Chris Bertram ironise sur la décision de la Cour constitutionnelle allemande en 2006 qui avait décidé que si un pirate de l'air détourne un avion et menace de le lancer sur une ville, il n'est pas pour autant légalement admissible de tirer sur l'avion pour le descendre.
L'argument de la Cour repose sur l'idée kantienne que tout individu a une "Dignité" qui ne peut être mesurée, comparée ou quantifiée. Nul n'a le droit de sacrifier N personnes pour en sauver N+1. Ou comme le dit la Loi fondamentale, art. 1, 1 (vf) :
"Die Würde des Menschen ist unantastbar. Sie zu achten und zu schützen ist Verpflichtung aller staatlichen Gewalt."
La dignité de l'être humain est intangible. Tous les pouvoirs publics ont l'obligation de la respecter et de la protéger."
En acceptant de tuer les passagers infortunés, l'Etat les réduirait alors à l'état de "moyens", d'arme utilisée par les pirates contre leur volonté (même si l'Etat a un droit de légitime défense préventive et qu'il disait que c'étaient seulement les pirates qui pratiquaient cette instrumentalisation). La conception déontologique pure de la dignité interdit donc tout calcul conséquentialiste.
Bertram trouve la position ridicule ("une réduction par l'absurde" du Kantisme).
L'argument dans les commentaires est que puisque les passagers vont mourir de toute manière dans ce cas, ce n'est pas sacrifier N personnes pour en sauver N+K, mais hâter la mort de N condamnés pour sauver les K personnes (alors que ne rien faire serait donc être responsable de la mort de ces K personnes par omission). Présenté ainsi, l'argument conséquentialiste paraît en effet très conforme à des intuitions (même si Bertram ajoute à la manière williamsienne qu'il ne croit pas non plus au Conséquentialisme dans toutes les circonstances).
Si l'Etat s'arroge le droit de tuer ces N personnes (qui certes, vont mourir de toute manière) de manière préventive, peut-il vraiment prouver qu'en le faisant il a sauvé ces autres vies ? Peut-il prouver qu'il n'a pas pu détruire l'avion au moment où les otages allaient se libérer ? Et pour aller plus loin dans un Argument qui risque d'être vers la "Pente Glissante" : Peut-il alors aussi tenter des expériences médicales sur N personnes malades condamnées pour en sauver 1000xN ?
La solution la plus casuistique paraît être de ne pas adopter la règle que l'Armée doit le descendre, mais de l'appliquer éventuellement de facto. Dans un cas particulier, les autorités pourront toujours descendre l'avion quand même et juger les responsables en leur donnant éventuellement des circonstances atténuantes. C'est un peu absurde mais cette hypocrisie est plus souple que de marquer dans le marbre que l'Etat a vraiment en général le droit de faire ces "équations froides" de Trolleys.
ça risque peut-être de ne pas vous faire plaisir, mais votre conclusion est assez proche de celle de Zizek sur la question de la torture. Comme quoi...
RépondreSupprimer" il faut donc paradoxalement en rester à l'hypocrisie apparente : d'accord, on peu bien imaginer que dans une situation particulière, confrontés au fameux « prisonnier qui sait », dont les mots peuvent sauver des milliers de personnes, nous puissions avoir recours à la torture : mais c'est précisément dans un tel cas qu'il est absolument capital de ne pas élever ce choix désespéré en principe universel ; dans l'inévitable et brutale urgence du moment, il faut simplement le faire. Ce n'est que de cette manière, dans l'incapacité et l'interdiction même d'élever ce qu'il faut faire au rang de principe universel, que nous pouvons conserver le sens de la culpabilité, la conscience du caractère inadmissible que nous avons fait."
J'ai recopié le contexte ici :
http://popjournal.canalblog.com/archives/2009/05/23/13830634.html
Ah, j'ai un doute sur la casuistique en ce cas-là. :)
RépondreSupprimerNon, en fait, cela ne m'étonne pas, il fait souvent l'éloge d'un Décisionnisme contre la Raison (en comparant même Lénine à un chevalier chrétien kierkegaardien...).
Mais là en l'occurrence, cela me paraît en effet un accord avec Bernard Williams : la plus grande faute serait d'en faire une règle universelle déshumanisante et de ne plus sentir la culpabilité devant cet acte.
Williams donnait l'exemple d'un capitaine dans une barque de réfugiés en pleine mer. Un passager supplémentaire arrive et risque de faire chavirer la barque, on l'abandonne donc en le sacrifiant.
Williams dit qu'on peut comprendre l'acte tout en jugeant que ce serait une faute criminelle d'universaliser ensuite la maxime et de dire qu'il était évident qu'ils devaient agir ainsi. La honte fait ici partie de leur responsabilité. Mais j'ai du mal à voir comment on éviterait alors une hypocrisie ad hoc et un risque de mauvaise foi : c'est ok, j'ai honte.
Remarquons que le problème serait sans doute tout autre si l'on utilisait un gros monsieur comme projectile pour arrêter l'avion.
RépondreSupprimerEt si le pilote est en fait un Cerveau dans une cuve qui croit qu'il y a Hitler dans l'avion.
RépondreSupprimerTous ces arguments d'"autiste" pris au sérieux par les Conséquentialistes avaient été créés par Philippa Foot déjà comme des satires de leurs positions.
C'est un peu comme si on devait continuer à débattre de l'Âne de Buridan à chaque fois qu'on étudie la volonté...