X of Swords est un cross-overs de tous les nombreux titres X-Men (X-Men, X-Factor, X-Force, New Mutants, Hellions, Marauders, Excalibur, Cable, Wolverine) chez Marvel, en 22 parties, comme les XXII arcanes du Tarot.
Je trouve (comme je l'ai déjà dit l'an dernier) que les X-Men traversent en ce moment un nouvel Âge d'or dans la qualité des scénarios de Jonathan Hickman. et c'est la première fois après un an de sorties qu'il réintroduit une histoire commune entre les 9 titres.
Le propre des comics comme genre de feuilletons à écriture collective est que les auteurs ne sont pas toujours tellement coordonnés, ce qui peut conduire à des contradictions ou bien au contraire à des redondances.
Or, les X-Men semblaient bien avoir accumulé depuis des années des clichés indépendants sur des épées magiques de fantasy (l'épée de Captain Britain dans Excalibur, l'épée de Magik dans New Mutants, la dague mentale de Betsy Braddock/Psylocke...) et l'idée de départ est de tisser toute l'histoire sur ce thème des épées magiques et d'en rajouter tellement que même un roman chinois de wuxia trouverait cela trop encombré de lames. On commence en se demandant pourquoi tous ces mutants collectionneraient des épées et ensuite, on peut croire à un projet cohérent et naturel, comme si tout cela avait été prévu depuis toujours.
Apocalypse est un mutant né il y a des milliers d'années et il est également lié à diverses histoires mystiques comme il a appris à la fois la magie et une science supérieure. On apprend que Krakoa, l'île vivante devenue un des personnages principaux, s'est séparée d'une partie d'elle-même ("Arakko") dans une autre dimension magique et que ce sont les Cavaliers (originels) d'Apocalypse, ses enfants nés en Egypte ancienne, qui y règnent.
Ils menacent d'envahir Avalon, l'Autre Monde féérique, et Opal Saturnyne (personnage récurrent d'Excalibur avec un air de Veronica Lake) décide d'organiser un grand duel de champions entre les mutants de Krakoa et les armées des Cavaliers d'Apocalypse.
C'est un prétexte pour un autre lieu commun de fantasy que j'aime toujours même s'il est éculé, une énumération d'oracles ambigus (par des Lames de tarot) qui ne trouveront leurs sens que rétrospectivement, au fil des 22 épisodes. Parfois, l'association entre toutes ces épées devient un simple jeu de mots à exploiter (lorsqu'ils ajoutent aussi l'organisation S.W.O.R.D. en plus de toutes les épées littérales).
Chacun des 10 champions sera doté d'une épée particulière et tout le début du crossover porte sur la quête prévisible pour que les champions obtiennent leur arme, l'étape inévitable du périple du Héros où il doit se préparer.
Une exception plus divertissante que ces quêtes, est Les Hellions, la plus immorale des équipes, où Mr Sinister prétend voler les épées des concurrents (mais a en fait un plan pour voler les gènes des mutants exilés dans cette autre dimension).
L'épisode où Wolverine meurt aussitôt pour aller chercher son katana de tamahagane en Enfer est un des plus décalé dans ce début absurde où la mort n'est plus vue que comme un tracas temporaire d'un voyage. Les résurrections sont devenues tellement fréquentes qu'on est plus près du Monde du Fleuve de P. José Farmer (où un des personnages se suicidait régulièrement pour se téléporter en un nouveau corps) que d'un comic de superhéros habituel. Depuis le Phénix, c'est devenu aussi un des centres de l'histoire des X-Men : comment faire de longues histoires pendant des décennies en sachant que les morts ne sont que des intermittences. Le suspense est d'ailleurs déplacé ici quand on dit que bien entendu tout le monde peut ressusciter mais que la seule question est plutôt "Dans quel état ?".
Le long combat lui-même des divers "compétitions" (qui ne sont en fait pas qu'à l'épée) est finalement plus surprenant qu'on pourrait le craindre même si cela peut donner à l'inverse une impression d'arbitraire un peu chaotique. Même si on s'attend à ce que certaines résolutions prennent le contre-pied de nos attentes, le scénario réussit à étonner - au prix de tout souci de "vraisemblance".
22 épisodes, c'est long et sans doute un peu trop étalé. Mais en dehors des quêtes pour obtenir les épées au début, il n'y a pas trop de temps mort dans ces quasiment 500 pages. Il y a même quelques épisodes étrangement méditatifs ou bavards comme le festin avant la compétition. On ne remarque pas tellement de différences majeures de dialoguistes entre les différents auteurs. A part l'humour noir accru dans Hellions, on pourrait avoir une impression d'un auteur uniforme (ce qui pourrait certes être vu comme une perte de richesse dans un cross-over).
Quand je lis les X-Men, je ne comprends sans Wikipedia qu'un petit tiers des références tout au plus. Les centaines de titres différents depuis soixante ans ont de nombreuses périodes que je n'ai pas du tout lues (en gros les années 1990 et ensuite une bonne partie des années 2010). Je ne rattraperai jamais ce "retard" (comme il y a des décennies entières où je n'apprécie pas assez les scénarios ou les dessins) et comme Hickman travaille comme un encyclopédiste, il y a de quoi se perdre dans les douzaines de personnages. Cela fait bien sûr partie du charme des superhéros américains que ce labyrinthe qui fait allusion à des centaines d'intrigues entremêlées.
Je ne connaissais pas très bien Apocalypse mais je crains qu'il ne soit souvent celui qui gâche des aspects de ce récit. S'il est si brillant que le répètent les scénaristes et s'il disposait de tant de ressources, on a du mal à comprendre pourquoi il échoue tellement depuis des milliers d'années et n'a jamais réussi à conquérir la Terre. Ce type de personnage immortel se ridiculise donc un peu trop vite. Comme le dit le philosophe Thibaut "Mr Phi" Giraud, des scénaristes mortels ont du mal à faire dialoguer des personnages géniaux et immortels qui auraient eu littéralement des siècles entiers pour mûrir plus que nous ("comme si des enfants qui n'avaient été élevés qu'avec d'autres enfants sans rencontrer d'adultes essayaient d'écrire une histoire sur un sexagénaire fictif"). Apocalypse a acquis ici une sorte de placidité un peu dépressive ou mélancolique qui ne me semble plus coïncider avec les premières apparitions plus simplistes du personnage. C'est un défaut de toute la nouvelle série Excalibur en général depuis sa relance que le fait qu'Apocalypse soit toujours en train d'agir sans qu'on comprenne bien pourquoi il agit.
Mais le centre du cross-over est plus le mythe d'Excalibur que les autres X-Men. Hickman et Tini Howard (la scénariste actuelle d'Excalibur) ont réussi à revivifier ce vieux titre en revenant aux origines d'Alan Moore et Alan Davis et à retirer pas mal de scories qui s'étaient déposées depuis. Cette histoire a toujours été à la marge de l'univers X-Men avec ses propres thèmes arthuriens ou son Multivers britannocentré (ce qui fit sans doute un des meilleurs runs de Chris Claremont vers le crépuscule de sa carrière). La convergence avec toutes ces séries à la fois apporte quelque chose en plus à la nouvelle Excalibur. L'approfondissement typiquement hickmanien des divers pays de l'Autre Monde va suffire à engendrer pas mal d'histoires dans le futur. Le Corps des Captains Britain interdimensionnels va être restauré mais ce n'est qu'un éternel retour des concepts des comics (de même que le Corps des Green Lanterns est éliminé périodiquement avant de toujours faire son retour).
Si vous voulez d'autres avis, Comics Roundup a une synthèse sur le 22e épisode.
2 commentaires:
Je n'ai jamais compris cette omniprésence du corps des Capitaines Britain, mis à part l'arrogance et l'ethnocentrisme anglo-saxon. Ce cross-over est bien trop long et centré sur la magie. Les x-men ne sont plus que des copies vides d'eux-même. Hickman est en train de tuer la franchise X;
Le Corps des Captains est un gag d'Alan Moore. Si on accepte que les Captains Britain sont les agents de Merlin l'Enchanteur et que l'Autre-Monde est un centre du Multivers comme dans les Princes d'Ambre de Zelazny, alors l'Angleterre, pays de la Geste arthurienne, devient le carrefour des dimensions, comme dans Doctor Who. Je trouve cela plutôt amusant, pas plus absurde que le nexus dimensionnel de l'univers Marvel qui se trouve en... Floride.
Le cross-over est long et peu SF, je vous l'accorde, tout comme d'autres cross-overs classiques des X-Men (Inferno, Asgard...). Depuis que Magik est partie dans la dimension de Belasco, les X-men sont liés à la magie et pas seulement au thème des Mutants ou des Shiar. Cela me gêne moins que les histoires (de Chuck Austen, je crois) où on disait que Nightcrawler était en fait littéralement le fils d'un vrai diable...
Hickman me paraît avoir sauvé les X-Men d'une éternelle répétition. Il a réussi à sortir du statu quo sans qu'on trouve cela complètement incohérent. Mais je pense qu'il a tort d'avoir donné ce pouvoir énorme de résurrection de tous les Mutants et de décider que Xavier allait même amnistier les pires Mutants maléfiques au nom de l'unité mutante.
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