dimanche 3 mars 2019

Different Worlds #8 (juin-juillet 1980)

Une chouette couverture par Steve Oliff.

"Better Game Mastering: Teaching Role-Playing" Robert Harder
Au lieu de donner des conseils pour votre première aventure, il donne des conseils pour être un MJ expérimenté face à des joueurs débutants et certains conseils peuvent paraître un peu rigides (l'aventure ne doit pas excéder 3 heures avec 4 rencontres, avec une vraie pause d'entracte) et certains conseils présupposent comme évident que le premier jeu doit être D&D mais il y a aussi un pragmatisme assez convaincant (le groupe doit être mixte dans les sexes mais ne doit pas mélanger des expérimentés et des débutants ou bien ceux-ci seront éclipsés par ceux-là).

"D&D Variant: Sleep vs. Mixed Parties" John T. Sapienza, Jr.
Sapienza reprend un article qu'il avait écrit dans sa section d'Alarums & Excursions 48, août 1979, une modification du sortilège Sommeil pour D&D et notamment d'en faire un sort qui puisse lui-même avoir plusieurs niveaux mais qui donne droit à un jet de résistance. En gros, cela doit augmenter les effets du sort sur les adversaires de faible niveau et le baisser contre un ennemi de plus haut niveau.

"Review/Scenario: Alien and Starships & Spacemen" Leonard H. Kanterman, M.D.
Une adaptation qui a l'air assez sanglante pour le jeu startrekien du film qui venait de sortir à l'été 1979. Le magazine de wargame de sf Ares fera aussi une adaptation à peu près à la même époque (avec un vaisseau nommé Pandora) et Traveller aussi s'inspire du film dans Double Adventure 5: Chamax Plague/Horde (1981) des frères Keith.

"Game Aid: Talent Tables" John T. Sapienza, Jr.
Je n'aime pas tellement les variantes de D&D qui encombrent ces premiers numéros mais cette table de "Talents particuliers" pourrait permettre d'individualiser davantage les personnages débutants. Ce sont simplement des listes longues d'Avantages et Désavantages (il y en a 155...) et pas des compétences. L'ennui est que ce n'est pas lié à la Classe. Avoir un petit bonus aux compétences de Voleur ne sera d'aucune utilité pour celui qui n'est pas de la bonne classe ou de même avoir une prédisposition pour la Pyromancie n'a guère d'intérêt si votre PJ n'est pas magicien. Un de ces Talents est simplement "Chance".
Sapienza est vraiment très prolifique. Non seulement il écrit dans d'autres fanzines comme A&E ou The Wild Hunt ou dans DW mais le même mois il publie aussi avec Steve Marsh un petit scénario "Jorthan's Rescue" dans White Dwarf 19 (qui fut repris dans Best of White Dwarf).
Sapienza (qui était juriste fiscaliste) a la passion des détails mais il n'était pas du tout un éditeur artistique : ses schémas sont très clairs et fonctionnels mais généralement sans aucune esthétique (c'est lui qui créa les premières feuilles de personnage de RQ).

"Defining The Campaign: Gamemaster Styles" Lewis Pulsipher
Un très bon article de théorie du jeu qui n'a pas si mal vieilli malgré des décennies de discussions sur ce sujet. Pulsipher distingue différents "styles" de jeu. Il y a (1) celui qui insiste sur la simulation, (2) le wargame, (3) le jeu rigolo (silly), (4) le roman. On aura reconnu dans l'ordre à peu près notre classique tripartition : le Simulationnisme, le Ludiste, le Casual Gamer et le Narrativiste.
Puis après ces styles de base, Pulsipher distingue différents traits :
(1) Degré de crédibilité : le jeu rigolo s'en fiche, le simulationnisme est fondé dessus.
(2) Le rapport entre risque et récompense : certains jeux veulent des risques bas et des récompenses basses, d'autres l'inverse. Certaines campagnes trop gros-billesques (ce qu'on appelle "Monty Haul", qui serait un défaut du MJ et non pas seulement des joueurs) donnent des récompenses trop hautes indépendantes du degré de risque.
(3) Le degré d'incertitude sur le monde. Les jeux plus wargames veulent une faible incertitude pour résoudre les problèmes. Les jeux fondés sur l'ambiance ou l'exploration, le jeu rigolo ou le "Roman" peuvent au contraire augmenter le plus possible l'incertitude dans l'information disponible.
(4) L'étendue du surnaturel : par exemple dans quelle mesure les dieux existent-ils et interviennent-ils dans la campagne. Cela me paraît plus lié au cadre choisi qu'à un "style" de campagne.
(5) L'importance de l'habileté du joueur (et non du personnage). C'est important pour les joueurs compétitifs mais pas pour les simulationniste ou certains narrativistes.
(6) Degré d'homogénéité entre personnages. RQ est indiqué comme très homogène et C&S comme le plus hétérogène. Aujourd'hui, on pourrait mettre les jeux à répartition de points dans le premier extrême et des jeux plus aléatoires comme la première édition de Stormbringer dans l'autre extrême.
(7) Degré de fatalité ou de liberté du joueur face au personnage.
(8) Degré de rigidité d'obéissance stricte au système de jeu ou au contraire de "free form".
(9) L'ampleur des interventions du MJ et l'opposition entre le MJ Arbitre Neutre / Dieu omnipotent.
(10) Degré de corrélation entre le temps réel et le temps de jeu. Le simulationnisme par exemple ne laissera pas trop de temps réel pour préparer une action courte en terme de jeu.
Pulsipher précise qu'il préfère lui-même jouer dans des campagnes "wargame", très crédibles, fondées sur le talent réel, bas risque/ basse récompense, avec peu de divin, avec personnages très différenciés, règles rigides,

"Sourcebook: Composite Bows" Simon Magister
Les rôlistes sont aussi souvent des geeks sur l'histoire de l'armement.

"Scenario Review: TSR's The Keep on the Borderland" Anders Swenson
J'avais trouvé le B2 un peu trop dur pour un vrai PJ débutant mais Swenson a l'argument inverse que par rapport aux vraies tables de rencontres en extérieur assez dangereuses de D&D, le B2 protégerait bien mieux les PJ de bas niveau. C'est un argument auquel je n'avais jamais pensé comme je n'ai jamais pris ces tables aléatoires au sérieux. Il trouve aussi que l'échelle est bien trop faible et qu'il faudrait la multiplier ou les gardes du Château devraient facilement explorer toute la région.

"RQ/Gateway Cult: Zelan The Beast" Ron Weaver
Un culte non-officiel (et jamais repris) mais inséré dans une version de Glorantha. Zelan est le dieu des mortels affligés de "lycanthropie" au sens large que ce terme prend dans les jeux de rôle (Runes : Bête, Mortel, Lune) et il veut défendre tous les change-formes des persécutions quels que soient leurs totems, pas seulement les Loups. D'après le mythe fourni, il serait le fils d'une des Uzuz de la Race Maîtresse, descendante de Kyger Litor, et d'Urox Taureau-Tempête lui-même. C'est bien entendu réfuté par tous les textes sur les Hsunchens (où seuls les Telmori "maudits" par la Lune sont en effet proches de lycanthropes classiques). Mais à l'époque et d'après le peu qu'on connaissait sur le sujet, ce texte assimile aux lycanthropes les Ours (Bearwalkers, sans doute inspirés des Beornings), les Tigres ("Tiger Sons" dans RQ II) et même le Culte (clairement maléfique) de la Défense sanglante et fait comme s'il y avait une alliance mystique entre les Telmori et ces autres Hommes-Bêtes. Les Zelani peuvent en effet utiliser un sort pour invoquer un Ours-Garou ou un Tigre-Garou. Les Rathori Ours-blancs du lointain Nord ou les Hsa Tigres de Teshnos et Kralorela n'auraient aucune raison de suivre ce Zelan Demi-Troll Demi-Taureau. En revanche, on pourrait aujourd'hui chercher du côté de la Vallée des Bêtes et par exemples d'autres créatures comme les elurae (Femmes-renardes). Dans le numéro suivant, Steve Perrin fera un "Culte du Tigre" qui maintient le lien entre les Tigres-Garous et la Lune, mais cela ne fut pas repris non plus dans la Glorantha staffordienne orthodoxe.
 Ce Culte est donc assez peu utile. Un des sorts amusants est "Cacher la Piste" pour que le lycanthrope sache mieux dissimuler son odeur.Je ne comprends pas bien la généalogie troll de Zelan qui n'a même pas la Rune des Ténèbres et qui devrait plutôt en faire un dieu troll résolument anti-chaos.
On pourrait le transformer en un culte héroïque uroxi anti-Chaos chez les Telmori. Si on conserve le détail étrange du lien avec Kyger Litor, ce côté demi-troll pourrait même faire penser à une contamination arkati au Premier Âge (car les Telmori des Guerres du Chaos ne suivirent pas tous Nysalor / Gbaji) ou au contraire à une subtile corruption du temps de l'EWF par la Défense sanglante et ses Hommes-Sangliers (voir Elder Secrets), non ?

"Review: Walter William's Tradition Of Victory" Dave Arneson & Steve Perrin
Walter Jon Williams (né en 1953 et qui n'était pas encore le célèbre romancier cyberpunk qu'il se révéla quelques années après) avait publié en 1978 Tradition of Victory chez Erisian Games en deux petits livrets de 60 et 76 pages, Heart of Oak, les règles de wargame sur la Marine à voile britannique de l'époque napoléonienne ou "georgienne", et Promotions & Prizes, qui était la partie "Jeu de rôle". Les deux livrets furent ensuite révisés (je ne sais à quel point) et incorporés dans une boite nommée Privateers & Gentlemen (1983) chez FGU. Bien entendu, le modèle était (en dehors des romans originels un peu oubliés de Frederick Marryat des années 1830) des séries comme Horatio Hornblower (plus d'une quinzaine de romans, 1938-1967) de CS Forester mais aussi Lord Ramage (18 romans, 1965-1989) de Dudley Pope, Aubrey & Maturin (20 romans, 1969-1999) de Patrick O'Brian ou la série sur la famille Bolitho (30 romans, 1968-2011 dont ironiquement un roman nommé Tradition of Victory qui sortit après le jeu) par Alexander Kent.
Dave Arneson (qui avait conçu Don't Give Up The Ship, 1972) critique la partie wargame et c'est Steve Perrin qui couvre la partie jeu de rôle.
Arneson accuse la météo d'être trop capricieuse dans le jeu (il y a trop de chances de variations d'un tour à l'autre), les navires ont trop de chance d'être détruits par un incendie (Arneson dit que c'était finalement assez rare et il conseille de passer de 5% de chance à 1%) et que les règles donnent trop de désavantages pour les abordages.
Perrin trouve la présentation peu pratique, les règles de combat trop dangereuses pour les personnages, la génération des PNJ est trop aléatoire et peut donc conduire à des contradictions et il regrette que les personnages puissent seulement avoir des promotions sans progresser dans leurs capacités.
Depuis Privateers & Gentlemen, il y a eu beaucoup d'autres jeux sur ce genre dont par exemple GURPS: Age of Napoleon, In Harm's Way (2006, qui a même des règles pour adapter la série Temeraire et ajouter des Dragons aux navires napoléoniens) et Beat to Quarters (2009, gratuit).

Il y a une publicité pour voter pour les Origin Awards qui venait d'ajouter la catégorie jeu de rôle. Runequest fut battu cette année-là par Commando (SPI) et l'année d'après par DragonQuest (SPI aussi, et du même auteur Eric Goldberg).

"Designer Notes: How I Designed Land of the Rising Sun" Lee Gold
Lee Gold raconte comment elle a adapté Chivalry & Sorcery pour le Japon médiéval et son article donne envie de relire Land of the Rising Sun car on ne se rend pas nécessairement compte de l'étendue des révisions. Elle fera plus tard son propre jeu historico-fantastique, Lands of Adventure (FGU, 1983), qui est hélas assez décevant dans sa briéveté.

"Analysis: Alignment On Trial" David R. Dunham
David Dunham explique pourquoi il n'aime pas la simplification abstraite de l'Alignement dans D&D ou C&S et pourquoi il préfère la complexité des religions dans Runequest.

Different Views
Kurt Lortz (qui devait à l'origine écrire le jeu de rôle sur Lovecraft mais fut remplacé par Sandy Petersen) écrit pour défendre la série d'articles de son frère Steve Lortz dans les premiers numéros contre des lettres de John Sapienza. Il y avait déjà eu de nombreuses controverses à ce sujet dans le n°4. Mais aucun des frères Lortz n'écrira plus d'articles longs (il y a encore des recensions) dans Different Worlds.

"Review: Advanced Melee & Wizard" Steve Perrin
Une second review par Steve (Perrin) qui aime bien The Fantasy Trip de Steve (Jackson). Comme il le fait remarquer, avec seulement trois caractéristiques (DX, IQ et STR), TFT est sans doute le jeu de rôle avec le moins de caractéristiques (GURPS ajouta la Santé en plus). Avec deux livrets de $5 (plus In the Labyrinth pour le MJ), c'était aussi un jeu assez économique ($5 de 1980 seraient à peu près trois fois plus aujourd'hui, $15 de 2019).

"Letter From Gigi: Gossip" Gigi D'Arn
Dave Hargrave dit avoir vendu 40 000 exemplaires d'Arduin (!!).
J'adore aussi tout le vaporware comme d'habitude.
GDW préparerait un jeu sur les chevaliers. Il ne sortira jamais.
Dave Arneson est censé travailler sur un jeu japonais pour Chaosium. Il ne sortira jamais. Il annonce aussi des aventures pour Blackmoor et un jeu postapocalyptique, Mutant, par Richard Snider. Aucun ne sortira.
Greg Costikyan préparerait son jeu médiéval fantastique qui devait s'appeler High Fantasy mais ce titre a déjà été devancé. A ma connaissance, même sous un autre titre, il n'existe pas non plus.
Enfin, une nouvelle sur la Panique Morale anti-D&D : des écoles de l'Utah auraient interdit les jeux de rôles.

Conclusion
Dans l'histoire de la théorie du jeu de rôle, celui de Lewis Pulsipher sur les types de campagne est intéressant. Pulsipher (de Durham, Caroline du Nord), qui écrivait aussi beaucoup pour White Dwarf et pour TSR, devint par la suite un enseignant de la théorie du game design.

Le Culte de "Zelan la Bête" n'est ni "canonique" ni très exploitable directement (mais on peut aussi comparer aussi le Culte des Tigres-Garous par Steve Perrin dans DW #9).

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