jeudi 19 octobre 2023

Les étymologismes de l'entendement

Le Café pédagogique (site parfois gnangnan de pédagogisme mais assez utile quand même !) a titré aujourd'hui sur Twitter avec ces trois verbes allemands qui devaient, j'imagine servir d'apophtegme pour nous remonter le moral dans cette période : 

Stehen (se tenir debout)

Widerstehen (résister)

Verstehen (comprendre)

La gradation des trois "se tenir debout / se tenir contre / se tenir face" ne marche pas bien  en français. De même en anglais : Standing / Resist / Understanding - ils n'ont pas de terme comme "counter-standing" mais standing a déjà un peu la même idée de résistance (stand up for your rights). Si on veut utiliser "stare" ou "sistere", il faudrait alors adapter en "Existe, Résiste" mais je ne vois rien en français qui puisse vouloir dire "comprendre" avec un dérivé de stare ? Tous les verbes du genre "Persiste, Subsiste, Insiste" ne marchent pas. Constater ? Contraster ? Mais avec ce dernier Contraster, on commence presque à avoir l'idée inverse de l'harmonie voulue dans le texte d'origine. 

Cela ne peut que rappeler les étymologismes un peu pénibles parfois en philosophie continentale post-heideggerienne quand on cherche comment "pense" le langage avant nous. 

"Comprendre" en français vient d'une métaphore de verbe de sensation : saisir entièrement, appréhender, embrasser (donc métaphore du toucher). "Entendre" vient d'une verbe in-tendere, tendre vers un but (qui sera ensuite assimilé avec intellegere dans le verbe entendre, et intellectus en entendement, avant qu'entendre ne soit plus réduit qu'au sens acoustique et ne finisse par remplacer "ouïr", audire). 

Verstehen en haut-allemand aurait eu un sens assez "violent" si on veut avec ce préfixe "ver", comme firstan signifierait plutôt originellement "dominer, régner, avoir pouvoir sur". Comprendre X, c'était donc exprimer sa volonté de puissance sur X. Nietzsche devait en être très content. 

Si "under" avait eu son sens habituel de "sous" dans Understanding, cela aurait beaucoup plus aux déconstructionnistes de l'anti-métaphysique : John Locke est célèbre pour avoir critiqué radicalement tout concept métaphysique de "Substance" comme suspect et obscur, et si "under" avait voulu dire "sub", alors "under-standing" aurait été un équivalent de sub-stare, et donc de substantia, donc le livre Essay on Human Understanding aurait eu une sorte de dénonciation étymologique de sa propre ironie contre la métaphore de la substance : l'Under-standing en guerre contre la Sub-stantia.  

Mais un dictionnaire me dit qu'en fait "under" aurait plutôt eu à l'origine un sens proche de "parmi", comme le latin "inter" et que Understanding signifierait donc plutôt "se tenir parmi, au milieu". Comprendre serait être directement "parmi" ce qu'on saisit alors qu'en allemand ce serait plutôt être face à l'objet et contrôler l'objet. 

6 commentaires:

Matthias Wiesmann a dit…

Pour moi, le préfixe «ver» veut surtout dire définitivement / complètement, «passen» veut dire «aller/convenir», «verpassen» veut dire rater, comme on rate un train ou un évènement, la violence est toute relative. Le mot «tragen» veut dire porter, «vertragen» c'est supporter, mais aussi bien se comprendre, Un «Vertrag» est un contrat. Le terme «sorgen» c'est se soucier, «versorgen» c'est approvisionner, «binder» c'est lier, «verbinden» c'est connecter.

Il y a une certaine cohérence, et c'est pratique pour créer de nouveaux termes sur le moment, mais je pense que c'est un peu flou pour philosopher dessus…

Phersv a dit…

Je ne connais rien à la morphologie historique mais cette fonction du préfixe ver actuel comme une forme intensive est compatible avec l'idée que firstan en vieil-allemand devait être se tenir dans une position supérieure (donc jusqu'au bout, complètement), d'où régner, dominer.

rogre a dit…

Quand on considère "under", le renvoi à "inter" signale un "entre-soi" - on entrevoit presque une maisonnée, légèrement creuse, où tous les membres du clan se trouvent "entre eux". Un tunnel, un trou, un "dessous" rassurant pour la maisonnée.
Ce qui explique, il me semble, le fait qu'"under" renvoie à ce qui n'a pas besoin d'être dit, parce que c'est implicite, compris de ceux qui comprennent, les plus proches… Comme dans "undertatement" par exemple: le "sous-entendre" (plutôt "sous-énoncer") fait que c'est compris de certains, les initiés, pas des autres. Et "understanding" revoie, je crois, à une compréhension interne de soi à soi (on n'a pas besoin de le dévoiler, c'est un travail intérieur, un "inter" intime et mental).

Note: J'adore les étymologies imaginaires! :)

Phersv a dit…

Oui, il doit y avoir inconsciemment (ou sub-consciemment) cette association dans l'esprit des anglophones contemporains de quelque chose d'intime. L'image faisait très Hobbit !

Dans les étymologies imaginaires, il y a le psychotique Jean-Pierre Brisset (1837-1919) qui prétendait dériver des généalogies plus étranges encore que du Cratyle (comme "dedans" vient du rapport des "dents" à l'oralité).

Alea iactanda est a dit…

En anglais on peut dire « stand against » pour « widerstehen », mais « resist » est plus usuel.

Phersv a dit…

Merci.

Et cela n'a rien à voir mais félicitations pour votre blog. Belle conciliation du jeu de rôle solo et de la rédaction d'histoire, avec ces créations d'illustrations inspirantes.