vendredi 18 avril 2025

Twas a quaint Old Clock with a quaint Old Face

 

Le jeu de rôle Shadowdark (2023) de Kelsey Dionne est devenu d'un seul coup l'an dernier un des plus célèbres Chouchous du mouvement dit "OSR" (Obsolescence Systématiquement Refusée, je crois ?). Comme l'autrice a permis une Licence Libre très ouverte (juste au moment où WotC menaçait de retirer la sienne), il y aurait déjà plus de 700 (!!!!!!) suppléments pour Shadowdark sur DriveThru alors que le jeu est paru il y a à peu près un quart d'heure (au point que les fans commencent à craindre un effet d'inondation). Je ne vois aucun jeu OSR (non... "Ontologie Substantiellement Rabougrie" ?) qui ait eu un tel succès et j'ai même entendu dire qu'elle pouvait désormais rivaliser avec Pathfinder

J'ai déjà eu l'occasion maintes fois de parler de ma perplexité sur les diverses chapelles dans l'OSR (peut-être Ouvroir de Structures Révolutionnaires). Pour certains, c'est avant tout un rejet de certains éléments de ce qu'est devenu D&D depuis la 3e édition (voire depuis l'héroïsme de Dragonlance en 85 ou voire, chez les plus ultras, depuis le Supplément 1 de Greyhawk). Certains s'attachent au côté "punitif" des règles (sic, il y a un côté maso où "punitif" est toujours utilisé comme un compliment pour exalter l'épreuve darwinienne des personnages à 1 point de vie qui se font déchiqueter par le moindre kobold dès le vestibule au rez-de-jardin). D'autres recherchent une atmosphère, l'ambiance plus amorale, picaresque, Vancio-Howardo-Lieberienne de l'Appendice N (les Murder Hobos) contre l'influence larvée de la High Fantasy épique tolkienienne. Sur tous ces plans, je ne me sens pas tant que cela "OSR" (ah, oui, Objet Sadique Refoulé). 

Ce que j'aime dans l'OSR (ça me revient, Oeuvre Subtilement Rigolote)  c'est le Baroque, l'aBracaBrantesquement Bizarre (sans vouloir trop insister sur la théorie des Objets kleino-bioniens, bien sûr), pas tout ce minimalisme ascétique de peine-à-jouir masculinisto-puritain. Plus des jeux gonzo-rococo qui se démarquaient comme Arduin ou City State of the Invincible Overlord que l'austère et fondamentaliste Retour à la Boite Blanche. L'OSR (pas de doute : Origines Secrètes Révélatrices) est un jeu dans le jeu, remettre du "libre jeu", recréer, reconstituer des bifurcations et ramifications nouvelles à partir de la préhistoire du jeu. Comme disait Stafford & Perrin, rouvrir la boite de Pandore et en tirer une cornucopia de tables aléatoires.

Ou pour le dire de manière bien plus simple, à la manière de Plotin/Schelling : l'Odyssée Synthétique des Retrouvailles s'identifie à l'Iliade de Procession Factuelle et Dispersée. 

Je me calme avec mes acronymes, j'ai peur de vous lasser. On parlait de quoi, déjà ? 

Ah, oui, Sombreombreténébreusecaligineuseobscuretoutenoire.

Pourtant, quand je vois Shadowdark, je le trouve certes élégant (Dionne a repris l'uniformisation d20 moderne et la CA Ascendante, il n'y a même plus de jet de sauvegarde distinct des jets de caractéristiques) mais je ne vois pas de rupture majeure par rapport à toute la galaxie de mutants de D&D. Cela me semble à la lecture très proche d'autres jeux Basic D&D (le dé de vie, notamment, est celui de BX / Labyrinth Lord / Dark Dungeons / Old School Essentials). Mais elle a réussi à trouver un sweet spot de synthèse entre les nouvelles conventions du D&D 5e actuel et la tradition des années 70 et cela doit être en partie une question de circonstance et du kaïros.

Shadowdark insiste beaucoup sur l'importance de l'équipement et donc sur la rareté des ressources dans l'expédition : les torches sont encombrantes et aucune Lignée (même les Gobelins) ne fournit un accès à une vision dans le noir. Même pas d'Infravision

On a un nombre d'articles égal à sa Force, ou au moins 10 (et il faut aussi compter sur la place des objets à rapporter). Cela se remplit très vite. Mais cela se trouvait déjà aussi par exemple dans Knave avec des emplacements (slots) égaux au score en Constitution. L'Obscurité et les divers accidents de Torches font partie des adversaires principaux. Ah, ouais, je viens de comprendre, d'où le titre du jeu en fait, l'Obscurité comme catabase mythologique dans le Monde d'En-Bas. 

Et l'Obscurité est probablement le choix esthétique qui a contribué au fait que le jeu résonne tant chez les joueurs actuels. 


Nobody has Darkvision in ShadowDÄÂAARK

Pour éviter d'avoir à compter le nombre de Tours dans le jeu avant que la Torche ne s'épuise, on compte en Temps Réel : une Torche dure une Heure de temps réel. Je ne me souviens pas d'un jeu qui avait déjà eu cette idée de simplification mais cela ne peut que réussir à installer un stress particulier (dont, personnellement, je pense me lasser assez vite, mais en one-shot, pourquoi pas ?). On pourrait même s'inspirer de Ten Candles et utiliser aussi une Bougie d'environ une heure. Azathought proposait dans son excellente review une fausse bougie électrique avec minuteur pour que ce soit plus simple à gérer.

Il y a de très nombreuses tables aléatoires, dont une table pour votre nom selon votre espèce (une table séparée pour les PJ et pour les PNJ pour éviter les confusions), des douzaines de pages de rencontres aléatoires, une grosse table de rumeurs, des tables de créations d'aventures, une table de particularités du village ou de la métropole (où la liste des noms de ville est sans doute trop courte), avec des tables distinctes pour chaque type de quartiers, des tables de trésors assez drôles dans leurs effets. 

J'aime beaucoup le retour d'une vieille idée de D&D avec un "titre" différent pour chaque Niveau mais ici, c'est un titre différent pour chaque Niveau et pour chaque Alignement.  Par exemple, un Voleur du 3e niveau s'appelle un Burglar s'il est Loyal (Burglarhobbit ?), un Outlaw s'il est Neutre et un Cutthroat s'il est Chaotique (je me demande ce que cela donnera dans la traduction VF). On tire aussi un Talent dans la classe de personnage pour singulariser le personnage, et un background. 

Il y a peu de sortilèges. On commence dès le début avec 3 sorts mais la progression est lente. Les magiciens peuvent tenter d'apprendre des sorts en plus dans un parchemin sans que cela compte dans le nombre maximal par Niveau. Turn Undead n'est pas une capacité spéciale mais un sort de prêtre. On doit faire un jet pour réussir à lancer le sort (comme dans DCC) et les tables d'échecs critiques dépendent du Cercle du sortilège avec quelques idées assez amusantes (zone de ténèbres qui éteint tout, portail interdimensionnel à refermer, pétrification d'un de ses membres).

Les règles donnent 7 Dieux un peu moorcockiens ou warhammeresques, 2 Loyaux, 2 Neutre et 3 Chaotiques (je crois que c'est le seul élément de Background en dehors des listes de noms de PJ ou de villes). Dionne précise que c'était une Ennéade mais que deux dieux ont disparu (un loyal et un neutre ?). J'ai mis un genre mais je crois comprendre que ces Divinités n'en ont pas.

  • Sainte Teragnis est Déesse des Paladins et de la Justice.
  • Madeera du Pacte est Déesse de la Loi.
  • Ord est Dieu de la Connaissance et de la Magie.
  • Gede est Déesse de la Nature sauvage et des Festins. 
  • Memnon est Dieu du Chaos primal.
  • Ramlat le Pilleur est Dieu du Conflit.
  • Shune la Vile est Déesse de la Sorcellerie Impie.

Le système d'expérience abandonne les chiffres immenses de D&D (ouf !). On a juste besoin de Niveau à atteindre x 10 (20 points pour le niveau 2) pour monter et on dépense les points à chaque fois. Chaque Trésor rapporte entre 1-3 points d'expérience (10 points si c'est le Saint Graal ou le Cube Cosmique). Un des moyens de gagner quelques Points d'expérience en plus est de dilapider une partie de son trésor dans des fêtes entre les Sessions (mécanisme de "Carousing" qu'on retrouve dans d'autres jeux OSR et qui remontaient déjà à Dave Arneson puis à Jeff Rients en 2008). 

On peut aussi recevoir un Jeton de Chance dans une aventure, qui permet de relancer son dé une seule fois. 

Shadowdark est en 300 pages (dont le bestiaire) une version agréable et pas si générique de D&D, en reprenant un peu du Knave ou du DCC. Je ne crois pas que ce soit vraiment fait pour moi qui suis trop claustrophobe et un peu impatient dans les salles de Donjons mais je peux comprendre pourquoi ce charme a réussi à percer ainsi à l'intérieur de l'écosystème si riche des douzaines de rétroclones ou quasi-clones. 

(Imaginos sait faire des titres avec jeux de mots à la Libé / Canard enchaîné, moi, ce sont soit des titres trop longs, banals complètement descriptifs soit des allusions incompréhensibles que moi-même je dois googler dix ans après parce que je ne pige plus la référence)

2 commentaires:

Alex a dit…

Chapeau pour ces acronymes, qui rendent enfin tout ce machin OSR un peu intéressant ! Rohh, ch'uis méchant.
Et heureux de lire votre commentaire sur l’importance du ton et de l’esthétique du jeu dans son succès. Rien que pour son excellent titre, on a envie de s'y intéresser, voir même d'acheter. Shadowdark, ça sonne vachement bien quand même.

Phersv a dit…

C'est un jeu accessible pour les débutants, une bonne porte d'entrée. La présentation est claire (malgré l'ObscuritéTénébreuseCaligineuse) et sobre, avec peu de pages pour créer son perso (comme il n'y a pas de compétences ou de feats, juste un Talent). Mais la finalité du game design est centrée sur l'expérience du dungeoncrawling avant tout (au point que les aventuriers s'appellent des "crawlers".