samedi 28 janvier 2012

[JDR] Univers pour Chivalry & Sorcery


  • Une des grandes originalités de Chivalry & Sorcery (1978) par rapport à D&D était que C&S (dont la première édition avait un nom en français, Chevalier) était censé être "pseudo-historique", plus proche du Moyen-Âge européen que des seules conventions habituelles de la fantasy.

    Les deux auteurs canadiens Edward E. Simbalist et Wilf K. Backhaus disent dès l'introduction qu'ils jouaient dans une version de la France sous Louis VII et Philippe Auguste.

    The Feudal Age was chosen as the setting of the action. There is a powerful and most appealing tradition of glorious deeds and stirring events surrounding the whole period of Chivalry. Furthermore, most fantasy occurs in societies that are generally feudal in nature, and the richest traditions of “Magick” belong to that period as well. To make the life of the Feudal Ages live again and to provide an authentic setting in which to play out the campaign, C&S is filled with aides and guidelines which make the creation of an entire world possible. Our group has chosen France, 1170, as the center of our world, although it is a France drawn with a liberal brush indeed.

    Mais les règles de C&S avaient repris directement les Hobbits, les Elfes et les Khuzdûls des Terres du Milieu de Tolkien et toutes ces espèces fantastiques étaient évoquées comme si elles étaient des minorités indépendantes dans la France de Philippe Auguste. On précisait par exemple que les Noldor et Sindarin avaient un droit au statut féodal de "noble" quand ils étaient dans le territoire humain. Les règles de Magie (Magick) mentionnaient à la fois le Diable judéo-chrétien et des Balrogs tolkieniens, des Ordres comme les Templiers et des monstres comme les Hommes-Lézards.

  • Dans la préface de son adaptation de C&S pour le Japon médiéval, Land of the Rising Sun, la célèbre Lee Gold (qui dirigeait aussi la plus importante fanzine de l'époque, Alarums & Excursions, décrit brièvement sa propre campagne "européenne" de C&S. Elle avait créé une Angleterre médiévale très différente en superposant l'invasion de Guillaume le Conquérant et l'arrivée des éléments tolkiéniens.

    The C&S I co-GM with my husband is set in an England in which the Norman conquest occurred in the 10th century under the reign of Æthelred the Unready - and the Elves and the Númenóreans landed in 1066, set adrift in the world-lines when the shape of Middle Earth was changed during the Fall of Númenor. Recent research has revealed that even the humans, maybe even the Dwarves, are not the native inhabitants of the land. The Patterns that walk the Gorsedd Bran go back much farther, and the players are currently still trying to figure out just how to get them all back to sleep again.

  • Le monde de Hârn avait à l'origine aussi commencé comme une campagne de C&S, autant que je sache (tout comme Ars Magica). L'île de Hârn ressemble un peu à un mélange de l'Angleterre saxonne pré-normande avec des minorités d'Elfes, des Nains et d'Orcs en plus (mais aussi quelques cités-Etats décadentes et sataniques à l'ouest avec la République Thardique). Je trouve la description de Hârn étrangement proche de celle de la campagne de Lee Gold.

    Certes, c'est presque l'inverse : l'Angleterre de la campagne de Gold voit arriver les Elfes des Terres du Milieu dans une invasion récente. Hârn était d'abord peuplée d'Elfes et de Nains, puis sont arrivés les premiers Humains (les Jarins, qui jouent le rôle des Celtes) et ensuite les royaumes féodaux venus du continent (Chybisa, Kaldor, Kanday, Rethem) et enfin invasion des Iviniens (qui jouent le rôle des Danois). Un détail qui manque dans les invasions de Hârn serait l'effet civilisateur des quelques siècles d'Empire britanno-romain. Cela explique peut-être (en dehors de la taille) que Hârn paraisse finalement si peu civilisée et même presque plus "Dark Age" que médiévale.

  • Par la suite, Edward Simbalist créa un univers pseudo-médiéval appelé Archaeron et décida d'atténuer les références à l'Europe réelle en retirant les noms judéo-chrétiens des Démons.

    Il ne publia qu'un seul supplément officiel dans cet univers de campagne, Arden: A Complete Kingdom, ne décrivant qu'un seul Royaume médiéval assez classique (uniquement des listes rébarbatives de châteaux et de fiefs). Dans le premier numéro de Different Worlds, Simbalist décrit un peu plus son univers.

    Le monde d'Archaeron eut naguère des espèces inhumaines mais les Elfes conduits par Oberon et les Nains conduits par Thorsald Ecu-de-Fer se levèrent contre la tyrannie des Seigneurs-Dragons et leurs hordes humanoïdes. Depuis, les Dragons ont fui vers les Îles de la Mer du Ponant.

    Arden (capitale Warminster) est un Royaume féodal. Au sud, Archaeron (cités principales Archaeron et Erewhon) est une magiocratie, où les Mages sont la noblesse et où ils pratiquent surtout la Nécromancie, l'Alchimie et la Sorcellerie (Hex Mastery). Le réseau des Mages s'étend au Royaume voisin de Hwicca. Le Kargard pratique le Cabbalisme. L'Artegon est le Saint Siège de la Foi Unique et l'Eglise interdit toute Magie. Certains Royaumes adorent encore le Ténébreux, l'ancienne divinité de l'Empire des Seigneurs Dragons. Les Marches sont occupées par des Ordres et des Ordres combattants. La Terre Sainte a des guerres contre les Sarrasins, avec des Croisés et Paladins aux pouvoirs mystiques. A l'est, au-delà du Fleuve Noir se trouve la Forêt Enchantée, où dort le mystique Enchanteur et où on peut trouver tous les monstres du jeu. Il y a dans le nord des royaumes entiers de Trolls et de Gobelins.


  • Add. Comme le fait remarquer JF, il faudrait ajouter le supplément Saurians (1979). Il y eut aussi deux scénarios pour la seconde édition qui se déroulaient encore dans un autre monde vague, The Songsmith et DragonLord (1984).

  • 20 ans après la première édition, en 1996 paraît ce qu'on appelle la "3e édition de Chivalry & Sorcery", chez Higlander Games. Les règles sont devenues très différentes, rendues plus modernes mais aussi plus génériques, ce qui détruit tout le charme de la Première édition (déjà un peu appauvri dans le rangement de la deuxième). Il y a cette fois un nouvel univers pseudo-médiéval qui utilise la carte réelle de l'Europe mais avec des peuples fantastiques en plus, le Monde de Tannoth. Il ne sera jamais développé.

  • Dès la 3e édition, un certain Steve A Turner avait proposé un second univers, Dragon Reaches of Marakush et ensuite, après la faillite de Higlander Games, un micro-éditeur Britannia Games Design reprit les droits de C&S et proposa une 4e édition révisée en 2002 (C&S: The Rebirth), avec son Marakush comme univers officiel et abandon total du Tannoth.

    Le nom de ce monde m'avait fait penser à une référence au Maroc ou aux Croisades et il n'en est rien. L'univers a quelques nuances pseudo-celtiques, avec ses Elfes gallois et un culte de totem de l'Ours, qui ne me semble pas toujours bien cadrer avec une ambiance médiévale. Un problème linguistique est le mélange constant de noms de l'Europe réelle et de sonorités purement fantasy.

  • J'ai longtemps pensé qu'un bon univers de quasi-Croisades pour C&S, à la fois médiéval et fantastique, serait non pas la vraie "Terre Sainte" mais le Prêtre Jean, dans une version ou une autre (voir notamment le roman d'Eco, Baudolino).


    Le Royaume de Zazamance est un Royaume païen qui avait une forme étrange d'Islam polythéiste adorant à la fois Allah, son épouse Alilat, Mahomet et des formes d'astrolâtrie syrienne (les textes médiévaux comme la Chanson de Roland ou le Parzival disent qu'ils adorent "Apollon" et "Jupiter" mais dans ce contexte, on va dire que c'est une simplification de dieux chaldéens).

    Le Patriarche Johannes est le fils du chevalier Feirefiz, métis sarrasin de la famille du Roi-Pêcheur et cousin de Perceval, et de Réponce la Vierge du Graal, pour qui Feirefiz s'est convertie. Johannes descend des Rois Mages de Perse (Balthasar vint d'Arabie, Melchior de Perse, Gaspar d'Inde). Son Royaume de Zazamance aux portes des Indes garde désormais le Château du Graal, les trois Tombeaux des Rois Mages et la Porte du Jardin d'Eden, gardé par les Archanges.

    L'Ordre des Chevaliers aux Cygnes sont un ordre mystique de Croisés, notamment flamands et allemands, venus de Terre Sainte pour garder le Graal. Ils contestent son autorité au Patriarche Johannes parce qu'on le dit trop indulgent envers les esprits païens, les Djinns, Devas, Asuras, Invisibles et Fées de son Royaume. Le Patriarche nestorien n'a-t-il pas d'ailleurs eu des enfants ? Ils tiennent les Portes d'Alexandre, faites pour empêcher les Nephilim et Titans de Gog et Magog de déferler.

    D'autres vassaux colons "latins" ont fondé le Comté de Poictesme et d'Averoigne (Vyones et Ximes), où vivent les mages d'Ambreville et les lycanthropes comme Malachie du Marais.

    L'Ordre des Chevaliers des Etoiles est une curiosité de mélange entre le judaïsme khazar et l'astrologie syrienne [idée volée à Philip José Farmer qui met dans un roman sur son World of Tiers l'idée de Chevaliers juifs, si ce n'est qu'ils sont ashkénazes].

    La Forêt de Rosecorne est dirigée par la Dame à la Licorne, Esclarmonde, descendante de la Dynastie Isaurienne et Khazare, qu'Aubéron le Roi des Elfes donna à Huon de Bordeaux. Elle est Reine de Féérie et tient l'ancien Cor de Huon, qui peut évoquer les anciens héros. On dit que la Source de Jouvence coule là et que Johannes a eu le droit d'en boire une gorgée, d'où sa légendaire longévité.

    Les Terres Gastes sont maudites et on dit que c'est causé par la Lèpre qui a frappé le Prêtre Jean.

    En Hyrcanie voisine, d'où viennent les Lycanthropes, on trouve aussi une tribu d'Amazones (qui furent dirigées par la Paladin Yde, fille de Florent et descendante de Bradamante), de Gorgones et de Femmes-Vouivres (Yamilka, la Reine des Serpents, soeur d'Eblis et reine des Invisibles, tient encore le Jardin d'Eden), mais aussi diverses créatures hypernotiennes, des blemmyes, des sciapodes, des panotes, des Cynocéphales nacumériens (dont certains suivent Saint Christophe, Saint Ysengrin et Saint Guinefort), des grylles, des gargouilles, les Rocs vus par Sinbad.

    L'ancienne cité d'Iram, Pndapetzim et la Cité d'Airain, ancienne forteresse des Djinns rebelles contre le Roi Salomon, se trouvent aussi dans ce Royaume.

    Le Royaume abrite une population avec de nombreuses minorités religieuses qui n'ont pas rejoint le Nestorianisme de l'Eglise de Saint Thomas l'Apôtre des Indes. Il y a des Yezidis, kurdes gnostiques qui adorent un aspect d'Eblis-Lucifer (Melek Taus) comme repenti, des Mages zoroastriens et des Musulmans qarmates révolutionnaires et astrologues, qui ont fondé un Ordre plus redouté encore que les Assassins du Vieux de la Montagne.

    On dit que Gengis Khan a demandé du Prêtre Jean la main de sa fille et qu'il va venir ravager ses terres s'il ne lui donne pas. Depuis le début de la Guerre, on dit que le Patriarche a été capturé par les Mongols (qui hésitent encore entre le paganisme, l'Islam, le Bouddhisme et le Nestorianisme). Un autre "Jean" se prétend le vrai Patriarche évadé et un certain "Prêtre David" se dit l'héritier légitime, fils du Patriarche par une Princesse éthiopienne.

  • 11 commentaires:

    Anonyme a dit…

    il y a aussi ce qui a été développé dans le supplément Saurian, avec description d'une race d'hommes lézards très bien faite. Sans doute le 'background' le plus original que j'ai lu pour C&S
    JF

    Phersv a dit…

    Ah, je le recherche hélas depuis longtemps (comme Arden, qu'on dit très décevant). J'ai lu que la section sur les Hss'Taathi était censée se situer sur Archaeron, le monde de Simbalist.

    Il y a aussi un autre monde, celui que le prolifique Andrew Keith a créé en 1984 pour les deux modules The DragonLord et The Songsmith.

    Raskal a dit…

    Dans Chivalry & Sorcery Essence 2.0, on trouve la description de Darken, l'un des royaume du monde de Marakush. Darken est gouverné par le dragon Shugaloth, adoré comme une déesse par les hommes du royaume

    Rappar a dit…

    Eh eh, très bien ce portraits d'univers imaginaires (le plus intéressant en JdR, en somme).

    Mais cet univers de Prête Jean? :) Il représente bien le Weltanschauung du moyen-âge occidental (*), (ou plutôt l'idée que l'on se fait de l'ignorance médiévale) ;) ; merveilleux; méconnaissance du moyen-orient, etc.

    Mais, les joueurs contemporains sont habitués à compartimenter mentalement les univers de jeu. Là, tu présentes un grand mélange de mythes. Est-ce que il marcherait en partie, le monde du Prêtre Jean? Ou bien les joueurs se diraient "ah, là on dirait du Pendragon. Ici, du Légendes des 1001 nuits. Là j'y crois pas parce que ce n'est historiquement pas ainsi..."? :)

    Je pense que pour être immersionniste, un univers doit être reconnaissable, vraisemblable, et cultiver des "signes de reconnaissance" propres; si des participants à une séance ont l'impression que des univers de JdR se télescopent, leurs repères sont brouillés et ils ne "rentrent" plus dans la partie.

    Alors c'est un bel univers, mais est-il jouable? :)

    (*) woah j'ai réussi à placer un mot philosophique alors que je n'y connais rien! ;)

    賈尼 a dit…

    Atlas Games avait aussi publié un supplément "Prêtre Jean" pour Ars Magica, ça s'appelait South of the Sun.

    Phersv a dit…

    > Raskal
    Oui, cela devient beaucoup plus "high fantasy" à la Forgotten Realms que pseudo-historique médiéval.

    > Rappar
    C'est en partie une question de goût mais je trouve que le Royaume du Prêtre Jean a sa cohérence.

    J'ai un peu exagéré dans mon descriptif en voulant faire un "tout à l'évier" et je retirerais sans doute Poictesme/Averoigne, qui n'était qu'un clin d'oeil pour avoir une pseudo-France dans mon pseudo-Orient.

    Le Prêtre Jean représente la Marge, la Terra Incognita au coin des cartes : il y a un Ailleurs qui semble pareil (il y a des alliés lointains) mais qui est quand même tout autre.

    Dès que l'Orient fut mieux connu à la fin des Croisades, le Prêtre Jean fut reculé vers l'Afrique et plus dans ces Indes imaginaires.

    Mais je crois que les personnages pourraient apprendre à s'y reconnaître dans ce mélange du réel et du merveilleux.

    Cela dit, j'ai parfois des problèmes avec Pendragon, justement, où on alterne entre la date réelle (Ve/VIe siècle, avec des druides celtiques) et des allusions au Moyen-Âge plus tardif (Lancelot vient de Langedoc ?). Il faut accepter ces anachronismes sinon on ne jouerait pas dans le monde arthurien.

    Ici il serait en effet difficile de mélanger l'Orient du XIIIe réel avec le Prêtre Jean, neveu de Perceval (dans la version germanique du mythe), mais je pense qu'on peut s'y faire très vite - sauf avec des joueurs qui trouveraient cela de mauvais goût ou idéalisant trop les Croisades réelles (et c'est un vrai problème qui me fait hésiter aussi devant Miles Christi).

    Quand j'avais regardé Capharnaüm, je me souviens que les allusions mélangeant le Moyen-Orient réel avec une reconstruction de fantasy me gênaient un peu. Je craignais qu'on caricature finalement plus en cherchant à ne blesser personne. Les "Escartes" (l'équivalent des Croisés) s'en sortent globalement moins bien que les Saabi (en gros un équivalent d'Arabes polythéistes).

    > 賈尼
    Oui, je crois que là, ils reprennent la théorie plus tardive (et qui a duré d'ailleurs plus longtemps, étant maintenue par les Portugais à la Renaissance) où le Prêtre Jean n'est plus en Asie (en "Inde" ou en Perse) mais est en Afrique (en Ethiopie).

    La théorie éthiopienne fut plus influente mais fait perdre des références du XIIIe (quand les Occidentaux avaient "entendu dire" que Gengis Khan avait tué le Prêtre Jean ou bien qu'il était le Prêtre Jean).

    J'ai le supplément mais je ne l'ai jamais lu.

    Anonyme a dit…

    il y a aussi la dernière version de C&S qui apporte énormément de nouveau matériel
    http://en.wikipedia.org/wiki/Red_Book_%28C%26S%29

    Phersv a dit…

    Hélas, cette "6e" édition pirate (ou édition 1.6) si complète est devenue introuvable depuis des poursuites du dépositaire des droits. Dommage, il y avait tout Arden dedans...

    Phersv a dit…

    Je vois que la nouvelle édition 7 (Gorgon) a maintenant à la fois Arden et Saurians !

    Et du coup, je me rends compte en lisant Arden à quel point Hârn a pu l'imiter. Le dieu du Mal s'appelle même Morgath, comme dans Hârn.

    Anonyme a dit…

    introuvable ? non !
    le web est ton ami...

    http://www.uploadmb.com/dw.php?id=1365024324

    Phersv a dit…

    Merci, oui, je l'ai trouvée depuis !