Une raison pour laquelle je censure mes critiques de comics est qu'un jugement n'est pas très intéressant si vous vous rendez compte des limites de vos critères, de votre faiblesse connaissance de certains genres ou de votre manque d'ouverture d'esprit. Il est très plaisant dans la lecture de changer d'avis sur un genre mais c'est une expérience rare. Je reste borné dans mes goûts et je ne suis donc pas compétent pour toutes les bandes dessinées fondées sur l'horreur ou la violence qui suscitent des émotions auxquelles je suis peu sensible.
Pourtant, j'aurais voulu aimer Manhattan Projects écrit par le grand scénariste Jonathan Hickman et dessiné par Nick Pitarra (dans un style qui évoque souvent Frank Quitely).
C'est une uchronie satirique parfois très ingénieuse comme on peut s'y attendre d'un auteur aussi malin que Hickman. Mais toute cette ironie me semble ternie par ces dégoulinements de tripes, cette atmosphère cynique et ces massacres de psychotiques. Je veux bien croire que c'est de l'infantilisme manichéen de ma part mais ce genre de défoulement sadique m'ennuie trop pour que je puisse apprécier.
Hickman a l'air amusé à l'idée de ne pas idéaliser des nouveaux héros modernes que sont Einstein et Feynman et je m'étonne à quel point ce genre de provocations ou profanations me gêne un peu. Pourquoi écrire une histoire sur Einstein si c'est pour en faire un alcoolique cynique meurtrier qui aurait pu s'appeler n'importe quoi d'autre ? Qu'arrive-t-il à la fiction si elle craint d'être kitsch ou naïve dès qu'il n'y aurait pas ce trouble où tout le monde devient amoral ?
L'histoire parallèle du Projet Manhattan à Los Alamos a les déviations suivantes dans les savants : Enrico Fermi est en fait un espion extraterrestre (ce qui est une jolie inversion du Paradoxe de Fermi !), Robert Oppenheimer a été remplacé par son jumeau maléfique, un psychopathe cannibale qui avale les personnalités de ceux qu'il dévore (ce qui me paraît complètement gratuit), Albert Einstein a réussi à ouvrir un portail dimensionnel et a été remplacé par un double amoral, Albrecht Einstein (le thème du double commence à se répéter, c'est même là que cela a "sauté par-dessus le requin" pour moi), Harry Daghlian (un des rares personnages un peu sympathiques) a été transformé en un zombie radioactif (qui semble clairement être un clin d'oeil à Dr Manhattan dans Watchmen), le jeune Richard Feynman est hypernarcissique mais a un peu plus de scrupules moraux que les autres et enfin, comme on pouvait s'y attendre, Werner von Braun est un cyborg absolument pas repenti de son nazisme (mais avouons que dans une fiction où Einstein est antipathique, on n'escomptait pas que von Braun ait de la complexité).
Les hommes politiques sont bien sûr encore plus caricaturaux. Tous les Présidents sont tarés à divers degrés : FDR a été transformé en une IA à sa mort en 1944 et c'est lui qui fait Hiroshima contre la volonté de son successeur, Truman est un sectateur obsédé sexuel, tout comme JFK (j'ai dû rater des épisodes, je ne me souviens pas si on voit Eisenhower), Lyndon B. Johnson est un cowboy meurtrier... Très vite, l'uchronie dévie vers la place que la Terre peut prendre dans le grand jeu martial entre les puissances intergalactiques (ce qui veut dire uniquement des pages et pages de génocides divers de formes innombrables). La Guerre froide terrienne devient vite un détail par rapport à toutes les théories du complot où les Savants et les ETs sont les seuls moteurs de l'histoire. N'aurait-il pas été plus intéressant que Fermi (l'espion polymorphe à la Skrull) soit plus ambigu et sympathique ? Pourquoi une histoire ne doit-elle avoir que des degrés de salauds ? On s'y attend chez Mark Millar ou chez Garth Ennis mais je croyais Jonathan Hickman plus nuancé, plus subtil et plus "empathique".
A la fin de la série, une courte mini-série, The Sun Beyond the Stars, a presque failli susciter de l'intérêt avec les aventures spatiales de Yuri Gagarin et de la chienne Laika (qui n'est pas morte et a été mutée en une humanoïde canine intelligente). Il y avait quelque chose qui aurait pu devenir plus optimiste et drôle mais bien entendu cela ne dure pas longtemps comme la tonalité générale de la série ne permettrait pas que Gagarine et Laïka deviennent simplement Valérian & Laureline, ou Caleb & Mezoké... Et le chien russe Cosmo dans les Guardians of the Galaxy occupe peut-être déjà trop directement la place que pourrait prendre Laïka dans un comic book mainstream.
Une fiction doit aussi nous apprendre ce qu'on ignorait qu'on aimerait lire. De ce point de vue, c'est une trouvaille. Je ne savais pas à quel point j'aurais aimé lire plus d'aventures de Gagarine et Laika, mais dans un cadre différent qui aurait pu être une parodie de la propagande soviétique sans ce nihilisme.
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