Non seulement on détruit la Séparation des Eglises et de l'Etat, mais c'est pour mieux instituer une nouvelle Séparation, entre l'Ecole comme entreprise et l'Etat. Voir sur Bakchich des extraits de Main basse sur l'école publique d'Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi.
Comme Le Monde rend vite ses archives payantes, voilà le copié -collé de l'article de l'article de Caroline Fourest (de Pro-Choix)sur l'école publique de jeudi 28 août (voir aussi la revue de presse du - très stupidement nommé - "CRAP").
On achève bien l'école publique, par Caroline Fourest
Les partisans de l'école privée peuvent se réjouir. Tous ceux qui préfèrent la séparation de l'école et de l'Etat à la séparation de l'Eglise et de l'Etat, qu'ils soient ultracatholiques ou ultralibéraux, ou ultra-les deux, peuvent savourer leur victoire. La guerre scolaire est presque terminée. Et ils ont gagné.
Le ver était dans le fruit depuis l'accommodement Debré de 1959, lorsque l'Etat a permis à l'école privée d'avoir le beurre et l'argent du beurre : le pouvoir de concurrencer l'école publique par la sélection et le soutien financier de l'Etat pour le faire. L'avancée de la démocratisation scolaire a rendu cette concurrence de plus en plus déloyale. Avec un objectif de 80 % au bac, des enfants venant de milieux sociaux défavorisés et des classes surchargées, l'école publique s'est mise à ramer. Pour sauver le niveau, il aurait fallu augmenter le taux d'encadrement et faire baisser le nombre d'élèves par classe. Notamment dans les ZEP. Mais les budgets n'ont pas été à la hauteur des promesses. Au lieu de concentrer ses moyens au service de l'école publique, l'Etat a gaspillé sa marge de manoeuvre en augmentant les crédits alloués à l'école privée. Les vannes sont grandes ouvertes depuis 2004, date à laquelle les collectivités locales ont obtenu le droit de financer sans limites les établissements privés. Les régions de gauche ne sont pas en reste. Alors qu'il existe toujours plus de 500 communes sans école publique, l'Etat et les collectivités financent quasiment à parité la scolarisation d'un élève dans le privé et dans le public. Cela s'appelle déshabiller le public pour mieux habiller le privé.
Pendant ce temps, l'école publique coule. Loin de lui porter secours, l'actuel gouvernement instrumentalise certaines critiques constructives pour en faire le procès idéologique, ce qui semble justifier de la regarder se noyer. L'Etat pourrait profiter du tassement de certaines classes d'âge pour faire baisser le nombre d'élèves par classe, mais il préfère baisser le nombre de professeurs. Résultat, les classes resteront surchargées. Notamment dans les quartiers populaires, où les proviseurs disent pourtant manquer de personnel encadrant. En guise de réponse, le "plan banlieue" prévoit de financer la création de 50 classes confiées à l'école privée, essentiellement catholique. "Jamais l'Etat n'avait autant organisé la concurrence de son propre service public", commente Eddy Khaldi, syndicaliste et enseignant. Il s'apprête à publier un livre qui devrait agiter la rentrée, Main basse sur l'école publique, cosigné avec Muriel Fitoussi (Demopolis). Fouillé et documenté, il retrace de façon parfois glaçante la montée en puissance du lobbying en faveur de l'école privée ; lequel est parvenu à placer des alliés au plus haut niveau des rectorats, de l'Etat, et même de l'éducation nationale, grâce à des réseaux comme Enseignement et liberté, Créateurs d'écoles ou SOS Education. A l'image de deux directeurs de cabinet du ministre de l'éducation nationale sous Edouard Balladur, Guy Bourgeois et Xavier Darcos.
Conformément à la stratégie définie par Créateurs d'école, dont il fut l'un des membres fondateurs, l'actuel ministre de l'éducation nationale ne veut pas de guerre frontale avec l'école publique, mais une "révolution de velours". Juste assez de velours pour éviter une contre-offensive syndicale. Et ce qu'il faut de détermination pour faire avancer sa révolution, ou plutôt sa contre-révolution. Les grèves ne devraient plus être un problème grâce au service minimum, mis en place après un sondage privé décrétant que les Français y sont plutôt favorables... Une enquête opportunément commandée et financée par SOS Education. Avec ce joker, le ministre a les coudées libres. Mais, de toute façon, le plus dur est fait : la suppression de 11 000 postes de professeur dès cette année, 44 000 en quatre ans si ça continue à ce rythme, l'autonomisation des universités, la multiplication des partenariats privé-public, la déréglementation de la carte scolaire... Tout est passé comme une lettre à la poste. Y compris cette confidence d'Emmanuelle Mignon, conseillère du président de la République, rapportée par un journaliste en 2004 : "Je suis pour une privatisation totale de l'éducation nationale." Pourquoi se gêner ?
Dans les cénacles de l'école privée, on prépare déjà la suite : le "chèque éducation", grâce auquel chaque élève recevra directement l'aide de l'Etat pour choisir de s'inscrire dans le privé ou dans le public. Une idée empruntée au modèle anglo-saxon, qui a fait les beaux jours des écoles privées religieuses. Est-ce bien rassurant pour la cohésion sociale et le vivre-ensemble ? Jusqu'ici, l'école confessionnelle sous contrat donne le sentiment de vouloir privilégier l'enseignement au prosélytisme. Mais les temps changent. L'Eglise, qui confie de plus en plus ses missions éducatives à des courants comme l'Opus Dei ou la Légion du christ, milite pour accentuer le "caractère propre", c'est-à-dire le caractère catholique, de ses écoles. Les autres religions ne sont pas en reste. A quoi ressemblera le vivre-ensemble quand un nombre grandissant d'élèves français aura fait ses classes dans des écoles tenues par l'Opus Dei, les Frères musulmans ou les loubavitchs ? C'est à cela que devraient penser ceux qui, à droite comme à gauche, dénoncent volontiers le repli communautaire, mais n'ont aucun courage quand il s'agit de gouverner. Au mépris de cette évidence : l'Etat n'a pas les moyens de favoriser la privatisation et la confessionnalisation de l'enseignement au détriment de son école. "
Caroline Fourest
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Voir aussi l'article assez proche dans Charlie-Hedbo #845 p. 2-3 d'Agathe André "Une blouse pour l'élève, une soutane pour l'instit", dont voici quelques extraits :
"Parmi les nouveaux recteurs, on trouve d'anciens secrétaires du Club de l'Horloge, une antichambre d'extrême droite fondée en 1974. Et surtout Maurice Quénet, Dominique Antoine et Xavier Darcos, devenus respectivement en mai 2007 recteur de l'Académie de Paris, conseiller en charge de l'éducation à l'Elysée et ministre de l'Education furent les membres actifs des Créateurs d'école, un think tank ultraréac créé en 1992, dont le programme était déjà de partir à l'assaut de l'Education nationale, "de faire sauter les verrous du service public pour libérer l'enseignement". Mais en douceur par "la mise en place progressive de système dérogatoire".
Une nébuleuse d'organisations est partie en guerre comme l'ALEPS - Association pour la liberté économique et le progrès social - une filiale du Medef ; les cinglés de SOS éducation, dont le président Vincent Laarman est l'un des correspondant de l'association américaine Alliance for the Separation of School & State, les culs-bénits de l'AES, l'Académie d'éducation et d'études sociales qui vient d'inonder les collèges d'ouvrages créationnistes et homophobes. Et les fondamentalistes de l'OIDEL, Organisation internationale pour le développement de la liberté d’enseignement, une ONG reconnue d'intérêt public émanant de l'Opus Dei.
Autant d'officines qui visent purement et simplement le démantèlement, la privatisation et la confessionnalisation de l'école publique."
(le nom de l'association des "culs-bénits" A.S.S.S. me paraît presque plus réussi encore que le C.R.A.P. de l'autre bord ci-dessus)
**************
En passant, cet article de la chroniqueuse anti-pédagogiste Natacha Polony dans l'hebdo de la Pensée Unique Anti-Pensée Unique Marianne #593(30 août) p. 23 - même si elle peut avoir raison sur le fond de son attaque, je n'en sais rien - me paraît absurde dans la forme de l'argument à la fin :
Qu'un spécialiste (qui se fourvoie peut-être complètement) appelle à défendre des théories, modèles et pratiques qui lui semblent valides ne me semble pas une faute morale comme elle l'insinue par un sophisme étrange. C'est même la moindre des choses dans un débat démocratique. Ou alors il faudrait renvoyer exactement le même argument aux sectateurs anti-pédagogistes qui sont à présent au pouvoir autour de M. Xavier Darcos. Il est de bonne guerre que des doctrinaires se querellent sur leurs sectes par voie de pétitions, même quand ils ont une charge à responsabilité de fonctionnaires, qu'ils soient recteurs ou ministres. Mais les anti-pédagogistes n'ont pas le monopole du dogmatisme.
Les partisans de l'école privée peuvent se réjouir. Tous ceux qui préfèrent la séparation de l'école et de l'Etat à la séparation de l'Eglise et de l'Etat, qu'ils soient ultracatholiques ou ultralibéraux, ou ultra-les deux, peuvent savourer leur victoire. La guerre scolaire est presque terminée. Et ils ont gagné.
Le ver était dans le fruit depuis l'accommodement Debré de 1959, lorsque l'Etat a permis à l'école privée d'avoir le beurre et l'argent du beurre : le pouvoir de concurrencer l'école publique par la sélection et le soutien financier de l'Etat pour le faire. L'avancée de la démocratisation scolaire a rendu cette concurrence de plus en plus déloyale. Avec un objectif de 80 % au bac, des enfants venant de milieux sociaux défavorisés et des classes surchargées, l'école publique s'est mise à ramer. Pour sauver le niveau, il aurait fallu augmenter le taux d'encadrement et faire baisser le nombre d'élèves par classe. Notamment dans les ZEP. Mais les budgets n'ont pas été à la hauteur des promesses. Au lieu de concentrer ses moyens au service de l'école publique, l'Etat a gaspillé sa marge de manoeuvre en augmentant les crédits alloués à l'école privée. Les vannes sont grandes ouvertes depuis 2004, date à laquelle les collectivités locales ont obtenu le droit de financer sans limites les établissements privés. Les régions de gauche ne sont pas en reste. Alors qu'il existe toujours plus de 500 communes sans école publique, l'Etat et les collectivités financent quasiment à parité la scolarisation d'un élève dans le privé et dans le public. Cela s'appelle déshabiller le public pour mieux habiller le privé.
Pendant ce temps, l'école publique coule. Loin de lui porter secours, l'actuel gouvernement instrumentalise certaines critiques constructives pour en faire le procès idéologique, ce qui semble justifier de la regarder se noyer. L'Etat pourrait profiter du tassement de certaines classes d'âge pour faire baisser le nombre d'élèves par classe, mais il préfère baisser le nombre de professeurs. Résultat, les classes resteront surchargées. Notamment dans les quartiers populaires, où les proviseurs disent pourtant manquer de personnel encadrant. En guise de réponse, le "plan banlieue" prévoit de financer la création de 50 classes confiées à l'école privée, essentiellement catholique. "Jamais l'Etat n'avait autant organisé la concurrence de son propre service public", commente Eddy Khaldi, syndicaliste et enseignant. Il s'apprête à publier un livre qui devrait agiter la rentrée, Main basse sur l'école publique, cosigné avec Muriel Fitoussi (Demopolis). Fouillé et documenté, il retrace de façon parfois glaçante la montée en puissance du lobbying en faveur de l'école privée ; lequel est parvenu à placer des alliés au plus haut niveau des rectorats, de l'Etat, et même de l'éducation nationale, grâce à des réseaux comme Enseignement et liberté, Créateurs d'écoles ou SOS Education. A l'image de deux directeurs de cabinet du ministre de l'éducation nationale sous Edouard Balladur, Guy Bourgeois et Xavier Darcos.
Conformément à la stratégie définie par Créateurs d'école, dont il fut l'un des membres fondateurs, l'actuel ministre de l'éducation nationale ne veut pas de guerre frontale avec l'école publique, mais une "révolution de velours". Juste assez de velours pour éviter une contre-offensive syndicale. Et ce qu'il faut de détermination pour faire avancer sa révolution, ou plutôt sa contre-révolution. Les grèves ne devraient plus être un problème grâce au service minimum, mis en place après un sondage privé décrétant que les Français y sont plutôt favorables... Une enquête opportunément commandée et financée par SOS Education. Avec ce joker, le ministre a les coudées libres. Mais, de toute façon, le plus dur est fait : la suppression de 11 000 postes de professeur dès cette année, 44 000 en quatre ans si ça continue à ce rythme, l'autonomisation des universités, la multiplication des partenariats privé-public, la déréglementation de la carte scolaire... Tout est passé comme une lettre à la poste. Y compris cette confidence d'Emmanuelle Mignon, conseillère du président de la République, rapportée par un journaliste en 2004 : "Je suis pour une privatisation totale de l'éducation nationale." Pourquoi se gêner ?
Dans les cénacles de l'école privée, on prépare déjà la suite : le "chèque éducation", grâce auquel chaque élève recevra directement l'aide de l'Etat pour choisir de s'inscrire dans le privé ou dans le public. Une idée empruntée au modèle anglo-saxon, qui a fait les beaux jours des écoles privées religieuses. Est-ce bien rassurant pour la cohésion sociale et le vivre-ensemble ? Jusqu'ici, l'école confessionnelle sous contrat donne le sentiment de vouloir privilégier l'enseignement au prosélytisme. Mais les temps changent. L'Eglise, qui confie de plus en plus ses missions éducatives à des courants comme l'Opus Dei ou la Légion du christ, milite pour accentuer le "caractère propre", c'est-à-dire le caractère catholique, de ses écoles. Les autres religions ne sont pas en reste. A quoi ressemblera le vivre-ensemble quand un nombre grandissant d'élèves français aura fait ses classes dans des écoles tenues par l'Opus Dei, les Frères musulmans ou les loubavitchs ? C'est à cela que devraient penser ceux qui, à droite comme à gauche, dénoncent volontiers le repli communautaire, mais n'ont aucun courage quand il s'agit de gouverner. Au mépris de cette évidence : l'Etat n'a pas les moyens de favoriser la privatisation et la confessionnalisation de l'enseignement au détriment de son école. "
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Voir aussi l'article assez proche dans Charlie-Hedbo #845 p. 2-3 d'Agathe André "Une blouse pour l'élève, une soutane pour l'instit", dont voici quelques extraits :
"Parmi les nouveaux recteurs, on trouve d'anciens secrétaires du Club de l'Horloge, une antichambre d'extrême droite fondée en 1974. Et surtout Maurice Quénet, Dominique Antoine et Xavier Darcos, devenus respectivement en mai 2007 recteur de l'Académie de Paris, conseiller en charge de l'éducation à l'Elysée et ministre de l'Education furent les membres actifs des Créateurs d'école, un think tank ultraréac créé en 1992, dont le programme était déjà de partir à l'assaut de l'Education nationale, "de faire sauter les verrous du service public pour libérer l'enseignement". Mais en douceur par "la mise en place progressive de système dérogatoire".
Une nébuleuse d'organisations est partie en guerre comme l'ALEPS - Association pour la liberté économique et le progrès social - une filiale du Medef ; les cinglés de SOS éducation, dont le président Vincent Laarman est l'un des correspondant de l'association américaine Alliance for the Separation of School & State, les culs-bénits de l'AES, l'Académie d'éducation et d'études sociales qui vient d'inonder les collèges d'ouvrages créationnistes et homophobes. Et les fondamentalistes de l'OIDEL, Organisation internationale pour le développement de la liberté d’enseignement, une ONG reconnue d'intérêt public émanant de l'Opus Dei.
Autant d'officines qui visent purement et simplement le démantèlement, la privatisation et la confessionnalisation de l'école publique."
(le nom de l'association des "culs-bénits" A.S.S.S. me paraît presque plus réussi encore que le C.R.A.P. de l'autre bord ci-dessus)
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En passant, cet article de la chroniqueuse anti-pédagogiste Natacha Polony dans l'hebdo de la Pensée Unique Anti-Pensée Unique Marianne #593(30 août) p. 23 - même si elle peut avoir raison sur le fond de son attaque, je n'en sais rien - me paraît absurde dans la forme de l'argument à la fin :
"Depuis vingt ans, leurs idées dominent ; depuis vingt ans leurs méthodes sont appliquées, en vertu de la loi d'orientation sur l'école. Mais cela ne leur suffit pas. Les jeunes professeurs sont fortement incités par des inspecteurs zélés à adopter des démarches inductives où l'élève tâtonne sans que le maître lui délivre les connaissances. Mais ça n'est pas assez. Les dégâts sont visibles, nul ne peut plus les nier : chaque année, la France perd une place dans les enquêtes internationales sur le niveau des élèves ; chaque année, le nombre d'élèves en « insécurité linguistique » (jolie expression pour dire qu'ils ne maîtrisent pas leur propre langue) augmente.
Pour autant, cette minorité active surnommée les « pédagogistes » et composée de chercheurs en sciences de l'éducation, de formateurs et de membres des principaux syndicats enseignants n'a pas l'intention de céder un pouce de terrain, et surtout pas devant Xavier Darcos qui prétend mettre fin aux errances de l'école primaire. La pétition « Projet de programmes de l'école primaire : copie à revoir ! » regroupe les ténors habituels, notamment Philippe Joutard, ancien recteur et coauteur des précédents programmes, que la position de juge et partie ne dérange pas."
Qu'un spécialiste (qui se fourvoie peut-être complètement) appelle à défendre des théories, modèles et pratiques qui lui semblent valides ne me semble pas une faute morale comme elle l'insinue par un sophisme étrange. C'est même la moindre des choses dans un débat démocratique. Ou alors il faudrait renvoyer exactement le même argument aux sectateurs anti-pédagogistes qui sont à présent au pouvoir autour de M. Xavier Darcos. Il est de bonne guerre que des doctrinaires se querellent sur leurs sectes par voie de pétitions, même quand ils ont une charge à responsabilité de fonctionnaires, qu'ils soient recteurs ou ministres. Mais les anti-pédagogistes n'ont pas le monopole du dogmatisme.