mardi 3 mai 2011

L'effondrement des Grits



En Orange le NDP de Layton et en Bleu les Conservateurs de Harper

Il y a quelques jours, sur le blog CrookedTimber, un Canadien disait que les élections législatives du 2 mai 2011 étaient prévues pour être ennuyeuses (le retour des Conservateurs au pouvoir) et qu'elles étaient devenues juste bizarres avec la possibilité inouïe que le petit parti de gauche, le NDP, prenne la tête d'une coalition gouvernementale devant les Libéraux.

On a eu finalement les deux, l'ennuyeux et le bizarre : les Conservateurs ont bien gagné une majorité absolue mais le petit NDP a détruit à la fois le Bloc québecois et le principal parti de gouvernement du Canada, les "Grits" (les Libéraux).

Pour imaginer le séisme, c'est comme si l'UMP regagnait les élections mais avec un Front de gauche remplaçant le PS devenu groupusculaire (ce n'est qu'une analogie ratée : on pourrait dire plutôt que le NDP n'est pas loin idéologiquement du PS, s'il était resté aussi petit qu'au début des années 70, et les Libéraux ressemblerait plutôt à une sorte d'UDF de Bayrou qui aurait été le parti de gouvernement).

En théorie, la Chambre des Communes peut rester 5 ans mais en pratique les Premiers ministres ont souvent anticipé les élections ou ont dû le faire quand ils perdaient lors d'une motion de défiance. Si on compte depuis les élections de 1984, les Conservateurs (qui s'appelaient alors les PC, les "Progressive Conservative") ont gagné deux fois de 1984 à 1993, les Libéraux ont gagné pendant 13 ans, en 1993, 1997, 2000 et 2004, puis a commencé un nouveau cycle conservateur avec une victoire en 2006, à nouveau aux élections anticipées de 2008 et à présent en 2011 (avec pour la première fois depuis les années 80 une majorité absolue pour les Conservateurs, ce qui doit donc laisser plus de stabilité potentiellement jusqu'en 2016). Sur 32 ans (1984-2016), cela donnerait donc 19 ans de Conservateurs et 13 ans de Libéraux.



  • Les Conservateurs n'avaient pas la majorité et venaient d'être renversés. Ils ressortent avec près de 40% des voix (très légère hausse +2) mais plus de 54% des sièges (gain de 24 sièges, soit +17%). Les Conservateurs semblent notamment avoir repris en plus de leur fief des Prairies la Province centrale de l'Ontario. Le pénible Stephen Harper, le sous-Bush du Nord, va donc rester Premier ministre assez longtemps. 

  • Pourtant, le Parlement glisse vers la gauche et pour la première fois, c'est le NDP de Jack Layton qui devient l'Opposition de Sa Majesté. Ils ont eu 30% des voix (énorme hausse +12!) et 33% des sièges (102 sièges, soit une hausse relative de +175% !). Ils ont notamment séduit le Québec (sur les 102 sièges gagnés, 58 sont au Québec, 22 en Ontario, 12 en Colombie britannique). 


  • Les Libéraux s'effondrent : 19% des voix (-7), 11% des sièges (34 sièges, environ divisé par deux). C'est une défaite personnelle pour le nouveau Leader (depuis le début 2009) Michael Ignatieff, lui-même battu dans sa propre circonscription par un Conservateur (elle était acquise aux Libéraux depuis 18 ans). Il y a sans doute plusieurs facteurs qui expliquent cet échec personnel : Ignatieff pouvait faire trop intellectuel, trop hésitant et calculateur mais surtout il a paru trop états-unien ou pas assez canadien (ce qui pourrait plus plaire chez les Conservateurs). Il reste à voir si c'est l'autre universitaire Bob Rae de Toronto ou Dalton McGuinty, Premier ministre de la Province de l'Ontario, qui reprendra le parti (Justin Trudeau, le fils de l'ancien Premier ministre, n'est toujours pas évoqué). L'épisode Iggy aura donc hélas été un désastre très rapide malgré tous les espoirs que les Libéraux mettaient en lui.


  • Le pire est le parti souverainiste Bloc Québecois, qui est presque complètement effacé de la représentation fédérale du Québec, remplacé surtout par le parti de gauche NDP qui s'est solidement implanté dans la Province francophone. Sur les 49 sièges de 2008, il n'en reste plus que 4, son plus mauvais score fédéral depuis ses origines en 1993 (il avait toujours oscillé entre 38 et 54). Même en se limitant au score dans la Province du Québec, ils n'ont que 23%, loin des 43% du NDP ! Gilles Duceppe, dirigeant du BQ depuis 1997, a été battu dans sa circonscription de Laurier-Sainte-Marie par la candidate NDP Hélène Laverdière. Il a déjà annoncé qu'il donnait sa démission.


  • C'est une bonne nouvelle pour le NDP mais je crains que cela n'en soit surtout une pour les Conservateurs pour les prochaines élections des années 2010. La hausse historique du NDP ne les met quand même pas au niveau de rivaliser sérieusement avec les Conservateurs et il leur faudrait continuer leur croissance tout en réussissant une coalition dangereuse avec les Libéraux (ce qui pourrait décevoir leur base de gauche). Les Libéraux restaient au pouvoir en prenant à la fois aux Conservateurs et aux NDP. Le NDP a pris surtout aux Libéraux et au BQ.

    Add. : Christopher Bird (qui appelait à voter NDP) fait remarquer que le déclin des Grits sera durable (surtout comme ils vont perdre une énorme partie de leur financement) mais que le NDP+Libéraux auraient bien sûr plus de votes que les Conservateurs en cas de système de vote "alternatif". Il appelle donc à une fusion des deux Partis d'opposition pour aller vers un système parlementaire à deux partis.

    5 commentaires:

    Anonyme a dit…

    Cela équivaut-il à un effacement des souverainistes Québecois ?

    Phersv a dit…

    Cela traduit sans doute en partie de la lassitude sur la question souverainiste, surtout depuis que l'identité québecoise a reçu certaines concessions des Libéraux dans toutes les années 1990. Le référendum souverainiste a failli gagner à 0.6% près en 1995.

    Cela va nuire à leur cause mais il faut distinguer la place du Parti québecois à l'intérieur de la Province et du Bloc Québecois au niveau du Parlement canadien. Le BQ a été désintégré au niveau fédéral mais le PQ existe encore bien sûr dans la Province, même si ce sont des "Libéraux du Québec" (centre-droit) qui ont gagné les élections provinciales trois fois depuis 2003 avec Jean Charest.

    Certains PQ ultra-souverainistes étaient opposés à l'idée même du BQ, en considérant que cela revenait à reconnaître le fédéralisme canadien.

    Anonyme a dit…

    Ces résultats marquent tout de même un surprenant effondrement du particularisme québécois : depuis longtemps la Belle Province est connue pour être beaucoup plus à gauche que le reste du Canada mais apportait très peu de voix au NPD de Layton (l'équivalent d'un Rocard des années 80) car le PQ, à l'intérieur, et le BQ au niveau fédéral siphonnait les voix qui auraient du se porter sur lui. Le PQ et le BQ attiraient en outre un vote du centre et de la droite purement souverainiste. Le PQ était entré en crise à la suite de son virage libéral post-bouchardien mais le BQ représentait toujours un vote stable : le Québec obtenait toujours, quel que soit le camp au pouvoir, des privilèges qui servaient ces intérêts et servait à la fois de vote d'appoint pour la majorité et l'opposition selon les circonstances. Avec sa disparition, c'est le caractère si étrange de l'assemblée fédérale qui se résorbe. D'une certaine manière la double fracture : droite / centre et Canada / Québec conférait à cette chambre une instabilité et un pragmatisme intéressants. On arrive maintenant à une bipolarisation classique (pour l'Europe !) droite / gauche avec une domination de la droite et un fort ressentiment de la gauche qui explique le succès de Layton le défenseur des petits. La situation perdurera-t-elle ? En tout cas, l'identité québécoise, qui a le sentiment d'être parvenu à un équilibre harmonieux, continuera d'évoluer, au risque de nouvelles crispations quand les conservateurs reviendront sur les avantages de la (future) minorité francophone.
    Goodtime.

    Phersv a dit…

    Un des signes du déclin du PQ dans les élections provinciales était l'apparition d'Action Démocratique Québec, le parti conservateur autonomiste, qui s'était détaché du PQ parce qu'il était trop social-démocrate à ses yeux. Le Québec se retrouve maintenant avec le NDP de gauche pour le représenter à Ottawa mais les Libéraux de centre-droit au pouvoir dans la Province.

    Si les Québecois ont tant voté NDP aux élections fédérales en abolissant le BQ, c'était peut-être en partie parce qu'ils espéraient vraiment se débarrasser de Stephen Harper (Gilles Duceppe pouvait toujours être soupçonné de pouvoir s'allier encore une fois avec les Conservateurs dans une étrange coalition - alors que le NDP était vraiment le contraire du Harperisme).

    Mais maintenant, la victoire de Harper au niveau fédéral va sans doute réveiller l'hostilité des Québecois contre Ottawa (de même que le souverainisme écossais des années 1990-2000 est né en partie à cause des victoires de Margaret Thatcher en Angleterre quand l'Ecosse votait massivement pour les Travaillistes).

    Anonyme a dit…

    Oui, mes amis québécois pensent aussi que cette élection n'est pas tant la fin de l'exception québécoise que la recherche d'une nouvelle expression. L’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire est pour eux une catastrophe, mais qui pourrait fort bien réveiller le nationalisme au Québec. L’effondrement du Bloc marque donc plutôt une manière de refuser le conservatisme, au Québec comme au Canada, qu’un abandon de la spécificité québécoise sur le plan national. Le Bloc ne pourra peut-être pas se relever de cette défaite, et le mouvement souverainiste devra se trouver de nouveaux véhicules, le PQ étant de plus en plus questionné. Quant au NPD, il trouvera l’un des premiers défis à relever dans l’organisation d’une véritable branche politique au Québec (un bon nombre de ses élus est toujours aux études ! ça rappelle un peu la situation du PS dans les années 70...), avec les risques que cela comporte pour sa propre unité nationale. Comme plus de la moitié de sa députation est issue du Québec (58 sur 102), il faut cependant qu'il en passe par là pour qu’un enracinement se fasse dans les deux-trois prochaines années. Pour les Grits et le PQ, s’ils ne veulent pas tout simplement disparaître, ils devront se réformer ou trouver des systèmes d’alliances qui reflète la franche polarisation gauche-droite des enjeux qui vient de s'imposer. Mais en un sens tout dépend de l'habileté de Harper : va-t-il se croire tout permis ou va-t-il continuer de cajoler les Québécois (désormais représentés par le NPD) pour achever son rival historique ?
    Goodtime.