mardi 11 janvier 2011

Le système et les anecdotes


Le service public a passé ce soir une émission en prime time sur la Crise, présentée par Pierre Arditi et Daniel Cohen, et je présume que beaucoup de spectateurs centristes ou conservateurs l'auront trouvée plutôt sarcastique sur le néo-libéralisme.

Mais Laurent Cordonnier du Monde diplomatique lui fait le procès inverse, en disant que l'émission ne sert qu'à renforcer le consensus qui plairait à tout le monde, y compris l'idéologie sarkozyste ("Il faut juste moraliser le système") : le capitalisme va trouver ses propres remèdes internes si on élimine les vices privés de quelques irresponsables comme Madoff, Messier ou Tapie.

La télévision a besoin d'avoir des histoires individualisées et même Arditi feint de s'en étonner ("Mais c'est un western que vous nous racontez là !", ce qu'on appelerait sur TVtropes une méthode de "l'abat-jour").

On présente quelques méchants, et certains ne sont pas toujours trop médiocres pour ce rôle (Milton Friedman, Alan Greenspan ou Henry Paulson), mais Daniel Cohen simplifie à l'extrême en disant presque que si le PDG de Lehman Brothers, l'immonde Dick Fuld, avait été moins antipathique, la Crise de 2008 n'aurait pas eu lieu (même si le pouvoir de Paulson, ancien de Goldman Sachs, a peut-être vraiment eu un effet). Cohen était plus convaincant quand il faisait remarquer que le système issu des années 30 avait su résister à de grandes crises avant le démantèlement de la régulation à la fin des années 90 (il y eut quand même la Crise de 1987 mais elle n'était pas comparable à celle de 2008).

On manque un peu de héros et heureusement, ils ont trouvé (en plus du microcrédit de Yunnus) une Cassandre, l'avocate démocrate Brooksley Born, qui dirigeait la CFTC (pas le syndicat chrétien) et qui fut brisée par Larry Summers et Robert Rubin en 1999 (de même que j'admirais le don prophétique de Byron Dorgan la même année).

Laurent Cordonnier ajoute que la conclusion est particulièrement décevante en proposant comme voie de sortie de la crise le microfinancement ou microcrédit, au moment même où ce phénomène risque de devenir une nouvelle bulle d'exploitation de la pauvreté dans les pays en voie de développement comme de nouveaux subprimes (curieusement, c'est le délégué CGT Xavier Mathieu qui le dira après l'émission, pendant le "débat" et pas l'économiste). Les derniers mots tombent dans un lyrisme un peu plat ("L'Homme pourra continuer vers un Avenir Meilleur et plus Prospère").

Cordonnier dit préférer finalement le documentaire Inside Job de Charles Ferguson (CBS a une longue interview). Ce film américain a au moins le mérite d'être plus pédagogique sur certains mécanismes, en expliquant les Credit Default Swaps et CDOs par exemple, mais je présume que la télévision n'ose oser éprouver la patience des spectateurs. En revanche, il a un peu la même théorie d'un simple problème moral, un Vice de Cupidité de quelques individus au lieu d'un problème fondamental du système financier. Mais il a raison de constater que l'émission manque de débat et de discussion. On n'a qu'un récit qui va à peu près dans une seule direction prévisible (et finalement le début sur la désindustrialisation semble un peu oublié dans le passage sur la déréglementation).

J'aime bien Arditi mais ce n'est pas son meilleur rôle, surtout quand il tente visiblement de jouer. Après l'émission, il serait un peu moins pathétique s'il n'était pas sur la défensive et parvenait à répondre à la question qu'on lui avait posée sur les publicités LCL auxquelles il a participé. Il dit à peu près que LCL n'était pas aussi coupable que Goldman-Sachs ou que tout le monde a une banque, ce qui prouve qu'il ne comprend pas bien la question.

1 commentaire:

Desméïl a dit…

moi j'ai trouvé le reposrtage assez soft, plutôt didactique et c'est bien... mais un peu superficiel même s'ils ont eu l'intelligence de le faire débuter dans les années 80.