jeudi 18 mars 2021

Faith RPG

 Faith (2018, deux éditions sur Kickstarter) est un jeu de rôle de science-fiction dont le cadre a deux originalités (en dehors du système de jeu avec figurines très "tactique" et basé sur des cartes) : le rôle des "religions" et le déplacement du centre vers deux espèces non-humaines

 (1) Les 5 Religions

L'univers s'est divisé en 5 grandes Idéologies universelles et interspécifiques qui ont des "avatars" réels et des prophètes manifestant des capacités spéciales. 

Ce sont (depuis la plus "ordonnée" à la moins ordonnée) : 

Hexia : technocratie, intellectualisme, scientisme

Ergon : altruisme, égalitarisme, utilitarisme

Vexal : anarchisme solidaire, pluralisme relativiste

Kaliva : perfectionnisme individuel, compétition, sélection naturelle

Registre (Ledger) : discordianisme, hédonisme radical, refus de tout "principe" religieux (et infiltration des quatre autre religions pour les saboter de l'intérieur et dénoncer leurs hypocrisies), Trickster

Oui, cela ressemble quand même beaucoup à des Alignements de D&D (Hexia : Loyal Neutre, Ergon : Loyal Bon, Vexal : Chaotique Bon, Kaliva : Neutre, Ledger : Chaotique Neutre) mais avec un aspect plus politique. 

  (2) Les 4 espèces civilisées et les Ravageurs

Les Humains sont une espèce vassale secondaire dans une Guerre multi-polaire entre plusieurs espèces non-humaines, les Corvos, les Izkals, les Raags et les "Ravageurs". 

Les Corvos hyperindividualistes (qui manipulent les Humains) et les Izkals collectivistes ont des valeurs opposées, se haïssent et sont en "Guerre froide" mais ils sont quand même contraints de négocier face à un ennemi commun des Ravageurs (qui sont en gros les Bugs et Xénomorphes habituels de sf qui servent le Chaos du Registre). 

Les auteurs ont réussi à éviter un manichéisme entre les deux blocs principaux, soit dystopie capitaliste soit dystopie totalitaire. Les illustrations sont très belles mais je trouve que les espèces se ressemblent un peu trop visuellement (mais les Izkals sont peut-être un peu plus "Twi'leks"). 

Les Corvos sont des cyborgs, addicts de mondes virtuels, technicisés mais très hostiles aux IA et même aux robots trop évolués (car les robots volent le travail des Corvos), ultra-capitalistes, productivistes et consuméristes. Leur capitale, Tiantiang est un Anneau de Dyson de millions de habitats. La société est dirigée par des Mégacorporations. Malgré les inégalités sociales, ils valorisent aussi des libertés et interdisent tout esclavage. Ils sont donc plutôt tournés vers l'individualisme de Kaliva (Concurrence) ou à la rigueur Vexal mais Hexia est populaire aussi. Bien sûr, un individu corvo peut très bien rejoindre Ergon, même si ce n'est pas la norme. 

Les Izkals sont connectés en réseau artificiel, flegmatiques (car ceux qui veulent avoir des émotions individuelles, comme les agents militaires, doivent se séparer du réseau) et ultra-collectivistes. L'Etat techno-eco-cratique izkal contrôle toutes les activités et notamment la gestion des ressources naturelles, et il n'y a même pas de "monnaie". L'utopie totalitaire izkal a beaucoup plus délégué le travail aux robots que les Corvos (qui considèrent que le travail est essentiel à la vie consciente). Leur police secrète peut paraître complètement "amorale". Les Izkals ont mené une guerre d'indépendance contre un Empire esclavagiste (les Korians) et ont commis un génocide total contre leurs anciens oppresseurs dont ils ont repris les technologies. Les Izkals détestent les Corvos mais peuvent quand même négocier et communiquer avec eux (contrairement aux "Ravageurs"). Les Izkals ont donc une préférence claire pour Ergon (holisme) mais aussi Hexia (scientisme). Un Izkal Kaliva ou de Registre doit être particulièrement aberrant. 

Les Humains sont dominés depuis 300 ans par les oligarchies des Mégacorporations corvos (et travaillent comme Mercenaires dans la Guerre froide contre l'Etat izkal) même s'il y a aussi des indépendantistes, voire certains qui voudraient jouer avec une alliance izkal contre leurs maîtres Corvos. Certains Humains décédés sont transformés en zombies semi-robotisés par les Corvos (qui sont pourtant Luddites sur la robotique). Le culte favori des Humains est Vexal

Les Raags sont une théocratie (et gynocratie) hyper-violente où les clans ont l'habitude d'une guerre éternelle et d'une compétition pour la survie, toute la société étant fondée sur la sélection martiale par des jeux de gladiateurs. Ils ont volé la technologie et les premiers vaisseaux à la civilisation aujourd'hui disparue des Korians (les oppresseurs des Izkals qu'ils ont exterminés). On rencontre souvent des nomades qui vivent dans des flottes de vaisseaux. Pourtant, leurs dirigeantes sont plus influencées par Hexia (scientisme) que par Kaliva. Les Corvos et les Izkals se méfient des pirates raags mais peuvent quand même tenter de les utiliser comme mercenaires contre l'autre Bloc. 

Un aspect qui me fait sortir de la suspension of disbelief est les sonorités des langues. Les sons des Corvos (en dehors du nom de l'espèce elle-même) sont trop directement imités du Chinois et ceux des Izkals de l'Arabe, ce qui ne conviendrait guère que si ces espèces étaient des descendants de civilisations humaines. J'ai lu une interprétation disant que ce n'était que des retranscriptions de ces sonorités par les Humains, ce qui serait plus cohérent. 

    (3) Le Voyage spatial

Le Voyage FTL passe par le Labyrinthe, un réseau de trous de ver qui est plus découvert ou exploré que choisi. La communication est lente, les vaisseaux se perdent et les civilisations ignorent souvent où sont parties les différentes impasses dans le Labyrinthe. (En passant, j'espère que la physique théorique ne va pas bientôt réfuter la cohérence de la notion de trou de ver ou bien une partie de la sf contemporaine semblera soudain aussi dépassée que si elle parlait de phlogiston ou d'éther). 

Un aspect amusant du combat spatial est que le Labyrinthe permet de distordre tellement l'espace qu'un vaisseau peut réussir aussi à tirer là où il n'est pas, par des angles complètement imprévisibles (mais risque aussi de se tirer sur lui-même s'il calcule mal ses sorties des trous de ver). 

Conclusion

Comme le jeu français Oreste (ou le jeu à venir Imperium5), Faith a gardé une influence forte du cyberpunk sur le space opera mais il y a aussi un peu plus d'optimisme transhumaniste (mais moins que dans Mindjammer bien sûr). Par coïncidence (comme les jeux sont sortis à peu près en même temps), certaines espèces d'Oreste ressemblent un peu à celles de Faith : les Déchus seraient les Corvos, les Elfhayms seraient les Izkals, les Khrones seraient les Raags. 

Il faudra que j'essaye aussi le monde de campagne de relativement hard SF (avec "jeu à secret" où il semble à première vue y avoir quand même des pouvoirs psi) Seven Worlds (2018). 

Je n'étais pas tellement attiré par Faith à cause de son nom un peu trop générique mais le jeu a une identité. Cela en dit long sur notre époque obscurantiste que la religion occupe une place aussi importante dans nos jeux de rôle de science-fiction (cf. aussi le jeu suédois Coriolis) après une tradition positiviste qu'on trouvait encore dans Star Trek. On est aujourd'hui plus marqué par le millénarisme de Dune que par la philosophie de l'histoire (progressiste mais déterministe modérée) de Fondation

Voir aussi cette review sur RPG.net. La compagnie Burning Games a aussi eu un supplément sur la capitale corvo et un jeu de plateau sur un sport corvo. 

Aucun commentaire: