mercredi 4 avril 2012

[Alphabet d'Avril] D comme DC Heroes


En 1985, je ne lisais plus de comic books du tout et m'en étais complètement lassé. Si les choses avaient continué ainsi, je vous épargnerais donc sans doute mes messages sur Green Lantern. Et c'est cet été-là, dans un centre commercial du New Jersey que j'ai vu DC Heroes RPG de Greg Gorden (Mayfair Games).

C'est peu dire que le jeu m'a impressionné puisqu'ensuite, alors que je n'avais presque jamais lu de comics de chez DC avant le jeu, je suis retombé dans les comics, dans le Multivers DC et dans le jeu de rôle de superhéros, ce qui a ensuite continué depuis 25 ans.

DCH regorgeait vraiment de matériel, avec ses trois livrets (240 pages au total), ses plans de Metropolis, de Gotham City, du système de Vega, son écran de MJ, ses pions et ses 30 feuilles de personnages en couleurs.


Greg Gorden avait participé à la création du jeu de rôle James Bond de Victory Games et il avait repris certains des concepts de ce jeu dans DCH (une Table Universelle pour trouver un score à dépasser sur 2d10, des Points d'Héroïsme) mais il mettait de nombreuses Notes de Designer expliquant ses idées pour mieux simuler non pas une réalité mais la situation dans les comics.

L'idée révolutionnaire était un système unifié pour tout représenter, aussi bien la résistance des objets, les vitesses que les masses. C'était le système "exponentiel" qu'on appelle depuis MEGS (Mayfair Exponential Game-System). Un score normal était à 2 et chaque point supplémentaire multipliait par deux. Donc un personnage avec une Force de 5 était 8 fois plus fort qu'un humain normal avec sa Force de 2, et un personnage allant à une vitesse de 10 irait 256 fois plus vite que la normale. Superman avait une Force de 50 (dans la première édition, la version post-Crisis fut considérablement réduit vers 30, je crois).

Pour ne donner qu'un exemple des simulations, Greg Gorden se demandait comment motiver les joueurs à imiter le comportement des personnages. Par exemple, le joueur prenant Batman ne devait pas prendre une Kalachnikov pour être plus efficace et son personnage de Batman devait pouvoir éviter les mitraillettes des bandits facilement. D'où les bizarreries non-réalistes du système : dès que vous êtes un superhéros un peu entraîné ou maîtrisez des arts martiaux, vos attaques feront bien plus de dégâts qu'une arme conventionnelle. C'est un exemple où les conventions du Genre dominent par rapport à toute "réalité".

Une autre idée géniale était le mécanisme des "Sous-Intrigues" (Subplots). Chaque joueur se choisissait des complications personnelles sur sa vie privée à utiliser et le MJ devait ensuite en tenir compte à chaque scénario pour faire évoluer en parallèle son propre récit principal et les sous-intrigues. Ces sous-intrigues étaient donc issues des voeux des joueurs, devenus co-rédacteurs de la campagne. Certes, l'idée se trouve de manière très vague dès la notion de "Désavantages" de Champions (on choisit son ennemi juré et la probabilité qu'il vienne dans chaque scénario) mais sans autant préciser la co-gestion. Cette idée d'une sorte de co-rédaction entre le MJ et chaque PJ était une révolution pour 1985 (même si Ars Magica, 1987, devait aller bien plus loin dans le narrativisme et le jeu "participatif"). C'est encore un argument pour dire que le JDRSH a été décisif dans le développement du JDR tout court, parce qu'aucun autre Genre ne s'était autant posé la question de la "Vie Privée" de ses personnages.

DCH a eu de nombreux suppléments assez bien faits, souvent écrits par des auteurs qui travaillaient chez DC. Celui sur la Légion des Superhéros fut écrit par le scénariste de l'époque, Paul Levitz, qui devint ensuite un des rédacteurs en chef de la compagnie. Celui sur Green Lantern est une très bonne encyclopédie sur le personnage. Celui sur Watchmen eut presque plus de succès que le jeu de base.

Il y a des aspects du système MEGS que je n'aimais pas tellement, notamment les 9 caractéristiques. DCH était parti de la distinction Physique / Mental / Magie (parce que Superman a bien besoin d'une vulnérabilité en Magie) et cela a donc donné un tableau où chacun de ces aspects était divisé en "principe actif", "potentiel" et "principe défensif" :


Autant dans le "Physique", il est facile de comprendre la différence entre Dextérité, Force et BODY ("Points de Résistance Physique"), autant cela devenait assez difficile pour les 3 caractéristiques de Magie INFLuence, AURA et SPIRIT (Points de Résistance magique), ou même pour distinguer dans les caractéristiques mentales INTelligence, WILL et MIND (Points de Résistance Mentale). La symétrie du carré 3x3 me paraît avoir été une mauvaise idée.

MEGS était aussi une meilleure idée pour un jeu sur des personnages assez puissants, jusqu'à Superman ou Doctor Manhattan. Je ne le trouvais pas si bien adapté pour les Batman ou Rorschach où tout humain normal a le même score, 2 ou 3, et pourtant DCH eut ensuite une édition spéciale Batman. De plus, il ne gérait pas du tout l'énergie ou la fatigue dans mon souvenir (en tout cas dans sa première édition). Mais Marvel Superheroes FASERIP a ce même parti-pris de ne pas vouloir gérer ce genre de détails.

Quand Mayfair perdit la licence de DC Comics, ils tentèrent de reprendre le système MEGS dans Underground (1993), jeu de superhéros très sombre et dystopique (c'était la mode du Cyberpunk) et ils revendirent ensuite le système à une autre compagnie qui retenta un jeu de superhéros "générique", Blood of Heroes. Ce dernier est un bon argument en faveur du rôle des illustrateurs : c'était tellement horrible et laid qu'on ne pouvait plus du tout apprécier le système, ce qui manifeste le caractère finalement très superficiel de nos impressions.

Autres D :
On a déjà discuté de Dallas RPG (autre jeu où les intrigues secondaires sont importantes) et DragonQuest.

2 commentaires:

Thierry C. a dit…

Oui, c'était un assez bon jeu pour son temps. Mais avec les défauts, à mon avis, de la plupart des jdr de s-h de l'époque, dont celui de vouloir malgré tout être une simulation "physique"… Même en voulant prendre en compte la réalité alternative des comics, il n'empêche que les stats brutes font que Superman peut toucher à tout coup & étaler Batman, ce qui est certes "physiquement" parlant plausible, mais ne répond pas à la question: pourquoi au juste Superman frapperait-il Batman? Et pourquoi Batman se laisserait-il surprendre dans la situation d'être potentiellement frappé par Superman?… Rien dans le "système" ne permet de gérer cela, pas plus que dans le Marvel Heroes "FASERIP" que j'ai tant pratiqué. Ce simulationisme rend inintéressante la perspective de faire jouer ensemble des héros de "force" très distinctes (Green Lantern/Arrow, pourtant!), ou même des personnages de niveau un peu "bas" (Batman vs Joker = pas grand chose à faire ici). J'ai l'impression que les jeux de s-h plus récents se sont colletés à ce problème, en mettant plus l'accent sur des aspects "narrativistes" (plus ou moins innovants).

Phersv a dit…

Oui, DCH supposait d'ailleurs qu'on allait plutôt jouer une équipe dans le genre des Teen Titans (ou des X-Men).

Si on veut jouer la Ligue de Justice avec ces écarts énormes entre Green Arrow et Superman (ou bien une équipe Marvel avec Thor ou The Sentry), il faut accepter le déséquilibre.

On pourrait utiliser un système très abstrait (un peu comme Heroquest, par exemple). Mettons qu'on dise que Batman n'a bien sûr pas la Force de Superman mais qu'il a 50 en "Stratégie" (chez Grant Morrison, c'est un thème constant qu'il est Le Super-Stratège capable de rivaliser avec le Kryptonien grâce à quelque piège de kryptonite) et qu'il a le droit de se défendre avec son score en Stratégie. Mais en un sens, cela risque aussi d'uniformiser tous les personnages.