de vue de l'entendement divin s'il tient compte de la création du monde réel actuel. 

La solution du déterminisme et nécessitarisme classique n'accepte que (1) et (3). Le stoïcisme prétend pouvoir avoir la liberté de la volonté compatible avec le déterminisme mais n'entend que (1), pas (2). 

La solution dite "compatibiliste" de Hume n'accepte que (1A) et (3), pas exactement (1B) et je me demande si ce n'est pas aussi ce que voulait dire le "déterminisme dur" Spinoza. Pour Hume, la raison indique des informations mais ne suffit jamais à elle seule à donner une impulsion pour la volonté. La raison est théorique sans être pratique. On ne peut donc pas dire que je suis la raison malgré mes passions irrationnelles, mais seulement que j'ai eu des passions conformes à la raison. Je peux avoir des passions calmes et modérées, renforcées par des déterminations qui sont conformes à ce qui est utile et raisonnable. Je ne pourrais pas dire que j'agis malgré la force de passions irrationnelles mais que j'ai simplement la chance d'être déterminé à vouloir ce qui est raisonnable. Médée est bien sûr possible pour Hume mais c'est parce que Médée n'a pas les bonnes passions, sa passion de haine jalouse est plus forte que ses passions calmes. 

Hume se sert même d'un argument déterministe (qui ressemble un peu à ce que Peter Van Inwagen appelle l'Argument de Mind parce qu'il en avait assez de le lire souvent dans cette revue) qui est en gros le suivant (ironiquement, Leibniz aussi en utilise une version contre l'indéterminisme d'Epicure ou Carnéade) : 

L'Argument de la revue Mind
(4) C'est la thèse que (1) présuppose pour son succès la négation de (2) et l'affirmation de (3). Si j'avais des déterminations rationnelles et que j'avais un "libre arbitre" en ce sens d'indétermination, je pourrais avoir un caractère moral, savoir ce que je devrais faire et soudain ne pas le faire quand même. Cette indétermination de la volonté empêcherait alors ma "liberté" d'agir rationnellement de manière prévisible. 

La thèse de l'autonomie morale de Kant n'est pas exactement un simple retour à la thèse (1) de liberté de la volonté des compatibilistes. Au contraire, la thèse de Kant me semble être une sorte d'inversion de l'argument (4) en disant qu'une version bien comprise de la liberté au sens moral (donc proche de (1B)) doit présupposer une version du libre arbitre ou une indétermination de ma raison pratique (donc proche de 2). 

Kant n'accepterait donc pas ce que j'avais appelé plus haut l'argument du Saint Robot : celui qui serait programmé à toujours vouloir ce qui est rationnel (sans avoir la possibilité de vouloir ce qui est irrationnel) ne serait pas une volonté "sainte" (qui veut toujours de fait le bien mais sans que ce soit une détermination autre que sa spontanéité). 

L'Autonomie au sens kantien
(5) Pour agir vraiment moralement, il ne faut pas seulement être déterminé de l'extérieur à faire quelque chose de raisonnable, il faut être motivé seulement par la volonté pure de suivre son devoir indépendamment de toute détermination empirique.
OR si (2) est faux, je ne peux pas ne pas être toujours déterminé de l'extérieur.
DONC si je me représente mon devoir moral, pour pouvoir vraiment le vouloir de manière autonome et non pas seulement être déterminé à le vouloir, il faut qu'il y ait une possibilité d'échapper aux déterminations empiriques antérieures. 

Par ailleurs, Kant veut conserver (3) mais en le limitant aux conditions de l'expérience connaissable. Leibniz tentait d'avoir (1)-(2)-(3) en distinguant une nécessité physique et une absence de nécessité logique absolue. Kant (qui se moque de la "liberté d'un tournebroche" - die Freiheit eines Bratenwenders -  des "compatibilistes", KrPrV A 174) redéfinit l'autonomie pour que sa version de (1) présuppose (2), par (5) mais dit que (3) n'empêche pas la possibilité d'un choix libre au-delà des conditions empiriques

Pour des déterministes comme Hume, c'est un fait empirique que (1A) est vrai : il y a des actes (et des passions) qui sont conformes à la raison. Pour Kant, c'est certes un fait empirique que nous pouvons être rationnels mais c'est un fait de la raison que nous pouvons connaître a priori le devoir moral et ce n'est pas du tout un fait connaissable mais seulement une possibilité pensable que nous pourrions être libres en agissant par respect de ce devoir moral. Nous pouvons et devons penser qu'il y a des sujets vraiment autonomes et pas seulement des séries causales déterminées et des psychologies hétéronomes. 

(Voir aussi la discussion du compatibilisme et du "vague" du concept de liberté)

L'aspect "générique" peut être relatif

J'étais en train de lire l'excellente campagne de jeu de rôle Pax Elfica, qui est prévue pour pouvoir être insérée dans n'importe quel monde habituel à la D&D. On y joue dans une petite région qui avait été envahie par un Nécromancien et qui fut délivré ensuite par une intervention d'Elfes sylvains. Mais ces derniers ne veulent plus repartir et imposent une autorité despotique sur les autres peuples de la région (et une des intrigues possibles est de lutter contre cette Occupation et de comprendre pourquoi les Elfes ne sont pas repartis vers leurs forêts). Les meilleurs ennemis dans une histoire ne sont pas ceux qui sont immoraux ou amoraux mais ceux qui ont des raisons pour se justifier moralement et croire qu'ils sont quand même les héros de l'histoire (Boromir restera toujours plus intéressant que Sauron). L'auteur Claude Guéant est parti de quelques "tropes" classiques tolkiéniens pour mieux y introduire des ambiguïtés et des révélations. 

La campagne serait par exemple facile à adapter directement pour le monde de Mystara où certains des Elfes sylvains de ce monde partagent des traits communs avec ceux de Pax Elfica et notamment le culte religieux d'un "Grand Arbre" (certes, il y a diverses cultures elfiques qui fonctionneraient moins, comme les Elfes mieux intégrés en politique dans Glantri). Je suppose que cela marcherait aussi assez bien avec un cadre classique comme les Royaumes Oubliés où les Elfes ont perdu presque tous leurs anciens Royaumes (même s'ils sont sans doute souvent très mélangés avec les autres peuples, comme dans Silverymoon). 

En revanche, je suis assez surpris de supposer que cela marcherait moins bien sur le monde de Greyhawk (que je trouve pourtant d'habitude assez peu original). Les "Olves" (malgré la domination des Humains) y ont encore des territoires comme le Duché d'Ulek où ils règnent déjà sur des sujets humains dans des Etats multiraciaux. Même l'Etat isolationniste de Celene (qui serait ce qui ressemble le plus à la Lothlorien) a une grande population de sujets humains. Ils n'y sont pas seulement des êtres magiques mystérieux et isolationnistes en déclin (il y a dans la jolie version Carl Sargent de From the Ashes des Olves très "féeriques" cachés aux Humains car il a plus insisté sur l'atmosphère féerique que Gygax) et l'effet de surprise de voir des Elfes vouloir gouverner les hommes et s'étendre serait donc moindre. 

Cauchemars récents

Dans le premier cauchemar, je suis en vacances dans un hôtel-restaurant et je perds mon téléphone portable. Je le prends avec un certain détachement. Le patron du restaurant revient de la cuisine et dit que je dois appeler mon téléphone en utilisant le quart de melon que j'ai mangé et qui a été rapporté en cuisine après le repas. Il faut que je mâche le reste de mon melon et pas un autre et cela devrait me connecter à mon téléphone - mais les melons de la pension complète ont tous été jetés ensemble dans le même plat. Je dis que je ne veux pas mettre ma bouche sur divers reliefs à demi mangés sans être certain de pouvoir retrouver "le mien" et je commence à devenir plus anxieux de cette solution que de la perte initiale du téléphone. 

Je pars de la ville avec ma famille vers la gare. Nous attendons sur le quai mais je dis que je dois vite aller chercher quelque chose mais que je vais revenir tout de suite. J'ai un peu peur de ne pas avoir le temps de revenir avant que le train n'arrive et je ne me souviens pas pourquoi je dois aller dans un bâtiment à ce moment-là. Je me perds alors dans une sorte de château touristique et je vois tout un groupe scolaire d'élèves qui m'empêchent de sortir. 

Je croise alors dans un magasin de presse de la gare toute une famille. Le père de la famille ressemble à une taupe. Il veut à tout prix se faire psychanalyser par tous les gens qu'il rencontre et raconte des détails intimes insignifiants sans aucun égard pour le fait que personne ne veut l'écouter et toute sa famille réagit comme si nous devions tous être passionnés par ce qu'il nous raconte (peut-être un peu comme une culpabilité face à ce rêve que je suis en train de raconter). 

J'attrape une maladie (qui me semble être une sorte de mononucléose) et vais voir le docteur qui me dit qu'il a un traitement révolutionnaire. Il l'a découvert par accident alors qu'il cherchait un remède contre une maladie qui déformait le corps en une sorte de cendrier bleu étrange, qui ressemblerait plutôt à une statue d'art moderne ou un bec de canard. Le seul défaut de ce traitement est qu'il a un très infime risque au contraire de me donner la maladie qu'étudiait le médecin initialement. J'accepte de reprendre rendez-vous pour le traitement sous la pression du médecin mais le jour du traitement, devenu plus circonspect, je change d'avis. Irrité, il me dit alors que cela me coûtera 950 euros, même si je refuse de le prendre et j'hésite alors soudain devant la perte d'argent. 

Je suis encore élève au lycée et je suis délégué de mon établissement à une réunion de district dans un autre lycée. La réunion n'a aucun intérêt et je me reproche d'y être allé. Je sors de la salle en oubliant mon cartable et lorsque je reviens sur mes pas, on m'interdit d'aller le reprendre en disant que je ne peux pas assister à cette autre réunion dans la salle. 

De Lendore à la Fantasy hongroise

On avait déjà évoqué ici une série de posts (2, 3, 4)  sur les modules AD&D écrits par Len Lakofka, dont le L1 Bone Hill sur l'île de Lendore. Sur ce message de Gabor "Melan" Lux, célèbre blogger rôliste OSR, j'apprends que ce module finalement assez peu connu servit aussi (de manière non-officielle) de base à une série de fantasy en Hongrie écrite depuis 1986 par Nemes Istvan (sous le pseudonyme de "John Caldwell" - il aurait des douzaines d'autres pseudonymes). 

Melan dit que ce cycle était très poussé dans ce qu'on pourrait appeler le genre "picaresque" avec un protagoniste criminel demi-orc plus motivé par la cupidité ou l'opportunisme. Selon lui, ce genre amoral aurait laissé une empreinte durable sur de nombreux rôlistes hongrois qui seraient moins attirés par l'épopée manichéenne que la high fantasy américaine (même si la mode actuelle depuis Glen Cook, Steven Erikson, Joe Abercrombie s'en est aussi éloignée), et cela dut aussi influencer son propre univers de fantasy de Fomalhaut (voir les nombreux suppléments sur ce site qui reconstituent si bien l'atmosphère des vieux modules OD&D de Judges Guild). 

mercredi 26 avril 2023

Lecture lente d'Emysfer (IV)

 Création, SystèmeMagie

X Combat (Livre I, p. 136-145)

Si les dégâts dépassent la vitalité, l'attaquant décide s'il achève la cible ou s'il a retenu son coup et le fait tomber dans l'inconscience, ou bien s'il lui laisse la possibilité de capituler et de se rendre. 

Dans les options de désarmement, on apprend qu'on ne peut pas désarmer une arme-plante des Skeltus (voir p. 140). 

Comme on joue des entités "porte-essaim", il y a aussi des règles de combat avec des centaines de solons individuels d'un essaim (les "nuées" p. 142). Cela me fait enfin comprendre pourquoi le système a des scores si élevés en Vitalité pour les personnages (dans les 250), c'était pour que les insectes individuels puissent quand même avoir chacun un petit score. Emysfer a un aspect "jeu de Mécha" de ce point de vue puisque les symbioïdes sont composés de minuscules passagers !  

XI Artisanat (I, p. 146-160)

C'est un titre de chapitre plus original que Combat ou Equipement ! Le chapitre décrit comment on peut non seulement fabriquer un objet mais surtout l'améliorer

Les règles sur les inventions laissent penser que le cadre de jeu pourrait bientôt basculer de son "alchimie" médiévale vers des techniques issues de prémices de la révolution industrielle comme l'imprimerie ou même des aérostats. 

XII Actions diverses (p. 161-178)

C'est une version bien plus détaillée du système des actions avec de très nombreux exemples de ce qu'on peut faire avec toutes les compétences. C'est une des parties qui a dû demander beaucoup de boulot pour distinguer les situations (épreuves de force, déplacement, actions de "roublard", communication, fouiller, récolter, acquérir des informations - ce qui va conduire au système suivant sur la "Mémoire"). Par exemple, on peut faire un jet de récolte en herboristerie (p. 175-176) pour voir si on trouve assez d'ingrédients quand on fabrique soi-même ses poisons et on décrit un mini-système interprétant le système général. 

La tendance actuelle de nombreux jeux de rôle est de faire tirer les jets de dés uniquement par le joueur mais le système du jet en opposition exige nécessairement plus de jets de dés.  

XIII La mémoire (p. 179-190)

L'acquisition de l'information est traitée à part dans le jeu avec son propre système très détaillé, qui est une des originalités de la présentation du monde. 

Pour faciliter l'intégration des joueurs dans l'exploration d'un monde aussi exotique, on dissocie les connaissances du PJ et l'ignorance du joueur. Les personnages commencent avec quelques Jetons de Souvenir individuels (5 sauf s'ils ont des avantages particuliers) et ils peuvent les dépenser pour obtenir des connaissances sur un sujet. On a des Jetons de Souvenir individuels qui se renouvellent à chaque aventure et un fond collectif (la "Mnémosphère"). 

La Mnémosphère dépend du nombre de PJ (un peu comme la gestion des compétences d'information dans le système Gumshoe de Robin Laws). Un PJ aura ainsi droit de puiser dans un pool avec plus de Jetons de Souvenir si son groupe est plus petit. 

Lors d'une rencontre, c'est le Maître de la Narration (le "MN") qui annonce combien de Jetons de Souvenir coûtera l'information et ce montant est baissé par le score dans une compétence adaptée du PJ. Certaines informations cruciales doivent être achetées par seuils avant de pouvoir atteindre l'information totale. Le jeu comprend des fiches appelées "Fiches-Mémoires" de botanique, zoologie ou ethnologie indiquant déjà ces divers seuils sous une illustration sans précision tant que le PJ n'a pas fait la dépense. Le MN doit aussi recharger en partie la Mnémosphère devant un Souvenir plus "cher". 

Un Livre peut fournir (après une demi-journée de lecture) 1-5 Jetons de Souvenir sur un sujet précis pour une recherche spécialisée et une Bibliothèque peut fournir selon sa taille 1-12 Livres sur le sujet (les Bibliothèques jouent aussi un rôle pour l'apprentissage entre les séances, p. 58). 

Lorsqu'un PJ a acheté un Jeton de Souvenir, il peut aussi développer entre les parties de nouvelles "Anecdotes" (p. 186-189) qui développent pourquoi le PJ a pu avoir ces informations dans son passé. On peut commencer le jeu avec déjà quelques Anecdotes (c'était mentionné dans la création de personnage, p. 58). 

Comme tout système avec une gestion de ressources, des PJ peuvent alors risquer de faire parfois du "méta-jeu" en se demandant si une information paraît si cruciale pour la suite du scénario ou en se disant qu'ils n'ont plus rien à craindre vers la fin des scénarios quand les Jetons ne seront pas utiles plus tard. 

***

Le livre I des règles se termine avec un glossaire et un Index, ce qui est précieux. 

Je vois dans la liste des souscripteurs (dont moi !) les noms de Pierre Rosenthal mais aussi de Patrice Mermoud, le célèbre collectionneur de jeux de rôle (et secrétaire du GRoG) qui avait fait la longue liste de jeux dans Chroniques d'Outre-Monde et dont on dit qu'il posséderait un des plus impressionnants Musées personnels des jeux de rôle au monde. 

Comme je l'ai dit, je deviens ossifié en vieillissant et j'ai plus de mal à entrer dans un nouveau système de jeu de rôle que par le passé mais je pense que le monde d'Emysfer mérite qu'on fasse encore cet effort. Ce n'est qu'en jeu qu'on pourra voir comment roule tout ce système d'Actions qui peut paraître à la première lecture encore assez abstrait. 

mardi 25 avril 2023

Temps et espace dans Shanghai Express (1931-1932)


Le temps du train

Bien sûr que ce chef d'oeuvre de Josef von Sternberg est centré avant tout sur son idéalisation/sexualisation de la Déesse Dietrich, la Vierge et la Putain, "Marie-Madeleine" [en suivant la confusion commune sur ce personnage confondu avec la Prostituée sans nom] et les analyses du film se concentrent plutôt sur les thèmes de l'érotisme ou du sadisme sternbergien, mais le train n'est pas qu'un décor ou un "Grand Hôtel sur roues". La locomotive est aussi un des personnages, le symbole matériel omniprésent du cours du temps et du rythme du film. (Et les spectateurs sont parfois aussi troublés que les plans dans Blonde Venus passent tant de temps sur les rails et les trains ou que le film L'Impératrice rouge montre tant de moyens de transport différents pour représenter la mobilité). 

Le Shanghai Express est un train immense, une présence massive dans le film avec de longs plans sur ses engins, sur ses rouages, ses voitures, ses wagons luxueux en première classe ou le fourmillement des soldats chinois embarqués sur les toits pour le garder. Le film dépend de son mouvement ou plutôt de sa difficulté à se mouvoir et ses arrêts forcés même avant la prise d'otages. L'accompagnement sonore le plus constant est l'échauffement d'un moteur qui ne part pas ou la sonnerie qui tente de rappeler à l'ordre les passagers et indiquer que cette fois le train va vraiment avancer. Cette machine apparaît contradictoire, à la fois inexorable et fatale et pourtant sans cesse bloquée, gênée, comme un géant empêtré dans des négociations et des compromis, comme un mouvement de l'histoire qui ne parvient pas à s'arracher à des liens archaïques, comme la juxtaposition entre l'accélération de l'industrialisation moderne et du temps long. 

"You are in China, now, Sir, where Time and Life have no value" dit au début du film Henry Chang, le "métis" eurasien qui se dit si honteux de ne pas être assez chinois (et qui est joué par un acteur entièrement européen, le Suédois Warner Oland qui était spécialiste de caricature de yellow face depuis une décennie et qui jouera ensuite Charlie Chan). La voie ferrée dramatise le choc entre la colonisation (les Occidentaux ne cessent de se plaindre des retards), entre cette enclave technologique et de clichés "orientalistes" sur le Dragon endormi pour lequel le Temps linéaire du Train n'existe pas. On n'arrête pas le progrès mais on peut le contourner et l'envelopper. 

Les films de Von Sternberg sont vus maintenant comme une satire anti-coloniale mais le propos exotique de l'époque était sans doute plus de transposer les figures familières occidentales hors de leur monde et hors du temps, dans un contexte où tout devient mythique. Ce temps mythique pour un Américain d'origine austro-hongroise est toujours une ambiance de crépuscule d'Empire juste avant la Chute, que ce soit le Maroc français (Coeurs brûlés, 1930), Vienne (Agent X-27, 1931) la Chine ou la Russie impériale (L'Impératrice rouge, 1934). 

Ce "Dragon endormi" d'ambiance crépusculaire, c'est la République de Nanking qui est montrée comme presque aussi asservie aux Puissances Occidentales que l'était l'Empire des Qing (le gouvernement chinois se hâte d'intervenir pour obéir au consul anglais de Shanghai). Les USA soutiennent bien sûr Nanking et les récits américains sur la République de Nanking ne soutiennent pas les rebelles communistes mais semblent toujours condescendants sur le niveau de corruption ou de faiblesse sous Tchang Kaï-chek. La Chine n'y est pas du tout l'Etat centralisé immémorial comme dans notre imaginaire mais un Etat sans cesse sur le point d'être "échoué". Le train y joue un rôle particulier puisque l'une des raisons de la Révolution de 1911 avait justement été le fait que l'Empire Qing se préparait à nationaliser les lignes ferroviaires ruinées pour en vendre des tronçons à divers intérêts occidentaux. La République de Chine du Dr Sun Yat-sen s'était donc en partie formée face à ces investisseurs étrangers de Shanghai qui voulaient contrôler et exploiter les rails chinois. 

Le point de vue du film demeure si eurocentrique qu'on ne voit que peu de Chinois avec des rôles parlants (en cantonais) en dehors de l'amie de Shanghai Lily, l'autre courtisane Hui Fei (Anna May Wong), et de l'Eurasien cruel et libidineux Henry Chang. Mais ces Européens décalés de l'enclave deviennent aussi ridicules pour la plupart (y compris le héros, le médecin britannique Donald Harvey). Dans le jeu des apparences (où la Courtisane est la plus Sainte et les Bourgeois les plus pleutres, comme dans Boule de Suif), le plus antipathique de tous au début, le missionnaire puritain rigide Carmichael, va aussi se montrer étrangement le plus ouvert d'esprit ensuite et le plus prompt à abandonner la perspective figée de la respectabilité moralisante bourgeoise. Dans cette progression, les personnages s'inversent (le vieil officier en uniforme français avoue avoir été renvoyé de l'armée, l'Américain cupide qui affiche un joyau avoue que ce n'est qu'un faux, etc.), ce qui paraît honorable est assez vil, et vice versa (et cela nuit sans doute au personnage masculin du Dr Harvey, complètement éclipsé par la figure féminine). 

L'espace des rails

La distance entre Beijing et Shanghai est d'environ 1100 (vol d'oiseau) -1300 km (itinéraire réel actuel) et prend aujourd'hui environ 5-6 heures en train à grande vitesse. 


Je ne comprends pas du tout le chaos de l'ordre de l'itinéraire indiqué au début sur la pancarte du train dans le film. Ils disent que la trajectoire est Peip'ing, Tientsin, Yenchow, Chinkiang, Tsinan, Sutsien, Pukow, Shanghai. On appelle l'ancienne capitale "Peiping" depuis que la République vient d'en reprendre le contrôle contre le seigneur de la guerre Zhang Zuolin en juin 1928. 

Le début est cohérent : Peip'ing/Beijing est à 130 km de Tientsin/Tianjin. Mais ensuite, on sauterait un trajet de 400 km vers Yenchow (donc, si je ne me trompe dans l'actuelle ville de Jining, province de Shandong), puis 550 km vers Chinkiang (juste de l'autre côté du Yangtze, province de Jiangsu) et ensuite Tsinan/Jinan (province de Shandong). Or Tsinan/Jinan devrait être 140 km AVANT Yenchow/Jining, puis Sutsien/Suqian (province de Jiangsu) devrait être 300 km AVANT Chinkiang/Zhenjiang, qui serait aussi à 230 km de Pukow/Nanjing. Ou alors le train fait vraiment de curieux zig-zags... Mais il est possible que j'aie simplement mal identifié certaines des retranscriptions modernes. 

L'Incident de Lincheng

Le récit de l'écrivain américain Henry Hervey (qui avait vécu en Indochine et était devenu le scénariste spécialisé en histoires orientales pour Hollywood) faisait allusion à un événement réel qui avait eu lieu une douzaine d'années avant, le 6 mai 1923. Le Blue Express entre Peiping et Shanghai (plus exactement entre Tianjin et Pukou/Nanjing) avait été déraillé et les survivants avaient été pris en otage par un jeune Seigneur de la Guerre, Sun Meiyao (1898-1923), dans un exemple de "piraterie ferroviaire". Ses brigands du Shandong (qui n'ont rien du romantisme du "jiānghú", "des rivières & des lacs")  avait capturé 300 passagers dont 30 Européens à "Lincheng" (actuelle Xuecheng/Zaozhuang au bord du lac Weishan, entre Jining et Suqian). Les Bandits tuent même certains de leurs prisonniers. Au bout d'un mois (et non pas seulement quelques heures comme dans le film), en juin 1923, la pègre chinoise de Shanghai (la "Bande Verte") négocie la libération des otages européens (avec le soutien des ambassadeurs américains) contre une rançon et une demande d'amnistie. Ce jeune Sun Meiyao obtint un poste dans l'Armée officielle mais fut finalement exécuté six mois plus tard, accusé d'avoir continué ses liens avec le banditisme dans le Shandong. 



Toute l'affaire avait cimenté dans l'opinion internationale l'idée que la jeune République de Nanking était dévorée de l'intérieur, comme l'Empire mandchou, par sa corruption et les séditions, qu'elle était le nouvel Homme malade, ce qui était le cliché depuis les Guerres de l'Opium (et une des scènes sadiques du film reprend ce ressentiment sur les trafiquants européens d'opium quand Eric Baum, le passager allemand, est marqué au fer rouge). 

Dans le scénario de Shanghai Express, les revendications des pirates ferroviaires paraissent plus politiques que celles de 1923 puisqu'ils exigent la libération d'un de leurs agents et pas seulement une rançon et une amnistie. Mais la scène du viol rappelle l'absence de toute intégrité chez les brigands. La suspension des lois hors du territoire fait aussitôt revenir vers la violence des pulsions. 

La fin du film d'amour dans le retour au territoire enclavé de la ville de Shanghai (qui se réduit à la gare) peut paraître un peu mièvre après le trouble baudelairien où l'amour n'est qu'un jeu de faux semblants, où chaque personnage veut se perdre en l'autre mais craint aussi que l'autre ne soit pas assez sincère. Les happy endings n'étaient peut-être pas tous imposés à Von Sternberg puisque les producteurs avant le Code Hays se plaignaient plutôt que les Dépravés soient finalement trop facilement pardonnés dans ses contes nietzschéens. Le fantasme de ses films sur Dietrich repose sur cette ambiguïté où le Féminin doit être la séductrice dangereuse et vénéneuse avant de redevenir une figure plus rassurante. 

samedi 15 avril 2023

Donjons & Dragons : L'Honneur des Voleurs

Illustration  par Darlene Pekul dans le DMG, 1979

C'est un peu saugrenu d'apprécier un film D&D et on se surprend à se demander pourquoi. 

N'est-ce accessible que pour les geeks déjà convaincus ? Est-ce vraiment universalisable pour les non-fans comme une comédie de fantasy ? Les personnages sont dans l'ensemble sympathiques, c'est bien dialogué et drôle, même si ce n'est pas très surprenant. Mais je ne suis pas assez cinéphile pour en parler sérieusement indépendamment de son aspect ludique. 


 

Il y a une scène dans le film Dungeons & Dragons: Honor Among Thieves (2023) de John Francis Daley où le groupe des aventuriers a conçu un plan pour faire une intrusion dans une salle gardée. Il s'agit d'y faire entrer un tableau avec un enchantement magique de téléportation pour pouvoir passer par le tableau. L'ennui est que le tableau apporté par les gardes dans cette salle a été posé dans le mauvais sens et que leur portail de téléportation est donc bloqué par le sol : ils ne peuvent pas l'emprunter. Face à cet impondérable, une aventurière, une druidesse demi-démone (ouais, une tiefling) élevée par les elfes, la charmante Doric (Sophia Lillis, que vous voyez ci-dessus), dit alors qu'elle va gratter le sol à travers le portail jusqu'à ce qu'elle puisse se transformer en ver de terre [le sol ne semble pourtant pas meuble] et passer quand même pour reprendre ensuite son apparence réelle une fois de l'autre côté. 


C'est un bon exemple de ce qu'est alors un jeu de rôle : non pas une réflexion de simulation stratégique mais un exercice des limites d'imagination où il s'agit de réussir à persuader quelqu'un (le maître du donjon surtout) que notre improvisation bancale d'un scénario hypothétique peut fonctionner. On n'a pas besoin que ce soit entièrement plausible mais que dans les attentes collectives de la fiction il puisse y avoir suspension du scepticisme. C'est complètement du bricolage "ad hoc" et il est peu probable qu'une IA pourrait bien interpréter tous les sens de ces situations imaginaires que conjecture notre faculté d'imagination. Et le film saisit bien dans ces plans un peu "foireux" une sorte d'essence du jeu de rôle. D'où l'éloge récurrent de l'échec dans le film : on n'a pas besoin des jeux pour savoir qu'on peut échouer dans la vie, ce doit être assez banal, mais il est certain qu'on peut plus jouer à faire comme si on pouvait plus facilement se redresser et improviser à nouveau quand on échoue (ce qui est aussi la recette de tant de heist movies où on ne donne le plan que pour voir comment il devra être modifié et adapté aux circonstances nouvelles). 

Le film de 2000 était tristement raté et avait seulement pour lui d'avoir voulu mettre beaucoup de dragons (ce qui est certes la moindre des choses). Lui aussi était centré sur des voleurs, des escrocs et des vols de reliques magiques mais je ne me souviens pas d'idées de vol très imaginatif. 

Ce premier film avait coûté 80 millions de dollars d'aujourd'hui (soit 45 millions en l'an 2000) alors que celui de 2023 en a coûté 150 millions. La différence ne doit donc pas reposer principalement sur le budget mais plutôt sur le fait que les scénaristes ont su s'efforcer d'inclure assez de clins d'oeil très spécifiques à D&D. A part quelques noms de sortilèges ou les dragons métalliques à la DragonLance, le film de 2000 était encore un peu trop proche de la fantasy générique dans un monde inconnu. Celui de 2023 est tout le contraire. Il est extrêmement intégré dans le monde des Royaumes Oubliés créés par Ed Greenwood (pour être précis plutôt à la fin du XVe siècle des éditions 4-5, pas le XIVe qui était le cadre des éditions 1-3), avec des monstres qui sont la propriété exclusives de WotC/Hasbro comme le Displacer Beast, l'Owlbear ou le Cube Gélatineux, et même avec des références à des PNJ célèbres, comme Dagult Neverember, Lord-Protecteur du jeu vidéo Neverwinter (2013). Même le Dragon rouge obèse et un peu invalide a un nom propre, Themberchaud (qui vient, je crois, du supplément Dragons of Faerun, 2006), même si sa taille paraît un peu exagérée dans le film par rapport à sa caractéristique d'âge. On mentionne un sortilège de Mordenkainen (le personnage de Gygax dans le monde de Greyhawk) et le Heaume de Disjonction qu'il a créé. 

Il n'y a aucun prêtre (seulement une druidesse, ce qui est plus vague) et aucune mention d'un dieu ou déesse, je crois. Ils n'hésitent pourtant pas à multiplier des références obscures (même à des titres d'ouvrages dans ce monde). La religion est donc bien le domaine qui pouvait leur sembler plus difficile pour un public général ? 

Captain Popcorn (qui a aimé le film) dit, avec raison, que ce serait un peu idiot de se demander si le film est vraiment jouable avec les règles de D&D. Mais si on prenait les diverses éditions de D&D au pied de la lettre, j'imagine que par exemple un non-joueur serait déçu d'apprendre que notre personnage de druidesse aurait besoin d'être de très haut niveau pour pouvoir ainsi utiliser son pouvoir de Wild Shape si souvent et avec autant de liberté. C'est de la licence artistique, certes. 

Le McGuffin (en essayant de divulgâcher avec modération)

Un film de quête a besoin d'un McGuffin et je trouve que c'est un peu une faiblesse du scénario. Il est censé servir plutôt de motivation psychologique et il est un peu "forcé" dans un monde aussi saturé de magie où on se dit qu'il devrait y avoir bien d'autres moyens d'accomplir ce but. Mais je crois que tout le monde devine assez vite ce qui va se passer et que l'arc narratif du personnage principal doit aller vers les phases ultimes de Kübler-Ross. 

De même, lorsque notre Paladin Loyal-Hautain dit qu'au lieu de le garder avec lui, il a caché un autre McGuffin dans un endroit le plus dangereux et maléfique pour qu'on ne le retrouve pas, la suspension du scepticisme en prend un coup. N'aurait-il pas été plus crédible qu'il ait été encore volé et emporté là ? 

Un autre souci d'écriture dans la caractérisation est que les scénaristes américains semblent parfois incapables d'écrire une histoire sans que ce soit sur la réconciliation familiale entre l'enfant et son père. Je soupçonne que toutes les théories psychanalytiques fumeuses de Carl Jung et Joseph Campbell ait aggravé cette obsession sur l'itinéraire du Héros qui doit finir dans ce retour au Père. On enseigne cela dans les écoles de scénario et cela semble devenir une base de tout le storytelling américain, même dans les comédies pour donner une illusion de profondeur. D'ailleurs pourquoi toujours le Père ? 

Les Mages Rouges de Thay

Comme je ne connais pas bien le monde des Royaumes Oubliés, je vais revenir sur ce détail de background. Je ne vois pas toujours l'intérêt ce qu'une adaptation en film pourrait apporter au jeu mais ici, je dois reconnaître que les Mages Rouges de Thay m'avaient toujours paru être des vilains de pacotille dans le jeu de rôle alors que la représentation cinématographique avec l'actrice Daisy Head dans le rôle de Sofina la Mage Thayvienne a réussi à rendre pour la première fois ces archi-némesis inquiétants. Les Thayiens sont pourtant des vilains trop caricaturaux (surtout depuis que ce sont des morts-vivants dont la motivation est qu'ils veulent tuer tout le monde, on a du mal à imaginer comment ils arrivent encore à trouver des alliés). Mais ici, cela marche. Au lieu d'être juste des chauves tatoués, ils deviennent des nihilistes rendus inhumains par leur culture impérialiste. Si vous voulez en savoir plus sur la vision officielle de Thay, le créateur du monde Ed Greenwood a une vidéo où il discute son nouveau supplément sur les Mages rouges. 

Les Royaumes Oubliés ne calquent pas entièrement notre Terre réelle (c'est peut-être même une de ses rares originalités comme c'est surtout une mosaïque de Wild West) mais on ne peut pas s'empêcher de penser que cette Magiocratie sur un plateau orientale avait quelque chose d'un peu "russe" dans la localisation, ce qui fait toujours redouter dans ce monde américain quelques clichés. Mais ils n'ont jamais vraiment insisté sur ce côté slave ou est-européen (peut-être plus chez les voisins menacés par Thay). Avant de devenir des zombies, ils étaient surtout connus pour leur réseau d'esclavagistes, et l'esclavagisme était un ennemi idéologique convaincant. 

Les Thayiens s'appelaient Mages rouges peut-être parce qu'une partie d'entre eux étaient particulièrement liés à la Pyromancie et aux élémentaires salamandres mais la Magiocratie était dirigée par 8 Mages (de Niveau 20-25 dans AD&D1), nommés à vie, qui correspondaient aux 8 écoles d'AD&D (abjuration, altération, conjuration, divination, enchantement, illusion, invocation et necromancie).

Quand Steve Perrin avait écrit le premier supplément d'AD&D sur Thay, Dreams of the Red Mages (1987, il décrivait Thay jusqu'en 1357), il n'avait distingué que 3 chefs principaux : la Liche Szass Tam (Nécromancien, animé par le ressentiment contre les voisins Rashemen, il était déjà indiqué comme le plus puissant), Lauzoril l'Enchanteur (chef de la faction des Impérialistes "prudents", en conflit avec Gombdalla l'Enchanteresse qui veut lui prendre son titre et qui a la plus grande collection de Monstres), Sabass le Conjurateur (chef de la faction isolationniste des Spéculatifs). 

Puis Sabass fut remplacé par Nevron (dans le supplément Spellbound, 1995 qui décrivait jusqu'en 1375) et Aznar Thrul (Evocateur) devint le leader principal en mettant fin à une invasion catastrophique d'élémentaires de feu. Mais c'est alors que commençait la guerre civile thayvienne entre Szass Tam et les autres écoles qui devait durer une décennie. 

Mais finalement dans la 4e édition de D&D, après cette guerre civile, Szass Tam va l'emporter sur les autres et finir par se mettre non pas seulement comme Mage suprême mais en mettant sa seule école de nécromancie comme remplaçant les sept autres. Contrairement à ce qui se passe dans le film, il n'élimina pas tous les sept autres Zulkirs mais il réussit à les vaincre et transforma bien tout le Thay en une nécrocratie emplie de vampires et de liches. 

Il existe de nombreux Thayiens exilés mais la plupart ont une aussi mauvaise réputation que ceux qui sont restés sujets de Szass Tam comme ils veulent seulement le renverser sans remettre en cause la tyrannie des Mages Loyaux-Mauvais. Le personnage de Szass Tam a depuis été longuement développé dans plusieurs scénarios et romans (voir cette vidéo qui retrace plus en détails sa vie et non-vie). 

Cela explique pourquoi dans le film le personnage principal peut justifier ses préjugés contre les Thayiens, y compris contre ce Paladin thayen exilé (qui correspond au nouveau cliché que tous les PJ elfes noirs sont bons et que les PJ aiment les arcs de rédemption en prenant le contre-pied de ce qui était attendu). 

En revanche, si jamais ils veulent faire une suite (ce qui n'est pas certain, le box office semble assez moyen, pas déshonorant mais pas spectaculaire non plus), j'espère qu'ils oseront changer de vilain car ces Mages rouges pourraient finir par nous lasser. 

lundi 10 avril 2023

Babel en souscription

Babel de Julien Clément sera un jeu de rôle où on interprète des Biblionautes qui ont la capacité d'entrer dans les univers des livres. 

L'auteur citait par exemple comme référence l'univers de Thursday Next de Jasper Fforde mais il y aurait aussi Libriomancer de Jim Hines (où depuis Gutenberg les ouvrages lus par suffisamment de lecteurs créent une dimension d'où les Libriomanciens peuvent sortir des objets ou même des personnages, mais les héros tentent au contraire d'éviter les effets de ces contaminations de la réalité par ces intrusions) ou le comic book The Unwritten de Mike Carey (où le héros est un personnage enfui d'un roman pour enfants à la Harry Potter et poursuivi par une inquisition des livres). 

mardi 4 avril 2023

Lecture lente d'Emysfer (III)

Création de personnage, Système général

 IX Usage de la magie (volume I, p. 121-134)

Voir aussi les compétences p. 61-62

Emysfer est un monde de science fantasy. Les nombreuses religions sont puissantes par les effets sociaux et politiques des cultes mais les dieux n'existent pas littéralement (à part certains dieux qui étaient en réalité de puissants magiciens qui ont été pris pour des divinités, comme l'ancien Kal'nyemtah qui a manipulé les formes vivantes, volume III p. 14). La magie sur Emysfer est un phénomène naturel qui vient du "plancton", les microorganismes vivants qui sortent des profondeurs de la planète. Cette force est manipulée même par certains animaux non-intelligents. 

Il y a 4 sortes de magie : 

  • Biomagus (soigner, accélérer, transformer son corps)
  • Enermagus changer chaleur, changer le flux magique, champ d'enertricité)
  • Kinémagus (manipuler un état de la matière, gazeux, solide, liquide)
  • Spirimagus (lire l'esprit, communiquer, illusions, faux souvenirs)

Les magies sont des actions où la marge de réussite détermine le nombre de narrations qui permet de moduler les effets du sortilège mais le mage peut obtenir beaucoup plus de narrations en échange de gains en "Singularisations". Alors que d'habitude, le nombre d'action est égal à la racine carrée de la marge (voir section précédente), ici on obtient automatiquement sur le tableau p. 122 un nombre d'actions proportionnellement à son score d'efficacité (plus un bonus qui vient de la densité en plancton). Un mage avec un score +5 a droit à 8 narrations. 

Le plancton existe aussi sous forme qui semble inerte (du "sédiment") mais qui garde à la fois ses effets magiques à proximité et ses effets mutagène de Singularisation. On subit une Singularisation quand son score en Singularisation dépasse son score en Magorésus. Les mutations (tableau p. 125) sont plus souvent négatives que neutres ou avantageuses (le plus probable est des troubles digestifs). 

Le plancton est sensible à la musique et la compétence Arts sonores (p. 59) peut donc aider les magiciens (les Arts visuels donnent en revanche des bonus en Illusion au Spirimagus). 

lundi 3 avril 2023

Lecture lente d'Emysfer (II)

Suite de la première partie sur la création de personnage. On passe donc au système de jeu

    V Actions I, p. 67-74

Le système de résolution est un jet d'opposition avec 2d6 plus les modifications. Le MJ lance aussi pour les obstacles ou l'environnement. 

S'il y a égalité, on choisit s'il y a juste statu quo ou si les deux opposants y gagnent tous les deux une action ("donnant-donnant"). 

S'i& y a un gagnant, le camp gagnant calcule alors sa marge de réussite. La racine carrée de sa marge est le nombre de "Narrations" auquel il a droit. Par exemple, il faut une Marge d'au moins 4 pour obtenir 2 actions, une Marge d'au moins 9 pour avoir 3 actions. 

Si la confrontation a lieu à plus de 2 participants, on peut disposer d'actions contre l'un et subir un échec face à un autre. 

    VI Narrations I p. 75-88

Ce chapitre détaille l'interprétation des différentes actions qu'on peut entreprendre selon sa marge de réussite. Par exemple, au lieu de se contenter de faire un dégât contre l'adversaire, il peut choisir de lui faire subir un malus pour le tour suivant, ou un malus plus léger mais plus durable ou d'annuler un malus qu'il subissait. 

Pour les dégâts, il y a un tableau p. 78 des effets qui n'est pas exactement linéaire et où une "Narration" causera des dégâts liés au score  des compétences utilisées (par exemple Echelle + Musculature en Mêlée non-armée). Par exemple, pour un score de +3, on cause 35 points de dégâts, pour un score de +10, cela ferait 124 (sachant qu'un personnage moyen aurait 250 points de Vitalité). 

Les règles détaillées de combat ne seront qu'au chapitre X p. 135-146

    VII Richesse & Equipements I, p. 89-109

On trouve aussi ici les unités de mesure utilisés par les marchands sur Emysfer : le nahadi est à peu près le kilogramme, le quaja est plus proche de 0.5 m (et naquaja pour 0,5 km). 

La liste comprend aussi quelques éléments sur le monde comme les végétaux vivants : le Kakali (char à deux roues tiré par un Skeltus) ou le Kej'mar (un navire-végétal).  

Le prix des armes et armures dépend aussi de la taille d'échelle de celui qui la porte et tout est donc plus cher pour les Skeltus : une épée à une main coûte 15 ko (indice +7 pour les dégâts), une grande arbalète 1 ko, une armure de maille pour le thorax 100 ko. Les plantes-armes des Skeltus (p. 99) ont l'air assez puissantes avec un indice de puissance de 10-14 pour un prix proche de l'épée. 

    VIII Etats & Santé, I, p. 109-120

Le système décrit de nombreux états physiques ou psychologiques qui peuvent perturber les personnages, y compris les "Pulsions" qui peuvent le contraindre à faire quelque chose que le joueur ne veut pas faire (on résiste à une Pulsion par la Ténacité). On peut récupérer 12 points de Vitalité par nuit de repos. 

Les règles sur les maladies sont indiquées là mais dix exemples de maladies d'Emysfer sont dans le Volume III p. 443-452 (charneste, crachetin, fièvre crêve-coeur, fléau pourpre, fongicus - ouf, cela ne touche pas les Skeltus -, le mange-chair, la mort boutonneuse, l'oculite boursouflante, le sang bleu, l'horreur cadavérique). 

*

Il y a un Index rerum mais j'ignore pourquoi mon PDF semble ne pas être "searchable". 

dimanche 2 avril 2023

Lecture lente d'Emysfer (I)

J'avais déjà évoqué en 2020 le nouveau jeu de rôle français Emysfer, jeu d'Opéra Planétaire et de Fantastique SF, où on peut jouer notamment des "symbioïdes", des espèces de colonies collectives d'essaims, des individus-ruches (les Atridans de taille humaine ou les massifs Skeltus qui ressembleraient plus à un mélange de mantes religieuses et de sortes d'araignées géantes). C'est un univers original et riche, avec une biologie, une flore et une ethnologie, très développées, qui mérite qu'on l'explore. Et il y a assez de secrets et intrigues dans l'Encyclopédie du jeu pour lancer plusieurs campagnes. 

Mon problème s'aggravant de Trouble Déficitaire de l'Attention fait que je n'arrive plus à lire des règles de jeu. Je vais donc me motiver en faisant ce qu'on peut appeler des entrées en "lecture lente" au lieu d'un article détaillé, dans l'espoir de faire un jour un petit one-shot

Olivier Ranisio et Mathieu Dugas, les auteurs d'Emysfer, ont fait beaucoup d'efforts pour que ce monde nouveau soit accessible pour le jeu de rôle. Il y a 6 (six !) scénarios dans le livre II (p. 159-256) et la solution la plus simple me semble être pour un débutant de commencer par un de ces scénarios (qui, en plus, ont la qualité de ne pas être trop simplificateurs) avec des personnages pré-tirés. 

Mais ici, je vais aller dans l'ordre du livre I (200 pages) et on verra jusqu'où j'arrive à rédiger les notes. 

I Créer le groupe (Livre I, p. 21-25)

Une bonne idée est de commencer par le concept de tout le groupe des PJ et du type de campagne qu'on veut faire au lieu de partir d'une somme de concepts individuels. Ce choix a aussi une conséquence qui est que le groupe aura un avantage particulier lié à son concept. 

On a quatre grands domaines, avec  (1) des mercenaires (chasseurs de prime, gardes du corps), (2) des explorateurs (ambassadeurs, naturalistes), (3) des vauriens, (4) des citadins (marchands ou intrigues plus politiques). 

Je pense que je m'orienterais plutôt vers un groupe d'explorateurs mais cela me paraît aussi compatible avec certains concepts de citadins. 

II Le profil général de l'individu (Livre I p. 28-40)

On peut ensuite se choisir ensuite un "Profil" : Aigrefin, Artisan, Combattant, Lettré, Mage, Mondain, Scientifique et Survivaliste, et on reconnaît que certains de ces Profils semblent mieux adaptés à certains groupes. Chaque Profil a une spécialisation culturelle unique au monde d'Emysfer. Les Profils ne sont pas des classes de personnage et on a aussi le droit de créer un personnage sans suivre un de ces Profils et en répartissant alors les points de manière libre. 

Je pensais à un Skeltus, ce qui est le plus exotique (et le plus inquiétant comme les Skeltus sont intelligents mais sont aussi des prédateurs carnivores par nature). Parmi les Skeltus, on peut ainsi jouer un Artisan skeltus spécialisé en soierie (ce que les Skeltus peuvent secréter), un Combattant skeltus spécialisé dans les armes végétales (un kark'my) ou un Mage skeltus spécialisé dans la propulsion d'objets (un "brise-mur"). 

Disons que notre Skeltus est un Lettré archéologue (p. 34). Cela lui donne un Profil avec +3 en Cultures (+ Spécialisation Histoire), +2 en Observation, +1 en Arts visuels et quelques autres compétences à 0. Son Espèce (p. 27) lui donne une Echelle +3 (très grand) mais une Vitalité -3 (fragilité de l'essaim des symbioïdes), un Magorésus magique de 40, un malus -1 en Ouïe, Acrobatie, Saut, Escalade mais un bonus +1 en Goût/Odorat. 

Dans les personnages pré-tirés pour l'aventure L'Île Maudite, il y a Ek'maar 14e (ces Skeltus mâles mettent toujours leur numéro dans la portée des oeufs après le nom de leur mère), qui est un Skeltus sraakidian Mage Tempestueur (spécialisé en kinémagie sur les gaz et le liquides). 



III La culture et les noms (Livre I, p. 41-44)

Une autre bouffée d'air frais dans Emysfer est la diversité culturelle de ces espèces. 

Pour les Skeltus, il faudra choisir entre trois cultures de Fertilys (Koridians, Merkidians, Sraakidians) mais elles sont plus détaillées dans le Livre III (l'Encyclopédie de 490 pages) et j'ai un peu peur que cela ne déclenche mon TDA si je m'y plonge tout de suite. 

Voyons : les nomades Koridians sont dans le Livre III p. 185-193 + p. 206-208, les Merkidians III, p. 177-183 + 208-210, à l'est de Fertilys, et les Sraakidians coïncident en gros avec la Matriarchie de Kesraal (III, p. 117-140, c'est au sud-sud-ouest); plus la description générale III p. 210-211

Notre Skeltus sera un Sraakidian sans doute lié aux végétaux. Leurs "valeurs" sont notamment le courage et la piété. Notre Archéologue est Ak'muur 8e

Les Sraakidians adorent un panthéon polythéiste autour de Leksamera la Déesse-Mère, Askandar le Tisse-Destin, Tekkal le Chasseur, Lessmar le Perspicace, ou Keruul le Jardinier (III, p. 224-226, Keruul a créé les aolysk, les arbres utilisés comme demeures par les Skeltus, Livre III, p. 381). 

En tant qu'archéologue, Ak'muur le 8e est plus particulièrement dévoué sans doute à Lessmar, dieu de la connaissance dont le clergé protège les érudits. Notons que Tekkal est le dieu de la Prédation et depuis que la Matriarchie de Kesraal essaye de faire la paix avec ses voisins, elle essaye de museler le culte des Berserks carnivores. 

Zut, je viens de perdre une heure à lire l'atlas du Livre III au lieu de continuer linéairement dans le Livre I. TDA, je vous dis... 

IV Les Particularités (Livre I, p. 45-53)

Ce sont des listes d'Avantages/Désavantages et on a droit à autant d'Avantages que de Désavantages. Ak'Muur Huitième est Allergique aux Mycoïdes, Phobique des Mycoïdes (ce qui pourrait causer de nombreux problèmes dans les Forêts nimbées et voilées qui sont riches en champignons géants) et il a une Vue très aiguisée et une Volonté de Fer (sauf pour résister à sa peur des champignons). 

Les Humanoïdes ont ici droit à plus de variété car comme ils sont arrivés plus récemment sur Emysfer ils sont encore sujets à des mutations (les "singularités") qui sont des effets de la magie locale. On peut même continuer à acquérir des singularités en utilisant la magie en jeu. 

V Les Jauges (I, p. 55-56)

Ak'muur 8e a 250 points de vitalité, ce qui est le standard. Il n'a pas de magie mais a un Magoresus de 40 et 5 en Singularisation

On peut finir avec 50 ko en équipement, sauf si on a un Avantage / Désavantage lié à la fortune (le "Ko" n'a rien à voir avec de la mémoire informatique, c'est une devise monétaire, le "kol d'or" voir le chapitre sur l'équipement, p. 90). 

VI Evolution (I, p. 56-58

Les règles d'évolution me semblent à la lecture relativement lentes : on gagne 1-2 points d'expérience par séance (+1-2 si on a des moyens d'apprentissage) et il faut souvent 5-10 points pour augmenter une compétence d'un +1. 

VII Liste des compétences (I, chapitre IV, p. 59-66)

La liste dépasse l'opposition classique caractéristique/compétences et certaines seraient plutôt des caractéristiques dans d'autres jeux, comme Musculature ou Ténacité. Un personnage martial optimisé aura sans doute besoin surtout de Ténacité pour les points de Vitalité et de Mêlée pour l'attaque. 

Il y a six catégories de compétences : (1) Artistiques (2) Intellectuelles (3) Magiques (4) Physiques (5) Sociales (6) Techniques. Les Magies sont Biomagus (exemple : transformer son corps), Enermagus (lancer de l'enertricité), Kinemagus (bouger des flux liquides), Spirimagus (télépathie). Le contrôle des armes-végétales des Skeltus est la Compétence Technique "Végétique".