vendredi 6 avril 2012

[Comics] Wonder Woman #7

Voir Wonder Woman #1-3

Cette couverture qui fleure bon une forme de propagande des années 1950 en faveur d'un Plan Quinquennal de Glorieuse Reconstruction de Notre Sidérurgie est en fait notre Amazone visitant le domaine d'Hephaïstos le Forgeron.

Cela commence mal géographiquement. Cette Forge est située sous le sol de Florence. On attendrait une zone volcanique comme Naples et son Vésuve, ou bien l'Etna en Sicile (classiquement, c'est plutôt ce dernier lieu ou bien l'île de Vulcano dans l'archipel éolien au nord de la Sicile). Certes, il y a bien la géothermie de Larderello en Toscane, mais c'est plutôt du côté de Pise.

Mais ensuite, la BD est assez saisissante. Je rappelle les épisodes précédents. Zeus a disparu en laissant de nombreux rejetons à travers le monde. Wonder Woman, dont on vient d'apprendre qu'elle était en réalité une fille de Zeus, tente, avec l'aide d'Hermès de sauver Zola, une femme enceinte contre la jalousie d'Héra, mais aussi contre les deux frères de Zeus, Poséidon et Hadès, qui ne tiennent pas à ce que Zeus puisse revenir. Et Diana doit donc aller faire sa "Catabasis", sa descente aux Enfers, pour aller délivrer Zola, captive d'Hadès.

Cet épisode est donc classiquement celui où le Héros Mythique vient chercher ses armes chez Héphaïstos avant sa quête. Et j'aime bien le fait que WW doive passer par Eros, avant d'aller retrouver son "père" (ou "beau-père" dans certaines versions). On est un peu dans une ambiance de Neil Gaiman dans Seasons of Mists.

Mais le dessinsateur Cliff Chiang s'est ici amusé dans les références graphiques. Héphaïstos est représenté ici plus comme un hommage à Benjamin Grimm, la Chose dans les Quatre Fantastiques, comme le Monstre sympathique et torturé, le φαρμακός, le "Bouc-Emissaire" exilé qui doit exciter notre Effroi et notre Compassion. Mais sans trop gâcher toute l'histoire, Héphaïstos n'est pas le seul Bouc-Emissaire exilé dans sa Forge et les autres ont un aspect d'Île Mystérieuse de Jules Verne.


Ce qui a fait le plus "scandale" (cf. par exemple Comics Journal qui ironise sur l'indignation ou GeekMom qui explique sa désapprobation) est le choix par le scénariste Brian Azzarello de révéler que les Amazones ne sont pas "immortelles" et parthénogéniques, qu'elles se reproduisent plutôt comme des mantes religieuses ou des Sirènes en attirant des marins avant de les tuer et d'abandonner leurs enfants mâles. Cela semble assez conforme à la vision sombre des Amazones chez les Grecs mais très loin de l'utopie que DC Comics entretient sur Themiscyre depuis 70 ans. Certaines lectrices ont dit être choquées car cela retirait tout attrait à la communauté d'origine de l'héroïne, qui devenaient finalement la caricatures castratrice qu'on projette sur des femmes "séparatistes".


Azzarello voulait faire de l'horreur mythologique et il y arrive assez bien, mais sans que la malheureuse Wonder Woman y gagne toujours beaucoup elle-même. Toutes ces révélations semblent toujours la laisser étonnée ou incrédule mais ne la rendent guère active (si ce n'est ici lorsqu'elle va quand même tenter maladroitement de réparer ce qu'elle perçoit comme le crime commis par ses soeurs).

Comme le font remarquer Kelly Thomson ou Tim Hanley, si les Amazones trouvent "normal" de violer, tuer les géniteurs et de vendre en esclavage leur progéniture mâle, comment se fait-il que WW ne soit pas au courant ? Pourquoi n'a-t-elle pas été endoctrinée dans le même code moral de misandrie ? Si elles se reproduisent par cycle tous les 33 ans, pourquoi WW n'a-t-elle jamais vu d'autres petites filles et pourquoi ne s'est-elle pas posée de questions sur leur origine ? Le risque est de ridiculiser la pauvre WW en une candide qui n'a rien compris sur la sexualité.

Et en un sens, cette question sur l'origine devient la vraie source de l'effroi. WW avait cru qu'elle était une Naissance Virginale ou un Golem comme Pandore et maintenant elle découvre brutalement que non seulement sa mère Hippolyte a couché avec Zeus mais que toutes les Amazones utilisent la violence comme mode de reproduction. Lévi-Strauss disait que le mythe oedipien était une contradiction face à l'origine dans l'autochtonie mais ici l'immortalité des Amazones servait à cacher une forme de sexualité particulièrement négative. On peut difficilement imaginer refoulement plus violent (sans parler des épisodes qui ne sont plus "canoniques" de l'époque de George Perez ou de John Byrne, où Zeus avait essayé de coucher avec WW).

La scène de la fin fait certes allusion à la mythologie puisque Hephaïstos avait été jeté de l'Olympe par Héra à sa naissance mais je crois y voir à nouveau un jeu sur les Quatre Fantastiques : la Chose devient l'Homme-Taupe, banni du monde de la surface mais accepté et aimé par ses Moloids.

J'ai malgré tout bon espoir qu'Azzarello va éviter des clichés sur Hadès et ne pas trop projeter une vision chrétienne pour en faire un Satan dans la Descente aux Enfers qui va commencer bientôt. Cette histoire ne réussit pas vraiment à améliorer WW elle-même mais en dehors de cela, c'est une bonne histoire (qui sera de toute manière à son tour annulée dès qu'il y aura un nouveau scénariste...).

3 commentaires:

Tororo a dit…

La notion de "canonicité" dans les comics m'intrigue de plus en plus, à mesure que je réalise (lentement: ça me paraît tellement étrange et plein de contradictions) l'importance que lui donnent, sans doute pas pour les mêmes raisons, aussi bien les éditeurs qu'une grande partie des lecteurs...
En tous cas j'ai été ravi d'apprendre qu'Eros est le neveu de WW. "Bonjour Tata Wonder! Qu'est-ce que tu m'as apporté?"

Alias a dit…

Pas sûr que tous les lecteurs de comics lui accordent la même valeur. Je me demande si ce n'est en fait pas un truc de rôliste et/ou de fan hardcore.

Note que, dans une certaine mesure, c'est une notion qui transparaît aussi dans certaines bandes dessinées européennes, notamment celles qui durent depuis le plus longtemps (je pense ici à Spirou, mais aussi Blake & Mortimer.

Phersv a dit…

Le Principe de Continuité s'est vraiment rigidifié dans les années 60. Marvel Comics a une continuité assez cohérente depuis 50 ans (malgré tous les futurs alternatifs et les mondes parallèles). Bon, parfois, on a quand même l'impression que les titres X-Men sont un peu dans un monde à part.

Pour DC Comics en revanche, cela varie selon les époques. Les années 1960 étaient encore assez tolérantes à l'égard des contradictions (c'étaient les "histoires imaginaires" et certaines histoires étaient rétroactivement annulées) et ensuite il y a eu des tentatives (infructueuses) pour ranger et ordonner leur Multivers (les dernières Crises), qui parfois ont aggravé les contradictions et paradoxes.

Même sans être un fan trop "anal-rétentif", cela peut poser des petites difficultés dans la lecture. On ne sait parfois plus très bien quelles histoires ont eu un rapport avec quelles autres : tel personnage A qui dit rencontrer B pour la première fois a pu déjà avoir des aventures avec elle de multiples fois.

Par exemple, je n'ai aucune idée si le Superman actuel connaît même l'existence de la Légion des superhéros alors que dans les histoires précédentes il avait pu en être un membre (voire l'inspirateur). Cet état de flux continuel chez DC tend à rendre chaque titre de plus en plus autonome, malgré les cross-overs à répétition.