samedi 7 novembre 2020

Coriolis: The Third Horizon


Coriolis
est un jeu de rôle suédois de space opera créé depuis déjà 12 ans mais qui vient d'avoir une nouvelle édition internationale (qui est d'ailleurs prévue pour bientôt en français chez AKA Games; avec un Kit d'introduction + un scénario déjà disponible). Pour aller très vite, ce serait un peu Firefly (ou disons, un petit Traveller avec un mini-secteur isolé comme dans Diaspora) si l'ambiance tenait plus des Mille et Une Nuits (ou disons, d'un Dune sans un vaste Imperium) que du Western. Des Djinns et des Pèlerins dans l'espaaace. 

C'est aussi une adaptation du système de Mutant: Year Zero, un des meilleurs jeux post-apocalyptiques dans la création de détails de son atmosphère. Je ne parlerai pas de ce système ici (Kobayashi était un peu déçu de la relative incompétence des personnages) mais une des trouvailles que j'aime beaucoup dans l'immersion du jeu et du monde est le fait que par exemple quand on tire au hasard l'ajout d'un "contact", mécène ou allié pour le PJ, on n'obtient pas seulement une fonction générique mais un PNJ précis, nommé et détaillé. Cela intègre directement les PJ dans l'arrière-fond sans aucun travail nécessaire pour le MJ. 

Nous vivons actuellement une invasion suédoise en jeu de rôle depuis Symbaroum, Gotterdämmerung (= Lex Occulta, XVIIIe fantastique) ou Forbidden Lands (fantasy survivaliste) et ils ont un talent étonnant pour mélanger un certain goût Old School pour un système élaboré mais avec des trouvailles plus narrativistes et un univers creusé fait pour s'immerger. C'est d'ailleurs drôle de penser à la "sensibilité au sentier" de chaque pays : les Suédois ont eu Drakar och Demoner ou Kult, Britanniques sont plus grim & gritty que les Américains à cause de Warhammer, les Français plus décalés à cause de l'humour d'In Nomine Satanis ou Rêve de Dragon

Le Secteur du Troisième Horizon

Coriolis est centré sur un amas de 36 systèmes stellaires et il n'y avait pas à première vue de non-humains manifestes ou du moins "influents". Il y aurait des Grands Anciens disparus qui ont construit les Portails, quelques êtres très primitifs sur deux planètes (qui ont été jugés sans doute à tort seulement "semi-intelligents" pour mieux être asservis) et surtout on vient de rencontrer sur une Géante gazeuse des êtres mystérieux nommés les "Emissaires" , qui seraient liés à un concept religieux qu'on nommé les "Icones". 

L'Humanité a pu arriver dans ce secteur d'abord grâce à des Portails mais elle ne les avait pas construits et elle ne sait pas les réparer alors qu'ils commencent à devenir instables (ce qui explique que le Troisième Horizon se soit retrouvé isolé dans une Longue Nuit - un peu comme le secteur des frontières dans Star*Drive qui vient à peine d'être redécouvert). 

Le Vaisseau-colonie Zenith est arrivé dans ce secteur plusieurs siècles après que l'Humanité ait pu y arriver par les Portails, ce qui explique le décalage culturel le plus important entre les Anciens Colons (arrivés cinq siècles avant, par FTL) et les Nouveaux Colons (arrivés par vol d'un millier d'années avec cryogénie sur Zenith). Les "Nouveaux" Colons ou "Tard-Venus" (après certaines disputes entre eux) ont découvert que les Premiers Pèlerins avaient rompu le contact avec la Terre et avaient eu le temps d'avoir une dérive culturelle, les rendant parfois plus traditionnalistes et religieux qu'eux, qui sont plus fondés sur la recherche de profit capitaliste et la rationalité scientifique. Certains des Premiers Arrivés avaient aussi été plus modifiés génétiquement pour s'adapter à certaines planètes. C'est donc un monde très centré sur les Humains mais où les Humains sont "Les Autres". C'est assez peu manichéen et aucun des deux groupes n'est clairement soit "les indigènes obscurantistes rétrogrades" soit les "colons impérialistes et exploiteurs" et on peut concevoir des groupes mixtes et des influences mutuelles (il y a même une faction de Tard-Venus qui se ont formé une culture avec les Premiers-Venus, les Draconites, après avoir trouvé des technologies inconnues). 

Les Zénithiens ont construit une station spatiale à partir des ruines de leur vaisseau-colonie, Coriolis, autour de la planète Kua, qui se trouve au carrefour central du secteur, relié à quatre systèmes, Aïwaz, Altaï, Caiph et Hamura. Cette mystérieuse planète Kua a aussi des traces d'une vie non-humaine consciente et d'étranges Monolithes remontant à Ceux qui ont construit les Portails

Les Tard-Venus de Coriolis ont commencé à rouvrir le commerce interstellaire à travers les systèmes du Troisième Horizon alors que les Premiers Arrivés étaient tombés à des niveaux technologiques hétérogènes et avaient notamment développé un nouveau mysticisme pour des êtres étranges nommés les "Icônes". 

Coriolis est devenu un lieu de négociations entre toutes les factions, Premiers-Venus comme Tard-Venus, que ce soit plusieurs groupes de corporations (dont la Ligue Libre, qui a donné son nom à l'éditeur suédois Fria Ligan), mercenaires et trafiquants indépendants ou les différentes sectes rivales qui adorent ou tirent des pouvoirs étranges des Icones ou de restes de technologies mystérieuses. 


Les Neuf Icônes

Je parlais d'une influence des Mille et Une Nuit mais si le jeu utilise souvent des termes arabes, contrairement à Dune, ils ont reculé à faire des références directes à l'Islam et les Icones évoquent plus un polythéisme et il n'y a plus guère que le Pèlerinage qui rappelle un peu le Hadj. Le Mysticisme étrange de ces Icônes permet des thèmes de jeu qui ne se réduisent pas aux contrebandiers et aux explorateurs : un des concepts d'équipe est celui de Pèlerins religieux qui peuvent discuter d'interprétation théologique sur les Icônes (par exemple entre la nouvelle et plutôt conciliante Eglise des Icônes, qui a accepté les messages des Emissaires, et l'Ordre des Parias, qui les a refusés). 

Les Parias (ou "Samaritains" dans leurs organisations caritatives sur Coriolis) correspondraient à peu près à une vision des Chiites en insistant sur la radicalité qu'on associe aux Assassins nizari ismaéliens (mais l'Eglise des Icônes fait plus penser aux Catholiques qu'aux Sunnites). Dévots militants, secte ascétique et apocalyptique (qui utilisent aussi des Drogues étranges) mais bons ingénieurs (pas de Jihad Butlérien), ce sont leurs flottes de vaisseaux qui ont chassé les Terriens lors des anciennes guerres d'indépendance (et exterminé les derniers loyalistes de la Terre) et ils viennent de déclencher une guerre religieuse en coupant leur planète, Zalos (entre Aïwaz et Mira), ce qui ferme la voie directe des Pèlerins vers les Temples des Icones de Mira (si on passe par Altaï, cela demande de traverser 5 systèmes en plus). 

Les Neuf Icônes évoquent des dieux (les Sept dans Game of Thrones) mais aussi des signes astrologiques (le calendrier de la station Coriolis utilisent neuf "segments" dans le "cycle" artificiel et cela sert de calendrier de référence interstellaire) et des arcanes du tarot. Chaque Icone a des variations locales dans certains systèmes et des aspects qui peuvent être parfois plus ou moins "sombres" et potentiellement lovecraftiennes. On sait qu'ils existent mais il y a quand même plusieurs interprétations. Il y a le Messager (un Hermès psychopompe et héraut), Le/a Danseur.se (plus dionysiaque ou shivaïste), Le Joueur (Trickster), le Mousse (ou le Matelot, "The Deckhand"), le Marchand, la Juge (ou chez les Parias, Le Martyr), le Voyageur (qui selon certains aurait créé les Portails), Notre Dame des Larmes (la Mort) et enfin l'Ombre Sans Visage (le Mystère). A la création de personnage, on tire un lien avec une des Neuf Icones et cela montre leur importance dans ce cadre de campagne. On peut même obtenir le droit de relancer un dé en priant les Icones mais cela fournit à chaque fois un point de Ténèbres qui peut être utilisé par le MJ pour ajouter de la malchance par la suite. 

En dehors de ce système de "prière" et de quelques créatures qu'on nomme les "Djinns", le surnaturel est relativement discret (et il y a toujours la possibilité qu'une explication relativement plus SF soit donnée par la suite ?). Des pouvoirs psi sont apparus mais les rares mutants en question semblent devenir fous en s'en servant et doivent se cacher. Il n'est pas du tout prévu de jouer des Jedis ou même des Bene Gesserit (même s'il y a une faction de courtisanes sacrées du Temple d'Ahlam - peut-être inspirées de la Guilde des Compagnes dans Firefly - qui ont des capacités de "suggestion"). 

Science & Fantasy

Je n'avais pas été entièrement convaincu par le néo-médiévalisme de Fading Suns (même si c'est un univers très riche) mais j'ai l'impression que j'aimerais plus jouer dans le Troisième Horizon. Les deux jeux partagent un rôle important de la religion et des systèmes reliés par des Portails qui limitent le voyage interstellaire mais je trouve que malgré tous les Icones ou les éventuels Grands Anciens qui se cachent, Coriolis m'évoque plus un univers de science-fiction et joue moins sur la corde désespérée et crépusculaire. Et bien que je préfère les jeux avec des Aliens, c'est toujours rafraichissant de creuser un jeu n'ayant que des Humains (ou quasiment). Mais comme dit Kobayashi, si on veut un jeu plus authentiquement SF et plus "post-humain", il y a Mindjammer ou Eclipse Phase

J'aime plus la fantasy que la SF en général mais il y a toujours un problème dans le mélange entre les deux, notamment dans les univers où la "haute super-technologie indiscernable de la magie" se cherche plus dans des Ruines du passé que dans un laboratoire. Je n'ai rien contre le fait de chercher des reliques dans un jeu de rôle et j'adore le sublime des Big Dumb Objects comme dans Revelation Space (qui est cité comme une des influences majeures du jeu) mais je crois que l'esprit de la science-fiction repose davantage sur l'espérance et le risque de l'innovation que sur l'exploration des Ruines, qui implique nécessairement un aspect crépusculaire où tout a été déjà inventé dans un passé archaïque. La Ruine nous met dans un Eternel Retour et elle convient bien au côté psychanalytique de la fantasy où le sujet s'enfonce dans les abysses de l'inconscient et fait face à sa mortalité. 

Le nouveau jeu de rôle français Oreste tient aussi son nom d'une station spatiale diplomatique comme Point Central de Valérian, Babylon 5, Star Trek Deep Space 9, la Lighthouse de Star*Drive ou Absalom dans Starfinder. Oreste me semble supposer plus des intrigues d'agents cyberpunks des différentes espèces et corporations pour explorer les secrets du jeu sur les Grands Anciens alors que Coriolis a plus de place pour l'exploration de tous ces 36 systèmes stellaires colonisés depuis plusieurs siècles par les Humains. Si on repense aux modèles des séries Babylon 5 et Star Trek, Oreste joue plus sur la pluralité des 6 espèces et Coriolis plus sur ce que serait une forme d'effroi religieux dans l'Espace (comme les Vorlons et les Ombres dans Babylon 5 ou les Orbes des Prophètes de Bajor dans DS9). 

La quantité d'informations dans le livre de base est intimidante car les auteurs ont fait des efforts pour donner l'impression qu'il y a littéralement des douzaines de cultures différentes dans ce secteur du Troisième Horizon. Dès ce livre, on a l'impression que ces 36 systèmes sont déjà plus riches que les Marches de Traveller qui ont fait l'objet de suppléments depuis 40 ans. 

Un aspect des jeux suédois particulièrement fascinants est leur suivi. Comme le jeu existait depuis au moins 12 ans en suédois, il y a déjà de nombreux suppléments traduits ou créés en anglais. C'est une des différences qui peut donner une longévité à un jeu de rôle dans un environnement où il y a saturation de jeux nouveaux. 

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