Je viens de recevoir le livre World Book of Khaas: Legendary Lands of Arduin, 2004, 818 pages (!). La taille massive était l'une des raisons pour essayer ce livre et il faut reconnaître que c'est un peu difficile à manier. Pour comparer, le Forgotten Realms Campaign Setting de D&D fait 320 pages, les Wilderlands of High Fantasy atteignent 450 pages (mais divisés en deux livres).
Il y a assez peu d'illustrations mais des cartes en niveaux de gris assez simples mais quand même assez nombreuses (il y a une belle carte en couleurs mais elle est vendue séparément pour 20$).
Peu après la publication de D&D et alors qu'il n'y avait encore aucune concurrence (c'est l'époque où Judges Guild obtint de faire des suppléments officiels pour D&D), David Hargrave (1946-1988), revenu du Vietnam où il avait passé 6 ans, devint un des plus célèbres animateurs de la communauté naissante du jeu de rôle. Il fut donc l'un des premiers à publier sa campagne, dans le pays d'Arduin en 1977.
Hargrave avait un style particulier. Là où Gary Gygax était un encyclopédiste de synthèse au style pompeux, Ken St-André un humoriste, Greg Stafford un érudit de la mythologie, Hargrave en rajoutait dans le n'importe quoi baroque et l'école dite "Gonzo" du jeu de rôle. D&D est un mélange de pulps et de mythes, Arduin y ajoute (un peu comme Metamorphosis Alpha / Gamma World) des comics et de la SF dans un grand mélange chaotique général, des extraterrestres, des robots, des épées laser de Star Wars, de la (Techno)magie puissante et des options bizarres (l'une des races les plus emblématique d'Arduin était les Phraints, des Mantes religieuses intelligentes).
Arduin n'était pas un vrai jeu de rôle (comme le fut à cette époque Tunnels & Trolls, par exemple, le second jeu de rôle). C'était les notes de campagne de Hargrave pour ses parties de D&D, un pastiche ou un parasite officieux de D&D, un peu comme la première édition de Greyhawk ou bien un AD&D avant AD&D, encore plus inutilement complexe et bizarre avec ses règles de réussites critiques et ses Points de Mana à la place de la Magie Vancienne.
Une des erreurs les plus drôles sur Arduin (et qui montre bien l'aspect de Cargo Cult des premiers temps du jeu de rôle) est l'anecdote sur le célèbre "% Liar". Original D&D avait eu une faute de frappe dans la liste des monstres et avait mis "% Liar" (pourcentage de menteur) au lieu de "% Lair" (pourcentage dans la tanière), et Hargrave avait donc inclus dans Arduin une règle sur le pourcentage de mythomanes parmi les monstres, transformant involontairement une erreur typographique en une règle fondamentale de son jeu... Rappelons que c'était une époque où les monstres n'avaient presque aucune caractéristiques à part leurs points de vie mais on avait ce détail sur leur propension à la véracité.
TSR attaqua aussitôt Hargrave en justice pour plagiat et Hargrave réédita ensuite Arduin avec des traces de blanc là où il citait explicitement D&D...
Une des raisons pour laquelle je serais toujours reconnaissant à Arduin est qu'avant la création de Runequest en 1978, la première version publiée de Glorantha pour le jeu de rôle par Stafford utilisa les règles d'Arduin à la place de D&D (c'est reproduit dans Wyrms Footprints).
Hargrave écrivit des douzaines de suppléments et scénarios pour Arduin pendant dix ans et il mourut de manière prématurée à 46 ans, de suites de l'Agent Orange auquel il aurait été exposé pendant ses années au Vietnam de 1964-1970.
Arduin est le nom du pays étrange, au carrefour de plusieurs dimensions où se situait la campagne de Hargrave. Khaas est le nom du monde où Arduin n'est qu'un pays parmi d'autres. Le livre a été écrit par Monty St John pour développer tout un univers autour du pays d'Arduin.
Voilà en gros la composition de cet atlas :
- Description générale de Khaas (150 pages)
Races, sciences, économies, minéraux, faune et flore - Histoire (8 pages)
- Dieux et démons (45 pages)
- Description de 73 Etats autour d'Arduin (310 pages)
- Description d'Arduin (200 pages)
On le voit, la majorité du livre est un gazeteer qui survole ces 73 pays (avec une moyenne de 4-5 pages par pays) et le pays d'Arduin lui-même, dont je présume qu'elle reprend les suppléments de Hargrave alors que les Etats doivent être surtout une création de St John. Je dois avouer que j'avais mal lu avant la commande et croyais que c'était en fait une sorte de Nachlass ou Opus Posthumum de Hargrave et pas simplement une continuation/extension par un fan, ce qui change quand même les choses.
Le grand point faible est l'Histoire. Khaas est une géographie où l'Histoire n'a pas de chronologie précise, avec simplement une succession de guerres chaotiques interdimensionnelles avant le présent. L'utilisation du Voyage dans le Temps rend ce fait essentiel et il n'y a même pas de dates en dehors de vagues "ces conflits durèrent dix mille ans".
Ces guerres ne furent pas un conflit manichéen entre Bien et Mal comme d'habitude dans les mondes de fantasy mais un conflit général pour le pouvoir entre toutes les factions qui voulaient contrôler le pays d'Arduin et ses Portes interdimensionnelles. Les Voyages temporels des différents Seigneurs du Temps (comme dans Dr Who) doit expliquer que le passé semble si compact et confus.
De ce point de vue, Khaas est bien inférieur à d'autres mondes comme les Royaumes Oubliés ou Shadow World avec leurs chronologies détaillées (même si Shadow World a de grandes ressemblances avec Arduin dans le mélange de space fantasy avec de la magie et des extraterrestres).
La mythologie est décevante, avec un mélange de religions terrestres (greco-romaines, égyptiennes, Islam...) et de quelques clichés d'heroic fantasy (on voit passer Cthulhu, Crom et Arioch). Typique de D&D des années 70.
Les trois dieux principaux de Khaas correspondent aux Trois Lunes. La Dame d'Argent (Lune Blanche) est la Créatrice, Skirin le Faucon de la Nuit (Lune Bleue) est le Préservateur de l'Air et Shagrath l'Araignée de Sang (Lune Rouge) est le Destructeur (qui a l'air d'être une version masculine de Lolth et de la Déesse Rouge de Glorantha).
Le Royaume elfe d'Arduin est au centre d'un continent grand comme l'Amérique du Nord avec près d'une centaine d'Etats. Arduin est curieusement séparé de ses voisins par des frontières naturelles et des chaînes de montagnes (et dans le cas de la frontière occidentale, un mur de feu...).
Pour donner quelques exemples de ces 73 Etats, au Nord d'Arduin se trouvent le Royaume humain de Falohyr (p. 340) et les Terres inondées de Khorsar (p. 386). A l'Est, Morvaen (p. 430) a un culte monothéiste de LUI, Dieu de l'électricité (ce qui rend l'énergie électrique omniprésente) et l'Empire de Viruelandia (p. 521) a l'air d'être l'équivalent habituel des Romains. Au Sud se trouve le Royaume nain de Myrmidios (p. 434). A l'Ouest c'est la terre inconnue d'Ozrhaen, fermée du monde extérieur par des flammes magiques (un peu comme Charg dans Glorantha).
Les Etats ne m'ont pas paru si originaux à première lecture, si ce n'est peut-être Hyrkhalla, un royaume humain à l'est de Morvaen qui a aussi une aristocratie de Lycanthropes, ce qui est une très bonne idée (qu'on a aussi de manière plus développée dans la Principauté de Morlay-Malinbois dans le monde de Mystara).
Le Royaume d'Arduin est finalement assez petit, d'environ 450km de long sur 400 km de large, ce qui lui donnerait à peu près la taille de la Tunisie. Il est multi-racial mais a une monarchie élective où les Maisons nobles elfes l'emportent. La capitale est Talismondé, au bord du grand lac appelé la "Mer Brumeuse", carrefour de plusieurs dimensions. Le pays a été déchiré pendant des milliers d'années par divers sorciers elfes et humains qui voulaient contrôler les Portes entre les mondes d'Arduin et qui ont donc apporté dans leurs guerres des monstres et des races de tous les univers concevables. Cela permet de justifier à peu près n'importe quoi, Arduin est en quelque sorte un "évier" de tout le Multivers...
Arduin est un des mondes intéressants des débuts du jeu de rôle comme les Wilderlands de Judges Guild et il a influencé de nombreux autres mondes dans sa catégorie "fourre-tout" où tout devient compatible dans D&D. Il est moins original que Tékumel ou Talislanta, nettement moins riche et cohérent que Glorantha, mais il a encore un certain charme malgré son relatif classicisme (le hobby ayant depuis donné des n'importe quoi plus délirants comme Synnibarr où on joue des cybersamourais psi-dragons contre des ours lançant des lasers).
Add. :
Quelques autres remarques en partie sur le régime politique d'Arduin.
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