lundi 15 décembre 2025

Star Ace

Star Ace (1984) est un jeu de space opera dans le même genre que Star Frontiers (1982), créé par des anciens de TSR qui avait fondé la compagnie Pacesetter. Il utilise le même système de Table Universelle que dans leur deux autres jeux, Chill et Timemaster

Nous sommes au 36e siècle. On dit souvent que le jeu est directement Star Wars et c'est à peu près vrai, mais il a choisi une sorte d'intermédiaire entre Star Trek et Star Wars. Les PJ ne sont pas exactement des rebelles isolés et Jedis, mais pas non plus des soldats, des membres de Star Fleet : ils sont des corsaires qui travaillent en secret pour la Fédération dans des systèmes à la frontière entre l'Alliance Fédérale et l'Empire, les "Star Teams". 

Comme il y a un cessez-le-feu entre les deux blocs, les corsaires attaquent des vaisseaux impériaux en faisant croire qu'ils ne sont que des pirates & contrebandiers alors qu'ils sont des agents fédéraux clandestins. Mais ils ne sont pas exactement des mercenaires, plutôt des cellules clandestines, ils doivent se financer eux-mêmes par ces actes de flibuste comme l'Alliance Fédérale ne les subventionne pas directement. 

Le film Star Wars VII redécouvrira (si j'ai bien compris) cela en distinguant "la Résistance" et "la Nouvelle République", qui refuse de soutenir officiellement ces rebelles. Cela peut concilier l'autonomie de Han Solo et la possibilité de recevoir des missions comme Kirk. Comme les dessins intérieurs sont par des dessinateurs de comics comme Tom Mandrake ou Jan Duursema, l'ambiance fait encore plus comics ou pulp que Star Trek/Wars. Si on ajoute comme ennemis l'empire trans-temporel des Demoréans (voir plus bas), on bascule plus dans Dr Who

Le secteur neutre (je dis "secteur" mais le terme officiel est "region") s'appelle Wilderness, du nom du monde principal qui sert de base pour les Star Teams. C'est une planète très inhospitalière d'extrêmes météorologiques parcourues par des ouragans. Au lieu d'être une zone éloignée et marginale de Frontières, comme dans presque tous les jeux de rôle de space opera, le secteur Wilderness est au contraire central (même la vieille Terre est dans le secteur mais aucune connexion n'est faite avec l'astronomie réelle). C'est au centre et donc normalement bien exploré, mais pourtant assez dangereux comme ligne de front ou Zone de démarcation. 


 

Un gros défaut du jeu est sa carte de ce secteur Wilderness sur le poster, qui montre très peu de planètes, neuf seulement (les points sans nom ne sont que des stations de relai, Communication Relay Points). Les vaisseaux de Star Ace sont tellement rapides que ce jeu aurait besoin au contraire d'une carte plus fournie. La carte stratégique plus globale de l'Empire et de l'Alliance est dans le supplément Aliens mais elle est encore très vague. Je conseillerais d'étendre la carte par exemple en reprenant celle du boardgame Freedom in the Galaxy, qui a une atmosphère très proche de Star Ace (si ce n'est que FitG n'est pas dans notre futur de la Terre). 

Un des aspects les moins convaincants pour un monde 1500 ans dans le futur est que tout l'imaginaire des "As des Etoiles" est fondé sur les vieux jeux de cartes terriens : les XII "grades" des Ordres s'appellent 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, Valet, "Royal", As. Les As des Star Teams sont groupés en 4 "Ordres" : les Piques (soldats), les Coeurs (techniciens), les Trèfles (pouvoirs "noétiques") et les Carreaux (espions, marchands, diplomates et baratineurs). On pourrait le remplacer comme d'habitude par le Tarot (Epée, Coupe, Bâton, Denier). 

Le système de promotion dans ces Grades paraît très archaïque : on ne prend pas en compte avant tout le succès dans des missions mais le nombre de cibles descendues comme dans un jeu d'aviation de la Première Guerre mondiale. 

Les PJ ont 8 caractéristiques (tirées sur (3d10) x2 + 20, donc avec une moyenne de 50) : Force, Dextérité, Agilité, Personnalité, Volonté, Perception, Chance et Endurance. Les compétences de base ont généralement un score de départ égal à une moyenne entre plusieurs caractéristiques. On peut apprendre des compétences hors de son Ordre mais utiliser les compétences de son "Ordre" revient à un +15. 

Les "Pouvoirs noétiques" de l'Ordre du Trèfle sont non seulement Sondage mental ou Télékinésie mais aussi "Bouclier du Vaisseau", ce qui change un peu les fonctions habituelles des Psis. 

Si j'ai bien compris, tous les membres des Star Teams peuvent commencer avec un chasseur stellaire monoplace de classe Phoenix (décrit p. 39), pour leurs attaques de "corsaires". Cela conforte l'hypothèse que l'idée de départ du jeu était de partir des As de la Première Guerre mondiale comme dans le jeu de rôle Dawn Patrol. L'équipe aurait sans doute besoin en plus d'un Griffin pour 4, Cargo Vessel pour 4 ou Hawk pour 8, plus un Millenium Falcon, qu'un X-Wing ou un Viper. Le livret ne décrit pas tellement d'options pour les PJ, plutôt les différents vaisseaux ennemis. 

En termes de jeu, j'aime bien le fait que chaque Saut trans-lumière cause toujours quelques dégâts : si le jet du Pilote est réussi, il ne fait que réduire ces dégâts au minimum. Le Saut cause tellement de tension que chaque Saut est équivalent à une sorte de combat, même sans astéroïdes, mais même en cas d'échec critique, le vaisseau ne sera pas détruit. Le Saut ne peut pas faire moins de 6 heures-lumières (6 milliards de km) mais pas plus de 10 hexagones sur la carte du secteur. 

Les 15 Espèces non-humaines 

 


L'univers est dominé par les Humains, aussi bien dans l'Alliance que dans l'Empire. Les Humains sont avec les reptiliens Gorlons l'espèce la plus belliqueuse. L'Empire féodal (fondé sur la lointaine Cairn) a annexé de nombreux mondes de l'Alliance, dont la Terre, conquise récemment. L'Alliance est visiblement en crise et en déclin face à l'Empire. 

Une des bonnes idées est qu'aucune de ces espèces n'est nommée pour sa planète. Un "Trakan" ne vient pas nécessairement de Stalitsa et à l'inverse un résident de Stalitsa peut ne pas être un Trakan.  

Dans l'Alliance, les "Clones Cristallins" ressemblent énormément aux Humains comme ils sont en fait des clones très pâles bleutés de corps humains créés par une espèce de cristaux intelligents de la planète Ruoka pour pouvoir communiquer avec nous. Ils seraient un peu des Elfes de l'espace ou des Vulcains (et aussi peu émotifs) qui auraient été créés artificiellement comme des androïdes, mais ils sont plus des "Coeurs" (techniciensque des Trèfles (psis). Leur monde Ruoka est toujours un membre de l'Alliance qui résiste à l'Empire. Toute délégation impériale y est interdite car les Clones feront tout pour protéger les Cristaux intelligents qui les ont fabriqués. Ils ont un malus en Personnalité. L'Amirale Diana Freze qui dirige la Navy Spatiale de l'Alliance Fédérale est une Clone. Les motivations des "Cristaux" de Ruoka sont mystérieuses, même pour les Clones et pour l'Alliance, car les Cristaux se méfient des Humains qui voudraient piller leurs minerais. En plus de leur monde d'origine Ruoka, on trouve des "Clones" sur Terre (planète occupée par l'Empire) et sur Stalitsa. Ruoka veut dire "Nourriture" en finnois. 

Les Trakans originellement de la planète Stalitsa ressemblent à des félidés (mais le dessinateur avait l'air de penser aux Mephitisoids des comics Marvel - l'éphémère version d20 de 2003 les dessinait moins comme des catgirls et plus comme des Kzinti/Aslans). Leur société est particulièrement "anarchiste", ce qui en fait un peuple d'escrocs, de trafiquants et de cambrioleurs. Ils ont des capacités de nyctalope et de mouvements silencieux. Les Trakans sont des tricksters. Ils ont un malus en Endurance. Stalitsa est restée dans l'Alliance fédérale mais près de la frontière avec l'Empire, elle est donc une plaque tournante de tous les trafics entre les deux "blocs", notamment avec les Crassites (voir plus bas). C'est la seule base officielle de l'Alliance à l'intérieur du secteur Wilderness mais une partie de la pègre trakan fait tout pour subvertir la sécurité de l'Alliance. Les Star Teams y reviennent souvent pour revendre le butin au Marché Noir tenu par le Caïd de Stalitsa, Lyef Vor. Comme on le remarque, les sonorités des Trakans sont souvent russes ("столица" veut dire "capitale"). 


 

Les Kleibor de la planète glacée Emniyet sont de très grands Ursidés blancs (le texte dit qu'ils ont une taille de plus de 3,50m mais les illustrations représentent souvent nettement moins). Une différence avec les Wookies est qu'ils sont les spécialistes en pouvoirs noétiques (Ordre des Trèfles). Leurs "pattes" leur donnent un malus en Dextérité. La majorité des Kleibor soutient l'Alliance dont ils furent membres fondateurs comme ce sont des explorateurs, mais leur monde originel Emniyet est tombé récemment aux mains de l'Empire. Emniyet est en théorie toujours en zone "neutre" dans les termes de l'armistice dans la longue guerre Empire-Alliance mais l'Empire a nommé un gouverneur (un Gorlon, le Vicomte Ligl) et le monde est donc directement sous influence avec des bases impériales. Les Ayikhim est une guerilla des Kleibor sur Emniyet, dirigée par le Commandant Dondurma, un brillant tacticien. Les sonorités en Kleibor sont tirées du turc (Emniyet veut dire "sécurité", Ayikhim vient peut-être de la racine ayi qui veut dire "ours" ?). 


 

Passons aux espèces dans l'Empire. Il y a deux espèces bien intégrées depuis longtemps, les Crassites et les Gorlons, et deux espèces asservies du secteur Wilderness, les Tarsiens et les Zoes. Le supplément Aliens ajoutera d'autres espèces dominés comme les Faucons, les Blinkers et les Targas. 

Dans l'Empire, les Crassites (venus de Fal'el) sont des ploutocrates qui ressemblent à des Tapirs (ou à des Morocanths). Même si l'Empire est dominé par les Humains (venus de la planète Cairn) et par le jeune despote incompétent Frédéric-Constantin II, les Crassites sont le pouvoir financier derrière le trône humain, avec le Duc Yanayir, chef du Commandement impérial. Ils sont clairement l'équivalent des Hutts de Star Wars ou des Orions de Star Trek

Les Gorlons de Srilth sont des sauriens à sang chaud qui ont le pouvoir de régénérer leurs membres. Ils servent souvent de soldats dans l'Empire (même si certains Gorlons ont rejoint l'Alliance). Les dessins font penser aux Gordaniens encore plus qu'aux Gorns. La société est raciste, avec les Gorlons "verts" qui oppriment le prolétariat des Gorlons "bruns". Le Comte impérial Sillith est un des suzerains dans le secteur Wilderness et le rival du Duc Yanayir. Les armées des Gorlons contrôlent plusieurs mondes du secteur Wilderness comme la TerreSepa Green (planète de marais), Emniyet (le monde des Kleibor), Shamba (le monde des Tarsiens) et Asfalia (le monde sylvestre des Zoeians). 

Les Tarsiens sont des humanoïdes géants contemplatifs de la planète Shamba. Ils sont des sujets passifs de l'Empire mais ils n'opposent pas de résistance active (même s'il y a une base des Star Teams). L'Empire tente de les rééduquer pour qu'ils soient moins pacifistes et puissent enfin leur servir de soldats, ce qu'ils refusent de faire. Je me demande si ces Tarsiens ne sont pas un peu inspirés des placides Changralyns dans Omega Men. Le scénario (oubliable par ailleurs) First Strike on Paradise révèle une espèce de Tarsiens mutants qui créent des illusions. 

Les Zoes d'Asfalia sont de petits êtres (1 m) paisibles et intellectuels mais qui résistent beaucoup plus ouvertement à l'Empire que les Tarsiens. Ils sont très faibles physiquement mais aident souvent avec courage les Star Teams tant ils détestent l'Empire. 

Enfin, l'espèce la plus crainte de tous est les Xénophobes, qui refusent tout contact avec les autres espèces en leur tirant dessus à vue. Ils ne conquièrent pas, ils exterminent et leur politique d'expansion consiste généralement à extraire toutes les ressources d'une planète jusqu'à détruire tout l'écosystème dans une croissance industrielle la plus rapide possible. Dans Star Ace, ce n'est pas l'Empire mais les Xénophobes qui seraient les Seigneurs Sith et ce sont eux qui ont des Armes de destruction massive capables d'effacer des planètes entières. Ils semblent ressembler à des rongeurs (des Rats) mais ont des pouvoirs noétiques importants, notamment leur Monarque (le Roi des Rats). Très paranoïaques, ils se surveillent mutuellement par télépathie, ce qui ne les empêche pas de se massacrer entre eux. Leur immense destructeur de planète grand comme une Lune utilise d'ailleurs leurs capacités noétiques. Heureusement pour l'Alliance Fédérale, leur secteur est au-delà de l'Empire. L'Empire était en guerre sur deux fronts, contre les Xénophobes et contre l'Alliance, ce qui a forcé les Impériaux à accepter le cessez-le-feu sans profiter de leur avantage après leurs victoires dans le secteur Wilderness. Mais il n'y a aucune possibilité pour l'Alliance de négocier un pacte commun avec les Ratzis comme leur société expansionniste et génocidaire est encore pire que l'Empire. 

Le supplément Aliens (96 pages) décrit un peu plus ces 8 espèces du jeu de base mais en ajoute 7 espèces nouvelles qui n'ont pas toutes encore été contactées ou qui ne sont pas présentes dans les Neuf Mondes du secteur Wilderness : Blinkers, Demoréans, Faucons (Hawkmen), Ferms, Humanoles, Nautiloids & Targas.  

Les Humanoles sont des cousins mutants des Gorlons sur la planète Gazzi (secteur Storm, à côté du secteur Wilderness), mais ils peuvent changer de couleur (Vert ou Brun) et ils n'ont pas encore été découverts par l'Empire. Ils sont aussi violents que les Gorlons mais nettement plus intelligents et généralement plus intègres moralement. Ils feraient donc des alliés de poids pour infiltrer les Gorlons impériaux si les Star Teams pouvaient les convaincre. 

Les Demoreans sont un peuple de polymorphes dotés de pouvoirs noétiques. Leur vraie forme originelle est humanoïde à quatre bras. Ils vivent pour l'instant au XXXVIe siècle sur leur monde Kakchak (dans le secteur Storm, comme les Humanoles) en guerre civile mais dans un lointain futur, ils deviendront un peuple de voyageurs temporels qui tenteront de créer un empire trans-temporel en attaquant les Humains à différents moments de leur histoire (ce qui est le sujet du jeu de rôle Timemaster).  

Pas très loin du secteur Wilderness et de la planète Shamba (secteur Gamma de la Zone 4 de l'Empire), les Faucons de Skall sont de grands avians primitifs qui évoquent directement Flash Gordon. Leur monde a été conquis par l'Empire et ils détestent leurs envahisseurs, les Humains, les Gorlons et les Crassites. La Résistance des Faucons a en revanche un bon souvenir des Kleibors de l'Alliance. Ils ont fondé un nouvel Ordre, l'Ordre des Atouts, qui s'occupent de "reconnaissance" aérienne et de combat. 

Les Ferm de la planète Nurm (secteur Alpha de la Zone 4 de l'Empire) sont des virus géants intelligents qui parasitent la faune et la flore gigantesque de Nurm. Il y a plusieurs souches différentes. Les T4 sont omnivores, les T7 peuvent voler et la souche Vaccinia est moins intelligente mais a développé des pouvoirs noétiques. Une xénomicrobiologiste impériale Vanessa a réussi à communiquer avec eux et a pu négocier une alliance des T7 et Vaccinia contre les T4, exilés vers les zones arctiques. Toutes les tentatives impériales de coloniser Nurm ont échoué à cause de Vanessa qui croit pouvoir former son propre Empire avec son armée de Virus. 

Les Nautiloids de Sepa Blue (Secteur Beta, Zone 1) sont une espèce aquatique même s'ils peuvent survivre peu de temps hors de l'eau. Leur corps ressemble à une grande crevette, avec la même queue et des pédoncules oculaires. Ils peuvent emmagasiner de l'hydrogène pour flotter hors de l'eau. Sepa Blue a été colonisée par l'Empire, par des Humains venus d'un autre waterworld, Thalassa et les Nautiloids sont en guerre contre les colons pêcheurs de Blue Colony. Leur technologie est primitive. 

Les Blinkers de Bajaha (Secteur Gamma, Zone 1) sont de petits lutins verts de 0,50 cm. Ils ont eu il y a longtemps une haute technologie et avaient exploré la galaxie (ils seraient donc peut-être même les Grands Anciens de l'univers de Star Ace) mais ils ont ensuite complètement changé. Les Blinkers modernes ont abandonné toutes leurs sciences et ils sont devenus une espèce incompréhensible de gremlins amicaux mais espiègles et chaotiques qui ne semblent plus comprendre aucun concept sauf celui de prise de risques et de jeu dangereux. Leur niveau technologique ne leur permet plus le voyage interstellaire et ils s'en fichent, mais ils jouent tous avec des sphères volantes assez dangereuses. Les Impériaux ont conquis facilement Bajaha mais n'arrivent pas à ré-éduquer leurs encombrants sujets qui ne pensent qu'à faire des courses de sphères.

Les Targa de Piatra (Secteur Betal Zone 1, à ne pas confondre avec les Trakans) sont des humanoïdes qui ressemblent à des Néandertaliens géants (2,50 m). Ils sont cannibales. Les Targas ont été utilisés comme troupes de choc par l'Empire et ils croyaient au début servir des Dieux mais ils ont fini par comprendre la vérité sur leurs maîtres, ce qui commence à déclencher une révolte. Ils sont violemment réprimés par l'Empire et ne forment donc plus des hordes de janissaires fiables comme aux débuts de l'Empire. Ce sont les Gorlons verts qui les ont remplacés dans ce rôle militaire. 

Les 6 aventures de Star Ace 

Les aventures de Star Ace sont toutes très "martiales" et le centre est souvent les combats de chasseurs.  

Le scénario dans la boite de base, Deuces Wild, envoie les As dans une mission sur la planète des marais Sepa Green pour retrouver un agent disparu. Il y a 8 prétirés débutants : Valo (Clone, Coeur), Liikeasia (Clone, Coeur), Svabodini (Trakan, Carreau), Krast (Trakan, Carreau),  Vanessa Ling (Humaine, Pique), Alfred Finney (Humain, Pique), Zahmet (Kleibor, Trèfle) et Yumruk (Kleibor, Trèfle). 

Ace in the Hole était la mini-aventure qui accompagnait l'écran du "Maître de Campagne". Les PJ sont envoyés dans le système stellaire de la planète désertique Tamilla pour récupérer Simset, un As de Pique kleibor poursuivi par un chasseur de primes gorlon à cause de ses dettes pour un casino crassite dans une station autour d'un Trou Noir, The Black Hole Casino, entre Asfalia et Sepa Green. Il n'y a pas de pré-tirés.  

Dans Goodbye, Kankee, les PJ sont engagés par un trafiquant Crassite sur Stalitsa et vont faire la connaissance d'une haute noble crassite dont ils vont vouloir se venger, la "Kankee" du titre. Cela me semble être la meilleure aventure, avec pas mal de voyages et de situations de dilemmes. Les PJ pré-tirés sont tous débutants et je me demande s'il n'y a pas un peu trop de risques de se faire vaporiser par une des factions en conflit. 

First Strike on Paradise commence avec un très mauvais départ en supposant que les PJ n'ont pas de vaisseau et ont été abandonnés sur la planète Wilderness en pleine nature et sans véhicule. Ce début est à revoir entièrement. Ils y découvrent des Kayels, une ethnie oubliée de Tarsiens mutants qui ont le pouvoir noétique de projeter des illusions holographiques. Puis ils vont partir pour Shamba, le monde des Tarsiens, avec un Kayel pour sauver la base des Star Teams. Le gag censé être drôle est les clins d'oeil à certains vieux films américains, comme Stagecoach. Les PJ pré-tirés sont les mêmes que ceux de Lightspeed Raid mais au début de leur carrière. 

Dans The Gemini Conspiracy, l'Empire enlève des Clones sur Stalitsa pour faire des expériences et retrouve l'originale humaine de l'Amirale Diana Freze, la Clone Cristalline chef de la Navy fédérale. Le plan est d'avoir comme otage le cerveau de l'originale pour en déduire un double virtuel du cerveau de l'Amiral Freze et ils l'emmènent sur un camp sur Asfalia. Le scénario tourne encore surtout autour de batailles spatiales avec des flopées de chasseurs. Les PJ pré-tirés sont de rang 4. 

Dans Lightspeed Raid, l'Empire a attaqué Ruoka avec des pillards depuis Tamilla déguisés en Star Teams et les Cristaux intelligents de Ruoka sont prêts à quitter l'Alliance. Si les PJ échouaient, ce serait la fin de l'Alliance. L'enjeu risque tant de changer tout l'univers que cela rend l'aventure intéressante mais dans le traitement, c'est encore surtout un wargame avec des chasseurs. Les PJ pré-tirés (déjà vus dans First Strike) sont de rang 6. 

dimanche 14 décembre 2025

La 7e Pléiade

Quand on mentionne des mythes universels courants des mythologies, on pense souvent à un Déluge ou un Vol du Feu, mais ces mythes sont assez généraux pour pouvoir éventuellement être retrouvés de manière indépendante. Le mythe précis qui est le plus étrange est le mythe des 7 Pléiades. On peut concevoir qu'une crainte d'un Déluge ne renvoie à aucun événement unique réel tant les crues et inondations devaient être fréquentes et sont faciles à imaginer, mais les 7 Pléiades ont des détails qui ne peuvent relever que d'observations empiriques et factuelles dans les mythes. 

Les Sept Pléiades sont une constellation apparente dans l'Hémisphère nord qui semble avoir joué un rôle important dans le calendrier de nombreuses cultures sur Terre et qu'on retrouve dans de nombreuses mythologies (y compris dans l'Hémisphère sud, ce qui serait un argument pour une ancienneté archaïque et une diffusion depuis le Néolithique). Elles sont jugées si exceptionnelles qu'en sumérien leur nom semble avoir été "les étoiles-étoiles" comme si c'étaient elles qui avaient donné leur nom à toutes les autres étoiles du ciel. 

Toutes ces cultures disent qu'il y avait 7 Pléiades mais qu'on n'en voit plus que 6 à l'oeil nu, ce qui pourrait faire allusion à une compréhension de la Précession des équinoxes, un terrible et très "lent" événement dans l'éternité des Cieux, une première notation d'un changement cosmique bien avant la supernova de 1572.

Prenons le cas grec, le plus connu en Europe. 

Le calendrier des moissons 

 


Hésiode (vers 700 avant JC) raconte dans son poème sur l'agriculture Les Travaux et les Jours que le coucher puis le lever des Pléiades poursuivi par Orion forment respectivement le début du labour puis le début des moissons

L'équinoxe du printemps est le 21 mars et les Pléiades sont désormais à quelques degrés du point vernal. D'après les calculs pour l'Antiquité grecque, le coucher héliaque des Pléiades devait être environ deux semaines après l'équinoxe, vers le 7 avril à l'époque classique. 

La constellation disparaissait pour une quarantaine de jours et cela crée donc un cycle où l'amas d'étoiles prend soudain le même caractère de "mort" et de "retour" que la Lune. 

Le retour des Pléiades au lever (donc la date des moissons) était à la mi-mai (le 19 mai en Grèce classique quelques siècles après Hésiode, d'après cet article de Germaine Ajac, donc un mois avant le solstice d'été). Il était temps de moissonner quarante jours (ou peut-être 42 jours pour faire 7 x 6) après avoir labouré. 

Les Enfants des Atlantides 

Les Sept Pléiades sont les filles du Titan rebelle Atlas, fils de Japet, le frère de Prométhée et d'Epiméthée. Atlas eut de nombreuses filles "Atlantides" : Calypso, les 5 Hyades (les Pluvieuses dans la constellation du Taureau qui annoncent les Pluies d'avril) et les 3 Hespérides (celles du Couchant).

Les six premières s'unissent toutes avec des dieux : 3 avec le Roi Zeus, 2 avec l'Instable Poséidon (qui a souvent plus de problèmes avec les Cités que Zeus) et 1 avec le Guerrier Arès. Un seul enfant fut un dieu, Hermès, mais les autres sont souvent des fondateurs ou rois de grandes Cités : Troie, Lacédémone, Hyria & Thèbes, Sicyone et Pise/Elis. Dans les généalogies, elles servent donc d'origines à des dynasties demi-divines en reliant la race des Titans et celles des Olympiens. 

(1) L'aînée est Maia (Mère), qui s'unit à Zeus et eut le dieu Hermès. Elle fut aussi la nourrice d'Arcas ("la Petite Ourse"). 

(2) Electra (Ambre) qui s'unit aussi à Zeus et eut Dardanos fondateur de Troie et Iasion le Semeur qui fut aimé de Déméter et apporta l'agriculture aux mortels. Dans une version, Harmonia, la femme de Cadmos, le fondateur de Thèbes, serait la fille d'Electra et de Zeus au lieu d'être fille d'Arès et Aphrodite. 

(3) Taygète s'unit aussi à Zeus et eut Lacédémon, fondateur de Sparte. Taygète donne son nom au Mont Taygète en Laconie.  

(4) Alcyone s'unit à Poséidon. Elle aurait eu Hyrieus, fondateur de Hyria en Béotie et selon certaines versions le père d'Orion le Chasseur qui poursuit les Pléiades avec son chien Sirius. Un autre fils serait Epopeus, qui devient roi de Sicyone, près de Corinthe. 

(5) Celaeno s'unit à Poséidon et eut deux Jumeaux Lycos et Nycteus, roi de Thèbes. Dans certaines versions, Nyctéus serait le fils de Hyrieus (qui est le frère d'Epopeus). Nycteus est père d'Antiope qui eut les deux Jumeaux Amphion et Zethos (re-)fondateurs des murailles de Thèbes. Antiope se serait mariée (ou réfugiée) avec son cousin Epopeus, fils de Poséidon et roi de Sicyone. Nyctéus aurait été tué par Epopeus et son frère Lycos aurait pris sa place avant qu'Amphion et Zethos ne viennent délivrer leur mère Antiope. 

(6) Asterope s'unit à Arès et eut Oenomaus, fondateur de Pise ou d'Elis dans le Péloponnèse et grand-père par Hippodamie de tous les Pélopides. Dans certaines versions Asterope est l'épouse et non la mère d'Oenomaus mais cela contredirait la théorie selon laquelle les Six première Pléiades sont toutes unies avec des dieux et non des mortels. Oenomaus est un Père sanguinaire (il sacrifie les prétendants de sa fille et finit tué par trahison) mais son nom semble lié au Vin. 

(7) Enfin, la 7e et plus jeune fut Merope et elle épousa un mortel, Sisyphos fils d'Aiolos de Thessalie et Roi d'Ephyra (qui prit ensuite le nom de Corinthe). On remarque qu'Epopeus, le fils de Celaeno, est Roi de Sicyone, la grande rivale de Corinthe. Mais d'après une version, c'est parce que Merope aurait épousé l'arrogant mortel Sisyphe qu'elle serait devenue elle-même mortelle et qu'elle serait l'Etoile Manquante, la Septième Disparue, la "Pléiade Perdue". 

On remarque que le dieu Trickster Hermès est fils d'une Pléiade (et donc de la race des Titans Tricksters comme Prométhée) et que la Septième Pléiade s'unit au Trickster mortel par excellence qu'est le rusé Sisyphe. Les Pléiades sont donc à la fois mère de légitimité de la souveraineté (Troie, Sparte) et d'hubris dans la mètis. Les enfants de Poséidon et d'Arès n'obtiennent pas la même légitimité que ceux de Zeus. Hyrieus n'aura pas d'héritier. Les Jumeaux fils de Poséidon Nyctée et Lycos devront rendre Thèbes à la dynastie précédente de Cadmos et Harmonie, ou bien aux Jumeaux fils de Zeus. Oenomaus, fils d'Arès, sera tué par son gendre, fils de Zeus.  

7 Mères d'un fils né sans mère 

Les Pléiades sont parfois décrites comme les nourrices de Dionysos, le dieu né sans mère, sorti de la cuisse de Zeus. Elles ont donc une fonction de Mère de Substitution (notamment Maïa, la Nourrice d'Arcas, l'étoile de la Petite Ourse). 

C'est peut-être une coïncidence mais il y a une analogie assez frappante entre le fils d'Alcyone et la mythologie indienne : celui d'un Fils sans Mère et de son rapport à ces 7 astres.  

Hyrieus (le fils de la Pléiade Alcyone) obtient des dieux Zeus, Poséidon et Hermès d'avoir un garçon sans femme en mettant sa semence (en fait son "urine" dans un mauvais jeu de mots sur son nom) dans une peau de taureau dans la Terre. C'est Orion le Géant Chasseur qui poursuit de ses assiduités (ses grandes tantes ?) les Pléiades pour l'éternité dans le ciel.  

Le dieu Shiva aurait eu un garçon seul sans femme, en mettant sa semence dans les flammes du Dieu Agni dans les eaux du Gange céleste. C'est Skanda le Guerrier, associé au Paon, qui fut allaité par les Sept Pléiades, les Sept (ou parfois Six) Kṛttikā ou Kārtikā ("Celles qui Coupent" [les Saisons ?]). En l'honneur de ses mères adoptives, il a aussi pour nom Kārttikeya

Orion le Chasseur sans mère mais aussi sans épouse (les Anciens associent souvent la chasse au célibat) poursuit les Sept Pléiades (dont il manque la Septième) comme épouses.  

Kārttikeya le Guerrier sans mère (et parfois décrit sans épouse) a pris les Sept Pléiades (qui ne sont parfois que Six) comme mères.  

mercredi 10 décembre 2025

Résumé de l'Astrée

L'Astrée, l'énorme roman de 5400 pages de Honoré d'Urfé (1567-1625) paraît pendant 20 ans, de 1607 sous Henri IV à 1627 sous Louis XIII. Il a une histoire concentrée sur seulement quelques mois et il est pourtant impossible à résumer facilement avec ses centaines de personnages. Roman d'amour pastoral avec des récits enchâssés, romance avec des éléments de l'Orlando furioso, il a des éléments de parodie érudite, d'érotisme saphique avec voyeurisme ou triangle travesti (le seul moyen des personnages masculins de se rapprocher de celle qu'ils aiment est de se déguiser en femmes comme dans les comédies de Shakespeare) et des clins d'oeil anachroniques. D'Urfé fut du côté de la Sainte Ligue contre le Roi (et même contre certains membres de sa propre famille) et il mit une partie de lui-même, et se moqua obliquement de Henri IV par Euric, Roi des Wisigoths. 

Peu d'oeuvres oubliées ont la chance d'avoir un site entier qui la détaille.  

L'époque : Nous sommes censés être au Ve siècle, à peu près sous le règne de l'Empereur Valentinien III (419-455), à la chute de l'Empire romain, mais les noms sont grecs pour les personnages soit français du XVIIe pour les toponymes. On croise peu l'histoire en dehors de quelques allusions à Aetius, à Euric ou aux Francs de Childeric. Les personnages sont des "Gaulois" légèrement romanisés qui disent adorer encore en plus du panthéon romain "Thautates", le dieu unique qui recouvre les Trois Personnes, "Tharamis", "Hésus" & "Belenus" (j'avais parlé de cette théologie trinitaire là après avoir vu l'adaptation de Rohmer - où, en passant, j'avais d'ailleurs trop négligé la part importante sur l'androgynie en la réduisant au thème du Banquet).

Le lieu : Ces Gaulois vivent sur les bords du Lignon, dans la région du Forèz, entre le Puy de Dôme et les Gorges de la Loire (le territoire des Segusiaves, entre les Arvernes et les Allobroges, "Forèz" viendrait de "Feurs" et de Forum Segusianorum). La capitale du Forèz est dans le livre Marcilly le Chatel, qui serait une cité romaine (près de Montbrison et tout prêt du château de la Bastie de la famille d'Urfé - l'auteur dirigea la région du Forèz dans ces années). 

Voilà une carte du Pays de l'Astrée réalisée par C. Mathevot : 
 


 

La Dame de la Contrée de Forèz est la Dame Amasis, descendante de Diane, veuve de Pimandre (prince qu'on dit savant car il apparaît dans le corpus de Hermès Trimesgiste). Elle a eu deux enfants, le beau Clidaman et la belle Galathée. Sa cour est pleine de nymphes et de Druides de la Loire et du Forêz. 

Le berger Céladon, tout de vert vêtu, fils d'Alcippe, aime Astrée (dont le nom symbolise la Justice descendue du Ciel sur la terre). Déguisé en femme "Orithie", Céladon a pu s'approcher d'elle au Temple de Vénus malgré l'hostilité de sa famille et lui a remis le prix de la meilleure des femmes. Il l'embrasse et elle sait qu'il n'est pas une femme.

Astrée le croit infidèle avec Phillis car il continuait de cacher son identité et elle le bannit à jamais de sa vue. Céladon tente de se suicider en se jetant dans la Loire mais va être sauvé par Galathée en son palais d'Isoure (qui n'est pas Issoire mais Chalain d'Uzore, juste au sud de Marcilly). Galathée avait entendu l'oracle d'un Druide disant qu'elle aimerait celui qu'elle trouverait dans la vallée du Lignon (le faux Druide était en fait Climanthe qui travaillait pour Polemas qui voulait ainsi séduire Galathée). Galathée veut séquestrer Céladon dans son château où se trouve la Fontaine de la Vérité d'Amour. 

Le Druide Adamas sauve Céladon en l'habillant en femme et il devient la servante "Lucinde" puis la druidesse "Alexis" (nom de la fille d'Adamas qui est encore absente "au couvent" pour trois mois, ce qui fait que toute l'intrigue doit être résolue avant le retour de la vraie Alexis). 

Celadon libéré construit un Temple d'Astrée et rencontre Silvandre, un ancien Forézien qui avait été enlevé enfant par des Burgondes et qui vient de s'enfuir de leur pays quand leur Prince a voulu le tuer parce que le Roi voulait en faire son héritier. Silvandre a reçu un oracle qu'il devra mourir pour savoir qui il est vraiment. 

Il rencontre la belle Diane, fille de Celion. Diane fut mariée par sa famille avec Philidas, qui était en fait une femme, ce qui va créer un double triangle amoureux. Diane tomba amoureuse de Philandre (homme travesti en sa soeur Callirhée pour pouvoir approcher Diane) alors que Philidas tomba amoureuse de Callirhée (femme travestie en son frère Philandre). Philandre & Philidas moururent tous les deux en tentant de protéger Diane d'un barbare. 

Silvandre tombe amoureux de Diane mais celle-ci ne peut épouser un enfant trouvé sans identité. Un oracle dit que Paris, le fils d'Adamas, "mariera" Diane et Silvandre est désespéré. 

L'inconstant Hylas (qui tombe amoureux dans le roman successivement de quasiment tous les personnages) commence à poursuivre la jeune druidesse "Alexis" (Céladon travesti). Astrée devient ensuite l'amie de celle qu'elle croit être une druidesse et qui lui rappelle tant Céladon qu'elle croit mort. Astrée commence à être de plus en plus attirée par la druidesse, qui lui dit avoir été éconduite par son ancienne maîtresse, ce qui crée un second triangle amoureux fondé sur le travestissement. 

Polemas veut enlever "Alexis" pour punir Adamas de l'avoir empêché de séduire Galathée alors qu'il convoite le Forèz. Il enlève aussi Astrée par erreur. 

Une fois libéré, Céladon se bat contre Polémas et est blessé. Astrée découvre enfin que Céladon était Alexis mais n'arrive pas à lui pardonner. 

Dans le dénouement heureux qui ne fut pas écrit par Honoré d'Urfé mais par son secrétaire, les quiproquos s'arrêtent enfin : les deux amoureux Astrée et Céladon tentent de se suicider à la Fontaine de la Vérité d'Amour et se réconcilient grâce au dieu Amour. Le Druide Adamas essaye de sacrifier Silvandre et voit alors sur lui la marque d'une branche de gui qui prouve qu'il est son fils enlevé par les Burgondes (anagnorisis). Silvandre peut enfin épouser celle qu'il aime, Diane, et Paris "marie" bien Diane mais en officiant le mariage avec Silvandre. Galathée va à la Fontaine de la Vérité d'Amour et épouse Lindamor, le rival de Polemas. Dans la comédie du mariage, Phillis aurait sans doute finie avec Lycidas, le frère de Céladon, avec lequel elle jouait au chat et la souris depuis le début.

mardi 9 décembre 2025

[Hârn] Marx & Agrik

Un de mes problèmes avec le monde fictif de Hârn est que ses mythologies me déçoivent un peu et que malgré son relatif "réalisme", je trouve que l'opposition principale entre les deux dieux de la guerre Larani et Agrik est trop manichéenne. Larani est déesse de la chevalerie, du courage et de l'honneur, Agrik est dieu de la destruction, de la brutalité et du règne du plus fort. Larani est Loyale bonne et Agrik Loyal mauvais.  

Or cette opposition n'est pas qu'un détail comme elle organise finalement presque toutes les cultures de Venârivè (l'Europe et l'Afrique du Nord, en gros). Malgré quelques petites différences légères de noms et d'interprétation, on retrouve toujours le même clivage morale (oh, certes, la vieille civilisation des Dalkeshi, qui sont en gros les Egyptiens, disent que leur dualité est plus "complémentaire", Agrik est dieu de "l'Attaque" et leur Larani déesse de "la Défense"). 

J'en ai déjà parlé et j'avais proposé à l'époque pour donner une chance à Agrik qu'il soit aussi un dieu de l'Ordalie purificatrice : il brutalise pour sélectionner ceux qui lutteront contre l'Apocalypse de Morgath, qui lui est clairement entièrement nihiliste et maléfique. Agrik est sévère, voire cruel mais il serait une sorte d'idéal ascétique. C'est un culte millénariste et c'est pourquoi il ne parle que de grande Ekpyrosis finale. C'est Mucius Scaevola qui se brule la main ou Odin qui cherche les héros, pas seulement Loki. 

Mais j'ai eu aujourd'hui une nouvelle idée de révision (qui est compatible avec la précédente). Le but est d'avoir un peu plus d'ambiguïté mais sans trop remettre en cause ce qu'on sait déjà. 

C'est une révision "sociologique" à la place de l'opposition morale, en partant de la lutte des classes sociales. Et si Larani était une déesse de l'aristocratie, des vieilles élites de l'ouest et du sud et Agrik un dieu bien plus plébéien dans la culture azeryane qui croit à la mobilité sociale (même si c'est uniquement par la force) ? 

Cela expliquerait pourquoi Agrik aime les cruels Jeux du Cirque et pas Larani. Les Jeux de Gladiateurs permettent une promotion sociale dans l'Empire Azéryan, voire un espoir de libération pour certains esclaves. Certaines versions d'Agrik pourraient même faire de la propagande révolutionnaire. 

N'allons pas trop loin : les pires esclavagistes doivent se réclamer aussi d'Agrik au nom de la conquête par la force et il ne s'agit pas de prétendre qu'Agrik serait "progressiste". Les communautés agriki peuvent toujours être un peu "fascisantes" dans leur rapport à la violence comme critère principal d'excellence. Mais ils sont moins attachés à une idée d'une "classe vertueuse supérieure". 

Larani se voit comme "Protectrice" mais c'est l'idéologie féodale des classes nobiliaires (nous vous protégeons, donc vous nous devez reconnaissance et tribut). Le "Noblesse Oblige" est une limitation de certains excès de la noblesse mais en même temps une justification idéologique de ses prérogatives. 

Les deux visions "morales" de la guerre deviennent en fait deux strates dans les officiers des armées : généraux nobles contre sergents et mercenaires, vieille noblesse d'épée contre ambitieux plus récents. Les Légions d'Azerya étaient pré-féodales et plus agrikiennes et l'Ost des Royaumes féodaux est plus fondée sur Larani.  

Agrik est certes toujours comme avant brutal et violent mais il croit aussi à une forme de timocratie dictatoriale mais sans hérédité, ce qui le rend légèrement moins antipathique (même si cela reste un Arès peu subtile et qu'on conserve tout ce qu'on sait sur ses Balrogs enflammés et ses holocaustes). 

On conserve quand même l'idée originale que le culte de Larani est anti-sexiste (voire gynocratique plus au sud dans la Matriarchie de Byria) car c'est une des différences majeures entre notre monde et celui de Hârn que ces femmes qui ont accès à la chevalerie, mais en ajoutant une polarité sociale, on a ainsi une opposition un peu plus "ambiguë" où Agrik n'est pas qu'une sorte de Diable et Larani la déesse des Gentils Paladins (même si Rethem reste un royaume globalement "maléfique" et la plupart des Laraniens hârniques plutôt généreux). 


 

mercredi 3 décembre 2025

Les Elfes de la Mer (3/3) Wavedancers (version "canonique")

Nous continuons à apprendre à connaître les Elfes marins dans Elfquest et nous arrivons enfin à la version finale et officielle des Wavedancers dans le comic book de 1996 (même si je ne vais pas couvrir la période récente depuis The Discovery pour ne pas tout divulgâcher). 

Il y eut un numéro en couleurs nommé Wavedancers et ensuite la série devint un feuilleton en N&B qui parut dans le one-shot Metamorphosis et dans le magazine d'anthologie Elfquest II (vol. 2), #1-2, 5, 21, 23-24, 27-28, 30-31 (1996-1998)

C'étaient Kathryn Bolinger au scénario et Steve Blevins aux dessins. Autant j'étais complètement hermétique au style de la 1e version, autant Steve Blevins émule très bien Wendy Pini, si ce n'est que les personnages se confondent facilement en noir & blanc. C'est dans ce genre de cas qu'on espère des dialogues peu réalistes où les personnages se rappellent périodiquement leurs prénoms... 

On peut voir les portraits en couleurs des Wavedancers sur le site d'Elfquest

Ces Wavedancers sont amphibiens (contrairement aux Elfes du jeu de rôle) mais ils sont très peu nombreux à avoir une queue de poisson (contrairement à ceux édités par Black Mermaid). Leur couleur de peau peut être plus inhumaine encore, certains ont une peau verte, bleue ou dorée. Ils sont plutôt grands, plus grands que les Humains. 

Une autre différence est dans la chronologie. La série Elfquest d'origine se passait alors que les Humains de ce Monde des Deux Lunes étaient encore au Néolithique. Dans les années 1990, la série va faire un bond en avant. Les Elfes quasi-immortels voient les milliers d'années passer. Les Humains commencent à se développer à un niveau médiéval et même renaissant avec des galères qui explorent le monde entier (il faut dire que le plus grand héros humain, Grohmul le "Djun", l'équivalent de Gilgamesh et de Gengis Khan dans ce monde, a été aidé par la technologie troll de Two Edge le trickster/forgeron demi-elfe). Le Nouveau Continent de "Junsland" à l'Ouest a été colonisé. Cela change nécessairement les interactions : les Elfes des Mers ne sont plus un peuple isolé mais un peuple en voie d'extinction qui doit se cacher pour survivre alors que les Humains peuvent les dépasser technologiquement et démographiquement. 

C'est l'ancienne Corail qui a fondé la communauté des Danseurs des Vagues à Crête. Elle fut tuée par des Humains et remplacée par son fils Surge. Surge a une apparence plus transformée et des pouvoirs de contrôle de l'eau. Il a reconnu la guérisseuse Skimmer et ils eurent comme fils Snakeskin


 

Quand sa compagne Skimmer fut à son tour tuée par des Humains, Surge quitta la tribu et laissa la place à Snakeskin


 

Quand Surge revient dans la tribu après bien des années, Snakeskin (à la peau verte) se retrouve être un chef contesté par l'autorité de son père. Snakesin a des capacités de Forme-Corail, mais Surge le forcera à accepter ses pouvoirs de guérisseur qu'il a hérités de sa mère. Peau-de-serpent aime (mais sans avoir eu de "Reconnaissance") No-Ripple, qui a déjà eu un enfant, Tumble, de son compagnon décédé Stormsong. 

No-Ripple est aussi une amante du petit-frère de ce dernier, Spine et il n'y a pas de jalousie entre Snakesin et son ami Spine. Spine est un peu le confident du chef Snakeskin, comme Skymage l'était pour Cutter. 

Longfin la Formeuse de Rocher a eu deux enfants Sandsparkle et Darshek. Darshek est un aventurier explorateur et il est partenaire de la chasseresse Krill. 

Sa demi-soeur Sandsparkle a reconnu le guérisseur à la peau dorée, le doux Skimback, malgré leurs différences.  

Malgré ses pouvoirs de guérisseur,  Skimback n'a jamais réussi à trouver le moyen de soigner le malheureux elfe "Brisé" (aussi nommé "Reef") horriblement déformé (physiquement et psychiquement) par une rencontre avec Winnowill. Je me demande si au début on maintenait ouverte la possibilité que les événements de la série de 1994 étaient toujours canoniques et que Winnowill avait ainsi métamorphosé le pauvre "Brisé" après avoir quitté la tribu de Raenafel et Hyfus. Mais l'explication officielle est que toute l'histoire de 1994 n'était qu'un rêve confus du Brisé devenu dément. 


Krill et Brill sont deux soeurs jumelles. Krill la chasseresse est la compagne de Darshek. La douce Brill, elle, ne rêve que de Reconnaissance et de maternité depuis que son compagnon Skimback a reconnu Sandsparkle. Elle est destinée à devenir la liaison entre les Monteurs de Loups et les Danseurs des Vagues et doit jouer un rôle plus important par la suite.  

L'ancienne Spray (Embrun) est la compagne du vieux Salt et la mère de Foam. Plus tard, avec l'aide du guérisseur Skimback, elle recevra une métamorphose en sirène, tout comme son compagnon Salt. 

 

Redcrest le Forme-Plante (dont la compagne Pearl est morte) est le père de Kroosh l'impétueux et de Strand. Strand et Foam (la fille de Spray) sont les parents du jeune Puffer ("Poisson-Globe"). 


Moonmirror est une jeune Elfe dont les deux parents Fairshell et Drift, furent tués par des chasseurs de baleine.  

 

Wavecatcher est un Elfe devenu errant depuis l'expédition de Zephyr (qui cherchait une île sans humains et qui avait désobéi à Surge). Il vit à terre et il a la capacité de se métamorphoser. 
 


 L'histoire suit deux intrigues principales. 

Les Wavedancers dirigés par Snakeskin se disputent parce que son père Surge dit qu'ils n'ont plus le choix et qu'ils doivent abandonner leur foyer de Crestpoint face aux avancées des humains. Mais Darshek a été capturé sur un galion humain par l'ignoble Ardan Djarum, une sorte de Captain Achab dont la Moby Dick est les Elfes. 

Pendant ce temps, Wavecatcher a quitté la tribu depuis longtemps et vit dans le Forevergreen. Avant la série Wavedancers, il avait croisé Yun, une des filles de Skywise (dans New Blood #20, août 1994, dessiné par l'atroce B. Blair) et va s'allier avec Windkin, le fils volant de Tyldak et Dewshine. Ils vont explorer la grande jungle et y retrouver une autre Elfe des Mers exilée, Wavelet. Wavecatcher est destiné à jouer un rôle important dans la survie du peuple elfique mais j'ignore si cela s'est accompli après la série The Discovery dans la Quête finale. Cette série me paraît meilleure que la précédente par ses dessins mais l'intérêt des personnages réside notamment dans le fait qu'ils jouent un rôle ensuite dans l'intrigue principale de la fin de la série principale. 

mardi 2 décembre 2025

Les Elfes de la Mer (2/3) Wavedancers (1e version, non-canonique)

8 ans après le supplément de jeu de rôle, en 1993-1994, les studios WaRP publièrent la mini-série en six numéros Wavedancers écrite par Julie Ditrich & Bruce Love, et dessiné par Jozef Szekeres des studios australiens Black Mermaid. Mais cette série n'eut pas de suite et fut rendue non-officielle. Comme l'histoire utilisait à la fois des personnages originaux de Julie Ditrich et un personnage central d'Elfquest, ni les Pinis ni les créateurs de Black Mermaid ne peuvent plus l'utiliser. La seconde version de Wavedancers par Kathryn Bolinger & Steve Blevins sort à partir de 1996 avec des personnages complètement différents, et elle est restée canonique en convergeant avec la série principale. 

Contrairement aux Sea Elves du jeu de rôle, ces Danseurs des Vagues désignent les Elfes et plus les dauphins - Richard Pini dit qu'il trouvait que le nom était trop chouette pour être laissé aux cétacés. Ils ont des mains palmées et certains ont été profondément altérés par la magie, avec des queues de poisson (plus une mutante pieuvre). 

Les dessins de Szekeres me semblaient aggraver certains aspects disney qui existent déjà chez Wendy Pini et ils exagéraient de manière hyper-maniériste une silhouette étirée et trop amincie. Ce côté cartoony détonne un peu avec un contenu "adulte" (tout comme le style si scabreux et glauque de Barry Blair qui collaborait avec les titres de WaRP à l'époque). 

Le n°1 présente ce schéma très utile des personnages principaux de ce clan de 18 personnes (ce qui était aussi à peu près le nombre d'individus dans les Monteurs de Loups) : 

Avant le début de l'histoire : 

Un groupe de Hauts-Elfes (High Ones), Ausra, Desh, Livian et Sima fuient vers la mer. Ausra, liée à un Narwhal, était une "Forme-Chair" (Flesh-Shaper) et fut la créatrice des Elfes-sirènes : elle se donna à elle-même une queue avec nageoires, tout comme aux autres Anciens. Voir cette liste des personnages avec leur portrait. 

Les enfants d'Ausra et de Desh furent Neama, la "Deuxième Couronne", et le vieux Tentus le Forme-Corail et gardien de la mémoire. 

Neama enfanta à son tour un garçon Brom, le Troisième Chef, et son petit-frère Shardon, mais ce dernier fut enlevé par le Faiseur de Malédictions, le Voleur d'Âmes, qui est en fait Sydor (un autre Haut-Elfe rendu fou par ses tortures par les Humains). 

Les motivations de Sydor ne sont pas très claires mais il enlève les Enfants de cette tribu s'ils sont issus du processus de la Reconnaissance (Recognition) et semble obsédé par la "Pureté" des gènes des Elfes. Les Elfes ont beaucoup de problèmes pour se reproduire dans le Monde des Deux Lunes et selon les tribus, la Reconnaissance est ce qui favorise à la fois la fertilité mais aussi la transmissions des "pouvoirs" spéciaux. La Reconnaissance est un instinct qui crée une union fusionnelle, quelle que soit la volonté de l'individu mais ces Elfes marins semblent capables d'enfanter même sans Reconnaissance (contrairement aux Monteurs de Loups et aux Wavedancers officiels). Dès lors, la tribu elfique fut menacée par les kidnappings des "Enfants de la reconnaissance". La fondatrice de la tribu Ausra va disparaître pour tenter de trouver une solution et il n'y aura plus de "Forme-Chair" capables de créer de nouvelles sirènes. 

Le Chef Brom, qui avait aussi Reconnu son épouse Ailsa, engendra une fille, Raenafel, qui aurait dû devenir la "Quatrième Couronne". Sa femme mourut en couche et Brom tenta de dissimuler sa fille en l'enfermant dans une caverne pour qu'elle ne se fasse pas enlever à son tour comme son frère Shardon. Mais comme pour sa mère Ausra, sa quête pour "les Enfants de la Reconnaissance" est vaine et il est frappé par une étrange malédiction du Voleur d'âme : son visage développe une barbe, comme un humain (les Elfes peuvent avoir de la pilosité faciale chez les Monteurs de Loups mais c'est quasiment inouï chez la plupart des tribus). 

Il n'y a plus que quatre sirènes en comptant le vieil ermite Tentus (fils d'Ausra et donc grand-oncle de Raenafel) et Kirith : le couple de Hyfus et Tilaweed, qui sont séparés depuis l'enlèvement de leur fille Illora (qui est prisonnière avec l'infortuné Shardon). Korilia est à moitié pieuvre à cause d'une poche de "mauvaise magie" qui a contaminé sa naissance (et elle tente de créer un tabou alimentaire sur les pieuvres). 

Les autres familles actuelles sont : Burdekin le roux & Zadori, parents de Shorsprout ; Kadva (qui ressemble à Namor the Submariner !) & Shoseabee, parents d'Inkobottom (Sleia est fille de Lazik & Shoseabee). Paffa (compagnon de Maron, le père de Zadori) est le frère d'Irrali 

Rhialdor le tailleur et Kirith la sage-femme (qui est liée à un Dauphin et qui a perdu la vue, même si elle a des visions de l'avenir) ont deux fils sans Reconnaissance, le sérieux Jormak et le plus fantaisiste Barmek (dont on ne sait s'il a hérité d'une partie du pouvoir de Vision de sa mère). 

La mini-série de 1994 

Barmek fils de Kirith est le protagoniste de l'histoire. Il avait retrouvé par hasard Raenafel, la fille de Brom qui vivait cachée dans une grotte, et l'a "Reconnue". Le chef Brom ne pouvait plus dissimuler son existence et l'a donc éloignée en prétextant qu'elle devait retrouver le Palais originel de leurs ancêtres, là où doit se trouver "Pas d'aile" la Préservatrice. Mais Raenafel a ensuite vraiment disparu et Barmek se reproche d'avoir ainsi causé son exil. 

A la mort de Brom (sans doute tué par Sydor), le pisciforme Hyfus l'a remplacé comme chef de la tribu pendant l'absence de Raenafel. Mais après des années, Jormak annonce que Raenafel. est enfin revenue, avec le Haut-Elfe Sydor. Il s'agit en fait de la puissante et maléfique Winnowill qui se fait passer pour elle (elle a dû utiliser ses pouvoirs de Forme-Chair pour se donner des mains palmées) et qui s'est alliée au Haut-Elfe fou. Seul Barmek devine son subterfuge alors que son frère Jormak tombe fou amoureux de l'usurpatrice. 

Barmek décide donc de fuir la tribu et de partir dans les terres, à la recherche de la vraie Raenafel (avec l'aide de Sleia fille de Lasik, qui est amoureuse de lui mais lui en veut de ne penser qu'à celle qu'il a Reconnue (au point qu'elle a même failli tuer Barmek dans une scène de folie assez peu crédible). Ils trouvent la Préservatrice nommée "No-Wing" qui a enveloppé la "Quatrième Couronne" dans sa "soie" protectrice. 

Barmek ramène Raenafel au clan et chassent Winnowill, malgré son frère Jormak qui refuse de le croire. Avant de s'enfuir et d'abandonner Jormak, Winnowill vainc mentalement Sydor, qui tombe dans une crise de catatonie. 

Barmek et Raenafel consomment enfin leur "Reconnaissance". 

La suite 

Les studios Black Mermaid avaient posté sur leur site (lien via Internet Archive) un synopsis de la suite qu'ils avaient prévue. Raenafel, Enfant de la Reconnaissance, ramène pour la première fois le pouvoir de Formatrice de Chair et recrée des sirènes dans la tribu pour les Elfes volontaires. Elle aura un enfant avec son partenaire Barmek et le frère de ce dernier, Jormak, traumatisé par Winnowill, finira par retrouver le bonheur avec Sleia. On retrouvera les Enfants disparus et le Haut-Elfe fou Sydor sera guéri de sa folie grâce à Irrali. Ausra aussi, la fondatrice de toute la tribu, devait revenir. 

La série avait quelques problèmes, même en dehors des dessins. Elle joue assez peu avec la mer (à part quelques scènes de pêche et la cuisinière Korilia qui parle de la faune marine). C'est un peu bizarre d'avoir une histoire de "Danseurs des Ondes" qui se passe surtout sur le sol au sec. En dehors des mutations ou de la grotte sous-marine où était cachée Raenafel dans sa jeunesse, le thème aquatique semble donc sous-exploité. 

Les Elfes de la Mer (1/3)

La série Elfquest de Wendy & Richard Pini (publiée depuis 1978) avait d'abord décrit 5 tribus elfes : (1) les ancêtres communs, Hauts-Elfes descendus de leur Palais Volant, (2) les Monteurs de Loups sauvages de la forêt, (3) les Elfes du Soleil isolés dans une oasis, (4) les Elfes-Oiseaux ("Planeurs") de la Montagne bleue (qui ont moins muté) et (5) les "Revenus" (ou Revenants dans une autre traduction VF, les Go-Backs, une tribu issue des Monteurs de Loups devenus des Monteurs d'Elans dans les montagnes glacées). Et cela sans compte les peuples liés : les petits Préservateurs et les Trolls

La sixième tribu des Elfes marins a une généalogie compliquée avec d'abord une fanfic, un supplément de jeu de rôle et une série annulée.  

(1) En 1982, dans le fanzine d'Elfquest Yearnings n°1, une fan, Betty Cerritelli, écrit (avec Debra Vorgias) une nouvelle, "Siege of Suncliff Island", qui décrit pour la première fois une tribu d'Elfes marins

(2) Quand Steve Perrin crée le jeu de rôle Elfquest (1984, à partir du système Basic Role-Playing), il semble prévoir qu'on rejoue à nouveau des Elfes Monteurs de loups comme dans le comic book. Un des premiers suppléments par l'autrice de la nouvelle, Elizabeth Cerritelli va être The Sea Elves: A Complete Culture for Elfquest (1985, 50 pages) et c'est bien plus "rafraichissant" en offrant une option nouvelle où le fait de monter des dauphins peut paraître plus attirant que de faire un replay de la Quête originelle et de monter des Loups ou des Elans. 

Malgré quelques illustrations intérieures par Wendy Pini herself, il est bien précisé que ces Elfes marins ne sont pas "canoniques" pour le Monde des Deux Lunes. 


 

(3) A l'époque, les 20 premiers épisodes de la "Quête originelle" viennent d'arriver à leur fin en octobre 1984 et la suite, le Siège de la Montagne bleue, ne commence qu'en octobre 1987. Ce n'est que plusieurs années après, que les Pini vont enfin reprendre des Elfes marins dans une mini-série comic Wavedancers (dec. 1993-oct. 1994) mais encore une fois ils ne l'ont pas écrite et dessinée, ce qui confirme que ces Elfes ne devaient pas bien entrer dans le scénario originel. Leur apparition non-canonique en jeu de rôle a donc précédé de 8 ans cette apparition en bd. Dans le supplément, le nom "wavedancers" était d'ailleurs le nom des dauphins, pas de leurs elfes. Mais les Pini ont dû commencer à apprécier ce nom. 

(4) Cette mini-série de 1993 devait avoir des suites selon ses auteurs, mais elle va être rendue à son tour non-officielle à cause d'un conflit entre les Pini et les auteurs. Les Wavedancers "officiels" reviennent dans une seconde série (février 1996 - la série de 1993 est déclarée n'être qu'un rêve) et ils sont moins non-humanoïdes que dans la version précédente (pas d'Elfe pieuvre et pas autant de "sirènes" pisciformes). Cette seconde mini-série reste inachevée également à cause de l'implosion que connaissent les titres indépendants N&B à la fin du siècle dernier. 

(5) Les Elfes marins de la brève série de 1996 ne vont retrouver les personnages de la série principales que dix ans après, dans la mini-série publiée chez DC, The Discovery (1-5, mars-décembre 2006).  

Ils jouent un rôle significatif dans l'ultime série, The Final Quest (2013-2018) où un des fils des Monteurs de Loups épouse et devient lui-même un Elfe marin

C'est un de ces cas qui m'intéresse à cause de la rétroaction entre la fiction et le jeu de rôle : le jeu adaptait la fiction mais devait développer d'autres possibilités et le cadre de la fiction a ensuite réadapté le jeu. On a d'autres cas dans l'histoire du jeu de rôle (comme Star Wars qui avait repris dans son ancien "univers étendu" des éléments qui n'avaient jamais été explicités avant le jeu de rôle de West End Games).   

***

Commençons par le supplément du jeu de rôle de 1985 The Sea Elves par Cerritelli car je n'ai pas accès à sa nouvelle de 1982. 

 

Contrairement à des versions suivantes, ces Elfes de la Mer ne sont pas amphibies et n'ont pas même accès à un pouvoir rare de se transformer en amphibiens ou même de respirer dans l'eau. Ce sont des marins de la surface. Il forment des barques sur des coquillages de tortues géantes et chevauchent des dauphins mais ne respirent pas plus longtemps que des plongeurs ou pêcheurs de perle. Ils ont un lien avec leurs dauphins mais ils n'ont (comme les Monteurs de Loups) du sang de mammifère marin. Ils ont le pouvoir d'Emettre (ce qui est utile sous l'eau) et certains peuvent même Contrôler l'Eau ou Prévoir les Tempêtes, mais il n'y a pas d'Elfe-Poisson. 

La culture n'est pas très détaillée mais on n'a sans doute pas moins d'informations que sur les Monteurs de Loups. Une idée que j'aime bien est que lorsque la Magie fait un fumble en mer, la poche de "mauvaise magie" forme un flux, un courant et pas seulement un lieu fixe. 

Les Elfes de cette version ont à peu près la même taille que les Monteurs de Loups (5-8 contre 4-7) alors que la version officielle des Wavedancers donnera une taille un peu plus élevée (même si cela reste moins que les Planeurs). Les Planeurs sont grands mais aussi nettement plus minces, frêles et fluets qu'un humain, ce qui doit expliquer leur SIZ "moyenne" de 8-12 (la célèbre sorcière elfe Winnowill semble plus grande qu'un humain moyen mais les règles officielles lui donnent une SIZ de seulement 11). Sur Glorantha, les Elfes bruns ont une SIZ de 2d4+4 (6-12) et les Elfes verts une SIZ de 3d6. 

Je mets pour comparer les Monteurs de Loups et les Planeurs :  

Caractéristiques Wolfriders Gliders Sea Elves
STR 2d6+2 2d6+4 2d6+4
CON 2d6+6 2d6+4 2d6+6
SIZ 2d3+1 2d3+6 2d3+2
INT* 3d6 3d6 3d6
POW 2d6+6 2d6+9 2d6+6
DEX 2d6+9 2d6+6 2d6+9
APP 2d6+6 2d6+8 2d6+6**

* Les règles de RuneQuest III (1984) ayant donné 2d6+6 de base en INT à tous les humains (et donc un minimum humain de 08), il faudrait corriger l'INT, à moins que Steve Perrin veuille vraiment dire que certains Elfes régressent vers une intelligence semi-animale. 

** La 2e édition d'ElfQuest (1989), qui a intégré l'Elfquest Companion et d'autres suppléments, avait corrigé (p. 73) l'APP des Elfes des Mers en 3d6 et je ne sais pas vraiment pourquoi ils auraient une apparence plus variable que les Monteurs de Loups. 

 


Le bestiaire (p. 9-15) décrit surtout des espèces marines semblables à celle de la Terre : les Voiles noires (épaulards), les Chanteurs profonds (baleines - dans le comic book les Elfes les appelleront moins poétiquement des "Slap-Tails"), les Dos-Barques (tortues), Nageoires velues (phoques), Nombreuses-dents (requins), Nombreuses-pattes (pieuvres) et ce qui semble être un plésiosaure (Cou d'Arbre). Le livre prévoit surtout des scènes de pêche avec des tables de rencontres aléatoires. 

Il y a trois scénarios. Dans "Stormcoming Hunt" (p. 16-18), les PJ partent à la pêche avant une tempête et vont rencontrer des pirates elfes. Je n'aime pas trop l'idée de multiplier les conflits violents entre Elfes : dans Elfquest, la télépathie des Elfes rend les actes de violence intra-spécifique hyper-rares et scandaleux. La même autrice a aussi un supplément Elf-War mais la Guerre devrait être une sorte d'anomalie et je me demande s'il ne vaudrait pas mieux que les pirates soient humains (même si c'est bien sûr casse-pied que les Humains soient toujours les méchants). 

Dans "Littlesmoke Island" (p. 19-27), les PJ sont perdus et viennent explorer une île où ils vont trouver une autre tribu réfugiée là pour échapper aux pirates. 

Enfin, "Assault on Smalltower Island" (p. 28-49, donc la moitié du livret) est un "Donjon". C'est encore un pillage entre Elfes de la Mer. Les PJ peuvent jouer soit un des deux groupes rivaux d'adolescents elfes qui viennent piller l'île pendant que la majorité est partie à la pêche, soit les défenseurs de l'île.  Le scénario vaut surtout par une longue liste de PNJ ou comme exemple pour créer une communauté de ce peuple. 

Comme pour les Monteurs de Loups, les noms sont descriptifs. Voici quelques noms dans le supplément : Greensea, Greatwave, One-Arm le Pirate, Sailslasher, Dashhull, Billowsnitch, Preyfilcher, Torrent, Reef, Foamracer, Stonediver, Surfrider, Firmrudder, Snapmast, Quarryseek, Greenmist, Brine, Waveskimmer, Raingather, Seedkeeper, Harbor, Linegather, Seabreeze, Shelltrapper, Skiffshaper, Spraydancer, Sunshower, Tideflow... 

On devrait pouvoir en tirer facilement un générateur aléatoire de quelques termes pour des noms : 

Aileron Albatros Algue Ancre Anguille Arête Baie Barre Baudroie Bois Bourrasque Branchie Brise Brochet Brouillard Bruine Calfatage Carpe Cartilage Caudale Chavirer Coquillage Corail Cordage Cormoran Côte Crique Détroit Eau Ecaille Ecume Embellie Embrun Events Falaise Filet Foudre Flot Goéland Goutte Houle Lamproie Mât Marée Mer Mouette Nageoire Nageur Onde Orage Ouïes Ouragan Pêcheur Perle Pieuvre Planche Plongeur Poisson-volant Proue Queue Rafale Raie Rame Récif Reflet Rémora Rive Rostre Squale Tempête Torpille Tourbillon Trident Vague Vent Voile

lundi 1 décembre 2025

Ars et alea

Au tournant des Lumières et du Romantisme, les révolutions esthétiques sont peut-être plus au Royaume-Uni qu'en France.  

Joseph Turner (1775-1851) invente l'impressionnisme vers 1840 et atteint une certaine abstraction dans le sublime de l'indéterminé. Alexander Cozens (1717-1786) invente l'expressionnisme abstrait dans son art du paysage par sa méthode des "taches" (macula, blots) aléatoires dès 1785 dans son traité de méthode. Le hasard doit faire naître des idées par association et introduire un peu de désordre apparent pour mieux représenter la nature. On retrouve une part du jardin à l'anglaise. 


 

Certes, le poète du Ve siècle Agathon disait déjà "Τέχνη τύχην ἔστερξε καὶ τύχη τέχνην" ("l'Art aime le Hasard et le Hasard aime l'Art", via Aristote, Ethique à Nicomaque, VI, 4, 1140a). 

Ce tragédien Ἀγάθων devait être travaillé par cette pensée de la Fortune (τύχη) en esthétique. Aristote cite aussi son autre vers "καὶ μὴν τὰ μέν γε τῆς τέχνης πράσσειν, τὰ δὲ //ἡμῖν ἀνάγκῃ καὶ τύχῃ προσγίγνεται." dans la Rhétorique II, 19, 1392a : "ce qu'on ne fait pas par art, nous le faisons par la nécessité et par la fortune".  

Et Aristote cite deux fois un passage sur la vraisemblance de l'invraisemblable : "εἰκὸς γὰρ γίνεσθαι πολλὰ καὶ παρὰ τὸ εἰκός"  "il est vraisemblable que se produisent de nombreuses choses contraires à ce qui est vraisemblable" dans la Poétique 18, 1456a ou sous une forme versifiée plus longue : τάχ' ἄν τις εἰκὸς αὐτὸ τοῦτ' εἶναι λέγοι, // βροτοῖσι πολλὰ τυγχάνειν οὐκ εἰκότα. "On dit qu'il est vraisemblable qu'arrivent aux mortels de nombreuses choses qui ne sont pas vraisemblables" dans la Rhétorique II, 24, 1401b (la traduction "il est probable qu'arrivent des choses improbables" serait un anachronisme un peu trop mathématisé). 

Sextus Empiricus (Hyp. Pyrrh I, 28) et Dion Chrysostome (Orat. 63.4) attribuent au célèbre Apelle de Cos une histoire que Pline (Nat. 35, 102-104) attribue aux peintres Protogenes de Rhodes ou Nealces de Sicyone où ils réussissent à simuler de l'écume dans un tableau non par "ars" mais par "casus" (οὐ διὰ τῆς τέχνης, ἀλλὰ διὰ τῆς τύχης) en jetant une éponge humide.

On n'a hélas plus un tableau Feuilles d'automne sur la rivière Tatsuta qu'Hokusai (1760-1849) aurait réalisé en 1807 (à la cour du shōgun Tokugawa Ienari) en trempant d'abord les pattes d'un poulet dans l'encre rouge avant de le laisser marcher au hasard sur sa toile bleue pour représenter les feuilles d'érable flottant dans l'eau. Dans la version traditionnelle, il s'agissait d'une compétition avec un autre artiste et Hokusai l'aurait emporté (comme la compétition entre Apelle et son ami et rival Protogenes). Ce n'est pas son autre tableau ultérieur plus composé, illustration du Poème d'Ariwara no Narihira (vers 1835), avec les même feuilles rouges sous le Pont sur la rivière Tatsuta.