vendredi 27 octobre 2023

Alien Embassy (1977)

L'oeuvre d'Ian Watson tourne souvent autour de la rencontre avec l'Autre comme métaphore sur le problème général de la communication. The Embedding (1975) est devenu un classique sur la xénolinguistique, The Martian Inca (1977) suivait une épidémie martienne qui modifiait un indigène et Alien Embassy porte sur des rapports non-eurocentriques à l'univers, dans la confrontation entre des visions orientales et la réalité scientifique du cosmos. 



Il y a deux romans distincts d'esprits opposés, l'apparence du début et le choix d'intrigue ensuite. 

Nous sommes au XXIIe siècle, dans les années 2170, et l'Humanité a été transformée par la découverte que certains humains avaient la capacité psychique (à condition d'utiliser des techniques indiennes de sexe tantrique) de projeter leur esprit dans un autre plan et vers d'autres planètes dans l'espace intersidéral. Les religions humaines n'étaient pas complètement de la projection mais de la xénobiologie confuse : elles avaient pris pour des descriptions d'anges, de divinités ou de l'au-delà ce qui était en fait un voyage simplement spatial. 

On a alors rencontré trois autres espèces d'Intelligences sur d'autres mondes, qui furent tous nommés d'après des êtres surnaturels de mythes indiens ou tibétains : les Rakshashas de Barnard's Star (des ballons à tentacules volant dans l'atmosphère d'une lune glacée de géante gazeuse), les Asuras de Procyon IV (une forme de vie symbiotique où des avians circulent entre des synapses végétaux en leur donnant ainsi une conscience) et les Yidags (les "fantômes affamés" en tibétain, en fait des créatures minérales inertes sur une planète bouillante qui communiquent en émettant des ondes laser). Ces êtres ont tous les mêmes capacités de projection et peuvent se transférer dans la conscience d'un autre. Ils semblent pacifiques et "éclairés", soucieux de contribuer à élever la spiritualité des Humains en discutant de philosophie avec nous. Ils n'ont pas trouvé de traces d'autres civilisations et une théorie évoquée à un moment est celle d'un grand "filtre", que tous les autres organismes mammifères individualisés avant notre espèce s'auto-détruisent en découvrant cette capacité avant de pouvoir se répandre dans l'univers. 

La Terre vient de sortir d'une catastrophe écologique du XXIe siècle (qui pourrait être dans le même monde que The Martian Inca où le sable martien provoque des problèmes écologiques) et une forme de régulation plus ou moins "Bouddhiste" et "écologiste" contrôle la planète avec contraception obligatoire et entraînement ascétique des capacités de Yoga. Les dirigeants sont appelés les Lamas écologistes et les Dobdobs (nom des Lamas "martiaux") et ceux qui ont des pouvoirs psychiques rejoignent l'organisation du BARDO (acronyme ainsi nommé en hommage au concept bouddhiste tibétain de "Libération"). 

L'héroïne, Lila, est une Tanzanienne douée en voyage psychique (Watson avait enseigné en Tanzanie à la fin des années 60) et on croit au début à un Bildungsroman simple d'exploration ou de Space Opera pacifique. 

Je ne vais pas trop divulgâcher la suite mais on change en fait de roman à la moitié. 

On n'est plus dans l'exploration xénobiologique, ce qui m'a un peu déçu. Une des personnages dit qu'on ne pouvait pas croire du tout à la cosmogonie qui avait été décrite auparavant ("comme par hasard", les trois espèces d'Aliens rencontrés sont un minéral, un végétal et une créature marine et les planètes avaient un seul biotope) et on bascule vers quelque chose de plus classiquement lovecraftien avec des êtres incompréhensibles dont la pensée circule en Tachyons qui contredisent donc notre continuum temporel. 

Retrouver du quasi-"numineux" après la xénobiologie m'a paru être un retour en arrière mais on a la même ambiguïté avec le Mythe de Cthulhu qui change l'effroi du Fantastique par une explication SF avant de re-transformer ses Aliens de SF en des Diables Fantastiques plus traditionnels comme Nyarlathotep. 

Un truc qui vieillit parfois assez mal dans les conversations est la mystique mélangée au technobabble pseudo-scientifique. Certaines Intelligences supérieures disent parfois des choses qui ne paraissent plus si profondes que ce que Ian Watson voulait utiliser dans les années 70 (notamment les concepts mathématiques qui paraissent parfois être parfois des slogans un peu vides qui peuvent paraître triviaux, voire "sokaliens" à toute personne ayant déjà lu de la philosophie des mathématiques). 

An Element of Danger (1986)

Steve Perrin n'était pas seulement le créateur de RuneQuest mais aussi un fan de superhéros (et même un des fondateurs du fandom de comics américains dans les années 60 avec son ami Roy Thomas - voir aussi le portrait de lui par GRR Martin qui fonda tout son univers de Wild Cards sur Superworld). 

Il avait quitté son poste à Chaosium en février 1985 après l'échec de Superworld et travailla alors à temps partiel dans la boutique de Berkeley, Californie : Comics & Comix (2512 Telegraph Avenue, le magasin n'existe plus). Il deviendra même scénariste de comics sur la série Champions chez Heroic Publishing (sur le personnage Marksman). 

Il écrivit alors une aventure pour le jeu de rôle DC Heroes en 1986, An Element of Danger (32 pages). 


C'est censé être adaptable pour n'importe quelle équipe de Personnages superhéros assez puissants mais elle est prévue surtout pour Firestorm et sa compagne de l'époque Firehawk, avec l'aide de Hawkman & Hawkwoman. La ville prévue est donc celle de Firestorm, la ville réelle de Pittsburgh et non pas Central City ou autres villes imaginaires. 

Les reviews furent négatives. Ces modules DC Heroes étaient souvent trop brefs (32 pages) et trop peu illustrés. 

Si j'en parle, c'est qu'à l'époque, Steve Perrin écrivait aussi une rubrique régulière sur les jeux de rôle de super-héros dans le magazine Comics Feature (il y fit 22 articles de 1984 à 1987) et quand l'aventure fut publiée, il y écrivit que son aventure avait été tellement massacrée par ses éditeurs (une certaine Jacqueline Leeper de chez Mayfair Games) qu'il ne pouvait plus la recommander : certaines scènes avaient été coupées sans son accord et l'histoire devenait incohérente (il s'était d'ailleurs aussi plaint de certains changements faits par un de ses patrons de Chaosium sur Superworld). 

I'm not saying that my adventure was ruined by the editors. By and large it is still there, and can still be run and enjoyed, but the Gamemaster has a lot of work to do that my original manuscript saved for him. 
I won't go into great detail here. I don't have time to track down each little change, and you don't have time nor inclination to hear about it. I will tell you that Encounter Five originally involved Professor Stein being invited to Dr. Adams' home, and the two of them being surprised by Silver Deer. Other heroes had other ways of getting involved in the game. Instead, the editors concentrated on one of the other possibilities (not necessarily a bad idea) but failed to change the speech I gave Silver Deer, which makes no sense in the current context. The players are left wondering how they got into this situation, where Dr. Adams is, and why this supervillain and her minions are just hanging around if they've already captured Dr. Adams. Very sloppy editing, I'm afraid.

Ecrire une aventure pour des superhéros est assez difficile puisqu'il faut réussir à doser la puissance. Firestorm peut transformer toute matière (non-organique) à volonté ("Matter Manipulation 12"), ce qui paraît très ouvert. Les pouvoirs donnés à sa compagne Firehawk sont plus limités, surtout Absorption d'énergie et Projection d'énergie même si par la suite elle se rapproche plus de ceux de Firestorm en ayant aussi Dispersal 9 comme lui, voir sa fiche

Perrin se plaint aussi que le module n'ait aucune illustration de Firehawk alors la voilà : 

Perrin a eu l'idée (très conforme au style d'écriture des comics DC) de les opposer à deux vilains qui pourraient atteindre le même potentiel que Firestorm : Mr Element / Dr Alchemy et sa Pierre Philosophale (ennemi de Flash, qui venait de mourir) et Matter Master et sa baguette Mentachem (ennemi de Hawkman qui était en train d'être retconné après la Crise des Terres Infinies). Perrin y ajoute la métamorphe Chanka Silver Deer (militante extrémiste amérindienne qui n'est apparue qu'une seule fois et peut se transformer en n'importe quoi, y compris en objet, dans Fury of Firestorm n°25-27, 1984), Slipknot (Firestorm, n°28) et Stratos (Firestorm n°29-31, novembre 1984). Perrin dit qu'il s'adapte au "Firestorm actuel" et je me demande quel fut le délai entre la rédaction et la publication car on voit que Perrin a l'air de reprendre uniquement des personnages d'avant la Crise, de cette année 1984 (en 1986, on atteignait les n°44 qui utilise Typhoon à la place de Stratos). Silver Deer est une cherokee, ce qui est un peu loin de Pittsburgh, territoire plutôt delaware/iroquois. 

Un des thèmes en plus de la transmutation est la personnalité multiple : Firestorm est la fusion de deux individus, le savant Martin Stein et l'étudiant Ronnie Raymond et le Dr Alchemy est un double magique de Mr Element créé par la Pierre Philosophale (je n'ai plus assez suivi les comics de Flash actuels pour savoir si c'est toujours canonique). Tant qu'il n'aura pas récupéré la Pierre Philosophale (qui est gardée à l'Université de Pittsburgh), ce double utilisera seulement un pistolet chimique de Mr Element. 

Effectivement, l'aventure est peut-être à réserver à des fans de Firestorm ou des complétistes de Steve Perrin. Le critique de White Dwarf exagérait en disant qu'elle est bâclée mais il me semble qu'il y a peu d'éléments réfléchissant à quel genre d'enquête on peut faire avec un personnage aussi omnipotent que Firestorm. 

Steve Perrin a aussi publié bien d'autres aventures de superhéros. En 1984, il avait aussi fait une petite aventure cthulhuesque (8 pages) pour Superworld dans Different Worlds n°35, "The Star Devourer" sur un groupe de cultistes qui veut invoquer un monstre pendant la Convention démocrate de San Francisco (est-ce que cela a inspiré l'histoire de la Convention démocrate qui se transforme en catastrophe dans Wild Cards ?). 

mercredi 25 octobre 2023

Jeu de rôle magazine n°59-62

Pour faire un peu de publicité pour l'abonnement, je vais survoler les 4 derniers numéros de Jeu de rôle magazine

n°59 (automne 2022), 115 pages, 12 € en papier, 4,5 € en pdf

Ce fut le dernier numéro à être encore diffusé chez les marchands de journaux. 

Reviews longues : L'Essentiel D&D, Fallout, Mutant Year Zero, Donjon & Compagnie, Index Card RPG

Entretien avec les deux dirigeants des éditions Lapin-Marteau (Ryuutama, Castle Falkenstein). 

Scénarios : D&D (11 pages dans les Royaumes oubliés), Alien, Cthulhu Hack, L5R (aide de jeu sur les histoires de fantômes japonais), Star Wars, 

Aspirine : un article de Florent Martin sur le Storytelling

Le dossier de ce numéro intitulé "Woke n'Roll" disait au contraire que ce terme même si entendu de "woke" était discutable en créant un problème imaginaire ou une "panique morale" sur un "wokisme" fantasmé. Il contient en fait plusieurs réponses à un petit texte de 9 phrases (par un des rédacteurs, P.-O. C.) dans leur rubrique "Billets d'Humeur" du numéro précédent (qui mentionnait le "woke et la cancel culture" mais en disant seulement qu'on devait pouvoir jouer n'importe quoi sans être enfermé dans son identité). Sébastien Célerin (le rédacteur en chef) explique le projet du dossier pour répondre aux réactions sévères contre la note. Nicolas Bernard écrit qu'il est déçu que la revue ait été "bannie" par certains rôludistes après cet article. Isabelle Collet (autrice sur Nephilim et universitaire travaillant à présent sur le genre) répond à l'article originel en le critiquant d'une manière argumentée pour expliquer les enjeux. Fredric Toutain explique qu'il tente de lutter en tant qu'auteur de jeu de rôle dans les biais sexistes de représentation, que ce soit chez les autrices ou dans les choix donnés aux personnages. 

n°60 (Hiver 2023)

Entretiens avec les auteurs de la 2e édition des Lames du Cardinal, avec un illustrateur et avec un auteur de campagne pour les XII singes. 

Dossier sur les jeux de plateau avec figurines qui s'approchent du jeu de rôle (Frosthaven, Ranger of Shadow Deep, Savage Core...). Cela inclut aussi trois scénarios pour ces jeux plateau / rôle. 

Beaucoup de reviews de divers jeux de rôle et de jeux narratifs dans le genre For the Queen. Torg Eternity, L’OEil noir: La Voie des héros, For The Story: Audimat, For The Story: Le Casse de trop, Alice is missing, Troubleshooters: les Risque-Tout, Dark Crystal, Iron Kingdoms Requiem, Périls dans les Contrées de Titan, Le dilemme du roi

Scénarios : Peaky Blinders, Warpland

Aspirine : Un article de Florent Martin nuance le cliché selon lequel les jeux de rôle seraient devenus globalement plus lisses et "aseptisés". 

n°61 (Printemps 2023)

Ce fut le dernier numéro trouvé en boutique de jeux (en l'occurrence, je l'ai trouvé chez Trolls De Jeux à Paris car je ne le voyais pas chez Star Player)

Dossier : le financement participatif et le jeu de rôle

Reviews longues : Hawkmoon, Omega, Nibiru, Forbidden Lands, Call to Adventures

Scénarios : D&D, Kult, Cthulhu Hack

Aspirine : Nicolas Bernard reprend le problème d'un "art" du jeu de rôle et rappelle surtout la diversité des expériences entre ludisme et diverses formes de narrativisme avec les storygames actuels. 

n°62 (été 2023, 15€)

Entretiens : Damien Coltice (qui quitte Black Books pour devenir auteur auto-édité), Vincent Mathieu (Cats!), Xavier Brault (Okimba)

Reviews : Hunter : le Jugement, Quantiques, Logos (avec un dossier très complet sur ce système de magie original), Cats! La Mascarade, Okimba

Scénarios : Iron Kingdoms, Donjon & Compagnie, Quantiques

Aspirine : Comment écrire un scénario de jeu de rôle (en amendement à l'article du n°59) et un article sur le rôle donné aux combats dans les jeux de rôle pour créer de la tension

Le n°63 en préparation aura un dossier Cyberpunk, des scénarios pour D&D, Medium Aevum ou Les Héritiers. 

Moreau, Hugues, Duncan

Gustave Moreau (1826-1898) était obsédé par une image d'une femme (une fée ou une péri persane) chevauchant une créature qui était souvent une chimère, un griffon ou un dragon (il a aussi fait plusieurs fois Europe sur le taureau). 








Quelques années plus tard, Edward Robert Hugues (1851-1914) peint cette "valkyrie" sur un cheval ailé de cauchemar qui survole le pays (Dream Idyll, 1902). L'angle en surplomb est assez original. 


Et peu après, le peintre écossais John Duncan (1866-1945) peint ce tableau, Heptu bidding farewell to the city of Obb (1909). Cette mystérieuse Heptu (qu'on croit imaginée dans la mythologie personnelle du peintre, son nom sonne vaguement lié au dialecte de Cornouailles) est cette fois sur un griffon plus étrange qui tient un peu d'autres chimères, certains y voient plutôt un hybride entre un griffon et une cockatrice par ses pattes. Je n'ai rien trouvé sur cette "Cité d'Obb". 


On retrouve une monture ailée mais plus apollinienne (un griffon hyperboréen ?) dans le coin à gauche de Shining Land (1933). 


Comme Moreau, Duncan fait aussi son propre Oedipe mais sa Sphynge est bien plus hiératique et moins érotisée que celle de Moreau (malgré la nudité d'Oedipe), avec sans doute une influence de lamassu mésopotamien (The Challenge, 1934).



Voir aussi en nouvelle Médée, la magicienne Armide détruisant son palais féérique sur son dragon. 

lundi 23 octobre 2023

30 ans d'élections à la Knesset

Il est difficile d'imaginer la politique israélienne comme nous n'entendons le plus souvent parler que des enjeux internationaux de sécurité et nettement moins de tous les aspects sociaux internes (et notamment des questions religieuses internes concernant le poids des Partis religieux Shas, sépharade, et Parti de la Torah, ashkénaze). Je voulais revoir la chronologie des 30 ans depuis l'échec du "processus de paix de Clinton" pour comprendre le déclin de la gauche et la droitisation de la politique israélienne (malgré la stabilité globale du score du seul Likud à 25%). On est passé d'un Parti travailliste dominant au début de l'histoire d'Israël à la situation où ce sont les coalitions entre les différentes parties de la droite qui sont devenues décisives et où les Travaillistes et le Meretz deviennent des partis symboliques qui ne servent plus tout au plus que d'appoint. Pendant cette période du long échec d'Oslo, Netanyahu est devenu le Premier ministre le plus durable de toute l'histoire d'Israël même si les coalitions sont devenues de plus en plus instables depuis la crise parlementaire de 2019 (avec 4 élections législatives en 3 ans). 

On va observer cette baisse de la gauche israélienne au fil des élections surtout depuis 2015-2019. Le Meretz était le Parti israélien représentant un espoir d'une paix juste avec reconnaissance d'un Etat palestinien mais cet espoir est enterré depuis l'échec du processus d'Oslo et la Seconde Intifada : Israël est assez puissante militairement pour rester dans ce cycle de radicalisation constante de la population des Territoires palestiniens et d'insécurité totale pour la population israélienne. 

13e Knesset (1992)

Yitzhak Rabin (HaAvoda, parti travailliste) gagne les élections avec 35% des voix (le Meretz plus à gauche était encore à près de 10% à cette époque). Le Likud n'a que 25%, les trois partis juifs religieux Shas-Mafdal-Torah sont à 13% au total. Rabin signe les accords avec l'OLP en 1995 et est assassiné. Qui aurait pu penser à l'époque à quel point cet assassinat serait un tournant et une réussite pour la faction qui soutenait ce revirement. Pour aller plus vite, je n'indique pas les scores des "partis arabes" ou d'extrême gauche qui sont très marginaux dans la Knesset comme ils n'entraient pas dans de grandes coalition avant 2015. 

14e Knesset (1996)

Benjamin Netanyahu (Likud) devient Premier ministre pour la première fois, il bat de justesse les Travaillistes dans sa coalition (27% pour les Travaillistes, 25% pour le Likud, 7% pour le Meretz, 20% pour les trois partis religieux, 5% pour un parti des Juifs russes qui finira par rejoindre le Likud). 

15e Knesset (1999)

Ehud Barak (coalition de Travaillistes et d'ex-Likudniks acceptant le processus de paix) gagne. Les partis deviennent plus dispersés : Barak n'a que 20%, le Likud de Netanyahu s'effondre à 14%, les trois partis religieux restent stables à 21%, la gauche Meretz 7%, le centre-droit libéral laïc du Shinui 5%, un autre parti "centriste" 5%, l'extrême droite de Yisrael Beteinu est à 2,6%. La Seconde Intifada commence en 2002. La situation va conduire à un déclin général de la gauche israélienne. 

16e Knesset (2003)

Ariel Sharon (Likud) revient au pouvoir et écrase la gauche. Le Likud est à 29%, HaAvoda tombe à 14%, le centre-droit libéral laïc du Shinui grimpe à 12% (notamment parce que la Knesset paraissait avantager les juifs orthodoxes en maintenant leur droit de ne pas faire leur service) les 3 partis religieux à 17%, l'extrême droite "russe" de Lieberman à 5%, le Meretz à 5% aussi. Le Likud va finir par se diviser entre une aile pro-Sharon qui accepte certaines négociations et le parti de Netanyahu. Mais Sharon est discrédité par plusieurs affaires et sera dans le coma de 2006 à a mort en 2014. 

17e Knesset (2006)

Ehud Olmert dirige le nouveau parti Kadima, coalition de la droite pro-Sharon et de diverses factions contre le Likud de Netanyahu qui défend encore moins de concession aux Palestiniens. Kadima a 22%, HaAvoda d'Amir Peretz 15%, le Likud de Netanyahu à 9%, Yisrael Beteinu à 9%, les partis juifs religieux à 13%, le Parti des retraités à 6%, le Meretz à 4%. Après Olmert, Tzipi Livni échoue à maintenir une alliance entre son parti Kadima, les Travaillistes et les autres partis. 

18e Knesset (2009)

Netanyahu (Likud) revient au pouvoir et bat le Kadima de Livni même si les deux partis sont à égalité à 22%. L'extrême droite Yisrael Beteinu de Lieberman est montée à 12%, HaAvoda d'Ehud Barak tombe à 10%, les partis juifs religieux à 13%, le Meretz à moins de 3%, tombant derrière des partis arabes. Netanyahu fait sa coalition aussi avec les Travaillistes mais il va faire beaucoup de cadeaux aux partis religieux et à l'extrême droite. 

19e Knesset (2013)

Netanyahu (Likud) gagne une seconde fois en coalition avec Yisrael Beteinu (23%). Yesh Atid (qui semble en gros l'héritier de l'ancien Shinui de droite libérale mais laïque) est à 14%, HaAvoda stable à 11%, le Foyer Juif (extrême droite) monte à 9%,  les partis religieux à 14%, Tzipi Livni revient avec un mouvement de droite modérée héritière de Kadima 5% (alors que Kadima disparaît à 2%), le Meretz remonte un peu la pente à 4,5%

20e Knesset (2015)

Netanyahu gagne une troisième fois mais c'est plus fragile. Son Likud est à 23%, associé aux deux partis juifs religieux Shas et Torah Uni 10%, le centre-droite 7%, le Foyer Juif 7% (Yisrael Beteinu de Lieberman retombe à 5%). Le Parti travailliste avait tenté une grande coalition avec le mouvement de Tzipi Livni et n'a que 19% et son déclin va s'accélérer après cet échec. Les Partis arabes et l'extrême gauche forment une grande liste qui atteint 10%. Yesh Atid (centre-droit laïc) est à 9%, le Meretz stagne à 4%. Netanyahu est poursuivi pour corruption et sa coalition va se désintégrer (en partie sur la question du service national des juifs orthodoxes). 

21e Knesset (AVRIL 2019)

Likud 26%, Coalition centre-droite anti-Netanyahu ("Bleu & Blanc") 26%, Juifs religieux 11%, HaAvoda 5% (ouch), Partis arabes + extrême gauche 5%, Yisrael Beteinu 4%, Meretz 3,5%. Netanyahu échoue à garder un gouvernement stable et pour empêcher la coalition contre lui, appelle déjà de nouvelles élections législatives 4 mois après. 

22e Knesset (SEPTEMBRE 2019)

Coalition centre-droite 26%, Likud 25%, Partis religieux 13%, la Liste des partis arabes 10%, Yisrael Beteinu 7%, Autre extrême droite 6%, HaAvoda 5%, Meretz (allié à d'autres partis de gauche) 4%. La situation reste instable entre le Likud de Netanyahu et ses rivaux du centre-droite. 

23e Knesset (MARS 2020)

Le blocage de 2019 conduit finalement à une coalition des partis de droite autour du Likud de Netanyahu mais avec un Premier ministre par rotation. Le Likud remonte à 29% mais le centre-droit est à 27%, les Partis religieux sont à 14%, la liste commune arabe monte à 13%, la coalition HaAvoda-Meretz tombe à 6% ensemble (ouch - quand on pense qu'ils étaient à 45% à eux deux 30 ans avant...). les deux groupes d'extrême droite sont à 5% chacun. Le système électoral est modifié pour avantager des alliances entre partis. 

24e Knesset (MARS 2021)

La loi était censée favoriser de grandes coalitions mais la situation reste très bloquée, conduisant à une coalition du centre-droit et d'une partie de la droite nationaliste en tentant de laisser temporairement Netanyahu. Likud 24%, Centre-droit libéral laïc du Yesh Atid 14% (+ Nouvel Espoir de droite 5%), Partis religieux 18%, Extrême droite 11% (dont 6% pour la Nouvelle droite qui va finalement être au centre des négociations), Coalition Bleu & Blanc 7%, HaAvoda 6%, Partis arabes 8%, Meretz 5%

25e Knesset (NOVEMBRE 2022)

La droite continue sa croissance et c'est le Parlement le plus à droite de toute l'histoire d'Israël. Netanyahu peut donc consolider son pouvoir malgré toutes ses difficultés judiciaires et son image trouble. Le Likud est stable à 23%, Yesh Yatid (centre-droit laïc) à 18%, les trois partis religieux sont à 24%, l'ancienne coalition centre-droit Bleu & Blanc (rebaptisée Unité Nationale) est à 9%, l'extrême droite de Lieberman est à 4,5%, le Parti travailliste à 3,6%, le Meretz est éliminé, étant juste en dessous du seuil minimal de 3,2%, les partis arabes à 8%. Les massacres perpétrés par le Hamas lors de l'assaut du 7 octobre 2023 ne peuvent que renforcer ce pouvoir du Likud et même pousser à une unité nationale. 

On pourrait faire une analogie avec la situation française où on est passé d'un bipolarisme gauche-droite à un débat centré sur différentes droites LREM / LR / RN. Mais la situation est assez différente comme la France a encore une gauche à 25% mais dominé largement par un parti "tribunitien" sans espoir d'arriver au pouvoir. L'échec de la coalition de gauche de mars 2020 est plus inquiétant que les scores de la Nupes. 

L'Autorité palestinienne avait organisé des élections en 2006 mais la victoire du Hamas avec 44% contre 41% pour le Fatah a conduit à la guerre civile entre les deux entités palestiniennes. Depuis que le Hamas a pris le contrôle de Gaza, il n'y a plus eu d'élections, ni à Gaza ni en Cisjordanie. 

Add. Contrairement à ce que j'écrivais plus haut, la guerre ne profiterait pas du tout à Netanyahu. D'après ce sondage, l'ancienne coalition centre-droit anti-Netanyahu (l'Unité nationale de Benny Gantz) y gagnerait. 2/3 des Israéliens veulent que "Bibi" parte et n'en peuvent plus de sa corruption de Trumpien. Plus surprenant encore, le Meretz (qui avait été éliminé aux dernières élections) reviendrait à la place du Parti travailliste (qui serait éliminé !). Le Meretz jouirait notamment d'un effet d'image grâce à l'héroïsme de Yair Golan, ex-député Meretz, ancien secrétaire d'Etat à l'économie et officier de gauche. 

jeudi 19 octobre 2023

Les étymologismes de l'entendement

Le Café pédagogique (site parfois gnangnan de pédagogisme mais assez utile quand même !) a titré aujourd'hui sur Twitter avec ces trois verbes allemands qui devaient, j'imagine servir d'apophtegme pour nous remonter le moral dans cette période : 

Stehen (se tenir debout)

Widerstehen (résister)

Verstehen (comprendre)

La gradation des trois "se tenir debout / se tenir contre / se tenir face" ne marche pas bien  en français. De même en anglais : Standing / Resist / Understanding - ils n'ont pas de terme comme "counter-standing" mais standing a déjà un peu la même idée de résistance (stand up for your rights). Si on veut utiliser "stare" ou "sistere", il faudrait alors adapter en "Existe, Résiste" mais je ne vois rien en français qui puisse vouloir dire "comprendre" avec un dérivé de stare ? Tous les verbes du genre "Persiste, Subsiste, Insiste" ne marchent pas. Constater ? Contraster ? Mais avec ce dernier Contraster, on commence presque à avoir l'idée inverse de l'harmonie voulue dans le texte d'origine. 

Cela ne peut que rappeler les étymologismes un peu pénibles parfois en philosophie continentale post-heideggerienne quand on cherche comment "pense" le langage avant nous. 

"Comprendre" en français vient d'une métaphore de verbe de sensation : saisir entièrement, appréhender, embrasser (donc métaphore du toucher). "Entendre" vient d'une verbe in-tendere, tendre vers un but (qui sera ensuite assimilé avec intellegere dans le verbe entendre, et intellectus en entendement, avant qu'entendre ne soit plus réduit qu'au sens acoustique et ne finisse par remplacer "ouïr", audire). 

Verstehen en haut-allemand aurait eu un sens assez "violent" si on veut avec ce préfixe "ver", comme firstan signifierait plutôt originellement "dominer, régner, avoir pouvoir sur". Comprendre X, c'était donc exprimer sa volonté de puissance sur X. Nietzsche devait en être très content. 

Si "under" avait eu son sens habituel de "sous" dans Understanding, cela aurait beaucoup plus aux déconstructionnistes de l'anti-métaphysique : John Locke est célèbre pour avoir critiqué radicalement tout concept métaphysique de "Substance" comme suspect et obscur, et si "under" avait voulu dire "sub", alors "under-standing" aurait été un équivalent de sub-stare, et donc de substantia, donc le livre Essay on Human Understanding aurait eu une sorte de dénonciation étymologique de sa propre ironie contre la métaphore de la substance : l'Under-standing en guerre contre la Sub-stantia.  

Mais un dictionnaire me dit qu'en fait "under" aurait plutôt eu à l'origine un sens proche de "parmi", comme le latin "inter" et que Understanding signifierait donc plutôt "se tenir parmi, au milieu". Comprendre serait être directement "parmi" ce qu'on saisit alors qu'en allemand ce serait plutôt être face à l'objet et contrôler l'objet. 

mardi 17 octobre 2023

JdR Mag en danger ?

Je ne vais pas commenter tous les sites de financement mais je vois hélas que les abonnements de Jeu de Rôle Magazine continuent de stagner à moins de 75% de leur objectif (on en était certes encore à 50% en fin septembre). Si on ne prend (comme moi) qu'un abonnement d'un an, il faudrait encore environ 200 souscripteurs en plus des 277 actuels puisqu'il manque 10 000 euros sur les 40 000. S'ils ne parviennent pas à ce seuil, j'ignore s'ils continueront encore l'aventure uniquement en PDF ? 

Je ne sais pas si le marché français de la presse écrite peut permettre deux trimestriels de jeu de rôle en papier et boutique mais il serait bon qu'il y ait toujours une autre voix que le seul Casus Belli, quelles que soient ses qualités. On peut toujours entendre parler dans un autre magazine de certains jeux dont l'autre parle moins. 

La formule actuelle de Casus est liée au principal éditeur français, Black Books, et celle de Jeu de Rôle Magazine est liée à un studio plus modeste, Titam/Département des Sombres Projets, qui édite par exemple Hawkmoon ou Wastelands. Jeu de Rôle Magazine était dirigé (en 2014-2017) par la regrettée Isabelle Perrier (morte beaucoup trop tôt il y a 6 ans) et c'est toujours Titam qui édite le jeu de rôle sur les êtres-fées auquel elle avait collaboré, les Héritiers (et pour 賈尼, savais-tu que ce jeu de steampunk-fantasy a un petit supplément de 48 pages sur les êtres magiques de Pékin 1900 ? Cela devrait être ton opium !). 

Le Temps des Ombres


En dehors même des influences kawaii japonaises, il y a une esthétique nouvelle du livre pour enfants qui mêle un style graphique très clair, rond, enfantin et "mignon" avec une histoire plus "épique", plus sombres ou avec des sous-entendus un peu plus "adolescents". Je pense à des œuvres comme la série britannique Hilda de Luke Pearson ou Hôtel Etrange de Katherine et Florian Ferrier (dans les dessins animés, on pourrait y ajouter les films de Tomm Moore comme Brendan & le secret de Kells ou Le Peuple Loup ou la série récente Runes sur des enfances imaginaires de Guillaume de Normandie, et de nombreux autres exemples dans le catalogue Netflix). L'influence du jeu de rôle y est parfois assez probable (je pense à Runes par exemple). 

Le Temps des Ombres aux éditions de la Gouttière est une nouvelle série de BD pour enfants (7-8 ans) écrite par David Furtaen (qui a aussi une chaîne de jeu de rôle, Grimoires & Tentacules et une autre sur son expérience de scénariste de BD) et dessinée par Pauline Pernette (qui est aussi rôliste et a travaillé dans l'animation). Il y a deux volumes de 85+ pages parus, Le Dernier Printemps et l'Eté de Feu, que je n'ai pas encore lu - ce sera donc une tétralogie (décidément, les quatre saisons jouent aussi un rôle central dans Hôtel Etrange ou dans Moumine le Troll où le retour du printemps rythme les histoires). 

Les Terres des Ombres sont divisées entre le Village d'En-Bas, plus "civilisé", et le Village d'En-Haut, plus rustique dans les collines. Le fléau des Ombres qui a déjà frappé la contrée il y a longtemps est revenu et transforme les personnes ou les bêtes en des créatures vides et agressives. Mycène l'herboriste de la forêt à la chevelure interminable et Roch l'alchimiste-scientifique de la Ville du Bas devront s'allier pour tenter de trouver un remède. Les seuls êtres qui semblent pouvoir résister au fléau sont les petits Kayayas, des fruits vivants de l'Arbre sacré dans la forêt et même l'Ancien du Village d'En Haut a été contaminé. 

Le style de la narration est assez "décompressé", avec beaucoup de cases contemplatives et sans texte (peut-être parce que les éditions de la Gouttière ont aussi des traditions de quelques bd sans bulles). Les deux auteurs ont voulu installer une atmosphère sans faire de longues expositions. On sent qu'il y a un univers en arrière-fond à travers ces 7 icônes qui sont le Sacré, la Vie, l'Âme, l'Esprit, le Corps, la Mort et l'Espoir (Mycène étant un avatar de l'Âme et Roch de l'Esprit). 

dimanche 15 octobre 2023

Mythes argiens (4) Abas et les deux Abantiades


Carte par Ian Mladjov

Episodes précédents : Inachos, Io, Danaos

Abas, fils de Lyncée (le dernier des Aigyptiades) et d'Hypermnestre (la dernière des Danaïdes) est le premier roi d'Argos issu de la Maison de Danaos, descendant "oriental" du dieu Inachos. 

Les éponymes fondateurs de cités

Après la fameuse nuit de noces sanglantes, Lyncée s'était enfui en redoutant de subir le même sort que ses 49 frères. Il était allé se cacher légèrement en amont du fleuve Inachos où il attendait que Hypermnestre le prévienne avec une torche qu'il pouvait revenir. Il y avait à Argos une fête des Torches qui maintenait ce rituel. Cet endroit au nord-ouest d'Argos (à peine à 18 km) s'appela donc Lynkeia, mais par la suite Abas aurait eu un fils illégitime nommé Lyrkos qui s'installa à Lynkeia et elle fut rebaptisée Lyrkeia. Un autre Lyrkos d'Argos est compté comme un fils de Phoronée qui avait été envoyé à la recherche de Io (l'ancêtre de Danaos) et avait eu des aventures en Asie. 

On voit ici l'espace entre Lyrkeia et Larissa, l'acropole d'Argos


A côté de l'Argolide, le Roi d'Arcadie Lycaon avait été connu pour son impiété et ses crimes de sacrifices humains ou de cannibalisme : tout comme Tantale (père de Pelops, éponyme du Péloponnèse), il aurait offert aux dieux les entrailles de son fils le plus jeune Nyctimos et Zeus aurait fait revivre le jeune fils qui lui aurait succédé. Lycaon aurait eu parmi ses 50 fils (souvent fondateur de cités arcadiennes) notamment Tegeates (fondateur de Tégée dont l'un des fils fut tué par son frère qui fut ensuite puni par Artemis) et Mantineus (fondateur de Mantinée - voir la note sur l'histoire des guerres entre Tégée et Mantinée). Mantineus aurait été foudroyé par Zeus pour avoir tenté à nouveau de donner à manger son enfant au dieu, ce qui est décidément une coutume de cette Maison. On remarque que les cités arcadiennes ennemies n'ont pas de mythes très positifs sur leurs fondateurs. C'est ce Mantinée d'Arcadie qui sera le grand-père des Abantiades

Abas aurait fondé plus tard une cité hors de l'Argolide, Abai en Phocide (actuelle Kalapodi à 110 km au nord) et les Argiens auraient aussi colonisé l'Argos pélasge en Phthie (où "argos" voudrait dire "plaine"). Cette cité d'Abai avait un célèbre sanctuaire d'Apollon avec un Oracle rival de celui de la Pythie, à 35 km de celui de Delphes. 

Le Bouclier d'Abas

Le jeune Abas vint prévenir son père Lynkeus que son grand-père Danaos était mort et qu'il n'avait plus à craindre pour sa vie. Pour le remercier de cette nouvelle, Lyncée offrit à son fils le Bouclier "de son grand-père". Je ne sais pas si c'était censé être le Bouclier d'Aiguptos ou bien plus vraisemblablement celui de Danaos (comme Hypermnestre avait été métaphoriquement le Bouclier de Lyncée). 

En tout cas, ce Bouclier n'était pas comme les autres et on disait qu'Abas réussissait à effrayer ses ennemis rien qu'en le brandissant. Des années après la mort d'Abas, ce Bouclier était sorti du temple pour pacifier les rebelles à Argos. 

Virgile raconte dans l'Enéide (chant III) que lorsque Enée arriva en Epire chez Helenos et Andromaque, il y offrit le Bouclier d'Abas mais il n'est pas clair si c'est le même et comment il serait tombé d'Argos à Enée, si ce n'est que le Troyen l'a peut-être pris sur un combattant argien ? Mais pourquoi le Bouclier n'aurait pas été porté par Diomède et Sthénélos qu'Enée n'a pas vaincus ? Certains y voient une allusion politique à Auguste qui aurait de même consacré des boucliers de ses ennemis vaincus pendant la guerre civile. 

Le conflit des Jumeaux abantiades et la dualité d'Argolide

Abas épousa la princesse arcadienne Ocalea (ou Aglaea), une fille de ce Mantineus et il eut deux jumeaux, Proetos et Acrisios

Les Jumeaux reproduisirent la haine de leurs arrière-grands-pères Aiguptos et Danaos en commençant à se battre dès le ventre maternel. Ils continuèrent à lutter toute leur vie et ce fut au cours de leurs combats qu'on inventa pour la première fois les boucliers. On peut rendre cela compatible avec le mythe du Bouclier d'Abas en disant que les deux frères se disputaient pour son Bouclier et qu'ils furent les premiers à en faire forger plusieurs imitations. 

Ce couple des Abantides va être important dans la mythologie locale car la dualité de lignages Pelasges / Colons ou bien Aegyptiades / Danaïdes est transformée en une dualité dans les Rois. Pour éviter le conflit, on va arriver à la scission de l'Argolide entre Argos pour Acrisios et Tirynthe pour Proetos

Les poètes cycliques se souvenaient que Tirynthe avait été une cité plus importante qu'Argos mais à leur époque Tirynthe avait déjà été éclipsée par Argos (de même que Mycènes d'Agamemnon brillait moins que la Lacédémone dorienne). La dualité de l'Argolide était peut-être une des manières de gérer cette contradiction historique dans le mythe entre l'Argos qui subsistait et les vestiges de la Tirynthe vide. Quand on lit Pausanias, on est toujours surpris à quel point même pour les Grecs antiques, la Grèce était déjà un champ de ruines avec certaines cités abandonnées. La Ruine n'est pas un rapport moderne à la Grèce, les Grecs se voyaient dans un éternel retour de strates archaïques. 

Acrisios avait eu une fille, nommée Danaé, et l'oracle avait dit qu'il n'aurait pas lui-même de fils mais que le fils de sa fille causerait sa mort et il voulut l'enfermer dans une Tour de bronze d'Argos pour qu'elle ne puisse avoir d'enfants. D'après une tradition, c'est Proetos et non Zeus Pluie d'Or qui aurait alors séduit sa nièce Danaé (à moins qu'Acrisios n'ait enfermé Danaé dans la Tour de bronze qu'après coup, après l'inceste entre oncle et nièce). 

Parenthèse : l'Oncle, l'Eau et la Gémellité

Quittons juste un moment l'Argolide pour un parallèle que je trouve assez plausible.

En Thessalie, un autre mythe a un écho avec certains des mythes argiens. Le Roi Triopas de Thessalie, fils de Poséidon, était père de Phorbas et d'Iphimedeia (on remarquera que dans la généalogie argienne avant Danaos il y a aussi un Roi Triopas mais fils de Phorbas). Ce Triopas (qui fut puni par Démeter et devint la constellation Ophiucus) était frère d'Aloeus. La fille de Triops, Iphimedeia fut mariée à son oncle Aloeus mais elle s'unit à Poséidon et eut deux frères jumeaux, Otos et Ephialtes (les Aloades), qui devinrent des Géants monstrueux qui s'attaquèrent aux dieux dans leur hubris et furent condamnés à s'entre-tuer. 

Cet Aloeus aurait aussi eu comme enfants Salmonée d'Elis, Sisyphe de Corinthe et Créthée d'Iolcos (même si dans la plupart des versions, ces frères sont plutôt les oncles maternels de Triopas et non des enfants d'Aloeus). Salmonée (qui fut puni aussi par les dieux) eut une fille Tyro qui fut mariée à son oncle Crethée (ou Sisyphe) mais elle s'unit à Poséidon et eut deux frères jumeaux, Pélias et Nélée. Pélias était connu pour son hubris (il profana le temple d'Héra) et se disputa avec son frère Nélée qui partit en Messénie où il fonda Pylos. Pélias fut tué par Jason (ou par Médée), Nélée fut tué par Héraclès. 

Il faut se méfier d'analogies trop superficielles parfois entre des thèmes mythiques mais ici on remarque clairement plusieurs parallèles entre les fils d'Iphimedeia et les fils de Tyro

dans les deux cas, (1) mariage avec oncle paternel mais 

(2) en fait avec Poséidon et 

(3) naissance de jumeaux pleins d'hubris qui se battent ensuite entre eux. 

Mais on remarque aussi une autre analogie entre Acrisios / Proetos et Salmonée / Sisyphe. Sisyphe aurait violé sa nièce Tyro pour qu'elle ait un enfant qui tuerait son frère Salmonée (mais Tyro tua elle-même ces deux enfants pour empêcher la prophétie, cas assez unique où la prophétie est vraiment empêchée). Proetos aurait violé sa nièce Danaé pour qu'elle ait un enfant qui tuerait son frère Acrisios (mais le mythe ne dit pas si cet enfant fut Persée qui tua ensuite Acrisios ou si Danaé avait eu un enfant avant Persée qui aurait été mis à mort comme pour Tyro). 

On peut se demander (mais ce serait peut-être tirer un peu trop l'analogie) si ce Zeus qui se transforme en Pluie d'Or n'a pas aussi quelque chose de Poséidon (Iphimedeia se couche dans la mer pour s'unir à Poséidon et Danaé reçoit la semence de l'eau du ciel). Mais le mythe de Persée, fils de Zeus, est très différent de tous ces jumeaux et au contraire Persée tue Méduse, une amante de Poséidon. 



Le cycle de Proetos et Bellerophon

Après ses combats contre son frère Acrisios, Proetos serait parti en Lycie où il aurait épousé la fille du roi Iobatès. C'est avec l'aide des armées de son beau-père Iobates qu'il récupéra la moitié de l'Argolide, laissant à Acrisios Argos mais prenant Tirynthe, Mideia, le temple de l'Heraion et même la côte du Golfe argolique. Proetos aurait amené de Lycie les Cyclopes qui aurait construit les grandes murailles de pierre de Tirynthe. 

Quand Bellerophon, qu'on disait parfois fils de Poséidon (décidément) mais adopté par Glaucos, fils de Sisyphe de Corinthe, vint à Tirynthe, la femme de Proetos, la lycienne Sthénébée l'accusa de viol et Proetos envoya Bellerophon chez son beau-père Iobatès avec une lettre scellée demandant de le tuer mais Iobatès étant lié par l'hospitalité l'envoya tuer la Chimère, ce qu'il fit grâce à l'aide de Pégase (fils de Méduse et de Poseidon - d'après une version, Méduse aurait aussi couché avec Glaucos, le fils de Sisyphe). La version archaïque chez Homère a déjà des détails sur Proetos et Bellerophon mais pas du tout Pégase. 

Les analogies sont assez grandes entre Bellérophon, le héros volant tueur de monstre et ennemi de Proetos, et Persée, le héros volant tueur de monstre et ennemi d'Acrisios. Bellerophon a un nom qu'on analyse parfois comme "Tueur de Belleros" (mais certains disent "Tueur par Projectile") et Persée Tueur de la Gorgone serait une sorte d'avatar de Hermès dont le surnom le plus connu est Argiphontes, "le Tueur d'Argos". Cela explique que bien avant le film Clash of the Titans et dès certains poèmes médiévaux ou modernes, il y a eu une tendance à confondre Bellerophon et Persée. Pour avoir tué le monstre, Bellerophon épouse Philonoé une princesse lycienne, fille d'Iobatès et Persée épouse Andromède, une princesse éthiopienne, une fille de Céphée (qui serait un frère de Danaos et Eguptos et donc une arrière-grande-tante de Persée). 

Il y a encore d'autres mythes autour de Proetos mais comme on les associe souvent à sa descendance, nous n'y parviendrons que plus tard lorsque l'Argolide va à nouveau être divisée en plusieurs parties rivales entre descendants des deux Abantiades Proetos et d'Acrisios. 

samedi 14 octobre 2023

[Vie Brève] Mehmed le Chasseur

    I Le fils du Fou de la Fourrure

En l'an 1051 de l'Hégire [1642] naquit à Constantinople Mehmed, fils du Sultan Ibrahim et d'une esclave russe Nadya (qui prit le nom turque de Reine Turhan). 

Le Sultan Ibrahim, qui était obsédé par le contact des fourrures de zibeline au point d'en faire recouvrir tout ses meubles (d'où son surnom du "Fou de la Fourrure"), était connu pour ses nombreuses maîtresses, y compris des femmes qui n'étaient pas membres de son harem. Il avait plusieurs Reines en même temps et plusieurs "favorites". Ses passions étaient aussi intenses qu'éphémères. On disait qu'il avait fait exécuter des centaines de concubines à cause d'une qu'il soupçonnait d'infidélité, comme dans les Mille et Une nuits. Deux ans avant la naissance du prince Mehmed, Ibrahim avait déjà eu un enfant avec une autre maîtresse avant même de devenir Sultan, ce qui était interdit par la Reine-Mère Kösem (Grecque née Anastasia). Ce fils aurait dû être exécuté mais il fut sauvé par l'Eunuque Noir, banni et fut capturé par des pirates vénitiens : il fut converti au christianisme et finit sa vie de Prince turc comme prêtre vénitien. 

A la naissance de Mehmed, le Sultan Ibrahim préférait un autre enfant d'une esclave et la Reine Turhan le lui reprocha amèrement. Furieux, Ibrahim tenta alors de noyer Mehmed dans une citerne et les serviteurs intervinrent pour sauver l'enfant mais il en garda toute sa vie une cicatrice au visage. 

La flotte ottomane était alors en guerre contre les navires vénitiens et le conflit de Crète et de Mer Egée était difficile. La Reine Mère Kösem, aidée du Grand Vizir, tenta en 1056 de déposer le Sultan Ibrahim mais ce premier complot échoua et la Reine Mère fut exilée. Un second coup d'Etat eut lieu l'année suivante avec l'aide de l'armée des Janissaires et cette fois la Reine-Mère Kösem fit étrangler son fils Ibrahim comme incompétent. 

    II Le Sultanat des Femmes

Mehmed devint donc le nouveau Sultan à l'âge de six ans, sous le titre de Mehmed IV et ce fut le début du Sultanat des Femmes pendant le temps de la régence. La Reine Turhan devenait la nouvelle Sultane Valide en même temps que sa rivale, sa belle-mère Kösem et elles durent continuer la guerre contre Venise qui assiégeait les Dardanelles. Il fut décidé que la coutume vieille de deux siècles de faire étrangler tous les nombreux frères ne serait pas maintenue. Les frères Suleiman ou Ahmed (qui deviendront tous les deux Sultans par la suite) seraient seulement enfermés dans la prison qu'on appelait la "Cage" du Palais. 

Mais en 1061 [1651], l'ancienne Reine Mère Kösem, soutenue par les Janissaires, tenta d'assassiner Mehmed pour mettre sur le trône Suleiman. Ce fut la Sultane Turhan qui l'emporta contre sa belle-mère et Suleiman resta dans la Cage. 

Mehmed (qui avait dix ans) accepta de faire exécuter sa grand-mère (une autre version dit qu'elle fut tuée par des rebelles). Mais il dut encore affronter d'autres tentatives de coups d'Etat organisés par le Grand Mufti. 

Sa mère Turhan avait choisi un nouveau Grand Vizir Mehmed de Köprü, un serviteur d'origine albanaise, qui commencera la dynastie des Vizirs de la famille Köprülü. Turhan se retira progressivement du pouvoir et mourut en 1095 à Edirne.  

    III L'Apogée impérial et la chute du Chasseur

En l'an 1070, Istanbul connut son plus grand incendie et la ville fut quasiment entièrement détruite. 

En 1074, Mehmed épousa son esclave favorite du harem, qui fut nommée Gülnuş une Crétoise qui sera la mère des futurs Sultans Mustafa II et Ahmed III. Elle l'accompagnait souvent dans ses campagnes dans les Balkans et le Prince Ahmed naquit même en Roumanie. 

Mehmed est surnommé Mehmed le Chasseur parce qu'il se concentrait de plus en plus sur ces plaisirs cynégétiques en déléguant davantage la guerre à la famille des Pachas Köprölü. Il n'avait en revanche pas les excès du Harem qui avait consumé son père. 

C'est sous son règne que le mystique charismatique Sabbatai Tzevi d'Izmir que certains Juifs prirent pour le Messie fut capturé. Il annonça finalement sa conversion à l'Islam, prit le nom de Mehmed et fut emprisonné au Montenegro. 

L'Empire ottoman commença à cette époque une période d'expansion à travers toute l'Europe Centrale et même l'Ukraine et la Pologne. La Crète avait été prise aux Vénitiens et l'Empire était à son apogée. Une anecdote raconte que le Sultan, souvent représenté à cheval, chevaucha à travers la Crète et franchit un gouffre d'un bond sur son cheval sans frémir. 

En l'an 1095 [1683], l'Armée assiège Vienne dans le Saint Empire Romain Germanique mais les Habsbourg, avec l'aide du Royaume de Pologne-Lituanie battent finalement l'armée turque (qui est divisée quand le Khan de Crimée quitte l'alliance). 

C'est le début du déclin. L'Empire ottoman ne reviendra jamais à ce niveau atteint sous Mehmed le Chasseur. 

Les armées commencent à se retirer et à perdre la Hongrie et une partie des Balkans. Les Janissaires et les divers mercenaires se révoltent contre le Sultan Mehmed en l'an 1098 et le renversent. 

Il n'est pourtant pas exécuté par le nouveau pouvoir de son demi-frère Suleiman II et il finit sa vie bien traité mais enfermé dans un Palais à Edirne. Il y eut une tentative pour le remettre sur le trône vers 1102, mais il finit finalement sa vie à Edirne en l'an 1104, à près de 45 ans, là où sa mère était morte une douzaine d'années avant. L'histoire voulait qu'il voie à la fois la fin prématurée de son règne et les signes annonciateurs de la décadence de son Empire. 

dimanche 8 octobre 2023

La Maison aux Quatre Vents, version 0.1

La Maison aux Quatre Vents est une ébauche d'un jeu de rôle inspiré par un cycle charmant de bandes dessinées et romans pour enfants de Florian & Katherine Ferrier, L'Hôtel Etrange, mais aussi d'autres grands classiques comme Moomin le Troll de Tove Jansson ou La Grande Forêt d'Anne Brouillard (et d'autres, plus adultes, comme Fables de Willingham). J'ai depuis appris qu'il y avait déjà un jeu, Yazeba's Bed & Breakfast, qui semble assez proche de certains de ses thèmes. J'avais pensé le soumettre aux défis Trois-Fois-Forgés mais, après ce paragraphe, il y a déjà plus que le maximum, à 7000 caractères et je n'ai pas assez de courage pour devoir ensuite éditer un autre jeu. La "Maison aux Quatre Vents" devait à l'origine être une auberge avec des portails dimensionnels mais finalement l'ambiance est restée plus proche des contes comme L'Hôtel étrange, notamment l'importance des Quatre Saisons. On pourrait peut-être aussi l'utiliser comme un cadre pour Espadon & Esperluette

*

Il était une fois une vieille grand-mère qui s'appelait Mummo. Elle avait eu une fille, nommée Emo, qui avait elle-même eu une fille nommée Koré ou Netsyt. Mummo avait une cabane construite dans un grand tronc d'If qui avait des pattes de dinosaure (en fait de coq, mais c'est pareil). Cette Maison se promenait à travers les Sept Pays quand elle arriva dans la forêt de Locus Amoenus, devant le Lac des Quatre Vents, là où se jettent les 4 rivières, le froid Achéron, le Léthé de l'oubli, le Pyréphlégéton bouillant et le Cocyte empoisonné. 

Ce Lac plein de tempêtes possèdent 4 îles principales. Elles tournoient sans cesse de manière aléatoire car dans ce Lac vivent quatre Hauts-Sylphes, quatre Dieux du vent qu'on surnommait Borée, Euros, Notos, Zephyr. Borée est flegmatique et nécromancien, Euros est bilieux et mystique, Notos est colérique et pyromancien et Zephyr est mélancolique et alchimique. 

Les 4 îles flottantes du tourbillon sont parfois nommées Pohjola, Kitiej, Alcheringa et HyBrasil (mais elles ont aussi de nombreux autres noms). 

Mummo fit construire 4 pontons et 4 "embarcations" diverses pour conduire à chacune des quatre îles. Les vents tournoient tellement qu'il est difficile de contrôler les 4 barques. Il y a aussi des timoniers psychopompes pour les barques mais deux des véhicules n'ont pas de pilotes séparés. 


La Maison aux Quatre Vents est devenue un refuge et un buron au bord du Lac pour de nombreux pèlerins qui viennent jusqu'ici en quête d'une des quatre îles. La Maison est si plaisante que certains anciens Voyageurs sont devenus des Hôtes et on ne comprend pas toujours combien de chambres la Maison a l'air de receler, comme si elle était plus grande à l'intérieur qu'à l'extérieur. 

Quelle est la Saison ? On tire chaque jour un d6 pour savoir quelle est la "Saison" du jour. Tout dépend du jour d'avant. La première fois que vous tirez, considérez que vous étiez en hiver le jour précédent. 

 Jour précédent -> hiver printemps été automne
 1  automne  hiver  printempsété
 2  hiver  hiver  été  automne
 3  hiver  printemps  été  automne
 4 hiver  printemps été  automne
 5  hiver printemps  automne  hiver
 6 printemps  été  automne  hiver

Comme on le voit, le flegmatique Borée est plus tenace que ses adelphes comme le printanier Euros dans le Lac aux Quatre Vents. 

Il est difficile de sortir de la Maison pendant l'Hiver (sauf si on veut partir pour Pohjola) et on doit payer sa nuit en racontant une histoire et en apportant un cadeau pour l'un des hôtes (une noisette pour Ratatosk le Cuisinier, etc.), sauf si on est devenu un Ami régulier de la Maison. Normalement, la Barque ne part que lorsque la Saison est adéquate pour l'île (Hiver pour Pohjola, Printemps pour Kitiej, Ete pour Alcheringa, Automne pour HyBrasil. 

Création de personnage

Le Groom est la narratrice et les autres joueuses interprètent un Voyageur ou Voyageuse

On choisit quelle sorte d'entité on est : un.e Humain.e ? Un hybride (centaure/satyre/chimère...) ? Un autre animal conscient ? Un objet magique ? Un fantôme ? Un Tomte ? 

On doit choisir une Qualité, un Défaut, sa Motivation, sa Saison préférée et l'Île qu'il cherche. Puis on répartit 4 points entre Imagination et Courage (on ne doit pas mettre 0). 

Il n'y a que 3 possibilités (à qui on peut donner ces noms conventionnels) : 

  Héroïne, Dorothy Imagination 1 Courage 3

  Poétesse, Petit Nemo Imagination 3 Courage 1

  Exploratrice, Alice/Philémon Imagination 2 Courage 2 

Pour réussir une action, il faut faire plus 4+ sur 1d6 et on a autant de d6 que son score. Un 6 donne le droit de relancer un autre dé en plus. 

Les Hôtes de la Maison

Rez de chaussée : 

Phaeton est le conducteur du chariot/traîneau qui amène souvent les nouveaux voyageurs trouvés sur la route et qui s'occupe de l'étable. Les montures de son véhicule Alvakr et Asvidhr sont des hippalectryons (chimères coqs-chevaux, "enfants" de la Maison). 

Mummo est borgne, elle est sage, sarcastique mais sympathique. Elle parle souvent à la Maison. On dit qu'elle était son propre mari et qu'elle est à la fois la mère et le père d'Emo. On dit qu'elle endort de ses chants le Géant sous la Maison. Elle vole parfois sur un Mortier qui ressemble à une marmite. 

Emo, la fille de Mummo, est assez triste et cyclothymique car elle attend le retour de sa fille vagabonde, la mystérieuse Netsyt, qui ne passe guère que si l'été dure un peu. On ignore qui était le père de Netsyt et Emo refuse de répondre sur ce sujet. Elle a une serpe et arrache le Gui qui pousse sur la Maison. 

Nefle est une Brebis géante très généreuse et porte-bonheur. Sa laine dorée (qui repousse chaque hiver) fournit en tissus Emo qui tisse les couvertures de la Maison. Nefle est aussi une herboriste et une apothicaire. Elle aurait des enfants de formes différentes (les deux hippalectryons de Phaeton) car elle n'a pas toujours été une Brebis. Elle fabrique aussi du fromage avec les oeufs aux lait de Gala Galata (cf. infra). Elle a très peur de Lycaon. 

Laurent est un Balai très zélé et industrieux, mais un peu obsédé par l'hygiène. Il a été façonné dans le bois d'if de la Maison, Il peut faire souffler de petites sylphes. Il est parfois triste parce qu'un ancien apprenti de Mummo avait fabriqué des Doubles de Laurent qui étaient devenus si nombreux qu'ils faillirent submerger toute la Maison. On dit qu'ils ont tous été brûlés, sauf Laurent. 

Lycaon est un loup-garou, fils de Borée. Il est pacifiste, végétarien et fait la cuisine avec Ratatosk l'Ecureuil. Il se transforme en loup affamé à chaque fois que l'hiver dure trop longtemps : la chance de transformation sur 1d6 est égale à (Jours d'hiver - 2). Il se fait parfois attacher, par crainte de ses transformations. On dit qu'il aurait déjà tenté dans son état de lycanthrope de manger Nefle, ce qu'il regrette. Il serait aussi amoureux de Madame Emo. 

Etages supérieurs

Galia Galata la Poule-Ornithorhynque pond des oeufs au lait. Elle aussi est une fille de la Maison. 

Glaucopis la Chouette vit sur une branche de la Maison. Elle aurait été la Familière de Mummo. Elle a une boule de cristal qui lui indique chaque automne si quelqu'un a un réel besoin de venir dans la maison. Elle fait alors venir la personne sur son nid en le faisant passer par les sentes des racines. Elle est aidée de Merveille le Tomtenisse, un petit lutin qui peut voyager dans les 4 recoins et les dimensions de poche autour de la Maison (et les Objets Perdus tendent à tomber souvent dans sa demeure). 

Hypatia tient la Bibliothèque Akashique dans les creux de l'arbre (qui contient tous les romans perdus d'Antoine Diogène, les dialogues d'Aristote, les ouvrages de l'Empereur Claudius). Elle aimerait bien aller à Kitiej mais la Sphynge ne la laisse pas passer. 

Le Prisme est une pierre qui collectionne les couleurs et il en possède certaines qui n'existent pas dans notre spectre lumineux. Il semble très effrayé par le Batavolant, le Naute du Vent d'Ouest. 

Le Jar Pitsa s'enflamme pendant l'été. La Maison, Laurent ou les Dryades du Locus Amoenus ne l'apprécient pas. Il remplit pourtant des tâches utiles en nourrissant les salamandres de l'âtre. 

Les 4 Nautes

Le drakkar qui conduit à Pohjola n'a plus de pilote mais il est conscient. C'est un Scalde et il doit être payé en chansons. Il lui arrive de perdre son calme et de devenir furieux pendant les tempêtes d'hiver. 

La Sphynge guide la barque à Kitiej. Il faut résoudre un Mystère pour pouvoir embarquer. 

Nix la Plésiosaure conduit à Alcheringa. Elle demande à être payée en oeufs géants. Elle a très peur du Kraken et de son ex-ami l'Ichtyosaure Blanc dans le Lac. Elle dort l'hiver comme beaucoup d'autres. 

Le Batavolant est un forban boucanier qui conduit à Hybrasil. Il demande à être payé avec des Emeraudes contenant l'éclat du dernier Rayon vert. 

Les 4 îles

Pohjola est l'île des glaces et de la désillusion. Elle est peuplée d'Ours et de spectres. Le trésor caché y serait la Cornucopia

Kitiej est une île flottante qui erre entre les nuages (Laputa) et les profondeurs du Lac (Agartha). Elle est associée aux quêtes de secrets. Le trésor caché y serait le Livre du destin

La ville invisible de Kitiej, par Constantin Gorbatov

Alcheringa (ou Altjira) est l'île des rêves. On y trouve l'Oracle des Visions

HyBrasilLyonnesseTirNaNog est une île fantomatique de guerre éternelle et de renaissance. On y trouve le Chaudron de Dagda

Quand on part vers l'île à la bonne saison, on risque aussi de rencontrer d'autres îlots dans le Lac comme l'île des serpents, l'île-tortue, l'île d'ivoire de morse, l'île des oeufs de Rocs, l'île des kaijus, l'île du kraken, l'île de coquillages, l'île de la foudre, l'île des épées tranchantes, l'île de l'ébriété, l'île des mélopées, l'île des oiseaux aux plumes de diamant... 

samedi 7 octobre 2023

Bande annonce de Donjons & Chatons

 J'allais réussir mon jet de Volonté et résister à l'achat du jeu de rôle Donjons & Chatons (dont j'avais raté le financement participatif), quand soudain, dans la bande annonce du dessin animé du créateur et réalisateur Clément de Ruyter, à la fin... 

une raie manta.

La couverture britannique de RuneQuest II

La BBC avait diffusé il y a 40 ans en octobre 1983 un reportage sur D&D (et sur les livres Fighting Fantasy) où ils interviewaient les deux auteurs de Games Workshop Ian Livingstone & Steve Jackson (le Steve Jackson britannique, qu'on voit plusieurs fois devant la boite de Car Wars de son homonyme, le Steve Jackson texan). 

Ils disent que leur magazine White Dwarf a atteint une diffusion de 20 000 exemplaires : dans le reportage on voit les couvertures du numéro 44 derrière lui et du n°45 qui sort de l'impression et ils mentionneront le reportage dans le n°46 (qui sort donc à peu près en même temps que Casus Belli n°17). 

Dans l'introduction, on voit à la place de D&D une autre couverture. C'est la couverture par Iain McCaig choisie par Games Workshop pour leur édition de RuneQuest

On peut préférer la couverture originale par Luise Perenne, qui fait plus "antique" et moins fantasy générique que cette guerrière légèrement anorexique en bikini dans la neige. Mais j'ai commencé aussi avec ce livre anglais et non l'édition américaine. Iain McCaig a fait sans doute mieux ensuite (comme ses illustrations des Fighting Fantasy comme Forest of Doom).  

Ian Livingstone a sur son Twitter l'illustration entière et je crois qu'on n'avait jamais vu que Iain McCaig avait dessiné des parties qui ont été coupées dans la couverture : 



lundi 2 octobre 2023

Plus que quelques heures pour le foulancement pour L'Œil Noir : Les Royaumes Ennemis

Ce foulancement sur Game On TableTop porte sur cette extension pour L'Œil Noir sur les deux Royaumes de Nostria et Andergast (près de 200 pages) mais aussi avec l'option d'avoir de nombreux autres suppléments dont des scénarios dans cette région et un guide sur la magie. Il se termine ce soir à minuit. 


Les deux Royaumes sont au nord de l'Empire du Mitan (Mittenreich) et on pourrait en gros dire que c'est un peu les Pays-Bas (pas dans les sonorités mais dans la position par rapport à l'Empire). Nostria de la Reine Yolande II (fille de Casimir IV) est un pays maritime sur la côte de la Mer des Sept Vents (au nord du célèbre port impérial de Havena) et son éternel rival de l'autre côté de la grande Forêt sauvage est le Royaume de l'Andergast, (peut-être un peu plus Bohème ?). C'est un territoire de bûcherons qui est actuellement dirigé par le "Prince Consort" Efferdan (venu de l'Empire Horas). L'Andergast est une société patriarcale et traditionaliste avec des Druides des forêts profondes alors que la Nostria est bien plus égalitaire et cosmopolite. L'Andergast est connu pour ses chênes de pierre, des bois résistant au feu, et ses chevaux. La cité de Joborn entre les deux Royaumes est le lieu habituel des guerres perpétuelles entre les Royaumes Combattants et est actuellement sous le contrôle de l'Andergast (même s'il y a aussi des indépendantistes). Un des enjeux des campagnes qui accompagnent ces suppléments est la possibilité diplomatique de la fin de cette guerre séculaire entre les deux Royaumes ennemis. 

Add. (3/10) D'après ce thread sur CASUSNO, Black Books avait besoin d'au moins 400 souscripteurs pour voir s'ils continuaient à traduire DSA, et là, on l'a raté de peu à 350 souscripteurs. La gamme VF (en tout cas officielle et professionnelle) va donc s'arrêter. 

dimanche 1 octobre 2023

Les Domaines des Héros de Thandar

J'avais déjà essayé il y a 4 ans le petit jeu de cartes de science fiction Star Realms qui n'était pas très original mais très facile à utiliser. On a une "main de départ" faible qui peut soit attaquer soit acquérir de nouvelles cartes et on augmente petit à petit à partir des mêmes cartes son deck avec des cartes défensives, offensives ou servant à acquérir plus de cartes par la suite. Progressivement, son deck augmente et on doit se demander quelles mains futures on va obtenir quand on rebat ses cartes. Il y a plusieurs "couleurs" de cartes et on optimise les effets si on tire des cartes de la même couleur, ce qui oriente les achats (par exemple dans Star Realms entre la couleur "imperiale" plutôt offensive ou "fédération" plutôt défensive). Mais contrairement à Magic, on peut quand même jouer si on choisit d'avoir des couleurs hétérogènes. 

On a donc essayé cette semaine la version heroic fantasy, Hero Realms, dans la version de base compétitive. Au lieu de jouer un empire et une Flotte de vaisseaux ou de stations spatiales, on joue un personnage qui va recruter peu à peu toute une équipe et apprendre des capacités pour éliminer le personnage opposé. Les Bases de défense deviennent donc des Gardes du corps (qu'il faut assommer avant de pouvoir frapper le personnage). Les Points d'Influence galactique de votre Empire deviennent donc simplement des Points de Vie. 


Mon fils Mellon a 11 ans maintenant et me bat régulièrement dans tous les jeux de plateau et il m'a très vite écrasé, ce qui prouve que cela ne doit pas être un jeu si aléatoire que je le pensais. J'ai de nombreux biais dans la construction de mon deck dans ce type de jeu et je ne sais pas du tout anticiper les stratégies. 

Il y a un petit monde d'arrière-fond relativement peu "manichéen" comme les joueurs doivent pouvoir mettre dans leur deck des factions très différentes. L'Empire humain est allié aux Dragons (dont un Dragon bleu qui a des pouvoirs de Guérisseur) et les Elfes de la forêt peuvent aussi s'allier aux sauvages Orcs, ce qui change un peu. Le cadre du jeu s'appelle la Cité frontalière de Thandar où l'Empire draconique cohabite avec les elfes et orcs des Terres sauvages, avec les Guildes (qui sont officiellement des "commerçants" mais contrôlent aussi la Pègre) mais aussi avec des Cultes de Nécromanciens, Vampires et Démonologues. 

Il existe de nombreuses expansions. On peut décider d'une classe de personnage (Guerrier, Sorcier, Prêtre, Archer, Voleur, Ranger) et d'une espèce pour rendre les cartes de départ plus personnalisées. La version Donjon permet de collaborer ensemble contre un paquet scénario et l'aventure de la première campagne commence par une bagarre dans une auberge. Ce premier scénario s'appelle Ruin of Thandar et j'avais pris le titre à la lettre comme "une ruine à Thandar" alors que cela semble plutôt signifie La Destruction de Thandar (si on échoue, j'imagine). Le nouveau Kickstarter a ajouté de nombreuses classes de PJ (Alchimiste, Barbare, Barde, Druide, Moine, Nécromancien). 

Une rétrospective sur le premier numéro de Chroniques d'Outre-Monde

 Sur Scriipt

J'aimais bien de nombreux aspects de COM - comme l'énorme Panorama de 180 jeux de rôle dans le n°6 avec le célèbre collectionneur Patrice Mermoud (voir par exemple sa photo de ses étagères). 

Leur jeu de rôle réaliste contemporain Trauma ne m'a en revanche jamais donné envie. J'avais l'impression que par défaut on devait jouer des Bob Denard et ce n'est pas un type d'aventure qui m'intéresserait (mais Imaginos mentionnait des versions de Trauma moins réaliste). 

Mythes argiens (3) Danaos

Dans l'épisode précédent, Io avait eu Epaphos en Egypte et Epaphos avait eu avec Memphis une fille Libye qui avait eu avec Poseidon deux jumeaux, Belos et Agenor, dont les noms semblent plus phéniciens qu'égyptiens. Et Belos va s'unir avec Anchinoé, une fille du dieu du Nil pour avoir à nouveau deux jumeaux, Danaos et Egyptos. La Gémellité va devenir un thème récurrent de cette dynastie avec Danaos/Egyptos ou Proetos/Acrisios ou Melampous/Bias. 

Les Jumeaux en mythologie peuvent souvent être des figures positives de "médiation" comme les Dioscures Kastor & Polydeuces ou à Thèbes Amphion & Zethos (sans parler des mythologies non-grecques, par exemple en Amérique ou chez les Ashvinau indiens où ce rôle positif semble prédominant). Mais dans la mythologie grecque, les Jumeaux humains sont souvent le contraire de ce dépassement de l'altérité. Ce sont alors des figures de conflits dynastiques. Leur lien est alors vu comme une discorde (un peu comme chez l'ethnie Efik du sud-Nigeria où les Jumeaux étaient vus comme un mauvais présage et même tués à la naissance). Au lieu de représenter la fécondité de la 3e fonction comme dans la théorie comparative de Georges Dumézil (sur les "Jumeaux divins"), les Jumeaux humains représentent alors plutôt un danger pour la 1e fonction royale, la dissension, la guerre civile, un excès d'identité qui devient une opposition. Malgré tout le culte des Dioscures, la Gemellité n'est souvent pas une harmonie sereine, elle est plus souvent vue comme une anomalie ou une monstruosité de la nature. Poseidon (père de Belos et Agenor) est aussi lié aux Jumeaux comme il est un géniteur de Monstres en général. 

Le conflit

Danaos régnait sur la Libye et Egyptos régnait sur l'Arabie mais conquit le Nil et lui donna son nom. Ils se disputèrent alors l'héritage de leur père Belos. Danaos eut de nombreuses épouses dont Europe (peut-être sa cousine, fille d'Agénor, dont on dit qu'il aurait aussi épousé une des filles de Belos. On cite aussi une certaine "Elephantis", dont le nom évoque l'Ivoire, comme mère d'Hypermnestre. De ces diverses mères de statut parfois différent, il eut 50 filles et de même son frère ennemi Egyptos eut 50 garçons (Hécatée dit qu'ils n'étaient que 20 chacun). 

La (re)colonisation d'Argos

Egyptos proposa à Danaos de mettre fin à leur conflit par un mariage entre leurs cent enfants mais un oracle révéla à Danaos que c'était un piège. Sous les conseils d'Athéna, Danaos inventa le premier Navire (peut-être une galère à 50 rames dit Paul Mazon ?) pour s'enfuir avec ses 50 filles et après un détour par Rhodes (où Danaos créa le temple d'Athéna Lindia) ils vont vers Argos. Une légende rhodienne prétend que les trois cités principales de Rhodes furent fondées par trois des Danaïdes (et Graves affirme que ces trois Danaïdes sont en fait les Trois Moires). 

Là, Danaos et les Danaïdes en fuite demandent l'hospitalité du Roi Pelasgos, fils de Palaichton (Terre Ancienne). C'était le sujet de la pièce d'Eschyle, les Suppliantes (vers -460), où les filles se défendent elles-mêmes contre l'Hubris de leurs cousins, sans avoir besoin de leur père face au Roi autochtone. 

Or le contexte historique athénien fait une lecture très différente de la nôtre. La coutume du mariage des "épiclères" était qu'une fille qui serait l'héritière des biens de son père devait épouser son plus proche parent du côté paternel (y compris un oncle) pour que les biens restent dans la famille. Les Danaïdes disent qu'elles refusent de payer pour devenir servantes. Mais c'était là la loi domestique athénienne et le public masculin devait donc s'interroger devant cette révolte des filles. Elles ne citent pas explicitement la question d'un inceste avec cousins parallèles mais Emile Benveniste commente dans son article que la question de l'endogamie ou de l'exogamie devait être un des thèmes sous-jacents inconscients : les Egyptiades considèrent que l'endogamie entre consanguins va de soi et les Danaïdes se révoltent contre cette structure familiale en réclamant une loi d'exogamie et Pelasgos finit par leur donner raison. Le conflit garderait la mémoire d'une lutte sur des systèmes matrimoniaux. 

Un argument de ces réfugiées est alors qu'elles ne font que revenir vers le sol de leur ancêtre Io et qu'elles ont donc un droit du sang à revenir vers ce sol. Dans la version d'Apollodore (II.1.4), c'est le Roi Gelanor ("Rieur") qui les accueillit (Graves commente qu'il dut "rire" des prétentions de Danaos à le remplacer). Les Danaïdes auraient apporté avec elle d'Egypte les Mystères des Thesmophories consacrées à Déméter (où les femmes jeûnaient et jetaient des graines pour assurer la fertilité du sol). 

Gelanor aurait cédé son trône à Danaos à cause d'un présage d'un Loup qui était venu dévorer le troupeau. Danaos consacra cela en fondant un temple pour "Apollon Lycien" (le Loup). Le Loup (comme l'Ours) est plutôt associé à l'Arcadie voisine de l'Argolide qui prétendait maintenir des traditions plus archaïque que l'Argos colonisée par les Doriens (des coutumes comme les Thesmophories). 

Amymoné et Poséidon

Quand elles arrivèrent, Argos était frappé par la sécheresse. Poséidon avait asséché les eaux pour punir la région d'avoir choisi Héra comme déesse tutélaire. Danaos envoya ses 50 filles chercher des sources, et c'est une des raisons pour lesquelles elles sont représentées avec des cruches d'eau et cela va justifier aussi la forme de leur châtiment. Peut-être étaient-elles en fait des nymphes des eaux avant d'être considérées comme des mortelles ? 

L'une d'elle, nommée "Amymoné" ("Innocente"), qui chassait un cerf, fut assaillie par un Satyre et sauvée par Poseidon, qui s'unit à elle (est-elle "innocente" parce qu'elle échappa au viol du Satyre ou bien parce qu'on ne peut lui reprocher son union avec le dieu ?). Poseidon lui donna alors les sources de Lerne, juste à l'ouest d'Argos (là où l'Hydre plus tard installa son repaire - une version dit que l'Hydre avait non pas 7 mais 49 têtes) et un des cours d'eau qui coulaient là s'appelait l'Amymoné. 

Robert Graves analyse l'Hydre comme une allégorie pour les Prêtresses des Eaux. Les Danaïdes et ensuite Héraclès de Tirynthe représenteraient alors des conflits théologico-politiques sur le pouvoir de ces Prêtresses. 

Amymoné, fille de Danaos le Premier Navigateur, donna naissance à un enfant nommé Nauplios ("Le Navigateur"), fondateur du port de Nauplie. Ce Nauplios est un personnage contradictoire dans la mythologie et dans la "chronologie" car il serait donc né aux origines des premières cités grecques et pourtant le même Nauplios serait censé toujours régner à l'époque de la guerre de Troie et être le même que le père de l'habile Palamède. Apollodore dit qu'il mourut ensuite noyé après avoir naufragé tant de navires. 



Certains identifient cette Amymoné la Sans-Faute et Hypermnestre, qui, dans certaines versions, est très attachée à sa virginité, et d'autres disent bien qu'elles étaient deux Danaïdes distinctes. 

Les Noces des Danaïdes

Egyptos donne l'ordre à ses fils les Egyptiades de retrouver leurs cousines pour les tuer. Il accompagne aussi leur expédition, ou alors il les envoie seuls et survivra en revenant en Egypte. 

Ils arrivent en Argos et tentent même d'assiéger la Cité pour qu'on leur livre leurs cousines et fiancées. Le Roi Pelasgos refuse au nom de l'Hospitalité. Ce serait pendant ces combats que meurt le Roi Pelasgos, tué par les Egyptiades. 

Finalement, Danaos feignit d'accepter la réconciliation mais il demanda à ses 50 filles d'assassiner leur mari pendant les noces avec le couteau (ou une longue épingle cachée dans leurs cheveux) qu'il leur donna. 49 acceptèrent (et elles enterrèrent les 49 têtes dans les sources de Lerne) mais une seule, l'aînée, Hypermnestre, refusa de tuer son mari Lyncée. Selon Apollodore, c'était parce que Lyncée seul n'avait pas tenté d'abuser d'elle pendant cette nuit. 

Lyncée alla se cacher et Danaos organisa alors un procès contre sa fille Hypermnestre. Eschyle a écrit une pièce perdue sur ce procès et il semble qu'Aphrodite intervenait alors pour sauver la jeune épouse (qui dédiait ensuite une statue à la Déesse de l'hyménée). 

Le mythe a ici plusieurs contradictions. 

(1) Etait-ce vraiment les Egyptiades qui avaient au début voulu tuer leurs épouses ? Mais en ce cas, pourquoi s'étaient-il laissé faire ensuite pendant la nuit de noces ? Le crime des Danaïdes n'était-il qu'une sorte de légitime défense ? 

(2) Apollodore dit que Zeus demanda à Athéna et Hermès de purifier les 49 Danaïdes (dans les eaux sombres de Lerne) et cela signifiait donc qu'il pardonnait leur crime et qu'elles furent amnistiées. Pourtant toute la tradition suivante dit qu'elles furent condamnées à l'éternité au Tartare pour ce crime contre l'Hospitalité en ayant tué leurs cousins sous leur toit. Le mythe originel défendait-il les Danaïdes avant d'inverser l'interprétation ? 



(Pseudo-)Apollodore dit que Lyncée, qui aimait Hypermnestre, se réconcilia avec Danaos et les Danaïdes. Certains textes indiquent même que les Danaïdes eurent le temps d'avoir des enfants et même de se remarier après avoir organisé des "Jeux Hyménéens d'Argos" pour choisir les prétendants (comme dans l'ancienne coutume indienne du svayaṃvara où les épouses pouvaient choisir elles-mêmes grâce à une compétition).  Cf. Pindare, Pythiques IX, 112 : "Autrefois dans Argos, Danaos fixa promptement l'Hymen de ses 48 filles avant que le Soleil eut achevé la moitié de sa carrière. Il plaça ses filles à l'extrémité de la lice et voulut que parmi tous les prétendants, le vainqueur à la course méritât seul de devenir son gendre." (Pindare dit 48 parce qu'il ne compte ni Hypermnestre ni Amymoné). 

Ce genre de compétition se retrouve aussi dans la Course d'Atalante qui refuse de même le mariage tant qu'on ne la battra pas à la course (et de même Pelops doit participer à une course en char pour avoir la main d'Hippodamie). Les Danaïdes avaient donc pu préserver leur honneur tout en gardant le droit de rester fertiles. 

D'autres versions disent que Lyncée tua les 49 (ou 48 ?) Danaïdes et que c'est ainsi qu'elles partirent expier dans le Tartare en devant remplir une jarre percée. Graves pense que les représentations anciennes des Naïades avec des tamis ne furent plus comprises et que cela donna ensuite le mythe de leur châtiment infini.  

Qu'il y ait eu réconciliation ou pas, Lyncée succéda à son beau-père sur le trône d'Argos et il eut avec Hypermnestre Abas, ce qui commença la dynastie danaïde d'Argos. 

La Danais d'Elis

Dans les mythes de l'ouest du Péloponnèse, du côté de l'Elide et de Pise, on dit que Pelops s'était uni avec une nymphe des eaux nommée Danais et qu'ils eurent un enfant nommé Chrysippos (Cheval d'Or), qui d'après Pseudo-Plutarque (Parallela Minora 33) fut ensuite enlevé par Laïos et tué par Atrée et Thyeste. (Chrysippos de Tyria, époux de Chrysippé, serait aussi le nom d'un des 50 Egyptiades)

Cette Naïade dont le nom même est "La Danaïde" est encore un argument pour dire que les Danaïdes étaient des nymphes des eaux et on voit une constante dans les mythes argiens sur l'importance des sources d'eau (Inachos, Lerne...). Argos était parfois appelé "la Cité bien arrosée" parce que sa plaine était moins sèche que les collines d'autres régions. 

Spéculations

Il ne reste plus grand crédit aujourd'hui pour les théories frazeriennes de Robert Graves où Danaos et Eguptos sont un Roi Sacré régnant 49 mois (ou 50 semaines ?) et lié à une Déesse de la Lune Io/Danaé. 

Danaos est un personnage étrange du mythe grec. La version classique ne le rend pas particulièrement sympathique dans son assassinat de ses gendres (même si on atténue le crime en disant qu'il n'était que préventif et que les Egyptiades avaient la même intention) et en même temps les Hellènes de l'Iliade le considèrent comme leur fondateur en s'appelant les "Danéens" (le terme le plus courant dans le texte est "Achéens"). A l'époque homérique, les auteurs de l'épopée identifient "les Grecs" à ces régions argiennes et ont encore le souvenir des cités déclinées de Mycènes et Tirynthe. 

Il y a plusieurs coïncidence avec le mythe celtique irlandais. Dans le Livre des Conquêtes, les Tuatha dé Danann sont la Tribu de Dana. Ils viennent en Irlande en navire comme les Danaïdes. Ils affrontent leurs ennemis les Foimorés mais tentent de résoudre le conflit par un mariage (entre Elatha des Formoriens et Eri des Tuatha dé Danann et entre Cian fils de Dian Cecht et la Foimoré Ethniu fille du géant Balor). Leur héritier est Lugh, qui est donc cousin des deux branches mais la fusion des deux branches échoue : Bres, le fils du Fomorien Elatha, est un tyran qui avantage le clan de son père mais Lugh prend parti pour la famille de son père contre le clan de sa mère. Ils sont une colonisation archaïque et sont ensuite remplacés par les tribus celtiques humaines avant d'aller vivre dans l'Autre Monde sous la terre. Ce nom de Dana aussi fait une référence matrilinéaire même si Lugh résout la guerre en soutenant sa famille paternelle et en tuant son grand-père maternel. Mais cette Dana semble être une déesse de la Terre, pas un Roi mortel ou une Nymphe de l'eau. Les deux syllabes sont très fragiles pour comparer l'invasion danaïde dans le Péloponnèse et l'invasion de l'Irlande (où il n'y a aucune idée d'un retour aux sources mais bien d'invasion). 

Sans vouloir trop projeter d'anthropologie du XIXe siècle sur un prétendu droit maternel originel (théorie de Bachofen), l'interprétation contemporaine par structure familiale est assez plausible. Les Argiens se disent fils de Danaos et disent ensuite qu'il n'eut que des filles mais que les héritiers mâles descendaient ensuite de cette fille de Danaos (via son cousin parallèle Lyncée). On aurait alors dans le mythe le souvenir d'une fin de structure matrilinéaire pour passer vers la structure patrilinéaire

Il y une analogie claire entre les deux Jumeaux Danaos (père des Danaïdes) /Eguptos et la génération suivante des Jumeaux d'Argos Acrisios (père de Danaé) /Proetos, même si cela ne prouve pas la théorie de Graves que Danaé (qu'il considère comme une Déesse lunaire) est le vrai nom de la déesse qui fut ensuite dissimulée sous le nom du Roi Danaos.