Casus Belli n°19 (février 1984), 54 pages.
La couverture sur le nouveau jeu "maison" de Casus Belli et Jeux & Stratégie, MEGA, est par l'illustrateur du jeu, Verlhac/Tignous (qui illustrera aussi le Trèfle noir pour Légendes et plus tard la première édition de Rêve de Dragon).
Nouvelles du Front : Il n'y a que quatre annonces de jeux de rôle en français : (1) Magikon, le jeu abstrait italien de Marco Donadoni (moins intéressant que son autre jeu de sf, le joli Legio VII),(2) toujours des modules de la NEF, (3) la traduction de Tunnels & Trolls chez Jeux Actuels (l'ordre des traductions françaises) étant pour une fois conforme à l'ordre des parutions originelles) et (4) une traduction à venir de Star Frontiers par Bruce Heard pour 1985.
En VO, on énumère du Traveller (le Book 6 Scout et le module Tarsus), du Space Opera (le Star Sector Atlas 12 sur l'Empire korellien et Casino Galactica), un scénario pour Mercenaries, Spies & Private Eyes. Chez TSR, il y a la série des livres-jeux/romans à l'eau de rose visant un public féminin HeartQuest Books (il paraît que le meilleur serait Moon Dragon Summer - notons que le numéro précédent avait déjà proposé une quête inspirée de la Carte du Tendre) et le L2 Assassin's Knot.
Les Inspirations réapparaissent après une longue absence, avec seulement deux romans, le cycle de fantasy Khanaor de Francis Berthelot (qu'ils oublient de nommer) et Mallworld de Somtow Papinian Sucharitkul, l'auteur de science-fiction thaïlandais (dont je me rends compte au résumé qu'il a dû influencer Quarantine de Greg Egan).
La section Ludotique a Fortress of the Witch King de Matthew Mehlich, une sorte d'ancêtre de Warcraft où on joue un individu accumulant de l'or pour lever une armée suffisante contre le Roi-Sorcier (qui n'est pas celui d'Angmar), SwordThrust de Donald M. Brown (jeu d'aventures de 1981 sans illustrations et aux règles un peu inspirées de RuneQuest) et The Hobbit (jeu de 1982 pour le ZX Spectrum, dans le monde de Tolkien).
Devine qui vient dîner ce soir... a deux "Curiosités". Les "Miroirs de Shannara" ne renvoient pas au monde de Terry Brooks mais à une Sorcière d'une grande beauté qui aurait laissé divers fragments de miroirs magiques, dont certains morceaux (le Miroir du Narcissisme) peuvent séduire des personnages qui voudront remplacer des parties de leurs corps par des images réfléchies de ce qu'ils croient être la perfection. Le Sage Zormilius (créé dans le numéro précédent) décrit les yeux du Merlanfri ou Sépulchroeil qui maudit sa cible, qui ne pourra plus voir les vivants que comme des zombies.
Avec ce numéro 19, c'est le début de la nouvelle section consacrée à MEGA, qui vient à peine de sortir. Il a quelques règles optionnelles par Didier Guiserix, surtout sur le combat : règles sur les explosifs, règles d'empoignades (complètement bugguées et dignes d'un Murphy's Rule : un personnage a 0% de chance d'empoigner n'importe qui d'une force supérieure ou égale à la sienne) et localisation des coups (qui semble assez inspirée de celle de Légendes, qui a beaucoup influencé MeGa malgré la différence de complexité et de ton). La petite aventure "Le Visiteur" est plutôt moyenne. Elle ressemble un peu au "Ganymédien égaré" déjà inclus dans le jeu, si ce n'est qu'elle se déroule dans notre monde contemporain : il s'agit de retrouver un extraterrestre ovoïde tombé au Mexique près de la frontière du Texas dans les années 1950 et de l'aider à s'échapper avant que les autorités du FBI ne le retrouvent. Didier Guiserix va faire nettement mieux dans le n°21 avec sa grande campagne "Le Dandy".
La Magie dans RuneQuest est le quatrième de cette série de présentation et résumé de règles sur RuneQuest par Denis Gerfaud (le Monde dans le n°16, le Combat dans le n°17 et l'Expérience préliminaire dans le n°18). C'est plus présenté comme une sorte de memento de règles pour quelqu'un qui aurait du mal avec l'anglais.
On pourrait croire que RuneQuest a été plutôt avantagé par Casus Belli jusqu'ici (même D&D n'avait pas eu droit à autant d'explications/traductions), mais c'est aussi la dernière fois que le magazine consacrera ses pages à ce jeu pendant 3 ans. Ce n'est finalement qu'avec la traduction française chez Oriflam qu'il y aura à nouveau quelques aventures. Casus (du moins dans sa première formule) ne fera que huit autres scénarios pour RuneQuest après "Les Cavernes du Pied du Bouc" du n°18. Ce seront "Poussière d' espoir" (n°38, 1987), "la Peur dans les Collines" (n°43, 1988), "La Peau" (n°46 - une adaptation de l'anglais), "L'Ombre du Chaos" (n°49, 1988), "La Coupe d'Aram" (n°52, 1989), "Nuit d'Effroi" (n°67, 1992), "Anisha" (n°77, 1993) et enfin "Lisa, triste Lisa" (Hors-série Spécial Scénarios n°6, 1993). Pour comparer, au long de l'histoire du magazine, Warhammer (qui fut la vraie star de l'heroic fantasy en France après D&D et JRTM) aura eu droit à environ 22 scénarios et l'Appel de Cthulhu à 54 scénarios.
Devenir Légendaire est une aide de jeu par Philippe Mercier pour créer une personnage pour Légendes, le sommet du simulationnisme français qui venait de paraître chez Jeux Descartes. Contrairement à Méga qui aura une rubrique régulière, Casus ne fournira plus vraiment d'aides de jeu pour Légendes, même si Jeux Descartes était le partenaire du magazine. J'imagine que pour la majorité des joueurs, ce tableau "simplifié" fut la seule rencontre avec ce jeu. Cela a pu même contribué à effrayer certains. Dans mon cas, je me souviens que j'ai aussitôt couru l'acheter mais j'avais alors une patience infinie pour lire des règles et comme tous les débutants à cette époque, je croyais en une sorte de "progrès" du jeu allant vers plus de "simulation".
Légendes, contrairement à ce qu'on pourrait croire, avait un système de résolution très simple : uniquement des compétences sur 20 et on doit faire le moins possible sur un dé, avec une Marge de réussite égale au score moins le résultat du d20, un peu comme dans Bushido.
Mais la création de personnage était en effet cauchemardesque, avec énormément de calculs, comme dans un jeu à la FGU dans le style de Space Opera. Par exemple, au lieu d'acheter simplement des points de compétences, la valeur à l'achat de chaque compétence était proportionnelle à plusieurs valeurs de caractéristiques qu'il fallait aller chercher sur des tableaux. Légendes est allé tellement loin dans le simulationnisme qu'il a déclenché une réaction opposée de certains de ses créateurs. Philippe Lemercier a ensuite créé Féérie (1985) et c'est à partir de ce jeu (et sans doute à partir d'Ars Magica, 1987) que Jean-Luc Bizien a commencé pour créer ensuite la vague narrativiste française avec Hurlements (1989).
Par-delà le Mur du Sommeil est une présentation des Contrées des Rêves de H.P. Lovecraft par Martin Latallo. A l'origine, quand Chaosium a créé Call of Cthulhu, ils pensaient faire un jeu de rôle dans ce monde mais ce n'est qu'en 1986 qu'ils sortirent dans une boîte le supplément Dreamlands. Latallo fait à la fois remarquer que ce monde onirique détonnerait un peu pour le jeu d'horreur classique mais il fournit quand même un scénario, "Peur sur Providence", qui tente de relier l'atmosphère habituelle des enquêtes avec l'exploration du monde des songes.
Le Temple de M'Shu est un scénario pour AD&D (Niveau 4-5) par Denis Gerfaud. Ces scénarios AD&D devaient préfigurer ce que Gerfaud allait faire en publiant Rêve de Dragon l'année suivante (en mélangeant le simulationnisme de RuneQuest avec un aspect "décousu" et "onirique", plus proche finalement d'une ambiance rhapsodique de scénarios D&D).
Gerfaud réutilise même la Zyglute créée dans le n°17. L'Herbe de Lune du n°18 avait un bon thème de départ avec Adagio, son Dragon blanc mélomane. Ici, le Temple de M'Shu est un peu moins original puisqu'il porte sur la métaphysique manichéenne ou moorcockienne du Chaos. Le Temple est un Oeuf, comme la demeure d'Adagio était un Violon.
L'idée principale est de traiter le Chaos non pas seulement comme une absence d'ordre mais plutôt comme une inversion en miroir de l'ordre. Les messages sont donc simples à décrypter en écriture miroir (alors que je trouvais les énigmes musicales du n°18 assez obscures). M'shu, le maléfique Dieu des dragons chromatiques et de la Non-vie (il a de nombreux serviteurs zombies), est un Vieux Dragon vert chaotique (HD 9) qui représente le Temps entropique "hors de ses gonds". M'shu va naître vieux de son Oeuf et il rajeunit (cf. le mythe du Politique 270d-e de Platon où l'ordre temporel est décrit comme simplement symétrique). Si M'Shu est tué sans certaines précautions, il risque même de renaître aussitôt en une nouvelle phase en une Ancienne Wyrm Rouge (HD 11). Denis Gerfaud, en fan de Runequest, a pu tirer l'idée des mythes gloranthiens sur les Dragonewts qui vivent parfois le Temps à l'envers et se réincarnent tant qu'ils ont leurs oeufs. Cela rend ce M'Shu de cauchemars plus intéressant que la Tiamat habituelle de D&D ou de Dragonlance.
Gerfaud n'a cette fois pas mis son scénario dans le monde d'Alarian. Il fait allusion à tout un contexte plus vaste qui ne fut à ma connaissance jamais développé nulle part (sauf s'il le fit dans un Miroirs des Terres médianes mais cela m'étonnerait comme Gerfaud n'aime pas avoir une continuité) : le Royaume de Melindor et au nord la forteresse de Hautegarde et la "Porte des Dragons", région sauvage où se trouve le Temple. Gefaud a déjà bien compris qu'un contexte de jeu de rôle avait besoin d'une zone "liminale" entre la Civilisation et l'Aventure, ce qui a depuis été théorisé dans de nombreux autres univers fictifs.
Malgré son classicisme Old School, "le Temple de M'Shu" a donc une folie et une atmosphère particulière qu'on ne trouvait pas autant dans la plupart des Donjons Portes-Monstres-Trésors qu'il représente.
En suivant le lien de Magikon, j'ai pu explorer le site consacré aux jeux International Team. Coté graphismes ils étaient juste sublimes -- 30 ans après, les couvertures des boîtes de wargames sont toujours aussi belles. Merci pour cette madeleine de Proust :)
RépondreSupprimerCasus aimait beaucoup dire du mal des wargames d'IT (notamment napoléonien). J'ai testé une partie de Yorktown vers 1984 et dans mon souvenir, jouer les Britanniques était ennuyeux (le seul suspense est l'étendue de leur défaite).
RépondreSupprimerLegio VII a l'air vraiment très beau avec ces illustrations de Cadelo, mais c'est surtout Zargos Lords qui a marqué. Le monde de Zargos est ensuite devenu officiellement la même planète que celle de Malienda, Laelith et Alarian dans l'univers Casus Belli du Hors-Série n°11.
Bernard Verlhac était aussi l'illustrateur de la première édition de MEGA.
RépondreSupprimerJe ne me souviens pas que l'ET du Visiteur était si petit que ça... De mémoire, il y avait une histoire de "panneaux solaires" qu'il devait déployer pour se recharger en énergie et qui lui donnaient une envergure de plus de deux mètres (mais j'ai la flemme de ressortir le CB pour vérifier et j'ai fait jouer ce scénar il y a... longtemps !).
Tu as raison : le texte dit bien "2,50m de haut", j'ai manqué cela. J'avais juste lu "apparence : oeuf en gelée farci d'artères battantes, de structures métalliques, d'électronique, et de bioélectronique, parfois luminescent", et retenu qu'il devait ressembler à un petit oeuf. Je corrige.
RépondreSupprimerDécidément, entre l'Oeuf de M'Shu et cet Oeuf en gelée, il y a une unité thématique.
> "La Peau" (n°46 - une adaptation de l'anglais)
RépondreSupprimerAh bon? De quel scénario était-ce adapté?
J'ai une tendresse particulière pour ce module, parce que c'était RuneQuest (on venait de m'offrir la VF pour mes 13 ans, c'était mon premier jdr, quelle claque!), et parce que c'était dans CB#46, un de mes premiers Casus, dont la lecture fut un total enchantement. Ouch, souvenirs souvenirs... :-)
A vérifier, mais je crois que c'est The Hide of the Ancestor par Chris Watson dans White Dwarf #74 (février 86).
RépondreSupprimerOu alors, je confonds avec l'aventure qui était dans La Toile d'Arachne Solara parce que la Peau (1988) doit être, si je me souviens bien, avec un dragonewt et The Hide (1986) avec un Ithilian-Fane ?