mardi 29 avril 2025

Bons à tirer

Le nouveau jeu de rôle Babel de Julien Clément dont j'avais déjà parlé est très impressionnant par sa richesse. Julien Clément fut aussi l'auteur du si poétique Terra Incognita, l'uchronie à la Cyrano où Louis XIV conquiert les Etats du Soleil et il est devenu un des auteurs les plus clairement "littéraires" ou ambitieux dans ses concepts de tout le jeu de rôle.

Dans cet univers de Babel, les écrivains de fictions entrent en contact avec d'autres mondes qui correspondent à "leurs" livres et peuvent aussi les modifier : c'est le pouvoir de l'Autorité. Certains exemplaires matériels uniques des livres (des manuscrits, certaines épreuves ou premiers tirages, etc.) sont des Portes pour entrer dans le monde fictif ou dans la Bibliothèque de Babel (et les Chasseurs de livres servent à trouver ces ouvrages). La Bibliothèque de Babel contient tous les livres et tous les mondes mais le vrai pouvoir des Archivistes est le "classement", qui peut permettre d'altérer le rapport entre ces mondes et le monde réel : les lois du cosmos dépendent de ce classement. Des émanations de ces autres univers (les "Ex Libris") peuvent aussi parfois agir sur notre monde réel. 

On appelle "bibliophiles" les lecteurs qui sont au courant de ce secret (mais sans nécessairement pouvoir l'utiliser et sans en avoir la même interprétation), "biblionautes" ceux qui ont le pouvoir de voyager dans le monde du livre comme un Auteur, et enfin "bibliomanciens" ceux qui peuvent invoquer la magie des objets Ex Libris (la faction du "Collège" invisible est faite de Bibliomanciens). On peut jouer des biblionautes mais aussi éventuellement des "Ex Libris".

Je reviendrai, je l'espère, sur ce jeu mais je n'ai pour l'instant regardé que les règles, le livret d'introduction Initiative et le scénario donné avec l'écran (qui réutilise les personnages pré-tirés d'Initiative). Je n'accrochai pas vraiment au premier scénario d'intro car c'est une enquête qui renvoie aux références des thrillers criminels actuels comme les histoires de tueur en série (et le scénario dans le livre des règles est aussi une enquête de roman noir). Mais le scénario du livret de l'écran, qui s'amuse plus avec la littérature de fantasy m'a en revanche emballé. L'intérêt d'avoir Initiative est donc aussi pour les PJ qui peuvent être directement liés au scénario dans l'écran, L'angoisse de la page blanche. Mais si on n'a pas Initiative, il suffit de penser à créer un des PJs qui soit fan de l'œuvre de l'Auteur dans ce scénario. 

Pour les scénarios qui se fondent sur une oeuvre imaginaire créée par le scénario, il manque parfois une description suffisante de détails "qui font vrai" sur le roman. Les références à des auteurs ou des oeuvres réelles sont plutôt dans les noms de factions et pas dans les livres évoqués dans ces aventures mais j'ignore si c'est le cas dans les autres scénarios.

Liste des factions de Bibliophiles  

Le jeu propose (au moins) 18 factions, les Cercles. Je les synthétise ici parce que je m'y perdais dans la lecture, mais sans donner leur nom (sauf pour le 17e, parce que c'est trop drôle) au cas où ce serait un secret dans un scénario. 

 1. Ceux qui veulent réparer les livres.
 2. Ceux qui collectionnent les objets ex libris.
 3. Ceux qui veulent protéger le Classement.
 4. Ceux qui veulent diffuser la Bibliophilie.
 5. Ceux qui veulent dématérialiser les livres.
 6. Ceux qui veulent adorer la divinité derrière la Bibliothèque.
 7. Ceux qui veulent censurer les conséquences religieuses de la Bibliothèque.
 8. Ceux qui veulent protéger les livres matériels.
 9. Ceux qui veulent restreindre la Bibliophilie.
10. Ceux qui veulent détruire les mondes de la littérature récente & populaire. 
11. Ceux qui veulent cacher les livres précieux et leurs Portes.
12. Ceux qui veulent soigner par les livres.
13. Ceux qui veulent disperser chaque livre précieux pour les protéger.
14. Ceux qui veulent créer un Auteur artificiel.
15. Ceux qui veulent tirer une "Cabale" à partir de la Bibliothèque.
16. Ceux qui veulent diffuser l'écriture.
17. Ceux qui veulent produire plus d'ouvrages encore en puissance dans la Bibliothèque (l'OuLiPo).
18. Ceux qui veulent que les Auteurs puissent s'affranchir du Classement. 

Certains peuvent paraître un peu redondants et d'autres sont peut-être mieux adaptés comme adversaires des PJ (notamment 3, 7, 9, 10, même si j'imagine qu'on pourrait aussi compter 2 et 14). La faction 12 pourrait permettre des scénarios à La Méthode du Docteur Chestel. Les 7 (la Mise à l'Index) sont des chrétiens catholiques et les 15 des juifs mais il doit y avoir encore d'autres courants mystiques dans l'interprétation de la Bibliothèque. Je me demande si 14 et 17 ne pourraient pas collaborer.

dimanche 27 avril 2025

[Hârn] Des notes sur Melderyn

L'archipel de Hârn est censé être un cadre à basse magie mais l'île de Melderyn ("l'île des Sorciers") est un peu le "Rivendell" du jeu, une base de Merlins ou Gandalfs qui ont l'air plutôt bienveillants et qui surveillent l'ensemble de l'île. C'est prévu comme une base arrière plus "paisible" que le reste de Hârn. Même Melderyn a certes un côté sombre, dans le fait que les Paladins Laraniens du coin (Ordre de la Lance de la Navrance Brisée) sont en train de commettre des massacres contre les "barbares" solori pendant que le Roi "éclairé" de Melderyn regarde ailleurs.

Dans le supplément Melderyn, p. 11-12, avez-vous remarqué que Glisil Dulye, la cousine du Roi Chunel qui a voyagé à travers les dimensions, a couché avec une version uchronique d'un jeune (Saint) Augustin d'Hippone (354-430) d'une réplique de notre Terre ("Gustyne of Hyppa") ? Ils auraient eu deux bâtards. Il y a des indices que les gens de Melderyn voyagent beaucoup plus à travers les plans que d'autres habitants de ce monde de "basse magie" (Chunel lit Sun Tzu).

Melderyn p. 28 Ce n'est pas dit dans le supplément mais cet illusionniste Lepridis qui étudie les mégalithes de Telumar (aux sources de l'Osel, près de Chybisa, en territoire des Bujoc) cache qu'il est un frère cadet d'Obiris d'Ueld. Obiris est le Deor Ishar (le Primat hârnique) du culte de SaveKnor, dieu de la Connaissance (p. 13, p. 23). Les suppléments de Harn répètent toujours la même phrase sur Obiris "l'homme le plus intelligent de tout Hârn" et cela m'intimide : comment réussir à faire comprendre aux joueurs qu'Obiris est un tel génie et comment en faire un PNJ intéressant qui ne fasse pas que "manipuler" les PJ ? 

Lepridis d'Ueld vit à Telumar avec son apprentie (et amante), Lelea de Lorinsen (qui est la fille de l'apothicaire/alchimiste Lorin de Lorinsen, Cities of Hârn, Tashal 5 n°46). Telumar est hanté par l'esprit de la Barde Varialde, martyrisée lors de la Guerre Sacrée Balshan.

Il est dit qu'Obiris d'Ueld a souvent voyagé à travers les plans et peut communiquer avec les "Althar", les plus hauts anges de cette religion. Voir HarnMaster Religion, Save K'nor 4-5, les Neuf Althar ou Juges des Archives sont Althea le Diseur de Vérité (Porteur de la Lanterne Noire), Argenon le Poseur d'Enigmes, Bronduschitrin le Conteur, les Trois Chercheuses (Deocala, Desaria & Detasia), Thonahexus le Héraut, Yerit & Ilyasha les Acteurs (SaveKnor est aussi la divinité des ménestrels et baladins, qui entretient un ordre d'acteurs-espions).  

Le Rion Ishar (Grand Pontife de SaveKnor) est dans la cité de Berema et le temple est près de Berema dans l'Enclave d'Íshranor en Emelrene. C'est l'Enclave des Primats d'Íshranor qui dirige l'Eglise de SaveKnor et forme le conclave des électeurs.

vendredi 25 avril 2025

Défoulements politiques dans Savage Dragon

Une des particularités du comic book Savage Dragon d'Erik Larsen depuis 33 ans est de se dérouler "en temps réel" (un an dans la réalité correspond à un an dans le comic). Même si le comic consiste avant tout en des batailles kirbyennes, du soap opera dramatique, des blagues méta-référentielles sur l'histoire des comic books et un peu de défoulement pornographique (où Larsen savoure de voir qu'il n'a rien à auto-censurer et qu'il peut rivaliser avec des fantasmes de hentaï ou du Marcel Gotlib des années 1974-1980 s'il en a envie), Savage Dragon faisait aussi parfois des allusions politiques, depuis au moins sa critique de Georges W. Bush au début du siècle (le premier Dragon s'était même présenté aux élections de 2004 sur sa Terre parallèle et avait soutenu explicitement Obama en 2008).

Au numéro 227 (octobre 2017), peu de temps après la mort du premier Dragon, Donald Trump avait exilé le fils de ce dernier, Malcolm Dragon qui avait trouvé refuge avec toute sa famille nombreuse à Toronto, Canada. 

Mais Erik Larsen vit à San Francisco et depuis le numéro 266 (juillet 2023), le Dragon avait accepté une offre de l'Administration Biden après 5 ans (et 40 numéros) au Canada. Il vient donc s'installer à San Francisco, Californie, avec une offre d'un salaire du gouvernement et même une couverture santé qui pourrait rivaliser avec celle du Canada. Mais comme le logement est hors de prix dans la Baie, Malcolm et sa femme Maxine décident de vivre dans une base de superhéros du gouvernement, le Complexe, avec leurs quatre enfants (Amy, Jack, Tyrone nés en 2016 et Maddy née en 2018 au Canada). Quand on sait aujourd'hui le résultat des élections de novembre 2024, ce retour au bercail va s'avérer mal-inspiré mais j'imagine que Larsen en avait assez de faire se dérouler l'histoire dans une ville qu'il ne connaissait pas si bien.

Savage Dragon267 (jan. 2024) A peine emménagés à San Francisco, les enfants Dragon (Amy, Jack et Tyrone, qui ont donc environ 7-8 ans) affrontent la TechBrotherhood, trois nerds nommés "Start-Up", "Algorithm" & "Chad" avec leur robot, TechBroBot, qui venaient tabasser des sans-abris (la violence contre les clochards va devenir un thème récurrent pour représenter la violence sociale). Mais la technologie des TechBros s'écroule encore plus vite toute seule qu'un Cybertruck de Tesla.

Savage Dragon270-271 Pendant la course Bay to Breakers, le supervilain Alpha-Male tient un discours plus évangéliste théocratique que libertarien mais quand on lui retire son armure, il est Dusty Cooch, une parodie du présentateur escroc d'extrême droite Alex Jones, condamné pour avoir diffamé les familles des enfants assassinés de l'école de Sandy Hook. Mais une plus grande partie de l'histoire est sur Mickey Mouse en harceleur sexuel qui tente de violer Maxine. Mickey reprend la célèbre formule de Trump : "When you're a star, they let you do it" mais cela parodie peut-être plus Hollywood que le seul Trump. Tout un aspect post-moderne de Savage Dragon vient de cette utilisation de personnages tombés dans le domaine public.

Savage Dragon272 (octobre 2024) Savage Dragon doit sauver un certain héritier "Elrod Merch" kidnappé et torturé par la pègre de San Francisco (il n'est pas clair si la pègre fait juste de l'extorsion ou demande un remboursement d'une aide). 

Savage Dragon275 (janvier 2025) Malcolm Dragon frappe quelques voyous nazis mais le nouveau gouvernement Trump annonce que l'équipe de San Francisco est dissoute et qu'il perd tout soutien. Dragon part alors en mission clandestine en Russie pour sauver Theo Strange, soldat américain capturé qui s'était engagé comme volontaire en Ukraine. Son père Joseph Strange explique qu'il ne peut pas avoir l'aide de "l'Agent Orange" qui vient d'être élu Président grâce à Vladimir Poutine.



Savage Dragon276 (mars 2025) Dans l'aventure d'Amy Dragon seule, les brutes à casquettes MAGA tabassent des sans abris. J'aime bien l'idée de remplacer le contenu de leurs bulles par des descriptions génériques du contenu. Ils se font ensuite tuer par un clochard à super-pouvoirs, qui va ensuite tuer un politicien MAGA avec un slogan "America First" qui ressemble au "Elrod" du n°272 et fait un salut nazi. Je ne suis pas sûr que le sans abri de ce numéro soit le même que le schizophrène qui était agressé par les Techbros dans le n°267 (?).  Add. Larsen confirme que le politicien était bien censé être "Elrod Merch".



J'imagine que Larsen fera vite des histoires où son équipe canadienne (l'équivalent d'Alpha Flight), la North Force luttera contre Trump.

mercredi 23 avril 2025

Le premier jeu de rôle chinois


La Chine a déjà traduit quelques jeux de rôle comme Call of Cthulhu (克苏鲁的呼唤, L'Appel de Kèsūlǔ) et des jeux de rôle japonais et il existe de nombreux jeux amateurs mais 侠界之旅 (Xiájiè zhī lǚ, Voyage dans le Monde Héroïque) par 路西西, Lù Xīxī serait le premier jeu de rôle sur table  chinois officiel. Comme on pouvait s'y attendre, c'est un jeu de wǔxiá (de chevalerie et d'arts martiaux). 

CJ Leung en fait la présentation en anglais, avec interview de l'auteur, et il y a une présentation en chinois et une ouverture de boite en chinois du mois de février (il y a l'air d'y avoir énormément de jetons et goodies alors que l'auteur ne mentionne qu'une version téléchargeable pour l'instant). 

Jeu de rôle sur table se dit normalement 桌上角色扮演游戏 (zhuō shàng juésè bànyǎn yóuxì) mais d'après CJ Leung le terme le plus courant comme référence pour parler de jdr est de mettre les deux caractères d'un "groupe de jeu" 跑团 (Pǎo tuán).

dimanche 20 avril 2025

Mike Mearls sur l'Histoire de la Guerre des éditions

Mike Mearls, l'un des créateurs de D&D 5e qui travaille à présent pour Chaosium sur RuneQuest, vient sur la chaîne de Ben "Knave" Milton pour parler de l'évolution des systèmes de D&D. Mike Mearls a une distance et une ouverture particulière parmi tous les créateurs professionnels qui lui permet de mieux réfléchir sur notre hobby. Certes, il a encore une NDA et il admet devoir s'auto-censurer sur certains aspects. 

Le jeu de rôle délivré de l'Hégémonie D&D ? 

Un de ses arguments est que les ventes de D&D baissent mais pas les ventes du jeu de rôle en général (si on prend en compte les ventes en ligne) alors qu'auparavant D&D, Moteur du jeu de rôle, conditionnait tout l'écosystème et son déclin nuisait à l'ensemble. D&D reste certes loin devant son premier concurrent mais commence à se faire concurrencer par l'agrégat de tous ses concurrents et Mearls cherche à voir comment Call of Cthulhu ou d'autres peuvent mieux rivaliser avec D&D. Depuis son départ de WotC, il teste sa propre évolution personnelle de D&D, baptisée Odyssey (qui affirme viser plus de simplicité que l'édition 5.5).

Voici le résumé de l'évolution des trois dernières éditions :

(3e et 3.5) Il dit que la 3e avait été un énorme succès en 2000 mais de trop peu de durée car elle avait su susciter une curiosité mais sans retenir assez de joueurs réguliers (malgré toute la puissance d'attraction de l'OGL). De plus elle avait finir par repousser de vieux fans, ce qui avait suscité la réaction vers l'OSR de ceux qui jugeaient la 3e trop complexe et trop mathématique. Et c'est Pathfinder qui remplit désormais la niche écologique de continuation de 3.5, ce qui empêche le D&D officiel de continuer à rivaliser avec cette lignée.

(4, 2008) La 4e s'inspirait plus du succès des MMORPGs et était bien plus tactique. La discontinuité de la 4e avait été trop brutale et avait repoussé encore plus de vieux fans, sans assez conserver ceux de la 3e. Même les adversaires de la 3e ne l'accusaient pas de ne plus être du D&D alors que la 4e avait tué trop de vaches sacrées. Mearls ressentait le besoin de "revenir aux bases" sur ce qu'était une "Essence" continue de ce qui fait D&D. 

(5, 2014) La 5e de Mearls (et de toute une équipe qui venait en fait de la 4e comme Jeremy Crawford) tentait d'intégrer à la fois un héritage (simplifié) de la 3e et certains éléments de l'OSR comme le vieux BX parce que Mearls avait remarqué que les vieux PDF de BX et de la Cyclopedia BECMI continuaient à bien marcher dans les ventes. Un but de la 5e était d'être un "rameau d'olivier" qui devait apaiser enfin la Guerre des éditions, ramener en douceur les nostalgiques des éditions précédentes vers une version contemporaine (sauf pour les fans de la 4e qui, pour Mearls, devrait représenter une lignée nouvelle pour des joueurs avec des demandes assez différentes du standard de D&D). 

Comme le rappelle Ben Milton, quand la 5e est sortie, les fans de l'OSR criaient victoire en disant que leur combat avait porté ses fruits alors que depuis la débâcle sur la menace de suppression de l'OGL, les vieux grognards ont repris l'habitude d'attaquer WotC et la nouvelle 5.5 (d'où les louanges de certains pour Shadowdark comme la remplaçante de la 5e ou comme le D&D-Killer qui validerait les crédos de l'OSR).

(5.5, 2024) Selon Mearls (qui désapprouve la nouvelle direction), une erreur de la 5.5 vient du fait que les ventes ont fortement baissé depuis la période du Confinement de 2020. Les Hasbroligarques dirigeant WotC n'étaient pas eux-mêmes des rôludistes. Ils ne comprenaient pas la stratégie de réconciliation de Mearls. Ils avaient décidé que le jeu allait devenir plus digital et qu'il fallait réadapter la 5e plus dans la direction d'un jeu tactique adaptable au jeu en ligne. Cela signifiait une tendance de nouveau avec des éléments comparables à la 4e et plus de divorce ludiste entre système et contenu intra-diégétique. 

Crunch sans Fluff

Mearls parle de l'inflation du crunch mais il dit aussi qu'il y a un choix de négliger intentionnellement le Lore, le fluff ou le background parce que c'est considéré comme plus difficile à gérer pour des questions de Public Relation, de "représentation" que l'inflation de complexité des règles. 

Un exemple était la controverse sur Spelljammer. En 2022, un supplément Spelljammer évoqua l'espèce des Hadozee, des singes planeurs comme des "polatouches" (de la planète Yazir, ce sont aussi les Yaziriens de Star Frontiers) en disant qu'ils étaient des simiens transformés et asservis par un sorcier contre lequel ils s'étaient rebellés. Certains jugèrent que c'était une évocation raciste de l'esclavage et WotC prit si peur des effets d'image qu'ils durent présenter des excuses et retirer tout le background de ces Hadozees. La leçon qu'en tira WotC fut drastique : parler seulement de mécanique est moins dangereux que de risquer une campagne catastrophique où leur produit serait associée au racisme. Mearls ironise sur le fait qu'ils retirèrent même toutes les espèces humanoïdes du nouveau Monster Manual au lieu de donner une explication culturelle aux peuples les plus maléfiques.

Certes, cette 5.5 a su aussi jouer sur certains éléments nostalgiques d'une esthétique Old School dans 5.5, notamment le retour vers le monde de Greyhawk (retour déjà tenté timidement au début de la 3e mais vite abandonné en faveur des Forgotten Realms). Mais cela restera un "chrome" assez superficiel si WotC n'a aucune intention d'approfondir du fluff et a même peur des conséquences d'images dès qu'ils osent parler de contenu. Pour Mearls, l'inflation du système est donc aussi un effet de ce refoulement dans un contexte devenu plus conscient d'éventuelles associations discriminatoires. 

Donc, pour le système, la 5e tendait plus vers le pré-3e et 5.5 à nouveau plus vers certains éléments de la 4e.

samedi 19 avril 2025

Engins & Engrenages

CJ Leung, le créateur sino-australien du jeu de rôle Cloudbreaker Alliance a sur sa chaîne de réflexion sur le game design une vidéo qui pose une bonne question plus générale que spécifiquement sur D&D : comment rendre le combat intéressant ?

Il identifie deux problèmes : 

(1) plus le combat dure, plus il devient ennuyeux, mécanique, répétitif et le nombre de lancers de dés se réduit à une moyenne statistique linéaire. Or D&D crée des combats longs par l'inflation des points de vie et si on évite cela, les PJ de haut niveau perdraient l'impression d'avoir progressé et éviteraient encore plus les dangers. 

(2) les personnages ont peu d'intérêt à économiser leurs capacités spéciales (en dehors de considération de méta-jeu s'ils savent qu'il va y avoir un boss ensuite) et ils les épuisent donc au début de chaque combat, ce qui rend donc d'autant plus la fin du combat ennuyeuse. 

CJ Leung dit s'inspirer des combats dans les mangas shonen en cherchant une structure en trois actes dans son propre jeu Cloudbreaker Alliance : les attaques commencent plus faiblement en un acte I mais les règles aménagent une montée en puissance, et on a ensuite une surprise, une Péripétie, en voyant l'étendue nouvelle des attaques qui va être atteinte par les PJ et PNJ à l'acte II avant d'arriver à la résolution.

Une première solution consisterait à ouvrir plus de choix dès le début. Ces choix sont souvent entre la gestion du temps et des effets. Légendes offrait le choix entre attaque précise et attaques doubles (mais dans mon souvenir, on choisissait toujours deux attaques rapides avec plus faible score). De mémoire, Mega II (ou était-ce III ?) donnait le choix entre plus de chances de toucher et plus de chances de dégâts. RoleMaster/Merp donnait le choix entre plus de chances de toucher et plus de chances de se défendre (on pouvait répartir son bonus en offensif et défensif). 

Mais la question principale est de faire monter la tension et les "enjeux". CJ Leung mentionne 13th Age qui utilise un Escalation Die (Dé d'Escalade) où les PJ ont des bonus au fur et à mesure du combat pour que les effets deviennent progressivement de plus en plus spectaculaires (la règle ne s'applique pas aux PNJ, contrairement au système utilisé par Leung). Bien sûr, cela pourrait aussi aggraver les cercles vicieux de "spirale de la mort" (quand le combat est déséquilibré et que ce déséquilibre ne fait qu'augmenter) mais un système de seconde chance (the Bloodied Condition dans le si tactique D&D 4e) était par exemple l'idée d'un seuil où certains personnages gagnent aussi des bonus dans l'énergie du désespoir (ou au contraire d'autres bonus contre un adversaire qui a atteint ce seuil). Le but est donc de rendre le combat moins linéaire.


On pourrait s'inspirer des jeux de plateau qui s'appellent des "jeu de construction d'engin" (Engine Building). Le but est de choisir de mettre en place des moyens qui se combinent pour produire des effets optimaux par la suite. Par exemple, le PJ pourrait choisir d'attaquer tout de suite ou au contraire de feinter et de parer pour disposer une attaque plus puissante par la suite. On ferait ainsi une sorte de choix de "Stop ou Encore" où on aurait une prise de risque pour préparer une attaque plus puissante. 

Une situation que je n'aime pas en jeu de rôle est quand on voit un ennemi où on calcule mathématiquement qu'il n'y a plus aucun choix car aucune attaque, même désespérée, ne pourrait toucher. Il faudrait que les PJ aient des capacités assez variées pour qu'on se dise qu'au moins l'un d'entre eux aura un avantage contre tel adversaire et qu'ils puissent se dire qu'il faudra donc éventuellement bouger en combat pour changer d'adversaire au lieu de chaque fois dire "je tape, il tape" jusqu'à ce que je parte changer d'ennemi.  

J'avais un peu essayé de chercher cela avec mon brouillon d'ébauche de jeu Espadon & Esperluette (voir IV.2 - IV.3) où on peut choisir de dépenser des Points de Vie pour des bonus supplémentaires mais cela n'est pas du tout testé et je ne sais pas si les PJs seraient prêts à faire ces sacrifices peut-être trop importants de PV en échange de plus de dégâts ensuite. En le relisant, je me dis qu'il est évident qu'il faudrait plus d'Options de Feintes et Bottes pour les guerriers, pour la "protection de niche" des classes "martiales". 

Mais si on ne veut pas utiliser des cartes ou jetons, j'ai du mal à voir comment utiliser une Construction d'Engin. Ou alors la Botte se déclenche sur des nombres sur le dé.

Le système des Lames du Cardinal (où on peut obtenir des effets particuliers avec sa Main par des combinaisons de cartes) utilise des cartes dans son système de combat d'escrime. A la création, le PJ se choisit selon l'école d'escrime des Feintes et des Bottes qui sont des combinaisons de cartes à obtenir. On a donc des choix d'attaquer tout de suite ou d'attendre de recevoir la "combo". Dans mon seul test du jeu, je trouvais la gestion de ces Bottes trop improbable à réaliser en pratique, ce qui m'a un peu refroidi, mais nous jouions bien sûr des PJ débutants (mais assez compétents). 

Add. (20 avril) Une autre question est celle du choix d'un système qui vous pousse à éviter le combat

Plus les règles favorisent un combat "héroïque" peu risqué pour les PJ, plus le combat est irréaliste, c'est un sport et pas une guerre

Le combat vu comme guerre est un risque fatal qui peut être déséquilibré et pas "ludiste". On le voit alors plus comme un dernier recours tragique, pas simplement comme un moment d'adrénaline. Le côté "punitif" de l'OSR va plus dans cette direction finalement peu belliciste. On doit ruser pour minimiser ce risque. Il faudrait alors un système qui permette les options non-martiales comme les choix de retraite pour ne pas en rester à un système procédural où le joueur ne peut pas négocier plusieurs voies.

vendredi 18 avril 2025

Twas a quaint Old Clock with a quaint Old Face

 

Le jeu de rôle Shadowdark (2023) de Kelsey Dionne est devenu d'un seul coup l'an dernier un des plus célèbres Chouchous du mouvement dit "OSR" (Obsolescence Systématiquement Refusée, je crois ?). Comme l'autrice a permis une Licence Libre très ouverte (juste au moment où WotC menaçait de retirer la sienne), il y aurait déjà plus de 700 (!!!!!!) suppléments pour Shadowdark sur DriveThru alors que le jeu est paru il y a à peu près un quart d'heure (au point que les fans commencent à craindre un effet d'inondation). Je ne vois aucun jeu OSR (non... "Ontologie Substantiellement Rabougrie" ?) qui ait eu un tel succès et j'ai même entendu dire qu'elle pouvait désormais rivaliser avec Pathfinder

J'ai déjà eu l'occasion maintes fois de parler de ma perplexité sur les diverses chapelles dans l'OSR (peut-être Ouvroir de Structures Révolutionnaires). Pour certains, c'est avant tout un rejet de certains éléments de ce qu'est devenu D&D depuis la 3e édition (voire depuis l'héroïsme de Dragonlance en 85 ou voire, chez les plus ultras, depuis le Supplément 1 de Greyhawk). Certains s'attachent au côté "punitif" des règles (sic, il y a un côté maso où "punitif" est toujours utilisé comme un compliment pour exalter l'épreuve darwinienne des personnages à 1 point de vie qui se font déchiqueter par le moindre kobold dès le vestibule au rez-de-jardin). D'autres recherchent une atmosphère, l'ambiance plus amorale, picaresque, Vancio-Howardo-Lieberienne de l'Appendice N (les Murder Hobos) contre l'influence larvée de la High Fantasy épique tolkienienne. Sur tous ces plans, je ne me sens pas tant que cela "OSR" (ah, oui, Objet Sadique Refoulé). 

Ce que j'aime dans l'OSR (ça me revient, Oeuvre Subtilement Rigolote)  c'est le Baroque, l'aBracaBrantesquement Bizarre (sans vouloir trop insister sur la théorie des Objets kleino-bioniens, bien sûr), pas tout ce minimalisme ascétique de peine-à-jouir masculinisto-puritain. Plus des jeux gonzo-rococo qui se démarquaient comme Arduin ou City State of the Invincible Overlord que l'austère et fondamentaliste Retour à la Boite Blanche. L'OSR (pas de doute : Origines Secrètes Révélatrices) est un jeu dans le jeu, remettre du "libre jeu", recréer, reconstituer des bifurcations et ramifications nouvelles à partir de la préhistoire du jeu. Comme disait Stafford & Perrin, rouvrir la boite de Pandore et en tirer une cornucopia de tables aléatoires.

Ou pour le dire de manière bien plus simple, à la manière de Plotin/Schelling : l'Odyssée Synthétique des Retrouvailles s'identifie à l'Iliade de Procession Factuelle et Dispersée. 

Je me calme avec mes acronymes, j'ai peur de vous lasser. On parlait de quoi, déjà ? 

Ah, oui, Sombreombreténébreusecaligineuseobscuretoutenoire.

Pourtant, quand je vois Shadowdark, je le trouve certes élégant (Dionne a repris l'uniformisation d20 moderne et la CA Ascendante, il n'y a même plus de jet de sauvegarde distinct des jets de caractéristiques) mais je ne vois pas de rupture majeure par rapport à toute la galaxie de mutants de D&D. Cela me semble à la lecture très proche d'autres jeux Basic D&D (le dé de vie, notamment, est celui de BX / Labyrinth Lord / Dark Dungeons / Old School Essentials). Mais elle a réussi à trouver un sweet spot de synthèse entre les nouvelles conventions du D&D 5e actuel et la tradition des années 70 et cela doit être en partie une question de circonstance et du kaïros.

Shadowdark insiste beaucoup sur l'importance de l'équipement et donc sur la rareté des ressources dans l'expédition : les torches sont encombrantes et aucune Lignée (même les Gobelins) ne fournit un accès à une vision dans le noir. Même pas d'Infravision

On a un nombre d'articles égal à sa Force, ou au moins 10 (et il faut aussi compter sur la place des objets à rapporter). Cela se remplit très vite. Mais cela se trouvait déjà aussi par exemple dans Knave avec des emplacements (slots) égaux au score en Constitution. L'Obscurité et les divers accidents de Torches font partie des adversaires principaux. Ah, ouais, je viens de comprendre, d'où le titre du jeu en fait, l'Obscurité comme catabase mythologique dans le Monde d'En-Bas. 

Et l'Obscurité est probablement le choix esthétique qui a contribué au fait que le jeu résonne tant chez les joueurs actuels. 


Nobody has Darkvision in ShadowDÄÂAARK

Pour éviter d'avoir à compter le nombre de Tours dans le jeu avant que la Torche ne s'épuise, on compte en Temps Réel : une Torche dure une Heure de temps réel. Je ne me souviens pas d'un jeu qui avait déjà eu cette idée de simplification mais cela ne peut que réussir à installer un stress particulier (dont, personnellement, je pense me lasser assez vite, mais en one-shot, pourquoi pas ?). On pourrait même s'inspirer de Ten Candles et utiliser aussi une Bougie d'environ une heure. Azathought proposait dans son excellente review une fausse bougie électrique avec minuteur pour que ce soit plus simple à gérer.

Il y a de très nombreuses tables aléatoires, dont une table pour votre nom selon votre espèce (une table séparée pour les PJ et pour les PNJ pour éviter les confusions), des douzaines de pages de rencontres aléatoires, une grosse table de rumeurs, des tables de créations d'aventures, une table de particularités du village ou de la métropole (où la liste des noms de ville est sans doute trop courte), avec des tables distinctes pour chaque type de quartiers, des tables de trésors assez drôles dans leurs effets. 

J'aime beaucoup le retour d'une vieille idée de D&D avec un "titre" différent pour chaque Niveau mais ici, c'est un titre différent pour chaque Niveau et pour chaque Alignement.  Par exemple, un Voleur du 3e niveau s'appelle un Burglar s'il est Loyal (Burglarhobbit ?), un Outlaw s'il est Neutre et un Cutthroat s'il est Chaotique (je me demande ce que cela donnera dans la traduction VF). On tire aussi un Talent dans la classe de personnage pour singulariser le personnage, et un background. 

Il y a peu de sortilèges. On commence dès le début avec 3 sorts mais la progression est lente. Les magiciens peuvent tenter d'apprendre des sorts en plus dans un parchemin sans que cela compte dans le nombre maximal par Niveau. Turn Undead n'est pas une capacité spéciale mais un sort de prêtre. On doit faire un jet pour réussir à lancer le sort (comme dans DCC) et les tables d'échecs critiques dépendent du Cercle du sortilège avec quelques idées assez amusantes (zone de ténèbres qui éteint tout, portail interdimensionnel à refermer, pétrification d'un de ses membres).

Les règles donnent 7 Dieux un peu moorcockiens ou warhammeresques, 2 Loyaux, 2 Neutre et 3 Chaotiques (je crois que c'est le seul élément de Background en dehors des listes de noms de PJ ou de villes). Dionne précise que c'était une Ennéade mais que deux dieux ont disparu (un loyal et un neutre ?). J'ai mis un genre mais je crois comprendre que ces Divinités n'en ont pas.

  • Sainte Teragnis est Déesse des Paladins et de la Justice.
  • Madeera du Pacte est Déesse de la Loi.
  • Ord est Dieu de la Connaissance et de la Magie.
  • Gede est Déesse de la Nature sauvage et des Festins. 
  • Memnon est Dieu du Chaos primal.
  • Ramlat le Pilleur est Dieu du Conflit.
  • Shune la Vile est Déesse de la Sorcellerie Impie.

Le système d'expérience abandonne les chiffres immenses de D&D (ouf !). On a juste besoin de Niveau à atteindre x 10 (20 points pour le niveau 2) pour monter et on dépense les points à chaque fois. Chaque Trésor rapporte entre 1-3 points d'expérience (10 points si c'est le Saint Graal ou le Cube Cosmique). Un des moyens de gagner quelques Points d'expérience en plus est de dilapider une partie de son trésor dans des fêtes entre les Sessions (mécanisme de "Carousing" qu'on retrouve dans d'autres jeux OSR et qui remontaient déjà à Dave Arneson puis à Jeff Rients en 2008). 

On peut aussi recevoir un Jeton de Chance dans une aventure, qui permet de relancer son dé une seule fois. 

Shadowdark est en 300 pages (dont le bestiaire) une version agréable et pas si générique de D&D, en reprenant un peu du Knave ou du DCC. Je ne crois pas que ce soit vraiment fait pour moi qui suis trop claustrophobe et un peu impatient dans les salles de Donjons mais je peux comprendre pourquoi ce charme a réussi à percer ainsi à l'intérieur de l'écosystème si riche des douzaines de rétroclones ou quasi-clones. 

(Imaginos sait faire des titres avec jeux de mots à la Libé / Canard enchaîné, moi, ce sont soit des titres trop longs, banals complètement descriptifs soit des allusions incompréhensibles que moi-même je dois googler dix ans après parce que je ne pige plus la référence)

jeudi 17 avril 2025

Dialectique et Pluralisme

Alexandre Kojève dit dans son commentaire de Hegel qu'il est sceptique sur la possibilité que l'idée de dialectique exprime plus qu'un schème anthropologique ou psychologique de notre esprit et puisse être une sorte de fonctionnement de la réalité objective, voire de la Nature comme l'affirment les Hégéliens. 

Mais on peut être encore plus sceptique en se demandant si la dialectique hégélienne n'est pas un fonctionnement de l'esprit mais plutôt une sorte de biais ou d'illusion rétrospective tenace. L'idée que tout puisse reposer sur des contradictions est si ouverte et vague que n'importe quoi pourrait facilement y entrer rétroactivement. Rien d'étonnant à ce que l'Oiseau de Minerve réussisse après-coup à refaire une simulation vraisemblable des catégories de tout ce qui existe avec des notions contradictoires. Ex absurdo sequitur quodlibet

C'est d'ailleurs le même problème d'amphibologie avec les "négations" chez Lévi-Strauss : il réussit à convaincre que n'importe quel mythe peut produire un autre mythe par divers jeux de "négations", oppositions, renversements, mais cela illustre peut-être plus la souplesse rétroactive de ce schème qu'une capacité générative. Ce ne sont pas les contradictions qui engendrent le réel, ce sont les schèmes contradictoires qui permettent ensuite retrouver tout et son contraire, de réinsérer la facticité dans une impression de genèse rationnelle. Cela lui enlève aussi tout caractère réfutable, prédictif ou explicatif.  (Cf. ce dessin de xkcd sur l'interprétation des données sur la difficulté à reconnaître des interprétations qui émergent vraiment des données, même si dans ce cas il doit y avoir des moyens mathématiques plus précis et des normes pour éviter des lectures arbitraires ou ad hoc).

Il y a cependant un aspect assez plausible dans la dialectique qui pourrait empêcher certains de ses aspects discutables. 

La dialectique telle qu'on la conçoit chez les Hégéliens risque de conclure par une résolution finale et la négation est défendue comme un processus nécessaire vers cette résolution. Mais la dialectique n'est pas que ce "déterminisme" ou cette théorie d'un Progrès ou d'une Fin de l'Histoire. L'idée même d'une nécessité d'un maintien de la contradiction et de la conflictualité pour éviter la mort (mort du concept, dissolution de la vie de l'esprit) pourrait être utilisée non pas comme justification des moyens mais au contraire comme une norme pluraliste

La dialectique serait alors une arme contre les aspects "totalitaires" qui ont conduit à une théorie du monopartisme. C'est une partie du "moment machiavélien" : l'idée que la santé d'un Etat et d'un peuple présuppose que le conflit ne doit pas s'estomper complètement (Machiavel disait dans son commentaire de la Première décade de Tite-Live que la réussite de la République romaine des premiers siècles, au moins avant la crise finale, avait été de faire vivre sa conflictualité sociale entre la plèbe et les patriciens sans s'écrouler dans la guerre civile et le retour de la monarchie). Ce pluralisme comme théorie que la liberté a besoin de maintenir les contradictions est sans doute la partie du libéralisme politique que la dialectique pourrait comme malgré elle réclamer comme sienne.

Mais on arrive alors à nouveau à une contradiction dans ces deux interprétations de la dialectique : (1) l'idée d'une instrumentalisation totalitaire des "négations" en vue d'une fin, comme en une théodicée (la fin de la résolution finale excuse tout) et au contraire (2) l'idée d'une nécessité des négations qui interdirait qu'on puisse conclure définitivement, ce qui ressemble, de manière moins irrationnelle à la "capacité négative" au sens de Keats - mais en ce cas, la dialectique est une norme méta-philosophique qui ne pourra jamais dépasser une idée d'un progrès indéfini sans savoir absolu, et cela sonne comme le contraire de ce que voulait Hegel, pour qui le dépassement doit arriver aussi à un auto-dépassement. 

Il n'est pas surprenant que la dialectique soit elle-même ce qu'elle affirme que tout est, un pharmakon (toxine et antidote), un poison totalitaire comme "synthèse" et un remède pluraliste comme "dialectique négative".

Quelques mythes de la Côte d'Ambre

Crusaders of the Amber Coast (de Paolo Guccione, 2009) n'est hélas plus édité (et je ne pense pas qu'il y aura un jour une adaptation pour son nouveau système Revolution100). 

C'était un excellent supplément pour le système BRP (avec Stupor Mundi sur la Sicile de Frédéric II, facile à intégrer aussi avec Mythic Russia). Il permet de jouer à l'époque de la colonisation par les Chevaliers teutoniques (& Porte-Glaives Livoniens) dans les Pays Baltes et il y avait même une mini-campagne intégrée pour Croisés vers 1234-1242


Graham Turner, dans Teutonic Knights, Osprey 2007

Voici quelques mythes locaux des peuples baltes, lituaniens, lettons et estoniens, qui pourraient servir pour le jeu (et certains sont déjà cités dans la bibliographie du supplément). 

Paolo Guccione avait vécu, je crois, à Riga en Lettonie et la base fut donc notamment lettone, même si les Chevaliers Teutoniques sont plutôt en guerre contre les Anciens Prussiens. La "Côte d'Ambre" au sens strict est plutôt la Sambie ("Prusse", autour de Königsberg). La carte du supplément situe là la cité de Truso (source de cette route de l'ambre) mais Wikipedia la met plus au sud vers la Vistule (plus du côté d'Elbing/Elblag en Pogesanie).

Légendes lituaniennes 

Jūratė & Kastytis : La Déesse de la mer Jūratė vit dans son château de gintaras (l'Ambre). Un jour, elle sauve le mortel Kastytis qui se noie et tombe amoureuse de lui. Le Dieu du tonerre Perkūnas tue alors Kastytis (ou le château d'Ambre) et la Déesse pleure de l'Ambre et c'est pourquoi on trouve tant de cette résine fossile sur cette Côte. 

Eglė, la Reine des Serpents : Eglė (dont le nom signifie "épicéa" en lituanien) est une princesse qui trouve un žaltys (une couleuvre) qui n'accepte de la laisser que si elle lui donne sa main. Quand elle rejoint son nouveau mari dans son royaume sous la mer, il est Žilvinas, le beau Roi des Serpent. Ils ont plusieurs enfants mais elle demande à quitter le royaume un jour pour aller visiter sa famille avec eux. Ses douze frères la capturent alors pour obtenir le secret de Žilvinas, ils réussisent à l'invoquer et ils le tuent. Eglė est désespérée en voyant son sang se répandre dans la mer. Elle est métamorphosée en épicéa et ses enfants deviennent tous des arbres. Cf. Crusaders of the Amber Coast p. 82-83 : Žilvinas n'est pas encore mort (+ un lien avec la campagne : Vytautas a peur des zaltys et de Žilvinas p. 153). 

Lizeika, un prêtre shaman trouvé dans un nid d'aigles (le lien avec des animaux est un thème shamanique qu'on retrouve ensuite avec le Héros-Ours). Il rêvera d'un "Loup de Fer" et cela donnera l'idée de la fondation de Vilnius au siècle suivant, au XIVe. Mais dans Crusaders of the Amber Coast p. 52, Vilnius est encore Voruta, la forteresse du Roi Mindaugas. Il y a peut-être un moyen de relier ce rêve de Loup de Fer aussi avec Vytautas ? 

Légende lettone


Lāčplēsis (le Tueur d'ours)
est une épopée lettone célèbre et sert de toile de fond principale pour la campagne de Crusaders of the Amber Coast. Lāčplēsis est un Letton païen, nommé ainsi car il a sauvé à mains nues son père, un noble letton de Lielvārde près de l'Ogre, face à un Ours (et parce que sa mère était une Ourse-Garou). Il a servi le seigneur Azrauklis (château d'Ascheraden sur la rivière Daugava, Crusaders of the Amber Coast en fait un païen récemment converti au Christianisme p. 93). La sorcière diabolique Spidala tente de le noyer mais il est sauvé par la déesse Staburadze qui vit dans un palais sous la rivière Daugava, près de l'estuaire de Riga, en Vidzeme, entre le pays des Latgaliens et des Livs. Le Prêtre chrétien Kangars manipule les Baltes pour déclencher une guerre contre les Estoniens et contre leur héros Kalevipoeg (voir plus bas) mais le plan des Chrétiens échoue, Lāčplēsis s'allie au géant Kalevipoeg contre les Chevaliers Livoniens chrétiens. Lāčplēsis épouse la bonne fée Laimdota et après bien des aventures (comme de faire ressortir des profondeurs un château hanté), délivrera finalement la méchante sorcière Spidala de son pacte avec le Diable et elle épouse le meilleur ami du héros. Mais le Prêtre Kangars, qui sert l'évêque Albert, découvre le secret de Lāčplēsis : si on lui coupe ses deux oreilles d'ours, il perdra sa force prodigieuse. Un des Croisés, le Chevalier Noir (Tumšais Bruņenieks, fils d'une sorcière et invulnérable), le défie en duel, lui tranche ses oreilles et ils tombent tous les deux dans la Daugava où ils continuent encore à se battre sous les yeux de Dame Laimdota. 

Légendes estoniennes

Toell le Grand est un bon Géant qui vit sur l'île de Saaremaa (ou Ösel en suédois, la Grande Île des Oeseliens dans le golfe de Riga), avec son épouse Piret (et il est membre de toute une famille d'autres Géants). Il tiendrait un bâton de cent mètres de long. Il lutte contre Vanatühi (le Diable, qui porte un Casque fait d'Ongles qui le rend invisible). Il fut finalement décapité par les Démons et repartit avec sa tête. Tharapita est le dieu suprême des Osiliens, un mélange du dieu du tonnerre Thor et du roi finnois Ukko. 

Metsavana : le Vieil Homme de la Forêt. Chaque forêt aurait le sien (ou une Metsaema, une Vieille Dame de la Forêt). 

Kalevipoeg (le fils de Kalev) est le plus grand héros estonien et je ne peux résumer que quelques fragments de toute son épopée. Il est aussi un Géant. Sa mère s'appelle Linda (et la cité de "Reval" en Estonie Danoise, l'actuelle Tallinn, se serait d'abord appelée "Lindanisa", Poitrine de Linda, là où serait mort Kalev). Elle est enlevée par Tuuslar, un Sorcier finnois, et Kalevipoeg part en quête de la retrouver. Mais quand il retrouve le sorcier, il le tue sans avoir pu apprendre où a disparu sa mère (qui a été transformée en Montagne). Il fait ensuite forger une épée magique par le grand forgeron du Kalevala, Ilmarinen (l'épée est si indestructible qu'elle a même brisé l'enclume). Mais l'épée est maudite par son fabriquant quand Kalevipoeg s'enivre et tue involontairement le fils d'Ilmarinen. Kalevipoeg perd ensuite son épée dans le Lac Chud (Peïpous), entre Dorpat et Pskov. L'épée préfère rester dans l'eau et Kalevipoeg accepte d'y renoncer à condition que l'épée ne passe pas à quelqu'un d'autre : elle devra trancher les membres de ceux qui viendraient dans le Lac pour la rechercher. Puis Kalevipoeg descend dans les Enfers, délivre plusieurs vierges, affronte le Diable grâce à un chapeau magique qui lui permet de changer de taille. Revenu à la surface, il fait un grand périple vers le Nord sur un navire magique nommé Lennuk. Kalevipoeg et ses frères fondent diverses cités, dont Lindanisa (et c'est peut-être là qu'on peut insérer les épisodes en commun avec l'épopée lettone de Lāčplēsis). Après des batailles où ses frères se font tuer, il arrive au Lac Chud et il oublie le pacte fait avec l'épée - qui le tue (les anciens Estoniens disent que la Ceinture d'Orion est "l'Epée de Kaleva"). Les Dieux décident qu'il sera désormais le gardien des Enfers, chargé de surveiller le Cornu et ses Démons. 

Cette épée magique finit donc dans un Lac comme Excalibur mais elle est maudite comme Tyrfing. On pourrait imaginer que les personnages-joueurs entendent seulement une partie de la légende (que cette épée est la seule qui puisse vaincre les loups-garous et qu'elle est dans le Lac Peïpous ("Peipsi", plus exactement dans le ruisseau Kääpa) avant d'apprendre que l'épée les tuerait aussi s'ils la trouvaient. En revanche, je ne sais pas s'il est très crédible qu'ils puissent forcer un PNJ invincible ennemi à passer par là. Ou alors, la version qu'ils entendent est en fait une allusion confuse à l'épée bénie de Volkvin dans la campagne pour la bataille en 1241 (cf. Crusaders of the Amber Coast p. 139, p. 146). 

Couvertures des Champions et comparaison avec les Titans de Frisano

Au début de l'année 1975, Jenny Isabella (qui s'appelait encore Tony) avait repris le titre Ghost-Rider (au n°11, jusqu'au n°19 - où le moralisme devenait très chrétien) et elle venait de créer en avril 1975 un nouveau héros noir, Black Goliath, dans le titre Luke Cage, Power Man n°24. Quand les X-Men furent relancés en mai 1975 par Len Wein après 5 ans d'absence, Isabella proposa de créer une nouvelle équipe, les Champions, qui compteraient deux anciens X-Men qui n'avaient pas été retenus par Chris Claremont (Angel et Iceman), plus sa nouvelle création Black Goliath. Mais quand Marvel lui offrit un titre séparé pour Black Goliath (qui ne fut qu'une mini-série en 5 épisodes, octobre 1975- juillet 1976), Isabella le remplaça par son autre personnage, Ghost-Rider, et ajouta deux autres membres, un personnage mythologique, Hercules (qui venait d'avoir sa série dans Thor n°221-239) et la superhéroïne russe Black Widow (qui avait été la co-star dans Daredevil n°81-124). La série bimestrielle Champions n'eut que 17 numéros, de juillet 1975 à août 1977 et fut un échec, avec Isabella qui partit dès le n°8 (l'épilogue final où l'équipe se dissout fut par Bill Mantlo dans Spectacular Spider-Man n°17, janvier 1978). 

C'était, je crois, la première fois que Marvel créait une équipe basée à Los Angeles et pas sur la Côte Est (et DC ne créa ses Titans West que deux ans après, dans Teen Titans n°50, octobre 1977). 

Quelques temps après (en 1981) parut ce qui doit être l'un des plus célèbres jeux de rôle de superhéros, Champions. Le logo du jeu retrouva en partie dans la 1e édition celui de la brève équipe de Los Angeles. 



Mais je ne veux pas parler du comic des Champions de Los Angeles en tant que tel (il faut reconnaître qu'ils n'eurent aucune bonne histoire que ce soit avec Isabella ou avec Mantlo) mais des couvertures françaises réalisées par Jean Frisano (1927-1987) pour l'éditeur Lug. J'avais déjà comparé sa couverture de la mort de Gwen Stacy avec celle de Romita Sr en septembre 1978. 

Le magazine Titans avait commencé ses trois premiers numéros en essayant de se diversifier et de traduire des titres qui n'étaient pas de Marvel mais de son éphémère rival Atlas/Seaboard. Mais les éditions LUG repassèrent dès le n°4 à des traductions de Marvel quand la compagnie Atlas fit faillite. 

Le premier épisode des Champions apparaît dès ce n°4 mais la couverture du premier épisode n'apparaît qu'au n°5 (novembre 1976).  La couverture américaine du n°1 (juillet 1975) est par Gil Kane, avec un Hercule en gros plan.

La version Frisano s'inspire en fait d'une case intérieure de Don Heck, il refuse tout l'effet de perspective, redessine complètement Hercule et retire Ghost-Rider. L'éditeur Lug a tellement peur de se faire interdire qu'ils enlèvent de nombreuses images effrayantes et le Crâne en feu du Ghost-Rider va se faire souvent auto-censurer. Et bien entendu les couvertures de Frisano n'ont jamais de textes. En revanche, je ne comprends pas pourquoi Frisano fait flotter la Veuve Noire sans aucun fil de toile. 


Champions n°6 (mars 1976)  a une couverture par Jack Kirby (l'intérieur de Georges Tuska). 


Frisano devait trouver cela beaucoup trop encombré. Il est assez fidèle à l'image centrale, corrige des proportions kirbyesques, améliore le réalisme de la position de Black Widow mais enlève Angel et Iceman dans Titans n°9 (juillet 1977). 


La couverture suivante dans Titans n°11 est bien plus modifiée. L'histoire traduite est celle de Champions8 mais la couverture semble être un mélange à la fois des couvertures de Champions n°7 et n°9 (où Tony Isabella était partie du titre pour être remplacée par Bill Mantlo). 

Voici en effet les deux couvertures originales, celle avec le Griffon (Champions n°7, mai 1976) et celle avec les personnages russes Titanium Man, Crimson Dynamo et Darkstar (Champions n°9, septembre 1976 - Darkstar rejoint l'équipe à partir du numéro suivant, ce qui donne soudain deux superhéroïnes russes dans l'équipe) : 


 

Et voici le traitement par Jean Frisano dans Titans n°11 (novembre 1977) avec Crimson Dynamo, Titanium Man et le Griffon face à Angel et Hercule. On remarque qu'il a recomposé complètement l'image à partir de la dernière case de Champions n°8 (la conférence de presse où ils annoncent la création de leur équipe). Comme souvent, il met la scène juste avant la confrontation et non pas in medias res comme l'originale. Pourquoi Frisano retire-t-il les personnages féminins de Darkstar et Black Widow ?

Champions n°11 (novembre 1976), couverture par Gil Kane, scénario de Bill Mantlo, dessins intérieurs de John Byrne. Black Goliath arrive finalement dans la série dont il devait être un fondateur.

Titans n°14 (mai 1978). Frisano met la scène juste avant et l'angle est complètement inversé.

Champions n°14 (avril 1977) avec la première apparition de The Swarm, créé par Bill Mantlo & John Byrne.

Titans n°17 (novembre 1978). Frisano est forcé d'enlever le crâne du Ghost Rider et d'éloigner l'Essain des abeilles.


Champions n°16 (août 1977). Couverture par Bob Hall. C'était une des dernières tentatives du scénariste Bill Mantlo d'attirer le succès des X-Men. Ces derniers viennent d'affronter Magneto sur l'île de Muir dans X-Men n°104 et le Mauvais Mutant s'est ensuite allié avec Dr Doom contre les Vengeurs et les Champions dans Super Villain Team-Up n°14 (juillet 1977 - qui ne fut pas traduit - et Bill Mantlo avait aussi tenté un cross-over de Darkstar dans Iron Man Annual 4, mai 1977). 

 

Titans n°20 (mai 1979). Frisano retire Ghost-Rider et Black Widow et il ne garde que Hercules, Iceman et The Beast. Comme dans la composition du n°11, il met les héros de dos par rapport à nous et l'antagoniste à l'arrière-fond. Le champ magnétique en couverture est peut-être une influence de la couverture de X-Men n°104 ou de sa couverture de Strange n°43 ?



Addendum : Survol de toute la série

1-3 Angel et Iceman deviennent étudiants à UCLA. L'équipe est dirigée par Black Widow et sauve Hercule et la déesse Venus capturés par Pluton, Mars et Hippolyte (Pluton veut forcer Jupiter à accepter le mariage d'Hercule et Hippolyte et de Venus et Mars). Pluton est aidé par Cerbère et Le Chasseur, un de ses fils. Venus pardonne à Mars et quitte le monde des mortels. 

4 Lansing, un savant fou, prend le contrôle de Hercule et Black Widow. Isabella n'a pas d'idées...

5-6 Ils arrêtent Rampage (Stuart Clark, un génie rival de Tony Stark). Il tente en vain de n'être qu'un voleur non-violent mais il perd la raison. Les Champions tenteront plusieurs fois de le réhabiliter mais le scénario n'arrive pas vraiment à convaincre que c'est un personnage tragique et ambigu. Il sera l'ennemi le plus récurrent des Champions et Marvel l'a depuis recyclé en consultant pour le Punisher.

7-10 Les Soviet Super-Soldiers, Crimson Dynamo, Darkstar et Titanium Man engagent Griffin et Rampage. Ils viennent avec Bruskin, ancien formateur de Black Widow pour ramener Natacha en Russie. Ils attaquent pendant la conférence de presse d'annonce de création de l'équipe. Yuri Ivanovich Bezukhov, le porteur de l'armure de Crimson Dynamo, est le fils d'Ivan Petrovitch Bezukhov, le tuteur de Natacha. Darkstar (Laynia Petrovna) change de camp et rejoint les Champions. (Isabella avait l'intention de révéler qu'Ivan était aussi le vrai père de Natacha mais cette histoire fut annulée par son départ).

11-13 Les Champions chassent des fantômes indiens avec l'aide du Vengeur Hawkeye. Black Goliath répare leur vaisseau (le Champcraft) et ils l'aident contre Stilt-Man qui veut voler une arme. Le Stranger (qui porte une des Gemmes) vient leur demander de rapporter le Bâton runique de Kamo Tharn le Possesseur pour arrêter cette arme destructrice ultime. C'est assez confus comme quête de McGuffin...

14-15 Ils battent The Swarm, un Nazi dont le corps n'est qu'un essaim d'abeilles. 

Iron-Man Annual 4 Ils aident Iron Man à battre Modok et l'AIM.

Avengers 163 Le titan maléfique Typhon prend Beast en otage et force Iron Man à enlever Hercule, mais les Champions déjouent le plan de Typhon.  

Super-Villain Team-Up 14 Doom prend le contrôle des Vengeurs par son neuro-gaz et Magneto enlève Beast et décide d'aller chercher les Champions de LA. 

16 Doom domine désormais la capitale de Washington (avec une caricature de ce pauvre Jimmy Carter) et de Hulk, mais Magneto  se sert des Champions pour vaincre Doom, qui absorbe son propre gaz. 

17 Le Vanisher reprogramme des Sentinelles pour qu'elles le servent et reforme la Confrérie des Mauvais Mutants. Il est vaincu par Darkstar. 

Spectacular Spider-Man n°17-18 : On apprend que le groupe des Champions de Los Angeles s'est dissout d'un coup : Iceman ne restait que pour être avec Darkstar. Stuart Clark (Rampage) prend le contrôle d'Iceman et tente de l'utiliser contre Angel et Spider-Man. Rampage finit à nouveau mal (c'est la 3e fois que ses plans suicidaires l'envoient à l'hôpital en situation critique).

Hulk Annual 7 (Stern & Byrne) : Angel et Iceman s'allient au Hulk contre le Master Mold des Sentinelles (qui a les mémoires de Scott Lang).

mercredi 16 avril 2025

Suspicious attention

Smith sur les Oligarques du commerce et de l'industrie face au Public : 

Merchants and master manufacturers are, in this order, the two classes of people who commonly employ the largest capitals, and who by their wealth draw to themselves the greatest share of the public consideration. As during their whole lives they are engaged in plans and projects, they have frequently more acuteness of understanding than the greater part of country gentlemen. As their thoughts, however, are commonly exercised rather about the interest of their own particular branch of business, than about that of the society, their judgment, even when given with the greatest candor (which it has not been upon every occasion), is much more to be depended upon with regard to the former of those two objects, than with regard to the latter. Their superiority over the country gentleman is, not so much in their knowledge of the public interest, as in their having a better knowledge of their own interest than he has of his. It is by this superior knowledge of their own interest that they have frequently imposed upon his generosity, and persuaded him to give up both his own interest and that of the public, from a very simple but honest conviction, that their interest, and not his, was the interest of the public.

The interest of the dealers, however, in any particular branch of trade or manufactures, is always in some respects different from, and even opposite to, that of the public. 

To widen the market and to narrow the competition is always the interest of the dealers. To widen the market may frequently be agreeable enough to the interest of the public; but to narrow the competition must always be against it, and can serve only to enable the dealers, by raising their profits above what they naturally would be, to levy, for their own benefit, an absurd tax upon the rest of their fellow citizens. 

The proposal of any new law or regulation of commerce which comes from this order, ought always to be listened to with great precaution, and ought never to be adopted till after having been long and carefully examined, not only with the most scrupulous, but with the most suspicious attention. It comes from an order of men whose interest is never exactly the same with that of the public, who have generally an interest to deceive and even to oppress the public, and who accordingly have, upon many occasions, both deceived and oppressed it.

Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, Book I, Chapter 11: Of the Rent of Land (1776)

mardi 15 avril 2025

Griefs

 Extraits de la déclaration d'indépendance, les griefs contre le Roi.

10. He has erected a multitude of New Offices, and sent hither swarms of Officers to harrass our people, and eat out their substance.

(...)

16. For cutting off our Trade with all parts of the world:

17. For imposing Taxes on us without our Consent:

18. For depriving us in many cases, of the benefits of Trial by Jury:

19. For transporting us beyond Seas to be tried for pretended offences. 



dimanche 13 avril 2025

Juanalberto Maître de l'Univers Volume 6

Bd de Roosevelt, Editions du Canard. Voir vol. 4 (février 2023) ; vol. 5 (février 2024)

On arrive aux pages 301-360 de ce cycle de Roosevelt, les 3/4 sur ce qui devrait en faire 480 pages,

 

Les pages 301-337 sont un exercice de style de bd muette (ou d'images "avec le silence en plus", où les phylactères débordent invisibles hors des cases). Les Anges androgynes sont censés être des messagers immédiats de communication transparente de l'esprit au-delà de tout symbole (Summa Theologica, Ia Quaestio 107) et il faut à nouveau repasser par un rituel avec l'organe désirant Prygnaf pour restaurer la communication. Cette longue pause redonne une vibration nouvelle au récit comme il n'y a plus que des images à interpréter. 

Le volume 5 s'était arrêté dans ce qui semblait être un crépuscule divin, l'effondrement de l'Univers où Vi, l'amante-muse de Juanalberto, semblait détruite par le retour de l'Entropie. 

Ian l'Inhiphot (qui était aussi le chaste Tintin représentant le refoulement ou l'ascétisme dans le graphisme) sauve l'Ange Andrea grâce aux machines de Krapch (poursuivi par sa culpabilité, comme il a tué son amante). Ian s'enfuit en ayant repris le téléporteur. La scène de Révélation devient de plus en plus onirique ou fantasmatique, dans des cieux qui tiennent de Jérôme Bosch ou de Claude Ponti. Ian, complètement rené dans l'expérience par la Machine-Monstre des Inhibiteurs Photoniques (les Lumières devenues Obscurantistes), trouve l'annonce de la mort de Vi dans le corps du Monstre. Limerius sauve Louise Carole (la Nouvelle Alice) en l'extrayant du corps de Ian, et ils s'enfuient ensemble dans un Lit extrait de Little Nemo (Juanalberto ayant déjà emprunté le même univers de Winsor McKay dans sa série Little Juan in Sloganland qui a été reprise dans Halbran). 

Ian revoit alors celle qui apparaît comme la nymphe polymorphe Syprisse (mais qui est ici un avatar de l'Aînée, l'Entropie) et Ian dit être prêt à se sacrifier pour Vi (qui serait probablement aussi un avatar de la Cadette, le pendant créateur de l'Aînée). L'Entropie est aidée par les deux Spectres, Ectoplasme & Poltergeist du volume 3 : ils sont ici entièrement castrateurs, alors qu'ils semblaient bien moins négatifs auparavant.

 


Victoria dit que son identité confuse (Muse de Juanalberto qui ne se souvient de rien sinon d'avoir toujours été avec lui) se confond avec celle d'Ian, en un nouvel hermaphroditisme (après Andréa et Syprisse). Peut-être qu'on peut aussi retrouver une sorte de trinité où Ian est l'Esprit comme Intellect et Vi l'Âme de Juanalberto, ce dernier étant l'élan de créativité qui circule entre les mondes. Plusieurs passages ancrent aussi Vi avec l'autre série phare de Roosevelt, CE).

Juanalberto dit pouvoir enfin revoir son propre Créateur qui aura l'apparence d'une de ses créatures. J'aurais parié que ce serait soit Ian soit Vi mais cela aurait été trop prévisible. Le Gastéropode alchimiste-astronome Loïk Yarbave (Yaldabaoth ?) est un dessinateur dans le volume précédent et cela en fait un bon candidat pour être le Créateur. Ou alors un des Naturels, qui ont l'air d'être les plus apaisés et sereins de toutes les créatures de l'Univers de Juanalberto ? 

Halbran : 

l'art, l'amour et l'amertume

Roosevelt a aussi réédité un recueil de plusieurs séries publiées dans son fanzine, Halbran que j'aime bien comme une sorte d'arrière-monde ou de pré-histoire de Juanalberto. Un halbran (ou albran, hallebrand, alebran) signifie "jeune canard sauvage de l'année". Ce n'est pas toujours le même "Juanalberto" ou les mêmes Ian et Vi qui apparaissent dans ses autres bd mais des variations. 

 

Le défaut est que la mise en abyme de la bd paraît plus amère et ce n'est pas un hasard si Juanalberto tente plusieurs fois de se suicider. Heureusement, dans un moment touchant, le personnage de l'auteur dit aussi qu'il restera un auteur de bd mineur parce qu'il a assez d'amour dans sa vie pour ne pas être consumé que par son amour de la bd. 

L'amertume paraît une émotion triste un peu curieuse dans des comédies, même quand Roosevelt essaye d'alléger la satire par des pastiches de plusieurs auteurs (parodies de Zep, Barks, Trondheim ou de Frank Miller et même création d'un style différent quand il crée une autre personnalité, "Otto" créateur de Canar & Pinpin). Un des personnages d'auteurs dit lui-même qu'il craint de s'être trop laissé prendre à "l'esprit de sérieux". Cela donne parfois un côté un peu "sentencieux" car Roosevelt est un théoricien. 

Roosevelt s'est vu comme exclu depuis sa formation de peintre en surréaliste tardif Dalíesque. Il avait un besoin de penser son isolement dans l'art néo-figuratif mais sa solution, son bricolage philosophique a été un Platonisme d'une ars perennis alors que toute notre esthétique moderne depuis deux cents ans est passée à la valeur centrale de l'historicité. Même quand on partage son ironie contre une partie de l'art-contemporain, on peut trouver cette stratégie de rejet peu productive comme position de repli (un peu comme la croisade contre "l'A.C." de l'ex-gauchiste devenu réactionnaire souverainiste K. Mavrakis, par exemple).

Son sentiment d'exclusion en peinture s'est retrouvé aussi en bd et il semblait penser que c'était par la bd que la beauté plastique pouvait mieux se déplacer que dans l'art contemporain des galeries. Sa référence n'était plus le surréalisme de Dalí mais l'inventivité du début de la bd adulte, les années 1960-1970. Roosevelt est souvent dans une nostalgie qui veut demeurer dans un entre-deux. L'entre-deux est entre une forme lisse ou accessible et un traitement ironique et qui laisse affleurer un cauchemar. Un des éditeurs lui demande pourquoi il ne fait pas plutôt de la bd pour enfants et il l'exclut comme malgré lui. Comme toute une partie de la bd, il ne sera jamais ni pour enfants ni pour la bd adulte reconnue aujourd'hui, trop innocent et trop pervers. Il est entre les références de son enfance, des comics de Carl Barks, Jack Kirby, John Buscema, de fumetti de Pratt ou Sergio Toppi et l'érotisme de Metal Hurlant, entre la récupération d'un style mainstream et le goût avant-gardiste pour les marges. Halbran a une histoire borgésienne où un des auteurs s'approprie directement l'oeuvre de Moebius comme Pierre Ménard avec Cervantès.

 

Halbran ne peut donc pas éviter une impression de règlement de comptes dans le milieu de la bd, notamment dans la série sur le Festival d'Angoulême (Dessinator II, qui est pourtant l'un des plus drôles) avec sa rivalité contre Lewis Trondheim (ici, "Troncdarbre"). Trondheim, symbole d'un énorme succès sorti de la bd indépendante, Grand Prix à Angoulême, avait d'ailleurs accepté de faire une illustration pour Halbran (voir sur la page du fanzine). 

Roosevelt sait qu'il dessine mieux que Trondheim mais cela ne le console pas entièrement et tous les passages contre la recherche de la Gloire paraissent parfois des Raisins Trop Verts. Il reconnaît certes des qualités d'ingéniosité, de rigueur ou d'honnêteté intellectuelle à son rival, tout en affirmant en sous-entendu que c'est lui qui saurait mieux capter l'énergie "barksiste" que tout Lapinot. Malgré tous les éloges récurrents à Carl Barks, Juanalberto me fait plus penser à Howard the Duck de Steve Gerber (qu'on voit d'ailleurs passer à un moment et qui fait un clin d'oeil à Vi), avec la même ironie déçue contre le mainstream que Gerber. 

Roosevelt est un auteur indépendant qui a créé sa propre maison d'édition, les Editions du Canard, et une grande partie de Halbran évoque son ressentiment contre les éditeurs, les auteurs les plus populaires ou le milieu des fans. Les difficultés et l'audace de l'auto-édition peuvent-elles éviter ce risque de l'amertume ?

Politiquement, la bd renvoie souvent dos à dos le totalitarisme communiste et le matérialisme capitaliste comme deux formes d'ascétismes opposés mais malgré quelques plaisanteries contre le mysticisme facile à la Jodorowsky, les éloges romantiques de la valeur subversive de l'art reviennent comme malgré lui vers une nostalgie du sacré, vers le refuge de la catégorie du "Spirituel". Juanalberto Maître de l'Univers me paraît réussir à concilier ce romantisme (l'Artiste comme Dieu) de manière plus drôle, subtile et équilibrée que les premières histoires.