La Vetāla-pañcatantraviṃśatikā (les "Vingt-cinq Contes du Vetāla") est une anthologie de contes sanskrits, un peu comme les Mille et une nuits, et il en existe plusieurs versions au fil des siècles, avec un style plus "picaresque" que mythologique.
Le "récit encadrant" de narration de l'anthologie est celui d'un roi héroïque nommé Trivikramasena (réincarnation du roi Vikramaditya) qui a promis à un grand ascète de décrocher et rapporter un corps pendu à un arbre. Mais ce corps est possédé par un vetāla (qu'on traduit improprement comme "vampire", c'est un esprit malin qui prend le contrôle d'un cadavre), qui va lui faire passer diverses épreuves.
Le Vetāla raconte à chaque chapitre une histoire, puis il pose au roi Trivikramasena une énigme sur la morale du conte et revient se pendre à son point de départ, ce qui contraint le roi courageux à recommencer, sans se lasser, et sans craindre le mort-vivant facétieux (ce qui aura lieu 24 fois, les vingt-cinq contes comprenant le récit encadrant lui-même et son épilogue).
Le beau Prince Vajramukuṭa avait pour ami le sage Buddhiśarīra, fils d'un Ministre du Roi de Vārāṇasī. Un jour, le Prince Vajramukuṭa tomba amoureux d'une mystérieuse jeune fille qui se baignait dans un lac. Elle ne lui parla pas mais mima son nom par des gestes. Seul le sage Buddhiśarīra sut interpréter ces signes : elle était la belle Padmāvatī, fille du grand artisan ivoirier Saṃgrāmavardhana dans le royaume de Kaliṅga. Grâce à l'intelligence de Buddhiśarīra, le Prince sut entrer dans ses quartiers et la séduire. Mais quand Padmāvatī découvrit que c'était seulement grâce à ce rusé conseiller que le Prince avait réussi, elle décida de faire empoisonner le fils du ministre, qu'elle jugeait trop malin et influent. Pour se venger, Buddhiśarīra organisa un plan complexe pour discréditer la belle Padmāvatī, il la fit marquer en secret au fer rouge, vola ses bijoux, se fit arrêter avec les bijoux et raconta qu'il avait arraché les bijoux à une Sorcière-Démoniaque (Yoginī) reconnaissable par un signe au fer rouge. Ainsi Padmāvatī fut identifiée comme une Sorcière et fut bannie par ses parents et par le Roi de Kaliṅga, ce qui permit ainsi au Prince Vajramukuṭa de l'enlever et de réduire son orgueil.
L'énigme du Vampire-Narrateur sur cette histoire est de savoir s'il y eut un crime d'injustice dans cette humiliation de Padmāvatī, qui conduisit au suicide de ses parents.
La réponse paradoxale du Roi Trivikramasena est qu'il y eut bien injustice, mais ni chez le sage Buddhiśarīra (qui agit pour son maître), ni chez le Prince Vajramukuṭa ou la fière Padmāvatī (qui étaient aveuglés par Kāma, le dieu de l'Amour), mais chez le Roi de Kaliṅga qui fit bannir la jeune fille avec des preuves si peu solides, transgressant son devoir de justice.
La relation triangulaire entre le Prince, le Conseiller et la jeune fille est assez traditionnelle dans les contes - on a la retrouve un peu dans celle dans les Niebelungen entre le roi Gunther, Siegfried et la reine Brünhild d'Islande, où Siegfried aide secrètement Gunther à gagner Brünnhilde mais où il en tire la haine fatale, mêlée de frustration jalouse, de la Reine humiliée. Mais j'ai déjà évoqué l'intéressante légende indienne de Chitralekha qui inverse les sexes : la Princesse Usha obtient l'aide de la conseillère-sorcière (yoginī là aussi) Chitralekha pour conquérir le Prince Aniruddha.