mercredi 10 décembre 2025

Résumé de l'Astrée

L'Astrée, l'énorme roman de 5400 pages de Honoré d'Urfé (1567-1625) paraît pendant 20 ans, de 1607 sous Henri IV à 1627 sous Louis XIII. Il a une histoire concentrée sur seulement quelques mois et il est pourtant impossible à résumer facilement avec ses centaines de personnages. Roman d'amour pastoral avec des récits enchâssés, romance avec des éléments de l'Orlando furioso, il a des éléments de parodie érudite, d'érotisme saphique avec voyeurisme ou triangle travesti (le seul moyen des personnages masculins de se rapprocher de celle qu'ils aiment est de se déguiser en femmes comme dans les comédies de Shakespeare) et des clins d'oeil anachroniques. D'Urfé fut du côté de la Sainte Ligue contre le Roi (et même contre certains membres de sa propre famille) et il mit une partie de lui-même, et se moqua obliquement de Henri IV par Euric, Roi des Wisigoths. 

Peu d'oeuvres oubliées ont la chance d'avoir un site entier qui la détaille.  

L'époque : Nous sommes censés être au Ve siècle, à peu près sous le règne de l'Empereur Valentinien III (419-455), à la chute de l'Empire romain, mais les noms sont grecs pour les personnages soit français du XVIIe pour les toponymes. On croise peu l'histoire en dehors de quelques allusions à Aetius, à Euric ou aux Francs de Childeric. Les personnages sont des "Gaulois" légèrement romanisés qui disent adorer encore en plus du panthéon romain "Thautates", le dieu unique qui recouvre les Trois Personnes, "Tharamis", "Hésus" & "Belenus" (j'avais parlé de cette théologie trinitaire là après avoir vu l'adaptation de Rohmer - où, en passant, j'avais d'ailleurs trop négligé la part importante sur l'androgynie en la réduisant au thème du Banquet).

Le lieu : Ces Gaulois vivent sur les bords du Lignon, dans la région du Forèz, entre le Puy de Dôme et les Gorges de la Loire (le territoire des Segusiaves, entre les Arvernes et les Allobroges, "Forèz" viendrait de "Feurs" et de Forum Segusianorum). La capitale du Forèz est dans le livre Marcilly le Chatel, qui serait une cité romaine (près de Montbrison et tout prêt du château de la Bastie de la famille d'Urfé - l'auteur dirigea la région du Forèz dans ces années). 

Voilà une carte du Pays de l'Astrée réalisée par C. Mathevot : 
 


 

La Dame de la Contrée de Forèz est la Dame Amasis, descendante de Diane, veuve de Pimandre (prince qu'on dit savant car il apparaît dans le corpus de Hermès Trimesgiste). Elle a eu deux enfants, le beau Clidaman et la belle Galathée. Sa cour est pleine de nymphes et de Druides de la Loire et du Forêz. 

Le berger Céladon, tout de vert vêtu, fils d'Alcippe, aime Astrée (dont le nom symbolise la Justice descendue du Ciel sur la terre). Déguisé en femme "Orithie", Céladon a pu s'approcher d'elle au Temple de Vénus malgré l'hostilité de sa famille et lui a remis le prix de la meilleure des femmes. Il l'embrasse et elle sait qu'il n'est pas une femme.

Astrée le croit infidèle avec Phillis car il continuait de cacher son identité et elle le bannit à jamais de sa vue. Céladon tente de se suicider en se jetant dans la Loire mais va être sauvé par Galathée en son palais d'Isoure (qui n'est pas Issoire mais Chalain d'Uzore, juste au sud de Marcilly). Galathée avait entendu l'oracle d'un Druide disant qu'elle aimerait celui qu'elle trouverait dans la vallée du Lignon (le faux Druide était en fait Climanthe qui travaillait pour Polemas qui voulait ainsi séduire Galathée). Galathée veut séquestrer Céladon dans son château où se trouve la Fontaine de la Vérité d'Amour. 

Le Druide Adamas sauve Céladon en l'habillant en femme et il devient la servante "Lucinde" puis la druidesse "Alexis" (nom de la fille d'Adamas qui est encore absente "au couvent" pour trois mois, ce qui fait que toute l'intrigue doit être résolue avant le retour de la vraie Alexis). 

Celadon libéré construit un Temple d'Astrée et rencontre Silvandre, un ancien Forézien qui avait été enlevé enfant par des Burgondes et qui vient de s'enfuir de leur pays quand leur Prince a voulu le tuer parce que le Roi voulait en faire son héritier. Silvandre a reçu un oracle qu'il devra mourir pour savoir qui il est vraiment. 

Il rencontre la belle Diane, fille de Celion. Diane fut mariée par sa famille avec Philidas, qui était en fait une femme, ce qui va créer un double triangle amoureux. Diane tomba amoureuse de Philandre (homme travesti en sa soeur Callirhée pour pouvoir approcher Diane) alors que Philidas tomba amoureuse de Callirhée (femme travestie en son frère Philandre). Philandre & Philidas moururent tous les deux en tentant de protéger Diane d'un barbare. 

Silvandre tombe amoureux de Diane mais celle-ci ne peut épouser un enfant trouvé sans identité. Un oracle dit que Paris, le fils d'Adamas, "mariera" Diane et Silvandre est désespéré. 

L'inconstant Hylas (qui tombe amoureux dans le roman successivement de quasiment tous les personnages) commence à poursuivre la jeune druidesse "Alexis" (Céladon travesti). Astrée devient ensuite l'amie de celle qu'elle croit être une druidesse et qui lui rappelle tant Céladon qu'elle croit mort. Astrée commence à être de plus en plus attirée par la druidesse, qui lui dit avoir été éconduite par son ancienne maîtresse, ce qui crée un second triangle amoureux fondé sur le travestissement. 

Polemas veut enlever "Alexis" pour punir Adamas de l'avoir empêché de séduire Galathée alors qu'il convoite le Forèz. Il enlève aussi Astrée par erreur. 

Une fois libéré, Céladon se bat contre Polémas et est blessé. Astrée découvre enfin que Céladon était Alexis mais n'arrive pas à lui pardonner. 

Dans le dénouement heureux qui ne fut pas écrit par Honoré d'Urfé mais par son secrétaire, les quiproquos s'arrêtent enfin : les deux amoureux Astrée et Céladon tentent de se suicider à la Fontaine de la Vérité d'Amour et se réconcilient grâce au dieu Amour. Le Druide Adamas essaye de sacrifier Silvandre et voit alors sur lui la marque d'une branche de gui qui prouve qu'il est son fils enlevé par les Burgondes (anagnorisis). Silvandre peut enfin épouser celle qu'il aime, Diane, et Paris "marie" bien Diane mais en officiant le mariage avec Silvandre. Galathée va à la Fontaine de la Vérité d'Amour et épouse Lindamor, le rival de Polemas. Dans la comédie du mariage, Phillis aurait sans doute finie avec Lycidas, le frère de Céladon, avec lequel elle jouait au chat et la souris depuis le début.

mardi 9 décembre 2025

[Hârn] Marx & Agrik

Un de mes problèmes avec le monde fictif de Hârn est que ses mythologies me déçoivent un peu et que malgré son relatif "réalisme", je trouve que l'opposition principale entre les deux dieux de la guerre Larani et Agrik est trop manichéenne. Larani est déesse de la chevalerie, du courage et de l'honneur, Agrik est dieu de la destruction, de la brutalité et du règne du plus fort. Larani est Loyale bonne et Agrik Loyal mauvais.  

Or cette opposition n'est pas qu'un détail comme elle organise finalement presque toutes les cultures de Venârivè (l'Europe et l'Afrique du Nord, en gros). Malgré quelques petites différences légères de noms et d'interprétation, on retrouve toujours le même clivage morale (oh, certes, la vieille civilisation des Dalkeshi, qui sont en gros les Egyptiens, disent que leur dualité est plus "complémentaire", Agrik est dieu de "l'Attaque" et leur Larani déesse de "la Défense"). 

J'en ai déjà parlé et j'avais proposé à l'époque pour donner une chance à Agrik qu'il soit aussi un dieu de l'Ordalie purificatrice : il brutalise pour sélectionner ceux qui lutteront contre l'Apocalypse de Morgath, qui lui est clairement entièrement nihiliste et maléfique. Agrik est sévère, voire cruel mais il serait une sorte d'idéal ascétique. C'est un culte millénariste et c'est pourquoi il ne parle que de grande Ekpyrosis finale. C'est Mucius Scaevola qui se brule la main ou Odin qui cherche les héros, pas seulement Loki. 

Mais j'ai eu aujourd'hui une nouvelle idée de révision (qui est compatible avec la précédente). Le but est d'avoir un peu plus d'ambiguïté mais sans trop remettre en cause ce qu'on sait déjà. 

C'est une révision "sociologique" à la place de l'opposition morale, en partant de la lutte des classes sociales. Et si Larani était une déesse de l'aristocratie, des vieilles élites de l'ouest et du sud et Agrik un dieu bien plus plébéien dans la culture azeryane qui croit à la mobilité sociale (même si c'est uniquement par la force) ? 

Cela expliquerait pourquoi Agrik aime les cruels Jeux du Cirque et pas Larani. Les Jeux de Gladiateurs permettent une promotion sociale dans l'Empire Azéryan, voire un espoir de libération pour certains esclaves. Certaines versions d'Agrik pourraient même faire de la propagande révolutionnaire. 

N'allons pas trop loin : les pires esclavagistes doivent se réclamer aussi d'Agrik au nom de la conquête par la force et il ne s'agit pas de prétendre qu'Agrik serait "progressiste". Les communautés agriki peuvent toujours être un peu "fascisantes" dans leur rapport à la violence comme critère principal d'excellence. Mais ils sont moins attachés à une idée d'une "classe vertueuse supérieure". 

Larani se voit comme "Protectrice" mais c'est l'idéologie féodale des classes nobiliaires (nous vous protégeons, donc vous nous devez reconnaissance et tribut). Le "Noblesse Oblige" est une limitation de certains excès de la noblesse mais en même temps une justification idéologique de ses prérogatives. 

Les deux visions "morales" de la guerre deviennent en fait deux strates dans les officiers des armées : généraux nobles contre sergents et mercenaires, vieille noblesse d'épée contre ambitieux plus récents. Les Légions d'Azerya étaient pré-féodales et plus agrikiennes et l'Ost des Royaumes féodaux est plus fondée sur Larani.  

Agrik est certes toujours comme avant brutal et violent mais il croit aussi à une forme de timocratie dictatoriale mais sans hérédité, ce qui le rend légèrement moins antipathique (même si cela reste un Arès peu subtile et qu'on conserve tout ce qu'on sait sur ses Balrogs enflammés et ses holocaustes). 

On conserve quand même l'idée originale que le culte de Larani est anti-sexiste (voire gynocratique plus au sud dans la Matriarchie de Byria) car c'est une des différences majeures entre notre monde et celui de Hârn que ces femmes qui ont accès à la chevalerie, mais en ajoutant une polarité sociale, on a ainsi une opposition un peu plus "ambiguë" où Agrik n'est pas qu'une sorte de Diable et Larani la déesse des Gentils Paladins (même si Rethem reste un royaume globalement "maléfique" et la plupart des Laraniens hârniques plutôt généreux). 


 

mercredi 3 décembre 2025

Les Elfes de la Mer (3/3) Wavedancers (version "canonique")

Nous continuons à apprendre à connaître les Elfes marins dans Elfquest et nous arrivons enfin à la version finale et officielle des Wavedancers dans le comic book de 1996 (même si je ne vais pas couvrir la période récente depuis The Discovery pour ne pas tout divulgâcher). 

Il y eut un numéro en couleurs nommé Wavedancers et ensuite la série devint un feuilleton en N&B qui parut dans le one-shot Metamorphosis et dans le magazine d'anthologie Elfquest II (vol. 2), #1-2, 5, 21, 23-24, 27-28, 30-31 (1996-1998)

C'étaient Kathryn Bolinger au scénario et Steve Blevins aux dessins. Autant j'étais complètement hermétique au style de la 1e version, autant Steve Blevins émule très bien Wendy Pini, si ce n'est que les personnages se confondent facilement en noir & blanc. C'est dans ce genre de cas qu'on espère des dialogues peu réalistes où les personnages se rappellent périodiquement leurs prénoms... 

On peut voir les portraits en couleurs des Wavedancers sur le site d'Elfquest

Ces Wavedancers sont amphibiens (contrairement aux Elfes du jeu de rôle) mais ils sont très peu nombreux à avoir une queue de poisson (contrairement à ceux édités par Black Mermaid). Leur couleur de peau peut être plus inhumaine encore, certains ont une peau verte, bleue ou dorée. Ils sont plutôt grands, plus grands que les Humains. 

Une autre différence est dans la chronologie. La série Elfquest d'origine se passait alors que les Humains de ce Monde des Deux Lunes étaient encore au Néolithique. Dans les années 1990, la série va faire un bond en avant. Les Elfes quasi-immortels voient les milliers d'années passer. Les Humains commencent à se développer à un niveau médiéval et même renaissant avec des galères qui explorent le monde entier (il faut dire que le plus grand héros humain, Grohmul le "Djun", l'équivalent de Gilgamesh et de Gengis Khan dans ce monde, a été aidé par la technologie troll de Two Edge le trickster/forgeron demi-elfe). Le Nouveau Continent de "Junsland" à l'Ouest a été colonisé. Cela change nécessairement les interactions : les Elfes des Mers ne sont plus un peuple isolé mais un peuple en voie d'extinction qui doit se cacher pour survivre alors que les Humains peuvent les dépasser technologiquement et démographiquement. 

C'est l'ancienne Corail qui a fondé la communauté des Danseurs des Vagues à Crête. Elle fut tuée par des Humains et remplacée par son fils Surge. Surge a une apparence plus transformée et des pouvoirs de contrôle de l'eau. Il a reconnu la guérisseuse Skimmer et ils eurent comme fils Snakeskin


 

Quand sa compagne Skimmer fut à son tour tuée par des Humains, Surge quitta la tribu et laissa la place à Snakeskin


 

Quand Surge revient dans la tribu après bien des années, Snakeskin (à la peau verte) se retrouve être un chef contesté par l'autorité de son père. Snakesin a des capacités de Forme-Corail, mais Surge le forcera à accepter ses pouvoirs de guérisseur qu'il a hérités de sa mère. Peau-de-serpent aime (mais sans avoir eu de "Reconnaissance") No-Ripple, qui a déjà eu un enfant, Tumble, de son compagnon décédé Stormsong. 

No-Ripple est aussi une amante du petit-frère de ce dernier, Spine et il n'y a pas de jalousie entre Snakesin et son ami Spine. Spine est un peu le confident du chef Snakeskin, comme Skymage l'était pour Cutter. 

Longfin la Formeuse de Rocher a eu deux enfants Sandsparkle et Darshek. Darshek est un aventurier explorateur et il est partenaire de la chasseresse Krill. 

Sa demi-soeur Sandsparkle a reconnu le guérisseur à la peau dorée, le doux Skimback, malgré leurs différences.  

Malgré ses pouvoirs de guérisseur,  Skimback n'a jamais réussi à trouver le moyen de soigner le malheureux elfe "Brisé" (aussi nommé "Reef") horriblement déformé (physiquement et psychiquement) par une rencontre avec Winnowill. Je me demande si au début on maintenait ouverte la possibilité que les événements de la série de 1994 étaient toujours canoniques et que Winnowill avait ainsi métamorphosé le pauvre "Brisé" après avoir quitté la tribu de Raenafel et Hyfus. Mais l'explication officielle est que toute l'histoire de 1994 n'était qu'un rêve confus du Brisé devenu dément. 


Krill et Brill sont deux soeurs jumelles. Krill la chasseresse est la compagne de Darshek. La douce Brill, elle, ne rêve que de Reconnaissance et de maternité depuis que son compagnon Skimback a reconnu Sandsparkle. Elle est destinée à devenir la liaison entre les Monteurs de Loups et les Danseurs des Vagues et doit jouer un rôle plus important par la suite.  

L'ancienne Spray (Embrun) est la compagne du vieux Salt et la mère de Foam. Plus tard, avec l'aide du guérisseur Skimback, elle recevra une métamorphose en sirène, tout comme son compagnon Salt. 

 

Redcrest le Forme-Plante (dont la compagne Pearl est morte) est le père de Kroosh l'impétueux et de Strand. Strand et Foam (la fille de Spray) sont les parents du jeune Puffer ("Poisson-Globe"). 


Moonmirror est une jeune Elfe dont les deux parents Fairshell et Drift, furent tués par des chasseurs de baleine.  

 

Wavecatcher est un Elfe devenu errant depuis l'expédition de Zephyr (qui cherchait une île sans humains et qui avait désobéi à Surge). Il vit à terre et il a la capacité de se métamorphoser. 
 


 L'histoire suit deux intrigues principales. 

Les Wavedancers dirigés par Snakeskin se disputent parce que son père Surge dit qu'ils n'ont plus le choix et qu'ils doivent abandonner leur foyer de Crestpoint face aux avancées des humains. Mais Darshek a été capturé sur un galion humain par l'ignoble Ardan Djarum, une sorte de Captain Achab dont la Moby Dick est les Elfes. 

Pendant ce temps, Wavecatcher a quitté la tribu depuis longtemps et vit dans le Forevergreen. Avant la série Wavedancers, il avait croisé Yun, une des filles de Skywise (dans New Blood #20, août 1994, dessiné par l'atroce B. Blair) et va s'allier avec Windkin, le fils volant de Tyldak et Dewshine. Ils vont explorer la grande jungle et y retrouver une autre Elfe des Mers exilée, Wavelet. Wavecatcher est destiné à jouer un rôle important dans la survie du peuple elfique mais j'ignore si cela s'est accompli après la série The Discovery dans la Quête finale. Cette série me paraît meilleure que la précédente par ses dessins mais l'intérêt des personnages réside notamment dans le fait qu'ils jouent un rôle ensuite dans l'intrigue principale de la fin de la série principale. 

mardi 2 décembre 2025

Les Elfes de la Mer (2/3) Wavedancers (1e version, non-canonique)

8 ans après le supplément de jeu de rôle, en 1993-1994, les studios WaRP publièrent la mini-série en six numéros Wavedancers écrite par Julie Ditrich & Bruce Love, et dessiné par Jozef Szekeres des studios australiens Black Mermaid. Mais cette série n'eut pas de suite et fut rendue non-officielle. Comme l'histoire utilisait à la fois des personnages originaux de Julie Ditrich et un personnage central d'Elfquest, ni les Pinis ni les créateurs de Black Mermaid ne peuvent plus l'utiliser. La seconde version de Wavedancers par Kathryn Bolinger & Steve Blevins sort à partir de 1996 avec des personnages complètement différents, et elle est restée canonique en convergeant avec la série principale. 

Contrairement aux Sea Elves du jeu de rôle, ces Danseurs des Vagues désignent les Elfes et plus les dauphins - Richard Pini dit qu'il trouvait que le nom était trop chouette pour être laissé aux cétacés. Ils ont des mains palmées et certains ont été profondément altérés par la magie, avec des queues de poisson (plus une mutante pieuvre). 

Les dessins de Szekeres me semblaient aggraver certains aspects disney qui existent déjà chez Wendy Pini et ils exagéraient de manière hyper-maniériste une silhouette étirée et trop amincie. Ce côté cartoony détonne un peu avec un contenu "adulte" (tout comme le style si scabreux et glauque de Barry Blair qui collaborait avec les titres de WaRP à l'époque). 

Le n°1 présente ce schéma très utile des personnages principaux de ce clan de 18 personnes (ce qui était aussi à peu près le nombre d'individus dans les Monteurs de Loups) : 

Avant le début de l'histoire : 

Un groupe de Hauts-Elfes (High Ones), Ausra, Desh, Livian et Sima fuient vers la mer. Ausra, liée à un Narwhal, était une "Forme-Chair" (Flesh-Shaper) et fut la créatrice des Elfes-sirènes : elle se donna à elle-même une queue avec nageoires, tout comme aux autres Anciens. Voir cette liste des personnages avec leur portrait. 

Les enfants d'Ausra et de Desh furent Neama, la "Deuxième Couronne", et le vieux Tentus le Forme-Corail et gardien de la mémoire. 

Neama enfanta à son tour un garçon Brom, le Troisième Chef, et son petit-frère Shardon, mais ce dernier fut enlevé par le Faiseur de Malédictions, le Voleur d'Âmes, qui est en fait Sydor (un autre Haut-Elfe rendu fou par ses tortures par les Humains). 

Les motivations de Sydor ne sont pas très claires mais il enlève les Enfants de cette tribu s'ils sont issus du processus de la Reconnaissance (Recognition) et semble obsédé par la "Pureté" des gènes des Elfes. Les Elfes ont beaucoup de problèmes pour se reproduire dans le Monde des Deux Lunes et selon les tribus, la Reconnaissance est ce qui favorise à la fois la fertilité mais aussi la transmissions des "pouvoirs" spéciaux. La Reconnaissance est un instinct qui crée une union fusionnelle, quelle que soit la volonté de l'individu mais ces Elfes marins semblent capables d'enfanter même sans Reconnaissance (contrairement aux Monteurs de Loups et aux Wavedancers officiels). Dès lors, la tribu elfique fut menacée par les kidnappings des "Enfants de la reconnaissance". La fondatrice de la tribu Ausra va disparaître pour tenter de trouver une solution et il n'y aura plus de "Forme-Chair" capables de créer de nouvelles sirènes. 

Le Chef Brom, qui avait aussi Reconnu son épouse Ailsa, engendra une fille, Raenafel, qui aurait dû devenir la "Quatrième Couronne". Sa femme mourut en couche et Brom tenta de dissimuler sa fille en l'enfermant dans une caverne pour qu'elle ne se fasse pas enlever à son tour comme son frère Shardon. Mais comme pour sa mère Ausra, sa quête pour "les Enfants de la Reconnaissance" est vaine et il est frappé par une étrange malédiction du Voleur d'âme : son visage développe une barbe, comme un humain (les Elfes peuvent avoir de la pilosité faciale chez les Monteurs de Loups mais c'est quasiment inouï chez la plupart des tribus). 

Il n'y a plus que quatre sirènes en comptant le vieil ermite Tentus (fils d'Ausra et donc grand-oncle de Raenafel) et Kirith : le couple de Hyfus et Tilaweed, qui sont séparés depuis l'enlèvement de leur fille Illora (qui est prisonnière avec l'infortuné Shardon). Korilia est à moitié pieuvre à cause d'une poche de "mauvaise magie" qui a contaminé sa naissance (et elle tente de créer un tabou alimentaire sur les pieuvres). 

Les autres familles actuelles sont : Burdekin le roux & Zadori, parents de Shorsprout ; Kadva (qui ressemble à Namor the Submariner !) & Shoseabee, parents d'Inkobottom (Sleia est fille de Lazik & Shoseabee). Paffa (compagnon de Maron, le père de Zadori) est le frère d'Irrali 

Rhialdor le tailleur et Kirith la sage-femme (qui est liée à un Dauphin et qui a perdu la vue, même si elle a des visions de l'avenir) ont deux fils sans Reconnaissance, le sérieux Jormak et le plus fantaisiste Barmek (dont on ne sait s'il a hérité d'une partie du pouvoir de Vision de sa mère). 

La mini-série de 1994 

Barmek fils de Kirith est le protagoniste de l'histoire. Il avait retrouvé par hasard Raenafel, la fille de Brom qui vivait cachée dans une grotte, et l'a "Reconnue". Le chef Brom ne pouvait plus dissimuler son existence et l'a donc éloignée en prétextant qu'elle devait retrouver le Palais originel de leurs ancêtres, là où doit se trouver "Pas d'aile" la Préservatrice. Mais Raenafel a ensuite vraiment disparu et Barmek se reproche d'avoir ainsi causé son exil. 

A la mort de Brom (sans doute tué par Sydor), le pisciforme Hyfus l'a remplacé comme chef de la tribu pendant l'absence de Raenafel. Mais après des années, Jormak annonce que Raenafel. est enfin revenue, avec le Haut-Elfe Sydor. Il s'agit en fait de la puissante et maléfique Winnowill qui se fait passer pour elle (elle a dû utiliser ses pouvoirs de Forme-Chair pour se donner des mains palmées) et qui s'est alliée au Haut-Elfe fou. Seul Barmek devine son subterfuge alors que son frère Jormak tombe fou amoureux de l'usurpatrice. 

Barmek décide donc de fuir la tribu et de partir dans les terres, à la recherche de la vraie Raenafel (avec l'aide de Sleia fille de Lasik, qui est amoureuse de lui mais lui en veut de ne penser qu'à celle qu'il a Reconnue (au point qu'elle a même failli tuer Barmek dans une scène de folie assez peu crédible). Ils trouvent la Préservatrice nommée "No-Wing" qui a enveloppé la "Quatrième Couronne" dans sa "soie" protectrice. 

Barmek ramène Raenafel au clan et chassent Winnowill, malgré son frère Jormak qui refuse de le croire. Avant de s'enfuir et d'abandonner Jormak, Winnowill vainc mentalement Sydor, qui tombe dans une crise de catatonie. 

Barmek et Raenafel consomment enfin leur "Reconnaissance". 

La suite 

Les studios Black Mermaid avaient posté sur leur site (lien via Internet Archive) un synopsis de la suite qu'ils avaient prévue. Raenafel, Enfant de la Reconnaissance, ramène pour la première fois le pouvoir de Formatrice de Chair et recrée des sirènes dans la tribu pour les Elfes volontaires. Elle aura un enfant avec son partenaire Barmek et le frère de ce dernier, Jormak, traumatisé par Winnowill, finira par retrouver le bonheur avec Sleia. On retrouvera les Enfants disparus et le Haut-Elfe fou Sydor sera guéri de sa folie grâce à Irrali. Ausra aussi, la fondatrice de toute la tribu, devait revenir. 

La série avait quelques problèmes, même en dehors des dessins. Elle joue assez peu avec la mer (à part quelques scènes de pêche et la cuisinière Korilia qui parle de la faune marine). C'est un peu bizarre d'avoir une histoire de "Danseurs des Ondes" qui se passe surtout sur le sol au sec. En dehors des mutations ou de la grotte sous-marine où était cachée Raenafel dans sa jeunesse, le thème aquatique semble donc sous-exploité. 

Les Elfes de la Mer (1/3)

La série Elfquest de Wendy & Richard Pini (publiée depuis 1978) avait d'abord décrit 5 tribus elfes : (1) les ancêtres communs, Hauts-Elfes descendus de leur Palais Volant, (2) les Monteurs de Loups sauvages de la forêt, (3) les Elfes du Soleil isolés dans une oasis, (4) les Elfes-Oiseaux ("Planeurs") de la Montagne bleue (qui ont moins muté) et (5) les "Revenus" (ou Revenants dans une autre traduction VF, les Go-Backs, une tribu issue des Monteurs de Loups devenus des Monteurs d'Elans dans les montagnes glacées). Et cela sans compte les peuples liés : les petits Préservateurs et les Trolls

La sixième tribu des Elfes marins a une généalogie compliquée avec d'abord une fanfic, un supplément de jeu de rôle et une série annulée.  

(1) En 1982, dans le fanzine d'Elfquest Yearnings n°1, une fan, Betty Cerritelli, écrit (avec Debra Vorgias) une nouvelle, "Siege of Suncliff Island", qui décrit pour la première fois une tribu d'Elfes marins

(2) Quand Steve Perrin crée le jeu de rôle Elfquest (1984, à partir du système Basic Role-Playing), il semble prévoir qu'on rejoue à nouveau des Elfes Monteurs de loups comme dans le comic book. Un des premiers suppléments par l'autrice de la nouvelle, Elizabeth Cerritelli va être The Sea Elves: A Complete Culture for Elfquest (1985, 50 pages) et c'est bien plus "rafraichissant" en offrant une option nouvelle où le fait de monter des dauphins peut paraître plus attirant que de faire un replay de la Quête originelle et de monter des Loups ou des Elans. 

Malgré quelques illustrations intérieures par Wendy Pini herself, il est bien précisé que ces Elfes marins ne sont pas "canoniques" pour le Monde des Deux Lunes. 


 

(3) A l'époque, les 20 premiers épisodes de la "Quête originelle" viennent d'arriver à leur fin en octobre 1984 et la suite, le Siège de la Montagne bleue, ne commence qu'en octobre 1987. Ce n'est que plusieurs années après, que les Pini vont enfin reprendre des Elfes marins dans une mini-série comic Wavedancers (dec. 1993-oct. 1994) mais encore une fois ils ne l'ont pas écrite et dessinée, ce qui confirme que ces Elfes ne devaient pas bien entrer dans le scénario originel. Leur apparition non-canonique en jeu de rôle a donc précédé de 8 ans cette apparition en bd. Dans le supplément, le nom "wavedancers" était d'ailleurs le nom des dauphins, pas de leurs elfes. Mais les Pini ont dû commencer à apprécier ce nom. 

(4) Cette mini-série de 1993 devait avoir des suites selon ses auteurs, mais elle va être rendue à son tour non-officielle à cause d'un conflit entre les Pini et les auteurs. Les Wavedancers "officiels" reviennent dans une seconde série (février 1996 - la série de 1993 est déclarée n'être qu'un rêve) et ils sont moins non-humanoïdes que dans la version précédente (pas d'Elfe pieuvre et pas autant de "sirènes" pisciformes). Cette seconde mini-série reste inachevée également à cause de l'implosion que connaissent les titres indépendants N&B à la fin du siècle dernier. 

(5) Les Elfes marins de la brève série de 1996 ne vont retrouver les personnages de la série principales que dix ans après, dans la mini-série publiée chez DC, The Discovery (1-5, mars-décembre 2006).  

Ils jouent un rôle significatif dans l'ultime série, The Final Quest (2013-2018) où un des fils des Monteurs de Loups épouse et devient lui-même un Elfe marin

C'est un de ces cas qui m'intéresse à cause de la rétroaction entre la fiction et le jeu de rôle : le jeu adaptait la fiction mais devait développer d'autres possibilités et le cadre de la fiction a ensuite réadapté le jeu. On a d'autres cas dans l'histoire du jeu de rôle (comme Star Wars qui avait repris dans son ancien "univers étendu" des éléments qui n'avaient jamais été explicités avant le jeu de rôle de West End Games).   

***

Commençons par le supplément du jeu de rôle de 1985 The Sea Elves par Cerritelli car je n'ai pas accès à sa nouvelle de 1982. 

 

Contrairement à des versions suivantes, ces Elfes de la Mer ne sont pas amphibies et n'ont pas même accès à un pouvoir rare de se transformer en amphibiens ou même de respirer dans l'eau. Ce sont des marins de la surface. Il forment des barques sur des coquillages de tortues géantes et chevauchent des dauphins mais ne respirent pas plus longtemps que des plongeurs ou pêcheurs de perle. Ils ont un lien avec leurs dauphins mais ils n'ont (comme les Monteurs de Loups) du sang de mammifère marin. Ils ont le pouvoir d'Emettre (ce qui est utile sous l'eau) et certains peuvent même Contrôler l'Eau ou Prévoir les Tempêtes, mais il n'y a pas d'Elfe-Poisson. 

La culture n'est pas très détaillée mais on n'a sans doute pas moins d'informations que sur les Monteurs de Loups. Une idée que j'aime bien est que lorsque la Magie fait un fumble en mer, la poche de "mauvaise magie" forme un flux, un courant et pas seulement un lieu fixe. 

Les Elfes de cette version ont à peu près la même taille que les Monteurs de Loups (5-8 contre 4-7) alors que la version officielle des Wavedancers donnera une taille un peu plus élevée (même si cela reste moins que les Planeurs). Les Planeurs sont grands mais aussi nettement plus minces, frêles et fluets qu'un humain, ce qui doit expliquer leur SIZ "moyenne" de 8-12 (la célèbre sorcière elfe Winnowill semble plus grande qu'un humain moyen mais les règles officielles lui donnent une SIZ de seulement 11). Sur Glorantha, les Elfes bruns ont une SIZ de 2d4+4 (6-12) et les Elfes verts une SIZ de 3d6. 

Je mets pour comparer les Monteurs de Loups et les Planeurs :  

Caractéristiques Wolfriders Gliders Sea Elves
STR 2d6+2 2d6+4 2d6+4
CON 2d6+6 2d6+4 2d6+6
SIZ 2d3+1 2d3+6 2d3+2
INT* 3d6 3d6 3d6
POW 2d6+6 2d6+9 2d6+6
DEX 2d6+9 2d6+6 2d6+9
APP 2d6+6 2d6+8 2d6+6**

* Les règles de RuneQuest III (1984) ayant donné 2d6+6 de base en INT à tous les humains (et donc un minimum humain de 08), il faudrait corriger l'INT, à moins que Steve Perrin veuille vraiment dire que certains Elfes régressent vers une intelligence semi-animale. 

** La 2e édition d'ElfQuest (1989), qui a intégré l'Elfquest Companion et d'autres suppléments, avait corrigé (p. 73) l'APP des Elfes des Mers en 3d6 et je ne sais pas vraiment pourquoi ils auraient une apparence plus variable que les Monteurs de Loups. 

 


Le bestiaire (p. 9-15) décrit surtout des espèces marines semblables à celle de la Terre : les Voiles noires (épaulards), les Chanteurs profonds (baleines - dans le comic book les Elfes les appelleront moins poétiquement des "Slap-Tails"), les Dos-Barques (tortues), Nageoires velues (phoques), Nombreuses-dents (requins), Nombreuses-pattes (pieuvres) et ce qui semble être un plésiosaure (Cou d'Arbre). Le livre prévoit surtout des scènes de pêche avec des tables de rencontres aléatoires. 

Il y a trois scénarios. Dans "Stormcoming Hunt" (p. 16-18), les PJ partent à la pêche avant une tempête et vont rencontrer des pirates elfes. Je n'aime pas trop l'idée de multiplier les conflits violents entre Elfes : dans Elfquest, la télépathie des Elfes rend les actes de violence intra-spécifique hyper-rares et scandaleux. La même autrice a aussi un supplément Elf-War mais la Guerre devrait être une sorte d'anomalie et je me demande s'il ne vaudrait pas mieux que les pirates soient humains (même si c'est bien sûr casse-pied que les Humains soient toujours les méchants). 

Dans "Littlesmoke Island" (p. 19-27), les PJ sont perdus et viennent explorer une île où ils vont trouver une autre tribu réfugiée là pour échapper aux pirates. 

Enfin, "Assault on Smalltower Island" (p. 28-49, donc la moitié du livret) est un "Donjon". C'est encore un pillage entre Elfes de la Mer. Les PJ peuvent jouer soit un des deux groupes rivaux d'adolescents elfes qui viennent piller l'île pendant que la majorité est partie à la pêche, soit les défenseurs de l'île.  Le scénario vaut surtout par une longue liste de PNJ ou comme exemple pour créer une communauté de ce peuple. 

Comme pour les Monteurs de Loups, les noms sont descriptifs. Voici quelques noms dans le supplément : Greensea, Greatwave, One-Arm le Pirate, Sailslasher, Dashhull, Billowsnitch, Preyfilcher, Torrent, Reef, Foamracer, Stonediver, Surfrider, Firmrudder, Snapmast, Quarryseek, Greenmist, Brine, Waveskimmer, Raingather, Seedkeeper, Harbor, Linegather, Seabreeze, Shelltrapper, Skiffshaper, Spraydancer, Sunshower, Tideflow... 

On devrait pouvoir en tirer facilement un générateur aléatoire de quelques termes pour des noms : 

Aileron Albatros Algue Ancre Anguille Arête Baie Barre Baudroie Bois Bourrasque Branchie Brise Brochet Brouillard Bruine Calfatage Carpe Cartilage Caudale Chavirer Coquillage Corail Cordage Cormoran Côte Crique Détroit Eau Ecaille Ecume Embellie Embrun Events Falaise Filet Foudre Flot Goéland Goutte Houle Lamproie Mât Marée Mer Mouette Nageoire Nageur Onde Orage Ouïes Ouragan Pêcheur Perle Pieuvre Planche Plongeur Poisson-volant Proue Queue Rafale Raie Rame Récif Reflet Rémora Rive Rostre Squale Tempête Torpille Tourbillon Trident Vague Vent Voile

lundi 1 décembre 2025

Ars et alea

Au tournant des Lumières et du Romantisme, les révolutions esthétiques sont peut-être plus au Royaume-Uni qu'en France.  

Joseph Turner (1775-1851) invente l'impressionnisme vers 1840 et atteint une certaine abstraction dans le sublime de l'indéterminé. Alexander Cozens (1717-1786) invente l'expressionnisme abstrait dans son art du paysage par sa méthode des "taches" (macula, blots) aléatoires dès 1785 dans son traité de méthode. Le hasard doit faire naître des idées par association et introduire un peu de désordre apparent pour mieux représenter la nature. On retrouve une part du jardin à l'anglaise. 


 

Certes, le poète du Ve siècle Agathon disait déjà "Τέχνη τύχην ἔστερξε καὶ τύχη τέχνην" ("l'Art aime le Hasard et le Hasard aime l'Art", via Aristote, Ethique à Nicomaque, VI, 4, 1140a). 

Ce tragédien Ἀγάθων devait être travaillé par cette pensée de la Fortune (τύχη) en esthétique. Aristote cite aussi son autre vers "καὶ μὴν τὰ μέν γε τῆς τέχνης πράσσειν, τὰ δὲ //ἡμῖν ἀνάγκῃ καὶ τύχῃ προσγίγνεται." dans la Rhétorique II, 19, 1392a : "ce qu'on ne fait pas par art, nous le faisons par la nécessité et par la fortune".  

Et Aristote cite deux fois un passage sur la vraisemblance de l'invraisemblable : "εἰκὸς γὰρ γίνεσθαι πολλὰ καὶ παρὰ τὸ εἰκός"  "il est vraisemblable que se produisent de nombreuses choses contraires à ce qui est vraisemblable" dans la Poétique 18, 1456a ou sous une forme versifiée plus longue : τάχ' ἄν τις εἰκὸς αὐτὸ τοῦτ' εἶναι λέγοι, // βροτοῖσι πολλὰ τυγχάνειν οὐκ εἰκότα. "On dit qu'il est vraisemblable qu'arrivent aux mortels de nombreuses choses qui ne sont pas vraisemblables" dans la Rhétorique II, 24, 1401b (la traduction "il est probable qu'arrivent des choses improbables" serait un anachronisme un peu trop mathématisé). 

Sextus Empiricus (Hyp. Pyrrh I, 28) et Dion Chrysostome (Orat. 63.4) attribuent au célèbre Apelle de Cos une histoire que Pline (Nat. 35, 102-104) attribue aux peintres Protogenes de Rhodes ou Nealces de Sicyone où ils réussissent à simuler de l'écume dans un tableau non par "ars" mais par "casus" (οὐ διὰ τῆς τέχνης, ἀλλὰ διὰ τῆς τύχης) en jetant une éponge humide.

On n'a hélas plus un tableau Feuilles d'automne sur la rivière Tatsuta qu'Hokusai (1760-1849) aurait réalisé en 1807 (à la cour du shōgun Tokugawa Ienari) en trempant d'abord les pattes d'un poulet dans l'encre rouge avant de le laisser marcher au hasard sur sa toile bleue pour représenter les feuilles d'érable flottant dans l'eau. Dans la version traditionnelle, il s'agissait d'une compétition avec un autre artiste et Hokusai l'aurait emporté (comme la compétition entre Apelle et son ami et rival Protogenes). Ce n'est pas son autre tableau ultérieur plus composé, illustration du Poème d'Ariwara no Narihira (vers 1835), avec les même feuilles rouges sous le Pont sur la rivière Tatsuta.