(article rédigé le 20 octobre 2004 - le contexte était donc l'élection présidentielle)
Cela m'agace souvent quand les Français parlent de la mentalité de cowboy et qu'ils expliquent ainsi toutes les attitudes de W (qui est un faux Texan qui ne possède son ranch que depuis 1999, il faut le rappeler). Cela paraît d'autant plus réducteur que l'Ouest sauvage a été en fait plus policé (plus de "contrôle des armes") et plus urbain que ce que les représentations tardives de la Belle Epoque ont pu laisser penser.
Mais cela dit....
Il y a un petit livre de "psychologie culturelle", Culture of Honor. The Psychology of Violence in the South de Richard E. Nisbett et Dov Cohen (Westview Press, 1996), qui finalement peut donner un sens plus précis à ces vagues intuitions, mais pour les Etats du Sud plus que pour l'Ouest.
Les régions rurales des Etats du Sud ont bien plus de violence que celles du Nord (la violence urbaine des grandes villes est plus homogène à travers les Etats-Unis).
Le livre analyse de manière plus fine les actes de violence des Blancs du Sud et montre que
1) ce sont plus des actes de conflits et ressentiment entre personnes qui se connaissent (crimes passionnels, triangles amoureux, disputes...), bien plus que des actes de légitime défense ou de délinquance ;
2) ces actes sont plus courants dans les régions de collines que dans les régions agricoles de plaines ;
3) ces actes dépendent peu du niveau économique (les collines plus riches sont plus violentes que les champs plus pauvres) ;
4) ces actes dépendent peu de l'esclavage (les collines avaient peu de population d'esclaves, contrairement aux champs de coton et au régions de marécages).
5) ces actes ne dépendent pas non plus de la présence des armes à feu (les Sudistes ont plus d'armes à feu que les Nordistes mais le taux supérieur d'actes violents ne peut pas s'y réduire - cette partie du bouquin plaira à la NRA mais est convaincante quand même).
L'hypothèse "anthropologique" et psychologique de Nisbett et Cohen repose sur une Culture de l'Honneur liée aux sociétés d'éleveurs. La Culture de l'Honneur, telle qu'on en voit souvent dans le pourtour méditerranéen, où cela conduit de Sicile au Moyen-Orient aux crimes d'honneur (tuer sa fille, sa sœur ou son épouse pour "rétablir" l'honneur familial et ne pas "perdre la face" face aux pairs).
Les éleveurs et pâtres, qui dépendent de la possession de bétails et qui sont en intéraction constante avec des concurrents qui peuvent leur retirer tout leur "capital", sont généralement bien plus violents que les cultures de cultivateurs.
Cela conduit à une culture de razzias, de rapts, de représailles (des Celtes, des Dinkas, des Grecs...) et cela s'applique aussi aux relations familiales et ce qu'on résume comme violence patriarcale. Les sondages montrent que ces sociétés considèrent la violence comme plus légitime pour laver les affronts.
[En passant, ce modèle explique assez bien la culture d'éleveurs et bergers en Corse qui paraît si énigmatique sur le Continent (toutes mes données très scientifiques sur ce sujet venant d'Asterix et Pétillon). ]
Mais là où le livre est un essai de psychologie sociale et non pas seulement de sociologie, c'est le passage à "l'ethnographie expérimentale" en laboratoire et une méthode inter-disciplinaire. On ne mesure pas seulement les discours avoués mais les attitudes implicites.
Certaines expériences sont vraiment fascinantes.
Les auteurs ont fait venir des étudiants nordistes et sudistes (en leur cachant bien sûr le vrai sujet de l'expérience, comme dans la célèbre expérience de Milgram). Chaque étudiant (qui croit qu'on veut tester autre chose, l'apprentissage ou quelque chose de ce genre) est heurté dans le labo par un expérimentateur agressif qui murmure "asshole". Le résultat est très net : l'étudiant Nordiste moyen est interloqué voire amusé, l'étudiant Sudiste est indigné et agressif (on a même mesuré leurs réactions physiologiques et ils étaient bien plus stressés que les Nordistes, même si ça n'altérait pas leurs fonctions cognitives).
De même, on fait une expérience de jeu de chicken. Un expérimentateur marche tout droit dans un couloir étroit sans ralentir dans une collision avec le sujet. On mesure la distance à laquelle le sujet accepte de reculer pour laisser passer. Le Nordiste cède le passage bien plus tôt que le Sudiste et l'écart est même assez important. Le Sudiste ne voulait pas "perdre la face".
Mais cette Culture de l'Honneur n'est pas seulement une réaction épidermique inconsciente. C'est un ensemble de normes qui vont valoriser la violence "pour préserver son honneur".
Une autre expérience consiste à envoyer à des employeurs une lettre demandant un emploi où un soi-disant candidat (qui a un bon CV) avoue soit
a) avoir commis un vol quand il était jeune ;
soit b) avoir tué accidentellement quelqu'un qui s'en était pris à sa petite amie.
Les Nordistes et Sudistes ont la même réaction dans le cas a) (les Sudistes ont même des réactions légèrement plus défavorables). Mais dans le cas b) les Sudistes sont en revanche bien plus enclins à accepter la proposition que les Nordistes (et les réponses sont bien plus chaleureuses et compréhensives à l'égard de l'homicide du candidat, témoignant d'une vraie indulgence).
Le livre montre aussi comment cette Culture de l'Honneur subsiste malgré la disparition des structures sociales des éleveurs (sauf dans les grandes villes, plus homogénéisées). Les jeunes mâles blancs (non-hispaniques) du Sud sont plus battus que les autres pendant l'enfance (les châtiments corporels y sont plus valorisés), ils battent plus leur épouse et leurs Etats sont nettement moins enclins à poursuivre les violences domestiques. 40% des Etats du nord ont des lois qui considèrent les violences domestiques comme un délit grave, 0% des Etats du Sud.
Par ailleurs, cette violence masculine est aussi transmise et renforcée par un discours continuel chez les femmes du Sud, qui disent qu'un homme qui ne défendrait pas son honneur ne serait pas un vrai homme. La violence des femmes du Sud est d'ailleurs aussi disproportionnée par rapport à celles du Nord.
Et là où l'analyse de cette Culture à haut taux de testostérone devient politique, c'est que les élus du Sud sont bien plus enclins que ceux du Nord à voter pour des interventions militaires et pour des augmentations du budget de l'armement.
[L'hypothèse selon laquelle W a vraiment voulu "venger Papa" reprend un sens nouveau à la lumière de cette théorie. Cela explique aussi certaines lettres qu'a reçu le Lone Star Iconoclast (journal de Crawford, Texas, qui soutient Kerry) et qui les accusaient de trahir et bafouer le sens de l'honneur texan en faveur d'un "Yankee". ]
Theatre: A Very Wooster Holiday
-
*Happy Christmas, Jeeves* by Heidi McElrath and Nathan Kessler-Jeffrey,
directed by Karen Lund, based on the stories of PG Wodehouse Taproot
Theatre Com...
Il y a 4 heures
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire