lundi 2 janvier 2012

Le Renard et le Masque



Kant, dans la Métaphysique des Moeurs a cette curieuse comparaison : "Une science seulement empirique du droit, comme la tête de bois de la fable de Phèdre, est une tête qui peut être belle ; mais il n'y a qu'un mal : elle n'a point de cerveau" (Introduction, B, Pléiade III, p. 478, AK VI 230).

La fable est déjà dans Esope mais chez Phèdre, c'est Le Renard s'adressant au Masque tragique(I, 7 Vulpis ad Personam Tragicam) :

Un Renard vit par hasard un masque de tragédie :
« Quelle figure ! dit-il, mais elle n'a point de cervelle. »
Ceci peut être dit de ceux pour qui la fortune a concédé honneur et gloire, mais enlevé le sens commun.



Chez Esope, il n'y avait qu'une opposition de l'apparence et de la prudence. Chez Phèdre, cela devient plus social avec l'opposition des honneurs et de ce "sens commun".

La Fontaine en a donné aussi une version, "Le Renard et le Buste" (IV, 14), qui insiste plus encore sur cette dimension sociale en parlant des "Grands" mais ne cite qu'au début la métaphore du jeu de tragédien, avec une statue à la place du masque.

Les Grands, pour la plupart, sont masques de théâtre;
Leur apparence impose au vulgaire idolâtre.
L'Âne n'en sait juger que par ce qu'il en voit :
Le Renard, au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tout sens ; et, quand il s'aperçoit
          Que leur fait n'est que bonne mine,
Il leur applique un mot qu'un Buste de héros
          Lui fit dire fort à propos.
C'était un Buste creux, et plus grand que nature.
Le Renard, en louant l'effort de la sculpture:
«Belle tête, dit-il, mais de cervelle point.»
Combien de grands Seigneurs sont Bustes en ce point !

1 commentaire:

賈尼 a dit…

Excellente Fable. Dommage que ce ne soit pas celle-ci que l'on enseigne à nos têtes blondes. Ça les rendrait plus critiques vis-à-vis de la société du spectacle.