mardi 11 décembre 2018

Toasts de Chaosium


Chaosium réorganise ses jeux après le décès de Stafford et a annoncé que les Editions Sans Détour ne pourraient pas garder les droits de traduire en français l'Appel de Cthulhu car ils n'avaient rien payé depuis deux ans et ne donnaient plus non plus les chiffres de leurs gains, y compris de leur Kickstarter. Chaosium va annoncer un nouveau traducteur (dont on peut penser qu'il aurait aussi la nouvelle version de RuneQuest ?) et on peut supposer que Sans Détour (déjà mis en difficulté en raisons des conséquences d'autres foulancements comme l'échec de Confrontation) ait du mal à se remettre de la perte de sa gamme principale. (Sandy Petersen dit que Ludibay, en faillite et qui était reliée à ESD, lui devait aussi de l'argent pour Cthulhu Wars).



Par ailleurs, Chaosium a annoncé aussi qu'ils récupéraient les droits de Pendragon, qu'ils avaient laissés en 2010 à Nocturnal Media, la compagnie de Stewart Wieck (1968-2017).

Le frère de Stewart, Steve Wieck, raconte un petit mythe sur les liens entre Chaosium (compagnie historiquement liée à Moorcock et Elric) et White Wolf (la compagnie des Wieck dont le nom vient aussi d'un surnom d'Elric). :

"There’s a story behind this story. In the early 1990’s, the staff of Chaosium were celebrating with a feast at Mader’s Restaurant in Milwaukee after a successful Gen Con. At the table next to them, the White Wolf staff also feasted on haunches of meat and steins of beer.

My brother Stewart and Mark Rein Hagen, founders of White Wolf, stood and toasted Greg Stafford and the Chaosium crew, “Hail to Chaosium, the pioneers, the seers, the shamans, who ignited the flame of storytelling in our roleplaying hobby”, and the White Wolf table cheered their respect.

 Naturally, one cannot possibly out-do Greg Stafford, the creator of Pendragon, in matters of feasting etiquette. Thus Greg rose and toasted back with supreme humility, “We were merely keeping the fire lit through the cold, dark night, for we heard in the distance the howl of the Wolf and knew the Wolf would come to turn the flame to a bonfire.

Je ne peux lire cela sans imaginer Greg en scalde ironique ou en voyant inspiré de la Völuspá, prophétisant le Temps du Loup (les vargr Sköll & Hati) qui viendra dévorer la Lune et le Soleil.

vendredi 7 décembre 2018

La Suède de 1756


Le nouveau jeu de rôle historico-fantastique Lex Occultum (le titre me semble être un solécisme, mais cela cache peut-être un secret ?) sur le Siècle des Lumières est suédois (c'est la nouvelle version en anglais de la première édition qui s'appelait Götterdammerung, 2005, et une traduction française est déjà en préparation). Le modèle du jeu semble plus être Le Pacte des Loups mais il y a aussi un peu de Joseph Balsamo.

La Suède (ou la Scandinavie en général) a une place prépondérante dans le jeu de rôle contemporain (et notamment dans le "grandeur nature") depuis leur premier jeu Drakar och Demoner (1982, une adaptation du Basic System de Chaosium, donc deux ans avant notre propre Ultime Epreuve), Kult (1991), Symbaroum (2014), Mutant - År Noll, ou Tales from the Loop.

La campagne officielle de ce jeu sur les Sociétés Secrètes et Conspirations magiques du XVIIIe siècle parle de partir du début de la Guerre de Sept Ans (1756), donc 33 ans avant la Révolution française et le jeu a l'air d'avoir plus choisi un dépaysement autour de la France de Louis XV que leur propre pays (en dehors de quelques allusions à la Scandinavie qu'on n'aurait pas vues dans un jeu français ou américain). C'est hélas trop tôt pour utiliser l'histoire fascinante du Docteur Johann Struensee qui déclencha une brève révolution politique par le haut au Danemark-Norvège en 1770-1772 avant d'être exécuté.

Mais je trouve plus amusant d'inverser ce "dépaysement" en se centrant sur la Scandinavie, moins connue pour nous.

Stockholm (LexOccultum, Lex Libris p. 124)


L'Âge de la Liberté, les Chapeaux et les Bonnets

Le XVIIe siècle avait connu l'apogée de l'Empire Suédois quand ils contrôlaient non seulement la Finlande mais une bonne partie des Pays baltes ou la Baltique.

En 1718 (donc il y a 38 ans), une Coalition des ennemis de la Suède, du Danemark-Norvège,  la Pologne-Lituanie (à l'époque contrôlée par le Roi de Saxe), l'Angleterre (contrôlée par les Hanovre), Frédéric de Prusse et le Tsar Pierre le Grand de Russie réussit à vaincre définitivement l'Empire Suédois. Stockholm avait même été assiégée, le Roi de Suède Charles XII fut tué et la Suède perdit de nombreux territoires.

Face à tous ces désastres, la soeur et seule héritière présumée de Charles XII, Ulrike Eléonore (1688-1741) fut obligée d'accepter de renoncer aux prérogatives de la monarchie absolue face au Parlement, la Diète impériale. La Diète (Riksdag) était composée de Quatre Etats (par la division en deux de ce que nous appelons le Tiers-Etat : Bourgeois et Fermiers payant l'impôt). Les Etats se réunissaient séparément mais lorsqu'ils faisaient une réunion commune de 100-125 membres, la Noblesse avait 50 délégués, le Clergé 25, les Bourgeois 25 et les Fermiers éventuellement 25 aussi. C'est l'époque qu'on appelle dans l'histoire suédoise l'Âge de la Liberté avec une monarchie parlementaire extrêmement limitée (plus encore qu'en Pologne) où ce Parlement l'emporte en fait sur le Roi pendant tout le milieu du Siècle des Lumières.

C'est aussi un changement de dynastie, la Reine (qui a 40 ans) épouse un prince allemand quinquagénaire, proche de la famille danoise, Frédéric Ier (1676-1751) et elle doit abdiquer en sa faveur.

La Diète est divisée en deux camps : les Chapeaux (Hattarna), plus soutenus par la Noblesse traditionnelle mais aussi par les agents français dans le désir de revanche contre la Russie, et ceux qu'on surnomme par opposition aux premiers les "Bonnets" (de nuit, Mössorna), plus "libéraux", plus soutenus par les Bourgeois, les Anglais et la Russie. Après vingt ans de paix dirigés par les Bonnets, les Chapeaux ont poussé à une nouvelle guerre contre la Russie en 1740 (il y a 16 ans) qui s'est terminée par un nouveau désastre.

Mais comme Ulrike Eléonore et Frédéric Ier de Suède n'ont pas d'enfants et que les "Chapeaux" tentent toujours de négocier avec ses voisins allemands et la Russie, on nomme comme nouveau roi en 1751 Adolph Frederic (1710-1771), parce qu'il était proche de la famille impériale russe.

Adolph Frederic a épousé quelques années avant la très ambitieuse et brillante Louisa Ulrika (1720-1782), la soeur de Frédéric II de Prusse et celle-ci a tenté en vain de forcer son faible mari à restaurer en sa faveur une Monarchie absolue dès son accession au pouvoir. Elle échoua et le nouveau Roi dut jurer fidélité à ce régime parlementaire. Le Rikdsag contrôle en réalité toute la politique et choisit même les mariages princiers des enfants d'Adolph Frédéric et Louise Ulrika.

Louise Ulrika en 1744 année de son mariage


Le Coup d'Etat raté de la Reine

5 ans plus tard, en 1756, la Reine Louise Ulrika (qui a donc 36 ans) va réessayer avec un essai de Coup d'Etat contre le pouvoir parlementaire.

La Reine prussienne tenta de vendre des bijoux pour financer le coup militaire et réunir des troupes en secret, mais le Riksdag demanda une enquête sur ses dépenses en avril, exigeant même l'inventaire de ses bijoux. Les favoris de la Reine furent arrêtés en juin et elle dut s'humilier devant la Diète en demandant des excuses. On n'osa pas faire divorcer le Roi car elle avait eu depuis dix ans des héritiers et qu'on craignait quand même ses alliés étrangers. Adolph Frederic dut jurer qu'il devrait abdiquer si jamais il tentait ainsi de reprendre le pouvoir face à la Diète.

A la fin de cette année, la victoire du Parlement est telle que la Suède va rejoindre la Guerre de Sept Ans mais dans le camp franco-austro-russe contre le camp anglo-prussien (alors que le Roi de Prusse Frédéric II n'est autre que le frère de la Reine Louise Ulrika).

Les chefs des Chapeaux sont à cette époque le Chancelier Anders von Höpken (1712-1789) et le Maréchal de la Diète le francophile Axel von Fersen l'Aîné (1719-1794, père du célèbre futur amant homonyme de Marie-Antoinette qui fut lynché par la foule de Stockholm en 1810).

Dès lors, la Reine doit mener un double jeu où elle fait pression pour obtenir du Parlement une paix avec son frère en 1762 alors que la coalition française perd la Guerre. C'est l'époque de l'ascension des Bonnets libéraux après le long règne du Parti des Chapeaux. (Par ailleurs, c'est aussi l'époque où la cousine de Louise Ulrika, la princesse allemande Sophie, de 9 ans plus jeune, va, elle, réussir un autre coup d'Etat contre son mari Pierre III pour devenir l'Impératrice de toutes les Russies sous le nom de La Grande Catherine II).

Ce n'est que bien plus tard, après la mort du Roi Adolph Frederic en 1770 (à l'époque où en France va mourir Louis XV) que leur fils Gustave III mènera finalement à bien cette ambition monarchiste et mettra fin à l'Âge de la Liberté.

La Suède et les Sombres Complots

Bien entendu, l'étape suivante pour Lex Occultum serait de déterminer quelles Sociétés Secrètes du jeu soutiennent en réalité la Reine Louise Ulrika, les Chapeaux et les Bonnets.

Si les personnages des joueurs sont des Français, ils pourraient être des agents d'Antoine Rouillé ou du Duc de Choiseul auprès des alliés Chapeaux comme Axel de Fersen.

Il semble selon le livre de description du jeu (où les secrets de ces Sociétés se contredisent souvent dans leur vision du monde entre des versions satanistes ou bien des mythes plus anachroniques où les Templiers veulent restaurer les Mérovingiens) que les Francs-Maçons soutiennent plus les Bonnets mais que les Illuminati manipulent des membres des Chapeaux.

(Un détail que j'aime bien dans le jeu est que ces Illuminati ne sont pas les Illuminati de Bavière, qui sont une branche avortée de la vraie organisation. Ici, ils ressemblent plus aux secrets dans Nephilim et aident la dynastie des Habsbourgs depuis l'époque de leur fondateur... le Pharaon Akhénaton, alias Moïse)

L'Ordre Nouveau des Illuminati ont pour agent principal en Suède Carl Pechlin (Lex Libris p. 171, il passa des Bonnets aux Chapeaux pour leur permettre de rester au pouvoir malgré les défaites de la Guerre de Sept Ans). De nombreuses forces dans l'Armée (comme le capitaine Jacob Anckarström, père du futur assassin de Gustave III) sont prêtes à faire assassiner la famille royale (Lex Libris p. 202).

Enfin, si les Rose+Croix soutiennent bien la Prusse de Frédéric II (cf. p. 196), ils doivent aussi aider sa soeur la Reine Louise Ulrika. Si on croit dans Joseph Balsamo que les Illuminati sont derrière l'affaire du Collier de la Reine Marie-Antoinette en 1785, il est drôle qu'il y ait eu aussi une autre "Affaire des Bijoux" trois décennies avant pour la Reine de Suède.

Dans les groupes plus théoriciens, la Société De Naturali Scientia est puissante à l'Université d'Uppsala ou à l'Académie de Stockholm (p. 193). La Société des Tankebyggarorden (Lex Libris p. 203) est un groupe d'expérimentateurs "sociaux", ce qui n'est pas très explicité (ils semblent être plus des expérimentateurs behavioristes que des utopistes).