lundi 30 janvier 2012

Les couards, ça ose tout



Il était une fois un lointain pays dont le Président, Monsieur Malinguet, avait exercé son mandat depuis déjà cinq ans.

Dans une version peu plausible du conte, M. Malinguet fut interrogé par plusieurs journalistes économiques.

Il y avait de la diversité dans ceux qui l'interviewaient : l'un était un journaliste économique qui pensait que M. Malinguet avait vraiment fait des réformes nécessaires mais qu'il aurait dû aller plus loin ; et l'autre était un journaliste économique qui pensait que M. Malinguet avait vraiment fait des réformes nécessaires mais qu'il aurait pu aller plus loin. Tout le spectre des théories économiques et politiques était donc couvert.

Monsieur Malinguet expliqua avec sérénité qu'il "ne se déroberait pas à ses responsabilités". Tous admirèrent sa gravité. Il était prêt à l'héroïsme. Il exerçait tous les pouvoirs depuis cinq ans et il n'irait pas immédiatement pantoufler chez Gazprom comme son ami le Chancelier social-démocrate de Germanie pour mener enfin la vie dorée de ses amis. Il pourrait même remettre les navires de luxe à cinq ans après. Il était prêt à tous les sacrifices et même à ne gagner que ce salaire minable de Président dans ses années avant sa retraite. C'est dire s'il était altruiste, mais il trouvait que ce serait indécent de trop le faire remarquer.

Il dit avec sagesse et flegme qu'il avait toutes les audaces. D'abord, il n'hésiterait pas, quel qu'en soit le risque, à baisser les impôts sur les plus hauts revenus de ses amis les plus fortunés. Non, il était de cette trempe-là. Oui, il savait qu'un autre n'aurait pas été assez intrépide pour le faire. Et oui, il aurait la bravoure suffisante pour faire ce que ses amis du Mouvement des Dirigeants d'Entreprise lui demandaient en baissant les charges patronales et en faisant payer l'ensemble des citoyens en montant la TVA pour compenser cette baisse. Et il aurait assez de caractère, de cran et de conscience pour dire qu'il le faisait parce que lui, au moins, il croyait à l'Intérêt Général et qu'il ne voulait pas s'attaquer aux "Classes Moyennes". Il avait quelque chose d'héroïque. Les autres faisaient de la politique. Lui défendait toujours les intérêts de ses amis, quel qu'en soit le coût politique. Il savait que certains n'auraient pas assez de hauteur d'âme pour comprendre cela. Si seulement d'autres que lui étaient capables de son sens du don de soi.

Et oui, il serait même assez hardi pour dire qu'il savait que la hausse de la TVA ne ferait pas monter les prix. Il en avait la conviction intime, quelque part entre ses intuitions compartimentées. D'ailleurs, dit-il avec équanimité, il n'y a pas de Vérité. Il n'y a que l'Authenticité. Et on savait bien qu'il n'y avait rien de plus authentique qu'un acteur qui a assez de fermeté d'âme pour dire que la Vérité n'existe pas. D'ailleurs il n'y a plus de gauche ou de droite aujourd'hui. Il faut vraiment être un idiot de gauche pour croire qu'il y a une gauche et une droite. Il n'y a que le miroitement multiple des Vérités et l'Authenticité Unique des Héros assez généreux pour mener une politique si impopulaire chez ceux qu'il ne fréquentait pas mais qui devraient voter pour lui s'ils avaient un peu le sens des responsabilités.

Et oui, il aurait assez de résolution pour s'attribuer un nouvel impôt sur les transactions financières alors qu'il avait supprimé cinq ans avant un impôt sur les opérations de bourse. Il parvenait à s'attribuer la création de ce qu'il avait détruit, ce qui est le sommet de l'art politique. Et il ajouta avec placidité que sans aucun doute l'Allemagneleferaitaussi. Hum. Il le dit très vite et aucun journaliste ne lui demanda d'où il tirait cette information au détour d'une des Vérités perdues parmi d'autres.

Il serait assez vaillant pour permettre à ses mêmes amis dirigeants de négocier librement dans chaque entreprise s'ils voulaient réduire les salaires sans tous ces ignobles crimes perpétrés par des lois communes ou un code du travail. Mais il était convaincu que cela n'entraînerait aucune baisse des salaires ou aucune détérioration des conditions du travail. Hélas, certains syndicats représentant seulement des employés s'opposeraient à cette nouvelle liberté. Il était déterminé à donner la priorité aux souhaits des employeurs. Mais il n'y avait plus de droite ou de gauche. Car "la Vérité", plus personne ne croit à ces vieilles lunes désuètes et métaphysiques d'une "Vérité", on est quand même au XXIe siècle, non, est-ce que je me trompe ou bien ?

Le lendemain, les journaux et les médias s'étonnèrent des vertus morales insignes de Monsieur Malinguet. Quel courage ! Quelle chutzpah !

Sans aucun doute, s'il n'était pas réélu, ce serait seulement parce qu'un peuple de citoyens timorés n'arrivait pas à suivre le sens du sacrifice d'un héros qu'ils ne méritaient pas. Mais un jour, quand il serait parti pantoufler avec une autre mannequin sur un autre navire d'un autre oligarque qui lui serait resté "loyal", ils devraient enfin reconnaître qu'ils n'étaient pas prêts, eux, si médiocres, à une telle figure capable ainsi de mettre l'intérêt du cercle de ses proches au-dessus de tout désir démagogique de défendre d'autres intérêts.

Quel courage !

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Sur l'authenticité, notre courageux héros jouit d'une bonne compagnie.

Phersv a dit…

On comprend mieux sa xénophobie maintenant, c'est un retour aux Racines authentiques.

Ca aurait presque un charme s'il commençait à défendre un uniforme d'abacost neuilléen pour montrer qu'il n'est Ni de droite Ni de gauche. S'il est réélu, comme il n'aura plus de campagne ensuite, il va encore plus se lâcher dans l'authenticité la plus épanouie...

Cette histoire de relativisme sur la vérité est une obsession chez lui. Vers 2006 ou 2007, si je me souviens bien, il avait cru faire l'éloge de la philosophie en disant qu'elle permettait "à chaque élève de trouver sa Vérité".

Je suis d'une neutralité sourcilleuse en cours mais si un élève me demande ce que signifie ce cliché, j'aurais du mal à trouver une interprétation charitable.

Anonyme a dit…

Une très bonne interview future de Notre Souverain dans Usbek et Rica 5 (en kiosque).
Goodtime

Phersv a dit…

Cette vidéo du 27 novembre dernier est fascinante. Il arrive à se déjuger complètement à seulement deux mois de distance. C'est vraiment le grand n'importe quoi...

Et comme d'habitude, il dit qu'il ne le fera pas "pour rester au même taux que l'Allemagne". Maintenant, il dit qu'il le fera "parce que cela a marché en Allemagne". L'Allemagne sert toujours à justifier une chose et son contraire dans les mythes sarkozystes.

Je me demande comment les spin doctors badinguetistes vont nous expliquer que le +1,6% de TVA dite "sociale" n'est pas "une hausse généralisée injuste et qui pèserait sur le pouvoir d'achat".

Imaginos a dit…

> Je me demande comment les spin doctors badinguetistes vont nous expliquer que le +1,6% de TVA dite "sociale" n'est pas "une hausse généralisée injuste et qui pèserait sur le pouvoir d'achat".

Mais enfin, puisqu'il te dit qu'il est persuadé que les prix ne vont pas augmenter, comment veux tu que ça pèse sur le pouvoir d'achat ?
:-(

Rappar a dit…

C'est merveilleusement écrit. Il y a un éditorialiste qui n'est pas à sa place! :) Digne du meilleur des Samuel Gontier (de Télérama).

On ne saurait reprocher à Maldinguet de changer d'avis et de se contredire; il a été vendu comme un "pragmatiste" en 2007, et c'est pour cela qu'il a ratissé large et a été élu.

Qu'il ait lui-même détricoté, pendant la deuxième moitié du mandat, ce qu'il avait bâté pendant la première, est absolument fa-sci-nant.

Concernant la diminution des charges patronales, la proposition de Maldinguet est bien trop timorée; (ce qui est étonnant chez un pareil héros réformateur qui se rit des pressions et ne fait pas les choses à moitié). Si on veut vraiment réduire la différence du coût du travail avec les pays à bas salaires, envisageons de les supprimer totalement.

Bien sûr, ce qui est donné d'une main doit être repris de l'autre. Le profit que les entreprises tirent d'une baisse de leur coûts salariaux doit leur être repris à elles, et non ponctionné aux ménages et aux épargnants ou aux banques. - En effet, l'autre moyen de financement de la mesure est une augmentation de la CSG sur les produits financiers.

Sinon c'est du transfert de richesse pur et simple.

Dans mon modèle :), c'est le plus à la source, directement le bénéfice net d'exploitation des entreprises que l'on taxerait (avant qu'elles ne puissent détourner les profits vers des paradis fiscaux).

Le montant de cette taxe serait divisé par le nombre d'employés équivalent temps plein, pour favoriser les entreprises employant plus de main d'oeuvre que de capital :)

Phersv a dit…

Je viens de voir que c'était déjà devenu un gag sur Twitter : #jesuiscourageux, plus drôle que le hashtag "UMPanique".

fencig a dit…

Perso j'ai du mal à comprendre comment en quelques phrases rapprochées on peut dire que les prix n'augmenteront pas mais que la conso augmentera par anticipation d'achats avant la mise en place de la mesure?
Si les prix ne vont pas augmenter pourquoi anticiper des achats prévus ?
Bon...
D'un autre coté je ne suis pas économiste...

Pour l'attaque directe du code du travail, par contre, je n'ai aucune inquiétude.
Aucune chance que cela passe.
Et puis comme d'hab hein..
On sort deux mesures impopulaire en même temps, ce qui fait passer la pilule de la première quand on repousse la seconde...

Phersv a dit…

Ce qui est dommage est que les interviewers n'aient pas vu la contradiction, relevée le lendemain par les commentateurs.

Oui, il n'aura sans doute pas le temps ni la possibilité de le faire (sauf cas de deuxième mandat, hypothèse qui commence à devenir vraiment moins probable).

Le Canard enchaîné d'aujourd'hui a un dessin où Srkozy se demande pourquoi on lui reproche ses propos de dimanche : "Mais les Français devraient pourtant savoir maintenant que je n'ai pas l'intention de faire vraiment ce que j'ai dit, quand même".

Anonyme a dit…

"Quelle chutzpah."

Je dois admettre que je ne suis plus certain de l'orthographe. On ne peut pas être et avoir été. En tout cas, merci pour l'éclat de rire. Et pour le coup de vieux.