jeudi 29 octobre 2015

[JDR] Tableaux et déduction des Facultés


Dans l'histoire de la philosophie, la distinction des "facultés" (comme Sensibilité, Imagination, Volonté, Entendement, Raison) était souvent le point de départ alors qu'il s'agit déjà d'une thèse ou d'un présupposé qui peut se contester pour différentes raisons (que ce soit pour défendre l'unité de l'esprit comme chez Descartes ou d'une autre manière chez Malebranche ou bien au contraire pour réduire ces abstractions de facultés à de simples "régularités" comme chez Hume dans sa géographie de l'esprit). Kant, à ma connaissance, ne prend jamais le temps (même dans la Critique du Jugement) de justifier le clivage premier qu'il fait entre la passivité du donné dans la Sensibilité (l'intuition) et l'activité de l'Entendement et du Jugement.

Dans le vieux Comic Book de 1941 Captain Marvel, le héros acquérait six pouvoirs qui correspondait à six personnages mythiques et aux initiales de la formule magique "SHAZAM" : la Sagesse de Salomon, la Force d'Hercule, l'Endurance d'Atlas, la Puissance de Zeus, le Courage d'Achille et la Vitesse de Mercure. Sagesse, Force, Endurance, Puissance, Courage, Vitesse, on a une liste finalement assez proche des six caractéristiques de Donjons & Dragons qui mélange aussi des Vertus : Force, Constitution, Dextérité, Intelligence, Sagesse et Charisme (le Courage fut peu utilisé en dehors de Das Schwarze Auge, je crois). Beaucoup de jeux de rôle ont depuis repris cette première division, en remplaçant seulement la Sagesse par autre chose (la Chance dans T&T, le Pouvoir dans Runequest, la Volonté dans Bushido).

Depuis, certains jeux ont multiplié le nombre de caractéristiques bien au-delà du raisonnable ou bien l'ont réduit (par exemple à deux "Mental / Physique" ou à trois "Esprit / Corps / Âme"). Mais d'autres sont allés plus loin en les organisant. Prenez par exemple ce tableau dans le jeu de rôle de science fiction, hélas inachevé, Star Rovers (1981) de David Hargrave avec 12 caractéristiques divisées chacune en 3, ce qui donne donc 36 attributs, parfois difficiles à bien distinguer (je reprends le tableau à ce post) :



Je reviens au jeu français Shaan encore une fois. Le créateur Polouchine (qui est aussi un graphiste) avait déjà un tableau assez complexe dans la 1e édition, qui me fait presque penser à la déduction du Tableau des Catégories chez Kant dans l'enchaînement presque dialectique des tripartitions (ici, 27 catégories) :


La nouvelle présentation de la tripartition dans la 2e édition récente de Shaan met 9 (en fait 10 avec la Nécrose) catégories en un cercle pour mieux insister sur leur interdépendance et leur continuité. La Technique est mise en Esprit et est donc intellectuelle mais en même temps, elle jouxte la Nécrose et le Physique. De l'autre côté de ce cercle brisé, la catégorie du "Shaan" (qui correspond à peu près à la symbiose avec la nature mais aussi à une sorte de wú wéi taoïste) est diamétralement opposé à la Nécrose et en équilibre entre l'Art (Intellectuel) et la Magie (Physique). Ce genre de disposition est à la fois assez élégant et introduit immédiatement aux principes fictifs de cet univers, ce qui est un des bons arguments pour un jeu de rôle non-générique.


mercredi 28 octobre 2015

Golpe de Estado


Les élections législatives portugaises pour la (monocamérale) Assembleia da República ont eu lieu le 4 octobre dernier. Il y a 230 sièges, élus au scrutin proportionnel (il faut donc 116 sièges pour renverser le gouvernement). Les forces politiques portugaises depuis la Révolution des Oeillets sont en gros composées du Parti social-démocrate (droite libérale - ici dans une coalition au nom très berlusconien appelée Portugal à Frente) et du Parti socialiste (centre-gauche). La participation fut relativement faible (56%, soit 5,4 millions de votants sur les 9,8 millions inscrits). Le soir du 4 octobre, on avait cru que la droite portugaise, au pouvoir depuis 5 ans, avait "gagné" les élections mais en perdant la majorité absolue (et 25 sièges). Les articles avaient même parlé d'un scrutin "pro-austérité" malgré la croissance des partis de gauche. Avec environ 38,6% des voix, les Partis de Portugal en avant obtenaient 46,5% des sièges. C'était considéré comme un soutien tacite, surtout au Nord du pays (la coupure entre Nord et Sud étant le phénomène principal) en faveur des politiques d'austérité du Premier ministre Pedro Passos Coelho.

Le Parti socialiste d'António Costa (l'ancien maire de Lisbonne) a 86 sièges (32,3% des voix, 37,4% des sièges), le Bloco de Esquerda (gauche anti-austérité) monte à 19 sièges (8% des sièges) et la Coalition CDU des Communistes et des Ecologistes (+ un élu écologiste indépendant) est juste derrière à 18 sièges (7,8%). Si on additionne le PS, le Bloc et la Coalition, on obtiendrait 123, soit une majorité absolue (53,4% des sièges). Mais on estimait que le PS (pro-européen et donc favorable à une certaine dose d'austérité) ne pourrait jamais constituer un gouvernement avec l'extrême gauche (dont certains au Bloc et surtout à la CDU souhaitent le départ de l'Euro).



La surprise est venue dans les négociations quand le Parti socialiste a refusé tout soutien à la politique d'austérité des Conservateurs ("Parti social-démocrate") et qu'ils ont dit être prêts à préférer une alliance avec l'extrême gauche plutôt qu'un soutien passif à la droite.

Le Président Aníbal Cavaco Silva, ancien Premier ministre libéral, élu depuis 2006 (il était en Cohabitation avec le gouvernement socialiste en 2006-2011), a alors annoncé qu'il refuserait un gouvernement, même majoritaire, s'il ne respectait pas les engagements envers l'austérité, l'Europe et l'Otan. Il estimait toute autre solution instable et s'appuyait sur l'argument que la coalition minoritaire serait donc plus "cohérente". Il a re-nommé Coelho à la tête d'un gouvernement minoritaire au bout de trois semaines en refusant tout autre compromis avec le PS. La gauche (et notamment le Parti communiste) parle donc d'un Coup d'Etat ou au minimum d'une Crise constitutionnelle grave où le Président refuse une majorité parlementaire au nom de ce qu'il affirme être un intérêt de la Nation. Le PS notamment explique qu'il avait pu négocié un gouvernement contre l'austérité mais sans renier tous ses engagements européens en faveur de l'Euro. Il continue les négociations avec me Bloc, le PCP et les écologistes.

Tout cela signifie sans doute un vote de défiance contre le gouvernement de Coelho, sauf si une partie du PS prend peur. Cela doit donc conduire à de nouvelles élections législatives à court terme. On n'en est donc pas encore à un vrai "Coup d'Etat" de l'Europe contre le peuple portugais mais la pression choisie par Cavaco Silva est en effet un déni de démocratie et une interprétation discutable de la lettre de la Constitution. Le Président de la République Cavaco Silva n'a pas encore suspendu les élections mais il introduit une anomalie dans la procédure parlementaire sans précédent depuis la restauration de la démocratie au Portugal il y a 40 ans. Même le Premier ministre conservateur espagnol Rajoy, peu suspect de gauchisme, s'est publiquement étonné de cette procédure : la voie démocratique normale aurait dû être de laisser le PS former un gouvernement et de ne voir qu'au moment du budget si oui ou non, l'alliance alternative était trop instable. Même à droite (mais dans la droite eurosceptique), on s'effraie de cette pression contre la Constitution de la République portugaise. La voie actuelle de technocratie libérale de l'Europe revient (de manière très contre-productive pour ses desseins) à valider toutes les critiques contre ses propres institutions : comme en Grèce, la démocratie parlementaire est mise de côté dès qu'elle risque de remettre en cause un consensus économique sur l'austérité budgétaire.

[Note hors-sujet : ceux qui ont pu voir la télévision française ont pu être atterrés par le symptome de notre incroyable repli national. Le Portugal est un pays voisin, avec des problèmes et enjeux finalement très proches et c'est aussi un des principaux pays de notre immigration récente et les chaînes de télévision en ont à peu près autant parlé que s'il s'agissait des massacres au Sud-Soudan ou des crises politiques en Thaïlande. Cela en dit long sur la force de ce repli où la politique européenne est perçue avant tout comme une politique étrangère exotique.]

lundi 26 octobre 2015

Les mondes de Casus


Le magazine Casus Belli a accumulé depuis 30 ans de nombreux univers et il n'y avait généralement pas d'intention pour les relier. Mais certains articles s'amusent parfois à y faire des allusions. C'est par exemple le cas d'une épaisse campagne récente pour le jeu d20 Chroniques Oubliées, intitulée Anathazerin : Le Sang des Premiers Nés. Les cartes sont jolies mais un détail lié à notre culture geek que j'apprécie en tant que fan de comic books est le nouveau souci de "continuité". Le nouveau monde utilisé, les Terres du Mitan ou d'Osgild, est explicitement localisé comme le même que celui de certains scénarios utilisés par Casus Belli (vol. 4), notamment la campagne des Seigneurs de l'Hiver des n°1-3 ainsi que le scénario d'introduction dans la première édition de Chroniques Oubliées en boite (2009 - mais on est déjà une génération après). La volonté claire est de pouvoir faire comme Pathfinder avec leur monde de Golarion en construisant un univers par les modules.

Il est même dit (p. 7) comme un petit "oeuf de Pâques" gratuit caché que Laelith (créée dans Casus Belli n°36, décembre 1986, puis Hors-Série 1991 et dans Casus Belli vol.2 Hors-Série n°1, 2000) est située au sud-ouest et que les Royaumes de Paorn (Casus Belli n°74,  mars 1993, puis Hors-Série n°23, nov. 1998) sont au nord-ouest.



Cela ne me semble en revanche pas correspondre avec une autre carte globale (un peu oubliée) qui avait été utilisée dans Casus Belli Hors-Série n°11 : Sang-Dragon (1994) qui mettait Laelith sur un autre continent que ce qui allait devenir Paorn (ici à l'ouest de l'Archipel de Malienda). Je remets la carte (qui positionne aussi Alarian du CB n°13 à l'est et les pics de Goferfinker CB n°53-55 au nord-est). Plus tard, il y eut aussi la vancienne Jarandell, le Jardin des Magiciens (CB #57-61) et la plus orientale Rhadjabán & Djarabân, la Cité d'Airain (CB n°96-98). Voir l'Index de CB.

Je ne ferai pas de recension de la campagne car je ne suis pas compétent sur les Donjons. Ces Terres d'Osgild cherchent à être très classiques. L'intrigue générale me semble (à première vue) assez similaire à de vieilles campagnes déjà vues contre les Drows (les vieux modules GDQ), mais ils doivent viser des joueurs qui ne sont pas encore assez blasés (ou au contraire qui soient assez nostalgiques). Il y a une activité suspecte de Gobelins. Une ancienne cité elfe oubliée a été détruite par les elfes noirs et on doit y trouver un McGuffin pour lutter contre les elfes noirs et les Géants (l'équipe de BlackBooks ne pouvait pas savoir au moment du développement que Pathfinder allait sortir sa propre campagne anti-Géants, #91-96 Giantslayer). Au moins, le McGuffin n'est pas une épée ni une autre arme longue mais ce n'est guère différent (je ne vais pas gâcher).

Quelques détails sonnent peut-être trop explicitement comme des "hommages" à Tolkien. Il y a une "Forêt sombre" pour des araignées et, oui, il y a même un Anneau forgé par les elfes et porté par quelqu'un nommé "Glorofindel".

J'imagine qu'avec le temps ces Terres du Mitan / Osgild acquerront leur propre identité (et d'ailleurs en ce moment, la mode est plus à parodier GRR Martin que Tolkien). Une relative originalité peut être un effet d'accumulation à partir du hasard des scénarios qui auront été rendus "canoniques". Pour l'instant, la longue liste de 50 dieux n'est accompagnée d'aucune mythologie, ce qui est un trait typique de D&D qui réduit souvent la religion à une liste de sortilèges.

dimanche 25 octobre 2015

Une comparaison de Jorune et Shaan


J'aime beaucoup Shaan (1e édition 1996, 2e édition 2013-2015), le jeu de rôle français d'Igor Polouchine, qui est vertigineux dans sa richesse au point qu'on a l'impression d'entrer non pas dans un univers fantastique mais dans une superposition de plusieurs univers. Les illustrations y ont toujours été somptueuses mais c'est encore plus vrai dans l'édition Renaissance.



Cependant, à ma première lecture, je l'avais trouvé assez proche de Jorune (1e édition 1984, 2e édition révisée 1987, 3e édition 1992) - sans que je sache si ce ne sont que des coïncidences et origines communes dans le genre de la science fantasy, tout comme le film Avatar. Je ne crois pas avoir vu citer Skyrealms of Jorune comme une influence consciente sur Shaan (Polouchine cite plutôt des références graphiques ou cinématographiques, de Star Wars à Dark Crystal ou Aquablue).

Dans les deux cas, les Humains colonisent une planète (Jorune, Héos) avec de nombreuses espèces et une forme de "magie" locale, l'équilibre écologique du Shaan pour Héos et le fluide de l'Isho pour Jorune. Dans les deux cas, on explore la symbolique locale des cultures (les 7 "Couleurs" de l'Isho pour Jorune, les Trois Trihns Esprit / Âme / Corps qui forment l'équilibre du Shaan pour Héos). Dans les deux cas, il y a une opposition entre la technologie humaine et cette puissance indigène de la planète, métaphore anticolonialiste claire (de manière encore plus claire avec Shaan, comme Polouchine a raconté aussi son expérience de coopérant en Mauritanie).

(En passant, Tékumel, le monde de l'Empire du Trône du Pétale, qu'on peut souvent comparer à Jorune aussi, n'a pas du tout cette dimension critique sur le colonialisme, c'est plus un monde de Pulps où les Humains se sont presque complètement assimilés au milieu et surtout à des cultures locales - en un sens les Humains de Tékumel sont tout aussi "extraterrestres" que les autres espèces par leur évolution ethnologique).

Il y a quand même des différences importantes, voire des oppositions, entre les deux mondes de Jorune et d'Héos (que j'avais un peu esquissées en décrivant Avatar).

(1) Dans Jorune, les Humains sont de fait devenus l'espèce dominante (surtout si on y inclut les divers "animaux provolués" qui ont été génétiquement modifiés à partir d'espèces terriennes). Il y a beaucoup d'autres espèces mais les Shantas (les vrais "autochtones") sont en déclin et les autres espèces d'origine extra-jorunienne occupent des régions plus isolées (les Ramiens et les Cleash).

Dans Shaan, les Humains ont une supériorité technologique écrasante mais ils ne représentent que 1% de la population du continent principal d'Héossie (et encore moins si on prend en compte toute la planète). Ils sont une élite coloniale mais les 7 peuples autochtones (les Ygwans sauriens, les Woons sauvages et les 5 humanoïdes Boréals, Darkens, Felings, Kelwins et Mélodiens) sont encore très largement dominants. Même les deux autres petits peuples extra-Héosiens comme les Nomoï magiciens (qui se nourrissent de gaz) et les Delhions (ailés et sans traits du visage, qui se nourrissent de photosynthèse) sont chacun plus nombreux que les Humains.

(2) Dans Jorune, les Humains ont abimé l'équilibre magico-écologique de la planète mais ensuite, ils ont commencé à s'y adapter depuis 3000 ans qu'ils vivent là. Ils restent des étrangers qui ont du mal à métaboliser les aliments indigènes et ont une technologie extra-jorunienne mais ils commencent à faire partie de cet équilibre. Ils ont même commencé à oublier en partie qu'ils n'ont pas toujours été joruniens (même si certaines de leurs religions représentent Jorune comme une sorte de "Chute" par rapport à un paradis originel extra-jorunien). Les Humains ont pu se comporter de manière monstrueuse avec les Shantas (notamment par des armes bactériologiques) mais ceux-ci ont aussi des factions tout aussi violentes et les Humains n'y sont pas entièrement ou uniquement une "anomalie" ou un cancer détruisant Jorune, plutôt une sorte de "greffe" qui se fait progressivement et a déjà bouleversé tout l'écosystème (certains Shantas ont d'ailleurs accepté les Humains comme une évolution de cet équilibre à gérer et non plus à éliminer).

Dans Shaan, un humain individuel peut bien sûr s'adapter mais l'espèce humaine en tant que telle est fondamentalement rejetée par l'équilibre de la planète Héos. Même les extra-Héossiens comme les Nomoï et les Delhions avaient pu depuis quelques siècles trouver leur "place" dans l'équilibre écologico-magique de la planète (les Nomoï comme les Magiciens et les Delhions ailés comme les Médiateurs et messagers - cela peut faire penser à ce texte de Claude Lévi-Strauss sur les jumeaux où il affirme que les aborigènes d'Amérique avaient déjà une place prévue pour l'arrivée d'une altérité, comme "médiateurs", alors que les Occidentaux n'auraient pas eu la même dimension dans leur imaginaire). Les Humains, eux, en tant qu'espèce, n'occupaient aucune place dans la structure systématique de Héos. Ils y incarnent donc par essence sa négation, l'entropie et un avatar de l'anti-vie, la "Nécrose" (même si, encore une fois, un individu, voire tout un groupe humain selon les différentes régions, peut tout faire pour lutter contre cette essence générale). Ce qu'on appelle "L'Ombre" commence là aussi à s'insérer dans ce système héossien mais clairement comme une opposition et une corruption qui représente l'inverse de toutes les différentes valeurs des Neuf peuples (d'où le fait que les Humains ont paradoxalement à la fois l'hégémonie "légale", par la force technique, et le contrôle de la pègre et de la criminalité, comme ils contrôlent tout ce qui s'oppose aux codes moraux traditionnels : les rebelles et la Résistance contre le Nouvel ordre humain (capitaliste) ne se confondent donc pas avec cette sphère criminelle, contrairement aux ambiguïtés habituelles des mouvements de rebelles - les criminels ne seront souvent que l'autre versant de cet "ordre").

Une évolution entre la 1e et la 2e édition est la Révolution. Dans la 1e édition de Shaan, la dictature humaine était une théocratie totalitaire et raciste au service des "Hommes-Dieux". Depuis la Révolution, les non-Humains ont acquis une reconnaissance officielle mais ont dû aussi accepter d'accorder une place aux sociétés humaines et à leur vision du monde mercantile. Les cadres et militaires de l'ancien régime sont restés indispensables mais se sont convertis en adversaires des Nécrosiens. Il n'y aura pas de retour à un paradis perdu, ce qui rend la tension plus ambiguë. La 1e édition ressemblait en pire à l'apartheid sud-africain ou au Congo belge du XIXe alors que la nouvelle est plus complexe et nuancée avec une exploitation capitaliste plus subtile et insidieuse alors que certaines factions nonhumaines se radicalisent dans le rejet global de tous les Humains.

(3) Mais sur la Technologie et la Magie, cela relativise l'opposition précédente. Dans Jorune, la haute technologie humaine s'oppose totalement à la magie indigène. Seuls les Humains ont accès à ce qu'il en reste et à l'inverse, la "technique" indigène repose sur d'autres principes, plus "magiques" en utilisant le fluide de l'Isho. L'espèce humaine s'est adaptée par les Mutants mais un Humain normal ne peut simplement pas percevoir ce fluide du tout.

Au contraire, sur Héos, même la Technique avait déjà sa place dans l'équilibre du Shaan. Un des peuples indigènes, les Kelwins (qui ressemblent un peu à un mélange de Gnomes maladroits et de Kenders de DragonLance) sont des inventeurs obsédés par la Technique et pourtant ils sont insérés. Ce n'est donc pas essentiellement la Technique qui fait des Humains les perturbateurs du système du Shaan (même si leur Technique a bien été l'instrument de cette perturbation) mais bien le fait que les Neuf places possibles étaient déjà prises et que, par défaut, les Humains ont occupé la position vide de l'Anti-Vie ou "Nécrose". En revanche, un Humain peut apprendre à communiquer avec les diverses formes de "magies" des Neuf autres peuples (alors que les Humains "purs" de Jorune sont génétiquement incapables de le faire). Sur ce point, l'assimilation à la culture locale est en fait plus facile dans les cas individuels ou dans certaines cultures locales malgré toute l'opposition générale. [Je simplifie un peu : il y a une différence à faire entre la magie ou les rituels et ce qu'on appelle proprement le shaan, qui relève plus d'une voie mystique d'adéquation avec la nature.]

(4) Une autre grande opposition est que la liste des espèces de Jorune paraît se faire un peu au hasard et pourrait d'ailleurs être sans fin (même si on peut montrer qu'il n'y a pas une diversité infinie : il y a en gros trois groupes : (1) les Shantas indigènes, (2) les Terriens humains, mutants et d'origine animale et enfin (3) les autres extra-Joruniens comme les Thriddles, Ramiens et Cleash).

Dans Shaan au contraire, les 9 espèces (7 indigènes + deux extra-héossiennes) forment un système fermé qui les rend toutes complémentaires au point qu'on n'imagine pas vraiment d'en ajouter de nouvelles (ce qui explique d'ailleurs que les Humains auraient eu du mal à y trouver leur place, même s'ils n'avaient pas été décrits comme des conquistadors nihilistes, bornés et cupides). La philosophie du Shaan est "triadomane", elle divise tout en 3 parties (Esprit/ Âme / Corps) et trois sous-parties, ce qui correspond aux 9 espèces. En termes philosophiques, on pourrait dire que Polouchine a créé un monde assez "structuraliste" où c'est la structure d'ensemble qui prime sur la diversité des éléments, alors que Jorune reste un monde, disons, plus rhapsodique ou "empiriste" où on pourrait rencontrer n'importe quoi d'autre dans d'autres coins. D'un autre côté, cette structure très visible peut aussi trop nettement afficher un design ludique ou un équilibre de règles, ce qui pourrait détacher de l'immersion pour rappeler le jeu.

(5) Dans Jorune, on est censé jouer des Humains ou des évolutions mutantes des Humains. La 3e édition a ouvert la possibilité de jouer d'autres espèces (surtout les "Iscins", les espèces d'animaux anthropomorphes génétiquement modifiés) mais c'est clairement une option peu précisée. On n'imagine pas vraiment de pouvoir jouer les Shantas.

Dans Shaan, c'est vraiment l'inverse. Les Humains restent bien sûr une possibilité mais on imagine alors plutôt un Humain qui se sera assimilé à une partie d'Héos et qui luttera contre l'hégémonie majoritaire dans la culture urbaine humaine. Il est assez probable que la plupart des joueurs voudront tenter une des 9 espèces non-humaines et le jeu donne beaucoup plus de détails pour faciliter l'inteprétation des non-humains.

Un détail que j'aime bien pour terminer dans la nouvelle édition Renaissance : les architectures associées à chacun des 9 races.

mardi 20 octobre 2015

Cartogramme des élections fédérales canadiennes


Les Libéraux, le parti dominant de la vie politique canadienne au siècle dernier, sont donc revenus au pouvoir après 9 ans dans l'opposition depuis 2006. The Toronto Star est un journal un peu sensationnaliste (plutôt proche des Libéraux, le plus souvent) mais je trouve que leur cartogramme des résultats d'hier est le meilleur que j'aie trouvé pour visualiser les données comme les circonscriptions ont des tailles particulièrement inégales (The Economist a au contraire une carte qui exagère complètement les tendances en donnant toute la Province au gagnant).


Le Parti libéral ("centriste") avait été écrasé complètement aux élections de 2011 (certains politologues avaient même écrit des articles pour les enterrer complètement) et il avait même été remplacé par le NDP (gauche) comme principal parti d'opposition. Ils passent ici de 36 à 184 sièges (+148 sièges ! la majorité absolue est à 170), au moment où les Conservateurs passent de 159 à 99 (-60 sièges) et le NDP de 95 à 44 (-51 sièges). Le Bloc québequois, (équivalent du Parti québecois, mais au niveau fédéral), qu'on annonçait comme grand perdant à venir (il baissait sérieusement quand il était dirigé par Mario Beaulieu, considéré comme trop ultra-séparatiste), a réussi à gagner des sièges au Parlement et est à nouveau dirigé par Duceppe.

Les Libéraux ont repris une majorité en Ontario mais aussi au Québec. Le nouveau leader, Justin Trudeau, 43 ans, fils du charismatique Pierre Elliott Trudeau (1919-2000, Premier ministre de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984), est élu du Québec et ils ont été particulièrement efficaces pour reprendre les sièges du NDP. Les Libéraux ont même repris (de peu) une majorité en Colombie britannique (la Province la plus également partagée entre les 3 partis) et au Manitoba (sur les Conservateurs). L'Alberta et le Saskatchewan restent des fiefs conservateurs. Toutes les Provinces atlantiques (Nouveau Brunswick, Nouvelle Ecosse, Île du Prince Edouard et Terre-Neuve-et-Labrador).

Les Libéraux de Trudeau avaient un programme considéré comme plus à gauche que du temps de Jean Chrétien ou Paul Martin, notamment sur les sujets de société comme la légalisation de la marijuana. Cela a pu jouer dans la marginalisation du NDP (qui croyait tellement à sa victoire qu'ils avaient choisi au contraire de se recentrer), mais ils ont aussi été aidés par la polarisation choisie par Stephen Harper, qui avait tenté une stratégie plus radicalement à droite.

La vie politique canadienne est souvent difficile à traduire en termes français. Le BQ est plus social-démocrate sur les questions économiques (comme le NDP, même si dans la Province le PQ a eu un rival souverainiste de droite, l'ADQ de Mario Dumont et le CAQ) mais une des grandes oppositions avec le Parti libéral était la question de la laïcité, les Libéraux défendant le modèle multiculturel alors que le BQ était sur une position qui ressemblait plus à notre consensus "républicain" français (ce qui, au Canada, passe simplement pour de la xénophobie, de la discrimination de l'Islam ou du nationalisme). Quand Harper a choisi une tactique de guerre culturelle contre le Voile, cela a encore affaibli le NDP au Québec mais cela a dû aussi nuire aux Conservateurs en Ontario.

Rappel des élections passées :
1896-1911 Libéraux
1911-1921 Conservateurs
1921-1930 Libéraux (début de McKenzie King)
1930-1935 Conservateurs
1935-1957 Libéraux (retour de McKenzie King, Louis Saint-Laurent)
1957-1963 Conservateurs
1963-1979 Libéraux (Lester Pearson, puis Pierre Trudeau)
1979-1980 Conservateurs (bref intermède)
1980-1984 Libéraux (retour de Pierre Trudeau)
1984-1993 Conservateurs (Brian Mulroney puis Kim Campbell)
1993-2006 Libéraux (Jean Chrétien, puis Paul Martin)
2006-2015 Conservateurs (Stephen Harper)

Donc, sur les 104 dernières années, les Libéraux ont dominé pendant 65 ans et les Conservateurs environ 39 ans (les Libéraux ont quasiment eu une hégémonie de 1935 à 1984). Le NDP (socialiste) n'a jamais eu le pouvoir au niveau fédéral (en dehors d'une brève coalition avec les Libéraux de Trudeau en 1972-1974 avant que Trudeau ne fasse en sorte de se passer d'eux).

lundi 19 octobre 2015

[JDR] En relisant... Casus Belli (vol. 1) n°22

Casus Belli n°22, octobre 1984, 54 pages, 15 FF.

La couverture est par Pierre-Olivier Vincent (alors âgé de 17 ans), qui est devenu depuis directeur artistique chez DreamWorks (sur How to Train Your Dragons) et qui réalisera aussi, par exemple, des illustrations intérieures (p. 43 dans le scénario AD&D) et la couv' du n°26. L'image semble présupposer toute une histoire implicite obscure, avec son aventurier humain à dos de tortue volante et son petit gnome jovial. Ces couvertures mystérieuses de Casus semblaient toujours faire allusion à un morceau extrait d'une campagne privée. A l'époque, je croyais complètement à tort qu'il y avait peut-être une allusion à une intrigue dans la bande-dessinée Elfquest parce que son titre était mentionné. J'ai l'impression qu'il y a plutôt une influence du personnage de Bragon dans la Quête de l'Oiseau du Temps de Loisel (les deux premiers volumes étaient déjà parus en 1984 et à l'époque, on n'avait pas tant de bd de fantasy sous la main).

Nouvelles du Front & Têtes d'Affiches. Denis Gerfaud fait une brève recension plutôt positive de Chill et fait l'éloge de sa Table unique de résolution (ce qu'il va appliquer dans son propre Rêve de Dragon, qui utilise la formule [Caractéristique.x((Compétence+Difficulté+10)/2) %], mais ironiquement dans ce même numéro, il propose de remplacer les tables d'AD&D par une formule). On annonce aussi le jeu de rôle Indiana Jones (en disant seulement qu'il n'y a pas de création de personnage et que le système d'initiative est le plus "poli" car on demande seulement aux PJ de choisir qui agit en premier), Ringworld, Time Masters, la boite Companion (D&D version Frank Metzner niveaux 15-25). En français, on annonce la traduction de l'Appel de Cthulhu, l'arrivée de six Livres Dont Vous Êtes Le Héros de Gallimard (il y a aussi une publicité à la fin du magazine avec des illustrations de chacun de ces six livres), les Chroniques de Linaïs (règles avancées de l'Ultime Epreuve de Fabrice Cayla - Jeux Actuels fait d'ailleurs pas mal de pub dans Casus Belli à cette époque) et Empire Galactique de François Nédélec.

Il y a les résultats d'un sondages sur les articles du n°20 et on y voit à quel point les lecteurs sont plus rôlistes que wargamers : les articles JDR sont systématiquement mieux notés que ceux sur les wargames.

Les pages wargames de ce numéro (+ Ludotique) occupent les p. 10-29 (+ plateau de jeu p. 37-39), soit environ 39% des 54 pages. Il y a encore un jeu en encart sur la Première Guerre mondiale, suite de celui du n°21, et un programme en Basic pour gérer les combats dans Car Wars.

Mais vous devez voir ci-contre une publicité assez peu explicite (je n'y retrouve d'ailleurs pas cette illustration) pour une aventure publiée par la N.E.F., La Vallée des Maléfices, située sur l'île de Rope, qui évoque sur certains points une Islande un peu plus tempérée, avec des steppes plus slaves à l'est (mais il y a des fjords et on y adore le panthéon nordique). Le Casus Belli n°23 décrira l'île et j'ai déjà évoqué ce monde avec ses deux premières aventures, La Guilde du A (Principauté de Lemach') et Les Îles Flottantes (Duché de Smier - il y eut aussi un 3e, la Relique perdue, et un 4e, Le Joyau d'Aranel). Ce 5e module, par un certain V. de Georges (est-ce un pseudonyme de Marc Laperlier ?), se passe dans le Comté de Skara au nord-ouest de Rope, région de scandinaves assez brutaux et dont la seule richesse est la production d'une drogue qui rend psychotique. C'est un module très classique, avec beaucoup d'imitations de modules TSR mais il y a un peu de "bac à sable" avec une atmosphère au début (son Dragon invisible, ses Druides en crise) avant de finir dans des Donjons. Des caractéristiques sont données pour AD&D, C&S et Runequest.

Devine qui vient dîner ce soir : L'olog-haï (un demi-orc/demi-troll), le cadavre animé (une version de zombie par Martin Latallo qui peut continuer de combattre en plusieurs parties s'il est coupé en morceaux), le Golem de bois (par Denis Gerfaud dans le Sage Zormilius illustré par Tignous), l'erginpe (un type d'épée maléfique empoisonnée qui transforme ses victimes en morts-vivants).

Treasure Traps. Un reportage sur cette organisation britannique qui lança le "Grandeur-Nature" au Royaume-Uni. Fondée en 1982 dans le nord-ouest de l'Angleterre (dans le Cheshire), l'organisation d'origine ferma en 1985 mais de nombreuses autres branches survécurent.

Elfquest. Denis Gerfaud fait un long portrait du jeu de Steve Perrin en comparant les règles avec celles de Runequest (au moment où Gerfaud est en train d'écrire sa propre variante du Basic System avec Rêve de Dragon). Il parle assez peu de l'univers si ce n'est pour dire que c'est plus du "Néolithique-Fantastique" que du "Médiéval-Fantastique" (de même que Glorantha est en partie de l'Antique-Fantastique). Il faudrait nuancer : les Humains sont au Néolithique, les Trolls (qui sont plus proches des Nains des autres jeux) maîtrisent la metallurgie et les Elfes sont, selon les cultures, plus proches d'une société antique. Il finit encore une fois par une attaque en passant contre D&D. Mais il n'y aura pas de scénario pour Elfquest dans le magazine avant sa traduction française (dans Casus Belli n°87, juin-juillet 1995).

Formule ou Tables. Encore un article de Denis Gerfaud, proposant de remplacer les tableaux d'AD&D par une formule assez simple. Au lieu de donner un score d'attaque (comme la THAC0 d'AD&D2 d'où on devait soustraire l'AC de la cible), la Classe d'Armure descendante est remplacée par un score de Défense ascendant (21 - AC) et les attaquant ont ensuite un bonus pour dépasser ce score de Défense (pour les Monstres et les Guerriers, le bonus est en gros leur Niveau ou Dé de coup). En un sens, Denis Gerfaud pourrait dire qu'il avait déjà esquissé le moteur de D&D3e édition 15 ans avant.

Quel JDJDR êtes-vous ? Une parodie qui offre le choix entre introverti qui ne joue pas et fanatique.

La nécropole de Tahad Kohok (pour AD&D, niveau non-précisé). Je crois que ce fut le dernier scénario à être officiellement situé dans le Pays d'Alarian (décrit dans le n°13, plus des scénarios dans les n°14, n°16, n°18 et le n°20). La nécropole est un cimetière censé contenir toutes les classes sociales d'Alarian mais les personnages y descendent en service commandé par le Roi Khalidan pour y retrouver le Sceptre du fondateur d'Alarian. On peut difficilement imaginer plus générique. Ce premier monde n'aura décidément pas vraiment inspiré les auteurs de Casus (en dehors peut-être de celui du n°18, par Gerfaud, qui a dû être adapté articiellement à ce monde).

Cthulhu est toujours vivant. Martin Latallo donne (en une page) quelques conseils pour jouer à Cthulhu soit à l'époque victorienne, soit de nos jours. Cthulhu by Gaslight sortit en 1986 et Cthulhu Now en 1987, mais il y avait déjà eu une version dans White Dwarf n°42-43 (1983).

Tout au Fond. Scénario par Martin Latallo pour son adaptation de Cthulhu de nos jours. Le début ressemble aux Masques de Nyarlathotep : les PJ sont des chercheurs français qui travaillent au Musée d'Histoire naturelle et étudient les données d'une expédition au Kenya qui a rapporté d'étranges "singes" qui sont en fait des créatures du Mythe. Comme la traduction française n'est toujours pas sortie à ce moment-là, Latallo cite toujours toutes les données techniques en VO.

Les Jeux de Lyn. Un bref scénario de Fabrice Cayla pour son jeu, l'Ultime Epreuve. Il s'agit d'une sorte de simulation d'un défi sportif de type olympique pour essayer plusieurs Compétences. Ce fut l'unique scénario jamais publié pour l'Ultime Epreuve dans Casus, ce qui me paraît un peu injuste pour le premier jeu français. Mais d'un autre côté, même Légendes (co-illustré par Guiserix) ne fut pas nettement mieux traité (Légendes celtiques eut 4 scénarios et Légendes des Mille et Une Nuits 2 scénarios).

mardi 13 octobre 2015

La nouvelle tablette de Gilgamesh


Via Prof. Akrasia, les vers de la tablette retrouvée de Gilgamesh, de 2000-1500 avant notre ère (avec le commentaire sur le PDF) :

1 They stood there marvelling at (?) the forest, 2 observing the height of the cedars, 3 observing the way into the forest. 4 Where Ḫumbaba came and went there was a track, 5 the paths were in good order and the way was well trodden. 6 They were gazing at the Cedar Mountain, 7 dwelling of gods, throne-dais of goddesses: 8 [on the] face of the land the cedar was proffering its abundance, 9 sweet was its shade, full of delight. 10 [All] tangled was the thorny undergrowth, the forest a thick canopy, 11 cedars (and) ballukku-trees were [so entangled,] it had no ways in. 12 For one league on all sides cedars [sent forth] saplings, 13 cypresses […] for two-thirds of a league. 14 The cedar was scabbed with lumps (of resin) [for] sixty (cubits’) height, 15 resin [oozed] forth, drizzling down like rain, 16 [flowing freely(?)] for ravines to bear away. 17 [Through] all the forest a bird began to sing: 18 […] were answering one another, a constant din was the noise, 19 [A solitary(?)] tree-cricket set off a noisy chorus, 20 […] were singing a song, making the … pipe loud. 21 A wood pigeon was moaning, a turtle dove calling in answer. 22 [At the call of] the stork, the forest exults, 23 [at the cry of] the francolin, the forest exults in plenty. 24 [Monkey mothers] sing aloud, a youngster monkey shrieks: 25 [like a band(?)] of musicians and drummers(?), 26 daily they bash out a rhythm in the presence of Ḫumbaba. 27 As the cedar [cast] its shadow, 28 [terror] fell on Gilgameš. 29 [Stiffness took] a grip of his arms, 30 and feebleness beset his legs.

31 [Enkidu] opened his mouth to speak, saying to Gilgameš:
32 “[Let us go] into the midst of the forest, 33 [set] to it and let us raise (our battle) cry!”

34 [Gilgameš] opened his mouth to speak, saying to Enkidu: 35 “[Why,] my friend, are we trembling like weaklings, 36 [we] who came across all the mountains? 37 [Shall …] … before us? 38 […] shall we see the light?”

Enkidu replies:
39 “My [friend] is one who is experienced in combat, 40 one who has been in battle has no fear of death. 41 You have been smeared in [blood,] so you need not fear death: 42 [wax] wrathful, and like a very dervish go into a frenzy. 43 Let [your shout] boom loud [like] a kettledrum! 44 Let stiffness leave your arms and feebleness arise [from] your legs!”

Gilgameš:
45 “Take hold of me, my friend, as one we shall […] 46 [Let] your mind dwell on combat!”

Lacuna

61 Ḫumbaba [talked with himself, speaking a word:] 62 “Did not a … go [. . . . . . ?] 63 Did not [. . . go . . . . . . ?] 64 Why are […] perturbed [and … ?] 65 Why are my own [. . . . . . ?] 66 In terror(?) for … [. . . . . .] 67 How indeed … [. . . . . . ?] 68 In my very bed [. . . . . .] 69 For sure Enkidu(?) [. . . . . .] 70 In goodwill he [. . . . . .] 71 If a word to [. . . . . .] 72 May Enlil curse [him . . . . . . !]”

73 Enkidu opened his mouth [to speak,] [saying to Gilgameš:]
74 “My friend, Ḫumbaba [. . . . . . ,] 75 one friend is one alone, but [two are two!] 76 Though they be weak, two [. . . . . . ,]1114 77 [though one alone cannot climb] a glacis slope, two […] 78 Two triplets [. . . . . . . . . .] 79 a three-ply rope [is not easily broken.] 80 As for a strong dog, [its] two pups [will overcome it(?).] 81 Fix firm your stance [. . . . . .] 82 My friend, an arrow’s dart [. . . . . .] 83 The journey that you are [making . . . . . .] 84 When we have departed [. . . . . .] 85 … is borne [. . . . . .] 86 Its . . . two [. . . . . .] 87 My friend, on the winds(?) that Šamaš […] 88 His rear is a tempest, [his front is wind.] 89 Speak to Šamaš, that he may [give you his thirteen winds(?)!]”

90 Gilgameš lifted up his head, [weeping before Šamaš,] 91 [his tears] flowing before the rays of the sun. 92 “[Do not forget] that day, O Šamaš, that I placed my trust in you! 93 Now come to my aid and [. . . . . .] 94 Upon Gilgameš, scion from Uruk’s midst, [place your protection!]”

95 Šamaš heard what [he] had spoken, 96 straight away a voice [cried to him from the heavens:]
97 “Fear not, stand against him! He must not [enter his dwelling,] 98 he must not go into the grove, he must not [. . . ,] 99 before he has wrapped himself in his seven cloaks [of radiance!] 100 One he is wrapped in, six he has divested.” 101 They [. . . . . . . . . . . . ,] 102 like a fierce wild bull, ready to charge [. . .] 103 He bellowed once, and it was (a bellow) full of terror,

(Long lacuna)

249 Enkidu [opened his mouth to speak, saying to Gilgameš:]
250 “My friend, [catch a bird,] 251 and where [can its hatchlings go?] 252 Ḫumbaba [. . . . . . . . .] 253 whither will [they go . . . . . . ?] 254 Whither will [they go . . . . . . ?]” 255 [Ḫumbaba] heard [what Enkidu said,] 256 Ḫumbaba lifted up his head, [weeping before Šamaš,] 257 [his tears flowing] before the rays of the sun: 258 “You did enter, O Enkidu, [. . . . . .] 259 in the clashing of weapons a prince [. . .] 260 But for his palace retainer hostilities [are . . .] 261 you sit before [him] like (a sheep before) a shepherd, 262 and like one at his beck and call you [. . .] 263 Now, Enkidu, [my release] rests with you, and [. . . ,] 264 speak to Gilgameš so he [spares] my life!”

265 Enkidu opened his mouth to speak, saying [to Gilgameš:] 266 “My friend, Ḫumbaba, guardian of the Forest [of Cedar,] 267 finish him, slay him, do [away with his power!] 268 Ḫumbaba, the forest guardian: finish [him, slay him, do away with his power,1517 269 before [Enlil] the foremost learns (about it), 270 and the great gods become angry with us: 271 Enlil in Nippur, Šamaš in [Larsa . . .] Establish an eternal [. . . ,] 272 how Gilgameš slew [the fearsome(?)] Ḫumbaba!”

273 Ḫumbaba heard . . . [. . .] and . . . [. . .] 274 Ḫumbaba lifted [up his head, weeping before Šamaš,] 275 [his tears flowing] before the [rays of the sun:] 276 “[O Šamaš, . . . ”

Lacuna

300 […] Gilgameš […] forest(?), 301 […] aromatics from that cedar they were taking [for the … of] Enlil. 302 [Enkidu] opened his mouth to speak, saying to Gilgameš: 303 “[My friend,] we have reduced the forest [to] a wasteland, 304 [how] shall we answer Enlil in Nippur? 305 ‘[In] your might you slew the guardian, 306 what was this wrath of yours that you went trampling the forest?’ ”

307 After they had slain his seven sons, 308 Cricket, Screecher, Typhoon, Screamer, Crafty, … , Storm-Demon— 309a Hatchets of two talents each were their axes, 309b [. . . . . . .] … they cut off, 310 three and a half cubits (long) were the woodchips made by the strokes (of their axes). 311 Gilgameš was cutting down the tree, 312 Enkidu was seeking out the best timber.

313 Enkidu opened his mouth to speak, saying to Gilgameš:
314 “My friend, we have cut down a lofty cedar, 315 whose top abutted the heavens. 316 Make a door—six rods its height, two rods its breadth, one cubit its thickness, 317 its pole, its top pivot and its bottom pivot shall be all of a piece. 318 Let the river Euphrates carry (it) to [Enlil in] Nippur, 319 [let Nippur’s] sanctuary [rejoice over it!]”

320 . . . . . . branches […] cypress together with [… ,] 321 they lashed together a raft, they laid […] 322 [. . . . . .] was sitting(?).

323 Enkidu was riding [. . . . . . ,] 324 and Gilgameš rode along, [bearing(?)] the head of Ḫumbaba.
He washed his matted hair, he cleaned [his equipment.]

Ombres et mythes en Malaisie


Depuis quelques années, certains théâtres de wayang kulit (ombres de marionnettes d'Indonésie et Malaisie) ont aussi occidentalisé certains de leurs spectacles avec des oeuvres comme Star Wars, à la place des sujets millénaires adaptés des grandes épopées hindoues comme le Rāmāyaṇa ou le Mahābhārata. Il ne s'agit pas ici de déplorer l'homogénéisation capitaliste ou l'absorption des cultures locales dans la globalisation. Un nouveau travail de "fusion" entre ombres traditionnelles et "mèmes" ou mythes mondialisés est un spectacle avec la Ligue de Justice de DC Comics à Georgetown, dans le Penang, au nord-ouest de la Malaisie (j'espère qu'il n'y aura pas de procès de Warner - mais on peut s'attendre au pire comme le théâtre ne cache pas du tout sa reprise).

Je me demande comment un public habitué à voir les aventures de Rama et Sita contre Ravana, ou des Pandavas contemple maintenant Superman et Wonder Woman. Batman y est particulièrement bien adapté avec son jeu sur l'ombre (un héros solaire ou apollinien comme Superman convient un peu moins) mais Green Lantern y fonctionne très bien aussi.



Alan Moore avait créé il y a quelques années dans Supreme une imitation géniale de Green Lantern, Black Hand (sans rapport avec l'ennemi de Green Lantern du même nom), membre des Allied Supermen of America, qui avait une lanterne magique sur le torse et pouvait animer les ombres de ses mains.


dimanche 11 octobre 2015

L'oeuvre de Taha et l'idée de la Mecque contre les lois de Médine


Dans cet entretien, le philosophe catholique Rémi Brague mentionne des tentatives intéressantes de l'Islam moderniste ou libéral comme une thèse exégétique inversant la priorité entre période mecquoise et période médinoise :

La proposition de renverser l’ordre de l’abrogation, en considérant que les versets mecquois, au contenu surtout moral, auraient une valeur permanente, alors que les versets médinois ne porteraient que sur l’organisation de la cité primitive et ne seraient plus d’actualité, a déjà été faite. Ce fut le cas de Farad Foda, qui a été pendu pour cela au Soudan, en 1985. Espérons que d’autres reprendront l’idée et auront plus de chance.


Ce doit être une erreur de retranscription car Brague devait vouloir dire (comme l'indique la date et le pays) non pas Faraj Foda (intellectuel égyptien libéral assassiné en 1992) mais Mahmoud Mohammed Taha (penseur soudanais exécuté en 1985 par la dictature islamiste soudanaise d'al-Tourabi). Il viendra, on l'espère, un moment où l'Oumma sera plus marquée par les hérésies du martyr Taha que par Sayyid Qutb (le penseur des Frères Musulmans égyptiens pendu lui aussi, mais par le régime de Nasser en 1966).

Physique et 'Pataphysique


Cet article sur les Carnets Zilsel critique la prose d'A. Barrau, physicien théorique et très amateur de philosophie continentale. Il y a une part qui me paraît assez probante, sur l'obscurité et la fascination pour une sorte de parodie de la déconstruction contemporaine (et contrairement aux éditeurs de la revue, ce n'est pas la référence à Sokal ni l'ironie contre Deleuze qui me gêne dans cet article). Mais d'un autre côté, il y a aussi une partie plus allusive qui se demande si même en physique théorique, Barrau n'aurait pas exagéré son apport, ce qui me paraît moins bien montré puisque l'auteur de l'article, certes physicien, reconnaît ne se fonder que sur des données assez indirectes, comme le fait qu'un des thésards de Barrau aurait été plus productif. Cette amertume plus agressive de ce passage risque de noyer les autres arguments.

Mais plus gobalement, un intérêt de toute "l'affaire Barrau" est de trouver ainsi une brêche plus originale dans la guerre entre les deux cultures.

Sokal avait surtout attaqué des philosophes et chercheurs de sciences humaines qui faisaient dire n'importe quoi aux sciences dures pour prétendre à la scientificité (et Bouveresse avait ensuite ajouté au dossier le cas de Régis Debray disant n'importe quoi sur le théorème de Gödel). On peut penser ce qu'on veut de l'évolution récente assez étrange de Bricmont mais à cette époque, ce n'était pas contre la philosophie continentale ni contre les humanités mais bien contre la pseudo-scientificité (et d'ailleurs, certains Continentaux n'y figuraient pas justement parce qu'ils ne cherchaient pas cette valorisation hypocrite qui consisterait à se moquer des sciences et techniques tout en faisant semblant d'en absorber des éléments - il y avait de la métaphysique deleuzienne mais pour ainsi dire pas de Derrida car ce dernier avait été plus purement littéraire). De même, l'affaire Maffésoli récente (où une revue lié à ce sinistre imposteur avait publié un article absurde écrit par deux sociologues sous pseudonyme qui voulaient montrer la vacuité de cette école) témoignait du même genre de jargon sans intérêt.

Mais le cas de Barrau est très différent même de l'affaire Bogdanov. Les Bogdanoff étaient peut-être semi-compétents et peu sérieux ou rigoureux mais ils étaient aussi assez isolés de la communauté des chercheurs. Barrau est un vrai chercheur scientifique reconnu par ses pairs, mais qui semble pourtant avoir un désir mimétique de profondeur spéculative ou bien d'être admis parmi les philosophes en s'affranchissant en philosophie de la rigueur qu'il doit manifester dans ses expériences.

Et en ce cas, c'est une triste occasion manquée qu'un physicien théorique qui veuille prendre la peine d'expliquer des modèles cosmologiques très récents (ce dont on pourrait lui être gré) mais qui le fait avec une volonté de déconstruire dans sa vulgarisation tout discours intelligible sur le sujet (comme le fait remarquer Peter Woit, dans un livre récent, Barrau dialoguait avec le philosophe analytique Max Kistler et l'ironie était que c'était ce dernier qui devait atténuer les sauts ou approximations du scientifique).

Heureusement qu'il y a d'autres scientifiques (comme Etienne Klein) qui aient pu assez s'intéresser à la philosophie sans tomber pour autant dans les travers de se payer de mots.

La Pyramide bleue


Je crois que c'est un dessin déjà connu dans le milieu Old School mais comme je viens de retomber dessus (curieusement dans un forum Traveller), j'aime beaucoup ce plan d'une étrange Pyramide bleue. L'auteur, Luka Rejec, artiste slovène, a quelques contributions sur Cartographers'Guild et une page sur DeviantArt.

mardi 6 octobre 2015

L'esprit de la tradition continentale et l'exil

 Manfred Frank (né en 1945) est un philosophe qu'on peut rattacher en gros à l'école dite "herméneutique" d'histoire de la philosophie qui continue depuis le théologien Schleiermacher ou Gadamer à étudier les textes littéraires et philosophiques dans un réseau de significations communes. Il a étudié à Heidelberg avec Gadamer, Karl Löwith, Dieter Henrich mais aussi avec Ernst Tugendhat. Sa thèse portait sur le temps chez les Romantiques et il a enseigné dans des départements de "philologie" autant qu'en philosophie, à Düsseldorf, à Gand et finalement au vieux siège de l'Idéalisme allemand à Tübingen. 

Dans cet article (avec lequel je ne suis pas complètement d'accord mais qui est n'est pas sans intérêt dans sa description historique), il déplore une ironie : la philosophie dite "Continentale" risque à présent de disparaître d'Allemagne et même du Continent qui lui est attaché pour n'être plus enseigné qu'en dehors de ce Continent européen. Eric Schliesser a une réponse qui ironise aussi sur les méprise du récent "Réalisme spéculatif" (qui croit pouvoir dépasser la métaphysique analytique en ne la lisant pas). 

Je suis plutôt d'accord avec le Professeur Frank sur le risque d'une néo-scolastique figée (c'est la menace de toute philosophie) mais je ne suis pas certain que la "neurophilosophie" soit la pire dans son positivisme ou plutôt son "naturalisme" - le psychologisme le plus agressif contre la spéculation a priori vient en fait plus de ce qu'on appelle en ce moment le métascepticisme ou "philosophie expérimentale" que des dialogues entre psychiatrie et philosophy of Mind.

Et s'il faut en effet continuer à lire Fichte ou Hegel (car Frank parle plus de sa chapelle historique de l'Idéalisme allemand que de l'ontologie discréditée de Heidegger), je reste plus sceptique sur ce fameux "potentiel de nouveauté" que les Herméneutes croient caché dans l'historicisme fondamental de Schleiermacher (ce qui est d'ailleurs le même problème dans l'herméneutique honnête mais assez banale de Paul Ricoeur chez nous). Et le risque de la fin du texte est que son éloge de la tradition paraisse assez trivial ou un simple plaidoyer pro domo au lieu d'une analyse philosophique.

Voici un premier jet d'une traduction un peu improvisée de l'article de Manfred Frank. Corrigez-moi si vous trouvez quelques passages trop obscurs. L'allemand de Frank - qui illustre son goût pour le Romantisme - est un peu trop métaphorique pour ma connaissance assez abstraite de cette langue. 
Manfred Frank : Philosophie continentale : Hegel n'habite plus ici
Celui qui veut étudier la philosophie continentale doit désormais aller en Chine ou au Brésil. En Allemagne, l'héritage de l'idéalisme allemand est à terre. La force de sa pensée s'est pulvérisée. 
Un spectre hante les séminaires philosophiques en Allemagne : le spectre d'une victoire mondiale de la philosophie analytique et un exode massif de la philosophie continentale vaincue. Où s'est-elle retirée ? Principalement dans d'autres parties du monde : Extrême-Orient, Australie, Brésil ou bien justement aux États-Unis, d'où a été effectué le coup décisif contre la tradition philosophique continentale en Europe.
Celui qui voudrait étudier aujourd'hui les signes caractéristiques de la philosophie de langue allemande, l'Idéalisme allemand (la philosophie spéculative allemande qui nous relie immédiatement à Kant) serait peu encouragé à le faire par les cours ou les programmes d'une université allemande. De fait, un étudiant se demandera sérieusement si ses intérêts ne seront pas mieux satisfaits à Sydney, Notre-Dame, à Georgetown ou à Chicago. Les universités en particulier aux États-Unis ont une longue tradition de recevoir des philosophes allemands qui se sentaient mal à l'aise spirituellement dans le climat politique de leur patrie, voire carrément persécutés.   
Certes, ceux qui émigrent ont remarquablement changé. Autrefois, dans les moments sombres du Reich, c'étaient des représentants d'une philosophie de forme scientifique, rationnelle, orientée sur l'analyse du langage et de la logique, souvent socialiste, qui était poussée hors de l'espace linguistique allemand. Compte tenu des pères fondateurs, Frege, Russell, Carnap et Wittgenstein, on appelle cette tradition, la "philosophie analytique". Sans la contribution germanophone, la philosophie analytique ne serait pas devenue ce qu'elle est aujourd'hui. Quand on résume cette exportation principalement germano-autrichienne comme une philosophie "anglo-saxonne", on renvoie en exil une seconde fois ces philosophes émigrés. 

Des phases d'échanges fructueux

Mais la question est devenue différente : est-ce à présent le reste "irrationnel" qui émigre à son tour, la philosophie allemande "classique" vilipendée comme productrice de Nonsense ?Ce serait un renversement remarquable des conditions originales ! La philosophie allemande avait été dans les années trente brutalement réduite à son reste continental à cause de l'exode de la philosophie allemande de l'analyse du langage  : il n'était demeuré qu'une philosophie soumise au nazisme, ou du moins qui ne devait pas contredire explicitement sa vision du monde. Et cette philosophie universitaire constitua encore le paysage après "l'Année Zéro".
Il n'y eut, en dehors de quelques émigrés de retour au pays tels que Horkheimer et Adorno, pendant deux décennies presque aucun enseignant de philosophie qui n'aient été des élèves de philosophes nazis ou bien, comme Karl Jaspers, au caractère bien trempé, qui ne soient pas d'autant plus partis vers l'exil. Ce n'est que vers la fin des années soixante, en fait seulement à la suite de la révolte des étudiants, qui fit profondément le ménage dans la tradition allemande, que la philosophie analytique est revenue à l'Allemagne. Ce fut en particulier l'action de Paul Lorenzen (le chef de l'École d'Erlangen), d'Ernst Tugendhat (Heidelberg puis Berlin) et de Karl-Otto Apel (Kiel puis Francfort). Mais même le plus grand connaisseur de l'idéalisme allemand, Dieter Henrich, avait recherché et créé le dialogue avec la philosophie anglo-saxonne, de sorte que les ruines de l'idéalisme allemand brillaient avec une clarté inhabituelle.
De cette coopération sont sortis quelques aperçus significatifs de philosophie de l'esprit (Geist), qu'on appelait aux USA "Philosophy of Mind". Une sorte d'échange avait commencé et on le cherche encore comme le montrent certaines recherches importantes. Mais ces recherches se plient de plus en plus à une domination d'une néo-scolastique qui ne cherchent plus le dialogue avec une tradition mais bien son éradication. 

Sous l'emprise d'une néo-scolastique

Et donc est réapparue récemment dans les séminaires de philosophie d'Allemagne une nouvelle scolastique ou plutôt un nouveau Wolfianisme. On appelait ainsi la philosophie au XVIIIe siècle qui avait tenté, à la suite de Christian Wolff à partir des aperçus géniaux de Leibniz, de construire une ensemble cohérent, systématique de "philosophie scolaire" - et donc une scolastique - qui avait dominé toutes les universités allemandes. Déjà à cette époque, il y avait une terminologie admise, on se disputait à propos de guillemets dans les définitions des mots, on coupait les cheveux des concepts en quatre, mais mais on était uni dans le différend parce qu'on utilisait les mêmes procédures et les mêmes définitions. 

On entend souvent la même plainte qui revient dans beaucoup de nos séminaires philosophiques. La tendance scolastique est l'uniformisation et la structure scolaire des cursus presque sans alternative depuis le processus de Bologne. A la place de grands thèmes ou de recherches de grande haleine, on s'engage volontairement dans une micrologie d'analyses d'arguments des débats philosophiques, qui perd même l'intérêt des scientifiques de la nature auxquels on croit pouvoir se lier, qui isole la philosophie et qui dissuade la majorité des étudiants ou les chasse vers l'étranger. Les neurobiologistes souhaitent souvent des échanges interdisciplinaire avec des philosophes. Mais la philosophie qui a renoncé à sa particularité, échappe à ce dialogue ou se transforme en un monologue spéculatif des neurosciences avec elles-mêmes. La "neurophilosophie" était un sobriquet pour des philosophes en fauteuil qui s'érigent en scientifiques de laboratoire mais ce terme apparaît maintenant comme un appât (Lockvögeli) dans les annonces d'emploi.
En outre, un provincialisme (Krähwinkelei) spécifiquement allemand est à déplorer. Dans l'espace anglophone, où la philosophie analytique s'est implantée et est devenue dominante, elle demeure quelque chose d'important. La branche allemande vit depuis l'hemorrhagie qu'elle a connue sous le Troisième Reich des miettes qui tombent de la table des riches voisins. Cette branche peut noter avec gratitude l'éloge que lui fait parfois son aînée, mais - en dehors de quelques exceptions notables - elle est ignorée au Royaume-Uni, en Australie ou aux USA comme un groupe indépendant ou, au mieux, mentionnée avec condescendance dans les notes.
Et ce à juste titre. L'autre terme de l'alternative, la grande tradition classique allemande (et européenne) n'est presque plus travaillée ou bien plutôt, elle ne l'est presque plus que pour mettre à jour le développement de la recherche. En conséquence, on trouve de moins en moins d'Anglo-Saxons parmi les étudiants et doctorants travaillant sur la philosophie allemande car ce qu'ils peuvent apprendre en Allemagne, ils l'apprennent mieux chez eux. Le nombre de ceux qui s'intéressaient à la tradition allemande était encore considérable dans les années nonante. Des séminaires philosophiques pouvaient encore bénéficier de cet intérêt - même face à des administrations avares. Il n'est pas étonnant que ce soit surtout dans des pays anglophones qu'on retrouve désormais l'idéalisme allemand et même la phénoménologie, qui était jusque ici travaillée sérieusement. 

Des sources intemporelles de progrès


Cependant, on pourrait dire: "à quoi bon ces pleurs et ces grincements de dents ?" Ne devrions-nous pas nous féliciter que le «non-sens» ait enfin été banni de l'Allemagne ? Et ne voulons-nous pas payer avec plaisir le prix  d'une spécialisation rétrécie ?
Je plaiderais pour cela avec passion si cela manifestait l'avantage d'éclairer les têtes de nos étudiants, comme le veut la propagande. Mais au nom de quel préjugé bizarre opposer ainsi la tradition et le progrès ? Les programmes de plusieurs instituts philosophiques divisent la "philosophie systématique" et "l'histoire de la philosophie". La première signifie en fait : "la philosophie publiée récemment" mais ce qui est publié apparatient encore à l'histoire et est tout aussi susceptible d'être attaquée qu'une philosophie plus ancienne. Parfois, le potentiel de résistance de ce vieil Aristote est toujours plus grand que des éphémères journalistiques qui n'ont que l'attrait de la nouveauté. 

Il en va même ainsi. Le progrès vient aussi de réélaboration de sources anciennes. C'est plus vrai en philosophie qu'en physique mais cela vaut même en psychologie et en psychiatrie. Les deux ont encore à présent à apprendre dans des pôles d'excellence sur des sources romantiques ou phénoménologiques. Le potentiel sémantique dense de ces classiques assure  qu'on peut à nouveau découvrir quelque chose de neuf en eux. Quelque chose de nouveau, mais qui revendique une vérité, et qui ne soit pas seulement traité sans ménagement voire avec mépris comme de la poésie en raison d'un "sens profond" confiné aux départements de littératures ou de "Critical Theory" aux États-Unis. Quelque chose de nouveau, qui a le pouvoir d'innover, encore en concert avec l'analyse la plus récente.

L'actualité de l'originel


Qui croit sérieusement que l'on devrait mettre au pilon Platon ou bien limiter sa lecture aux passage qui sont cités dans le respect analytique des revues modernes et peer-reviewed ? L'idéalisme allemand, et en particulier la tradition phénoménologique ne sont ni des sottises auxquelles on s'enticherait vaguement ni des ennemis du progrès. Nous devons remercier ces deux mouvements pour des modèles de prose scientifique et pour avoir aiguisé la langue allemande pour exprimer de fines nuances conceptuelles. Le style de la prose scientifique de la fin du XIXe et début du XXe siècle n'aurait pas été possible sans eux. Cantor et Frege, de brillants exemples, ont publié certains de leurs textes fondateurs dans le Zeitschrift für Philosophie und philosophische Kritik, une revue de l'Idéalisme tardif, fondé et édité depuis longtemps par le fils de Fichte, Immanuel Hermann.

En 1966, Dieter Henrich jugeait [dans son livre Fichtes ursprüngliche Einsicht] que la philosophie avait tout oublié de la "perspective originelle" du père de ce dernier, Johann Gottlieb Fichte et "n'en avait même plus jamais pris acte". On pourrait dire de même de la perspective herméneutique fondamentale de Schleiermacher. Tous les deux représentaient pourtant de quoi faire exploser des modes théoriques entières qui n'avaient pour elles que leur actualité.


De nombreux Analytiques croient cependant fermement que toutes les vieilles erreurs de la tradition philosophique seraient corrigées dans le savoir scolaire récent (pardon : à condition qu'il soit analytique) et qu'on tiendra compte de progrès à partir de perspectives encore implicites. C'est une forme d'Hégélianisme, qui prétend dépasser dialectiquement toutes les formes de pensées préalables comme de simples jalons dans la voie vers le "Savoir absolu".


Cela doit-il être notre principe directeur ? La philosophie analytique ne serait-elle pas mieux avisée de se rappeler une part plus importante de l'histoire de la philosophie ? On n'éprouve pas la vérité d'une pensée d'un prédécesseur en se contentant d'une prétention superficielle de tout savoir qui "se tient au courant" (une "Bescheidwisserei" comme l'appelait Adorno). Et il faudrait éviter de réinventer la roue ou de nous en refiler une qui roule encore moins bien que l'ancienne. Enfin, l'histoire ne nous fait pas toujours la faveur d'aller vers le progrès. Des percées conceptuelles importantes sont parfois écartées par des opinions fausses ou des modes théoriques. Contre l'actualisme apocalyptique de ceux qui considèrent un texte comme suspect dès qu'il a plus de cinq ans, il faut objecter la déclaration de Schopenhauer : "Le Nouveau est rarement le Bien car le Bien ne reste pas longtemps nouveau".

jeudi 1 octobre 2015

Chronologies de mariages de superhéros (1960-1980)


Les superhéros sont en gros du combat avec du Soap Opera. Le premier conduit aux successions de morts et résurrections. Le second conduit aux mariages et parfois divorces ou veuvages à répétition.

Il y a des héros qui étaient mariés dès le départ comme Hawkman & Hawkgirl (qui sont même mariés depuis des siècles car ils se réincarnent dans la version de l'Âge d'or des années 1940). Certains se sont aussi mariés "hors caméra" rétrospectivement après un temps d'absence, comme la plupart des membres de la JSA de Terre-2 avant que ne naisse l'Âge d'Argent (comme le Batman de l'Âge d'Or avec Catwoman). Il y eut aussi des épisodes qui étaient des rêves ou des "histoires imaginaires", comme Batman #122 (mars 1959), à la psychanalyse bizarre (où Robin fait le cauchemar que Batman épouse Batwoman et l'abandonne).

Voici une liste chronologique :

Ralph Dibny (Elongated Man) et Sue Dearbon dans Flash #119 (mars 1961 - le mariage, avec Flash comme témoin, n'est pas montré et seulement résumé par un titre de journal, l'aventure commence pendant leur voyage de noces, Elongated Man venait d'apparaître dans Flash #112 d'avril 1960 un an avant). Elongated Man est devenu veuf depuis Identity Crisis (2004).


Je ne sais pas si on peut vraiment le compter comme un cas de "mariage" comme c'est plus une plaisanterie hors continuité mais dès Metal Men #9 (août-septembre 1964), dans les pages d'explications scientifiques après l'histoire, pour expliquer la notion d'alliage, le Dr Magnus officie dans des noces alchimiques entre Etain et Cuivre ("I now pronounce you -- Bronze"). Cuivre ne réapparaîtra comme membre des Metal Men que dans une série récente.

Une première fausse alerte dans la vie amoureuse compliquée de ce pauvre Green Lantern arrive dès 1964. Non seulement celle qu'il aime, Carol Ferris, est sa patronne et en même temps, à cause d'un dédoublement de la personnalité, son ennemie, Star Sapphire (ce qui reprend la relation du premier Green Lantern avec la voleuse Harlequin) mais dans Green Lantern #32 (octobre 1964), Hal Jordan épouse enfin Carol Ferris (en présence de quelques intimes comme Thomas Kalmaku et sa femme Terga) avant de découvrir que suite à un accident il est en fait sur une Terre parallèle où il n'a épousé qu'une "contrepartie" de "sa" Carol. De retour dans son monde, la situation revient au statu quo. on verra deux ans après que la malédiction continuera.


Aquaman et Mera dans Aquaman #18 (décembre 1964). Premier mariage réel de superhéros montré dans les comics ou en tout cas premier mariage qui constitue une histoire complète avec des complications (après qu'Aquaman réussit à lever une difficulté constitutionnelle pour épouser une non-Atlante) ? Toute la Ligue de Justice de l'époque est venue à Atlantis et il y a même une partie de ce qui deviendra les Teen Titans (apparus pour la première fois dans The Brave & the Bold #54, juillet 1964 mais formellement seulement dans The Brave & the Bold #60, juillet 1965). Le fils d'Aquaman et Mera, Arthur Junior naîtra assez vite, dès l'année suivante (dans Aquaman #23, octobre 1965) et il mourra 12 ans plus tard (dans Adventure Comics #452, août 1977). Le couple ne s'en remettra jamais complètement. Aquaman est devenu veuf depuis, mais Mera vient de ressusciter et de le re-quitter plusieurs fois.

Buddy Baker (Animal Man) demande en mariage Ellen Frazier dès la fin de sa première apparition dans Strange Adventures #180 (septembre 1965), après avoir acquis ses pouvoirs, mais il diffère encore le mariage dans Strange Adventures #201 (juin 1967) pour la protéger. Elle l'épousera et aura des enfants mais leur mariage dut avoir lieu (à ma connaissance du moins) "hors caméra" entre cet épisode et les quelques apparitions d'Animal Man dans les années 1980. Ellen sera tuée avec ses enfants (dans Animal Man #19, janvier 1990) mais Buddy réussira finalement à recréer toute sa famille grâce à "l'Auteur", en découvrant de manière métaréférentielle qu'il est un personnage de bande-dessinée. Dans la version actuelle, il est divorcé d'Ellen après l'avoir trompée.

Reed Richards (Mr Fantastic) & Sue Storm (Invisible Girl) dans Fantastic Four Annual #3 (octobre 1965). Cela commence la tradition où un mariage de superhéros suppose un énorme combat réunissant presque tout l'Univers Marvel de cette époque (les FF, les Vengeurs et les X-Men contre des tas de supervilains comme Dr Doom, le Puppet Master, le Fantôme rouge, l'Homme-Taupe, le Super-Skrull, le Mandarin, le Chevalier noir, Kang, le Penseur fou, la Gargouille grise, HYDRA, Cobra, Mr Hyde, l'Enchanteresse, Electro, le Scarabée, Attuma...). Un des gags est que les deux créateurs Stan Lee et Jack Kirby tentent en vain d'assister au mariage dans l'histoire. Un couple solide de l'univers Marvel, même s'il est arrivé que Reed meure ou que Susan devienne maléfique de temps en temps (notamment suite aux échecs de sa seconde grossesse après la naissance de leur fils Franklin).

Le même mois que ce mariage, DC tente un faux mariage dans Adventure Comics #337, octobre 1965. Quatre membres de la Légion des superhéros se marient : Imra Ardeen (Saturn Girl) avec Garth Ranz (Lightning Lad) et Tinya Wazzo (Phantom Girl) avec Jo Nah (Ultra Boy). La Constitution de la Légion stipule que les Légionnaires doivent quitter l'équipe s'ils se marient (c'est un club d'ados, pas une police interstellaire) mais on découvre à la fin que les fausses noces étaient un subterfuge pour attirer des envahisseurs dans un piège et ils sont réintégrés. En revanche, tous ces couples seront désormais considérés comme des "fiancés" dans la Légion (ce qui était en fait annoncé pour les versions futures de Saturn Woman et Lightning Man depuis une prophétie dans Action Comics #289, 1962) et le premier couple se mariera 13 ans plus tard, en 1978.



Rita Farr (Elasti-Girl) et Steve Dayton (Mento) dans Doom Patrol #104 (juin 1966, après une tentative annulée à la dernière minute). Comme pour le mariage d'Aquaman, d'autres superhéros DC sont invités (Batman, Superman, Wonder Woman, Flash, les Teen Titans) mais aussi un autre personnage écrit par le même scénariste Arnold Drake, Super-Hip. Ils adoptèrent légalement Beast Boy (bien que Rita semble s'y être plus attachée que son mari). Bien plus tard, après la mort de Rita (septembre 1968), Mento perdit la raison dans New Teen Titans.


Barry Allen (Flash) et Iris West dans Flash #165 (novembre 1966). Perturbé par le Professor Zoom (Reverse Flash), qui se fait passer pour lui. En dehors de ce combat, le mariage est relativement sobre et sans invités superhéroïque (en dehors de l'ancien ennemi "réhabilité" Mr Element). Barry mit un an à lui révéler son identité secrète, attendant jusqu'à leur premier anniversaire de mariage dans Flash #174 (novembre 1967 - où Iris lui révéla qu'il l'avait dit dans son sommeil dès leur nuit de noces).


Dans Green Lantern #49 (décembre 1966), Hal Jordan réagit au mariage de son ami Barry Allen du mois précédent (il avait reçu l'invitation trop tard car il était en mission dans l'espace - Hal et Carol sont des amis intimes de Barry et Iris) et décide de demander la main de Carol Ferris. Il avait déjà promis de l'épouser dès GL #26 et avait même cru le faire dans GL #32, elle avait même découvert son identité dans GL #43 (en même temps qu'Iris découvrait celle de Barry une première fois) mais avait ensuite perdu ce souvenir. Mais cette fois, à sa grande surprise, Carol refuse et annonce ses fiançailles avec un certain Jason Belmore (qui dirige une école privée et qu'elle quittera finalement 5 ans plus tard dans GL #83). Cela va renverser le statu quo et commencer une longue série de déboires amoureux. Désormais la vie maritale stable de Flash sera l'inverse de celle de Hal Jordan qui ira de catastrophes en catastrophes.

Henry Pym (Ant-Man / Giant Man / Yellowjacket) et Janet van Dyne (Wasp) dans Avengers #60 (janvier 1969). Perturbé par le Circus of Crime (et la folie d'Ant-Man/Yellowjacket). J'adore la dernière case du n°59, un des plus beaux portraits par John Buscema.


Roy Thomas écrivit cette histoire pendant son propre voyage de noces (de son 1er mariage avec Jean Maxey). La folie récurrente de Pym conduisit à un divorce une douzaine d'années après (Avengers #217, 1981) et Pym semble échouer à chaque fois à restaurer la confiance avec son ex-épouse (quand des scénaristes se souviennent de l'épisode où il l'a battue, Avengers #213).


Chuck Taine (Bouncing Boy) et Luornu Durgo (Triplicate GirlDuo Damsel) de la Légion des Superhéros dans Superboy #200 (février 1974). BB + DD est le premier vrai mariage officiel dans la Légion et les deux membres doivent quitter l'équipe d'après la Constitution de la Légion. Ils se marient sur Mars, sur Nix Olympica (que Mariner 9 venait à peine d'identifier comme un volcan).

Scott Free (Mister Miracle) et la Furie-valkyrie Big Barda sont mariés par Izaya Highfather des Nouveaux Dieux dans Mister Miracle #18 (février-mars 1974). Ils sont toujours ensemble.

Pietro Maximoff (Quicksilver), des Vengeurs (fils de Magneto - même si à cette époque on le croyait fils du Whizzer) et Crystal, de la Famille royale des Inhumains, dans Fantastic Four #150 (septembre 1974). Perturbé par Maximus et Ultron dans la Cité des Inhumains. Ils ont divorcé depuis, après un adultère de Crystal (qui a été retconné comme une manipulation mentale par Maximus) et des crises de jalousie violente de Pietro (et dans certaines versions Pietro n'a pas pardonné à leur enfant Luna de n'être pas une Mutante, dans un racisme inversé). Le couple plus solide de Black Bolt et Medusa ne se marie que dix ans après dans Fantastic Four Annual #18, août 1984.


La Vision épouse Wanda Maximoff (la Sorcière rouge) et le Swordsman (ou plus exactement un spectre du Swordsman possédé par un arbre intelligent extraterrestre) épouse Mantis dans Giant-Size Avengers 4 (juin 1975). Leur mariage, organisé par Immortus, se terminera étrangement avec la naissance de deux enfants conçus magiquement et qui disparaîtront. Dans Avengers Forever, il sera révélé que tout ce mariage était un plan complexe d'Immortus pour empêcher la Sorcière rouge d'avoir des enfants.


Adam Strange épouse Alanna de Rann dans Justice League of America #121 (août 1975) et toute la JLA se déplace sur Rann pour l'occasion. Le mariage est perturbé par le vieil ennemi de la Ligue Kanjar Ro. Alanna mourra et ressuscitera encore quelques fois dans mon souvenir.


Imra Ardeen (Saturn Girl) et Garth Ranz (Lightning Lad) dans All-New Collectors' Edition #C-55 (Superboy and the Legion of Super-Heroes tabloid, 1978). Un épisode historiquement essentiel dans l'histoire de la Légion des Superhéros entre deux des membres fondateurs mais qui fut publié dans un numéro tellement "spécial" (format Tabloid) qu'il est considéré comme un des plus introuvables. Le mariage se déroule bien mais les enfants d'Imra et Garth deviendront une intrigue bien plus tard quand les parents ignorent qu'ils ont eu des jumeaux dont l'un est devenu le maléfique Validus.


Raymond Palmer (Atom) et Jean Loring (Justice League of America #157, août 1978). Ray lui révèle son identité secrète la veille du mariage, ce qui manque de peu d'annuler la cérémonie car elle le prend moins bien qu'Iris West. La règle stricte des Identités secrètes rend l'épisode plus compliqué, plusieurs personnages ignorant qui est qui dans les identités civiles invitées au mariage. Le mariage est perturbé par Mauri, une Déesse polynésienne de l'amour (cela explique peut-être les infidélités par la suite de Jean avec un de ses collègues et le divorce assez douloureux dans Sword of the Atom, 1983). A sa décharge, des extraterrestres lui avaient fait perdre la raison dans Atom & Hawkman #45 (octobre 1969). Identity Crisis, 2004 rendra tout cela encore pire en décidant que Jean Loring tue Sue Dibny, l'épouse d'Elongated Man, dans un plan insensé pour récupérer Ray Palmer...


Hal Jordan (Green Lantern) et Kari Limbo (Green Lantern #122, novembre 1979). La Ligue de Justice est là à nouveau (contrairement au mariage d'Atom, les participants viennent en costume, y compris Hal Jordan) et Green Lantern doit affronter les Vilains de la Zone Fantôme. C'est encore un cas particulier comme dans GL #32 ci-dessus puisque le mariage fut finalement annulé : Kari Limbo s'évanouit aux moments des voeux devant le pasteur et en se réveillant, révéla que c'était toujours le rival de Hal, l'ex-Green Lantern Guy Gardner, dont elle était amoureuse. Hal s'est déjà vu insulter quand Carol avait préféré un riche inconnu mais se voir préférer Guy Gardner doit être la pire insulte possible pour un fiancé (certes, l'image de Gardner en facho viendra bien plus tard). Il n'eut pas plus de chances plus tard avec Arisia (quand un scénariste révéla qu'elle était encore mineure sur sa planète) et la relation avec Carol Ferris est demeuré cella à laquelle il revient toujours.


Il y a beaucoup de mariages importants après ces années  de l'Âge d'Argent et de l'Âge de Bronze - et notamment les mariages de Peter Parker et MJ Watson (ASM Annual 21, 1987) ou Clark Kent et Lois Lane (Superman: The Wedding Album, 1996) - mais je préfère arrêter la liste avant. Une déconstruction intéressante du mariage de superhéros fut le mariage de Wonder Girl et Terry Long dans Tales of the Teen Titans #50 (février 1985), qui est entièrement "réaliste" et sans aucun combat, une pure psychothérapie de groupe et Soap Opera entre tous les personnages.