dimanche 20 avril 2025

Mike Mearls sur l'Histoire de la Guerre des éditions

Mike Mearls, l'un des créateurs de D&D 5e qui travaille à présent pour Chaosium sur RuneQuest, vient sur la chaîne de Ben "Knave" Milton pour parler de l'évolution des systèmes de D&D. Mike Mearls a une distance et une ouverture particulière parmi tous les créateurs professionnels qui lui permet de mieux réfléchir sur notre hobby. Certes, il a encore une NDA et il admet devoir s'auto-censurer sur certains aspects. 

Le jeu de rôle délivré de l'Hégémonie D&D ? 

Un de ses arguments est que les ventes de D&D baissent mais pas les ventes du jeu de rôle en général (si on prend en compte les ventes en ligne) alors qu'auparavant D&D, Moteur du jeu de rôle, conditionnait tout l'écosystème et son déclin nuisait à l'ensemble. D&D reste certes loin devant son premier concurrent mais commence à se faire concurrencer par l'agrégat de tous ses concurrents et Mearls cherche à voir comment Call of Cthulhu ou d'autres peuvent mieux rivaliser avec D&D. Depuis son départ de WotC, il teste sa propre évolution personnelle de D&D, baptisée Odyssey (qui affirme viser plus de simplicité que l'édition 5.5).

Voici le résumé de l'évolution des trois dernières éditions :

(3e et 3.5) Il dit que la 3e avait été un énorme succès en 2000 mais de trop peu de durée car elle avait su susciter une curiosité mais sans retenir assez de joueurs réguliers (malgré toute la puissance d'attraction de l'OGL). De plus elle avait finir par repousser de vieux fans, ce qui avait suscité la réaction vers l'OSR de ceux qui jugeaient la 3e trop complexe et trop mathématique. Et c'est Pathfinder qui remplit désormais la niche écologique de continuation de 3.5, ce qui empêche le D&D officiel de continuer à rivaliser avec cette lignée.

(4, 2008) La 4e s'inspirait plus du succès des MMORPGs et était bien plus tactique. La discontinuité de la 4e avait été trop brutale et avait repoussé encore plus de vieux fans, sans assez conserver ceux de la 3e. Même les adversaires de la 3e ne l'accusaient pas de ne plus être du D&D alors que la 4e avait tué trop de vaches sacrées. Mearls ressentait le besoin de "revenir aux bases" sur ce qu'était une "Essence" continue de ce qui fait D&D. 

(5, 2014) La 5e de Mearls (et de toute une équipe qui venait en fait de la 4e comme Jeremy Crawford) tentait d'intégrer à la fois un héritage (simplifié) de la 3e et certains éléments de l'OSR comme le vieux BX parce que Mearls avait remarqué que les vieux PDF de BX et de la Cyclopedia BECMI continuaient à bien marcher dans les ventes. Un but de la 5e était d'être un "rameau d'olivier" qui devait apaiser enfin la Guerre des éditions, ramener en douceur les nostalgiques des éditions précédentes vers une version contemporaine (sauf pour les fans de la 4e qui, pour Mearls, devrait représenter une lignée nouvelle pour des joueurs avec des demandes assez différentes du standard de D&D). 

Comme le rappelle Ben Milton, quand la 5e est sortie, les fans de l'OSR criaient victoire en disant que leur combat avait porté ses fruits alors que depuis la débâcle sur la menace de suppression de l'OGL, les vieux grognards ont repris l'habitude d'attaquer WotC et la nouvelle 5.5 (d'où les louanges de certains pour Shadowdark comme la remplaçante de la 5e ou comme le D&D-Killer qui validerait les crédos de l'OSR).

(5.5, 2024) Selon Mearls (qui désapprouve la nouvelle direction), une erreur de la 5.5 vient du fait que les ventes ont fortement baissé depuis la période du Confinement de 2020. Les Hasbroligarques dirigeant WotC n'étaient pas eux-mêmes des rôludistes. Ils ne comprenaient pas la stratégie de réconciliation de Mearls. Ils avaient décidé que le jeu allait devenir plus digital et qu'il fallait réadapter la 5e plus dans la direction d'un jeu tactique adaptable au jeu en ligne. Cela signifiait une tendance de nouveau avec des éléments comparables à la 4e et plus de divorce ludiste entre système et contenu intra-diégétique. 

Crunch sans Fluff

Mearls parle de l'inflation du crunch mais il dit aussi qu'il y a un choix de négliger intentionnellement le Lore, le fluff ou le background parce que c'est considéré comme plus difficile à gérer pour des questions de Public Relation, de "représentation" que l'inflation de complexité des règles. 

Un exemple était la controverse sur Spelljammer. En 2022, un supplément Spelljammer évoqua l'espèce des Hadozee, des singes planeurs comme des "polatouches" (de la planète Yazir, ce sont aussi les Yaziriens de Star Frontiers) en disant qu'ils étaient des simiens transformés et asservis par un sorcier contre lequel ils s'étaient rebellés. Certains jugèrent que c'était une évocation raciste de l'esclavage et WotC prit si peur des effets d'image qu'ils durent présenter des excuses et retirer tout le background de ces Hadozees. La leçon qu'en tira WotC fut drastique : parler seulement de mécanique est moins dangereux que de risquer une campagne catastrophique où leur produit serait associée au racisme. Mearls ironise sur le fait qu'ils retirèrent même toutes les espèces humanoïdes du nouveau Monster Manual au lieu de donner une explication culturelle aux peuples les plus maléfiques.

Certes, cette 5.5 a su aussi jouer sur certains éléments nostalgiques d'une esthétique Old School dans 5.5, notamment le retour vers le monde de Greyhawk (retour déjà tenté timidement au début de la 3e mais vite abandonné en faveur des Forgotten Realms). Mais cela restera un "chrome" assez superficiel si WotC n'a aucune intention d'approfondir du fluff et a même peur des conséquences d'images dès qu'ils osent parler de contenu. Pour Mearls, l'inflation du système est donc aussi un effet de ce refoulement dans un contexte devenu plus conscient d'éventuelles associations discriminatoires. 

Donc, pour le système, la 5e tendait plus vers le pré-3e et 5.5 à nouveau plus vers certains éléments de la 4e.

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