mardi 12 janvier 2016

L'Empereur François (Uchronie, suite)


Donc admettons notre bifurcation de départ en ne prétendant même plus à la vraisemblance historique : François de Valois, jeune roi de France depuis seulement 4 ans, a réussi à la surprise générale à se faire élire Empereur par au moins 4 des 7 Grands électeurs à la Diète de Francfort (par exemple les trois archevêques, ou bien tous sauf celui de Cologne, et au moins l'électeur de Brandebourg voire celui du Palatinat ou de Saxe).

Il faudrait alors savoir quels engagements François peut avoir envers les Electeurs, pour connaître ses dettes.

Le problème est qu'il faut alors imaginer que le Pape Léon X (Giovanni de Medici, 44 ans) a assez soutenu sa candidature (alors que la Florence des Médicis avait été alliée aux Espagnols contre les Français peu de temps avant) sans effrayer les tendances luthériennes naissantes de l'Electeur de Saxe (mais Charles d'Espagne ne devait pas plus rassurer le camp de Luther).

François devient donc le 20e Empereur depuis Otton Ier 550 ans avant mais le premier à ne pas venir d'un Etat allemand, unissant l'Empire des Francs et des Germains. On imagine mal François réussir à vite saisir la complexité de l'Empire et les Electeurs doivent vouloir en profiter. Mais dans notre réalité, on raconte que Charles V (élevé en Flandres et dont la langue natale était le français) ne parlait pas beaucoup d'allemand avant son élection non plus. 

Est-ce que cela changerait grand chose ? 

Même si François ne se fait jamais révoquer en une Guerre civile, j'imagine que son élection aurait été une anomalie et que le trône serait revenu aux Habsburg après sa mort. Dans la réalité, il meurt 28 ans après, en 1547 à 58 ans et Charles d'Espagne onze ans après. Dans cette uchronie, Charles doit donc sans doute espérer récupérer le poste (même si dans la réalité, il commence le processus d'abdication qui va donner le trône à son frère Ferdinand d'Autriche à partir de 1555).

François aurait de toute façon maintenu séparés le Royaume et l'Empire (de même que l'Espagne et l'Empire vont se séparer à nouveau). Le Dauphin hérite du Royaume mais n'aurait sans doute pas réussi à se faire réélire pour l'Empire avec toutes les nouvelles difficultés et notamment la Crise luthérienne qui s'accroît pendant toute cette période. 

La question religieuse

C'est le problème central et on ne voit pas vraiment pourquoi François aurait été meilleur que Charles sur ce point, sauf si François est plus dépendant de l'Electeur de Saxe et plus conciliant avec la Réforme naissante.

L'été 1516, François avait signé le Concordat de Bologne avec le Pape Léon X. Le Parlement de Paris s'y était opposé, en jugeant que cela centralisait trop la nomination des prêtres dans les mains du Roi et de Rome. François avait contraint alors les Parlementaires à l'enregistrer en 1518.

Le Pape Léon X, qui a dû être influent dans son élection, vient  le 3 janvier 1521 d'excommunier officiellement Martin Luther (qui avait affiché les 95 thèses contre les Indulgences en 1517). Peu de temps après, la même année 1521, la faculté de théologie de Paris condamne aussi Luther et a failli faire arrêter Jacques Lefèvre d'Etaples (que François va protéger et qui est soutenu activement par sa soeur Marguerite d'Alençon, future Marguerite de Navarre). On dit certes souvent que François est relativement indulgent envers les Réformés jusqu'à l'Affaire des Placards de 1534.

Dans la réalité, la Diète (Reichstag) de Worms de 1521 conduit au début des Guerres de Religion. C'est là que Luther aurait prononcé son célèbre : "Hier stehe ich. Gott helfe mir. Ich kann nicht anders“ (qui donne aussi son nom au joli jeu de plateau sur la Réforme Here I Stand).

L'Empereur François aurait-il vraiment pu négocier de manière très différente avec l'ex-moine augustin de Saxe ?

Les alliances diplomatiques

Dans notre réalité, François Ier échoua complètement à faire venir Henry VIII vers lui contre Charles. Dans ce contexte où François serait à la fois Roi de France et Empereur, ce ne peut qu'être pire pour les Anglais et l'alliance de Henry VIII (qui a épousé une tante de Charles Catherine d'Aragon en 1509) et Charles d'Espagne va être d'autant plus solide (qui sait si l'entretien du Camp du Drap d'Or a même eu lieu dans un tel contexte ?). [Mais j'imagine que même sans l'entretien, Henry va finir par rencontrer Ann Boleyn et déclencher la crise contre Catherine d'Aragon et contre l'Eglise.]

Dans notre réalité, les Médicis peuvent se méfier encore de François. Ils viennent de reprendre la Cité en 1513 alors que les Français avait soutenu la République et le Gonfalonier Piero Soderini. Mais l'alliance est à nouveau en train de basculer plusieurs fois dans les années 1510-1520. 

Pour illustrer la souplesse diplomatique, il suffit de voir les différentes Ligues. Les membres de la Sainte Ligue de Venise contre Charles VIII et Louis XII avaient été (1) le Pape, (2) l'Aragon et la Sicile, (3) les Sforza à Milan (Louis XII étant l'héritier des Visconti), (4) la République de Venise, (5) le Saint Empire, (6) l'Angleterre. 

Mais ensuite la France avait pu modifier depuis 1508 l'équilibre diplomatique avec la nouvelle Ligue de Cambrai contre Venise : (1) le Pape, (2) la France, (3) le Saint Empire, (4) l'Espagne et la Sicile, (5) le Duché de Ferrare. 

Mais l'équilibre était instable et le Pape changea à nouveau pour s'allier à Venise, avec une nouvelle Sainte Ligue de Venise, l'Angleterre et le Saint Empire en 1510. 

En 1513, les Français perdirent Milan (qu'ils tenaient depuis 1500), les Médicis furent restaurés à Florence et les Sforza revinrent à Milan et cette fois ce fut Venise qui s'allia à la France pour le contrôle de la Lombardie. Mais en 1515, avec le succès (éphémère) de Marignan, François Ier avait repris le contrôle du Nord de l'Italie avec l'aide de Venise et du Pape contre les Sforza. 

François ne peut guère espérer de mariage diplomatique avec des Princes allemands. Depuis les années 1505, il a été fiancé avec Claude, Duchesse de Bretagne et de Milan, et fille de Louis XII, contre le voeu de la Reine Anne de Bretagne qui voulait la marier au jeune Charles de Bourgogne. Mariés en 1514 (après la mort de la Reine Anne), François et Claude ont déjà eu plusieurs enfants (comme Charlotte en octobre 1516, qui fut fiancée à Charles V avant de mourir de la rougeole à 8 ans) et deux fils, François (février 1518) et Henri (mars 1519). Mais qui sait si une de ses filles comme Madeleine (qui fut mariée au Roi d'Ecosse) n'aurait pas été unie à un Brandebourg par exemple. 

Pour l'instant, je ne vois donc pas beaucoup de latitude dans ces premières années après la bifurcation. Dans la réalité, Charles a pu vite encercler François. Ici, j'imagine que l'encerclement est moindre mais le Connétable de Bourbon doit trahir de la même manière [par coïncidence, Sylvain Runberg, le scénariste de bd dont je parlais hier, a aussi fait une bd sur le Connétable de Bourbon, avec un épouvantable historien royaliste] et on a du mal à imaginer que les Guerres Italiennes se passent nettement mieux.

Le délire uchronique

L'uchronie est un genre difficile. Soit on reste prisonnier d'une sorte de déterminisme ou de téléologie et l'uchronie est vaine. Soit on se permet de mettre de la contingence partout mais on obtient quelque chose qui peut devenir du fantastique très peu vraisemblable.

Par exemple, le jeu de plateau italien Magnifico (paraît-il très décevant) imaginait que Léonard de Vinci (mort en 1517) avait développé des armes quasiment steampunk dès ce début du XVIe siècle. On peut douter que cela aurait changé l'équilibre stratégique. 

7 commentaires:

賈尼 a dit…

Je ne connais pas Magnifico, mais en revanche ces billets m'ont donné envie de rejouer à Machiavelli :-)

Phersv a dit…

Oui, c'est un cadre qui a l'air fait pour le jeu dans ses retournements d'alliance perpétuels. Tu parles du vieux jeu diplomatique de 1977 ?

Il y a aussi une version récente sur les Guerres d'Italie avec des cartes.

Bien sûr, il y a aussi Condottiere dans un genre plus abstrait !

賈尼 a dit…

Il s'agit bien du jeu de 1977. Qu'est-ce que j'ai pu y jouer quand j'étais au lycée !

Elias a dit…

s'il avait été élu empereur
- aurait-il encore eu besoin de s'allier avec les ottomans ?
- aurait-il pu le faire ?

Phersv a dit…

La pression pour qu'il aide l'Autriche et la Hongrie (Ferdinand de Habsburg héritant de la Bohême) en tant qu'Empereur aurait été plus grande, j'imagine, en effet.

Les expéditions vers le Nouveau Monde auraient-elles été aussi plus franco-allemandes ?

Fabien Lyraud a dit…

On aurait l'édit de Nantes avec quelques décennies d'avance. C'est déjà un gros changement.
L'Empire déclare la guerre au Pape et oblige l'Eglise à se désengager du jeu politique et à n'être qu'une force spirituelle. Cela aurait forcément provoqué des troubles et quelques conflits localisés mais rien que François 1er n'aurait pu gérer.
Pour la succession il est clair que François renverra l'ascenseur à certains électeurs qui l'ont soutenu. Et que tout sera en place pour que Henri II lui succède.

Phersv a dit…

C'est supposer un François beaucoup plus tolérant (et cela aurait l'avantage de rendre en effet l'uchronie plus radicale).

Mais dans la réalité, François commence la lutte contre les Protestants à partir de l'Affaire des Placards de 1534 à cause de l'idée d'unité du Royaume : pour lui, les Protestants sont plus un péril politique pour l'autorité monarchique qu'un problème seulement religieux.

Dans l'uchronie, pour justifier l'édit de Nantes avant même les Guerres de Religion, on pourrait imaginer que François soit tellement en lutte contre le Pape (sans doute toujours sur le Milanais si le désastre de Pavie n'a pas eu lieu dans cette uchronie) qu'il ait des raisons de basculer vers une sorte de "Gallicanisme", en imitant presque Henry VIII.

Mais dans ce cas, il perd forcément les 3 Electeurs ecclésiastiques et comme il n'a pas l'Electeur de Bohême qui est un Habsbourg, il ne peut pas espérer passer l'Empire à Henri II.

D'un autre côté, si Catherine de Médicis n'a pas épousé le prince Henri (elle a failli être fiancée soit à un autre Médicis soit au Roi d'Ecosse), la politique française va peut-être moins s'aligner sur Rome dans les Guerres de Religion ?