vendredi 15 juin 2018

Troy: Fall of a City (8/8)

οἵη περ φύλλων γενεὴ τοίη δὲ καὶ ἀνδρῶν.
φύλλα τὰ μέν τ᾽ ἄνεμος χαμάδις χέει, ἄλλα δέ θ᾽ ὕλη
τηλεθόωσα φύει, ἔαρος δ᾽ ἐπιγίγνεται ὥρη:
ὣς ἀνδρῶν γενεὴ ἣ μὲν φύει ἣ δ᾽ ἀπολήγει.

εἰ δ᾽ ἐθέλεις καὶ ταῦτα δαήμεναι ὄφρ᾽ ἐῢ εἰδῇς
ἡμετέρην γενεήν, πολλοὶ δέ μιν ἄνδρες ἴσασιν:

"Le Genre humain eſt fragile, & Muable
Comme la Fueille, & auſſi peu durable.
Car tout ainſi qu’on voit les Branches vertes,
Sur le Printemps, de fueilles bien couvertes,
Qui par les ventz d’Autumne & la Froidure,
Tombent de l’Arbre, & perdent leur verdure,
Puis derechef, la Gelée paſſée,
Il en revient en la place laiſſée :
Ne plus ne moins eſt du lignaige humain :
Tel eſt huy vis, qui ſera mort demain.
S’il en meurt ung, ung aultre vient à naiſtre :
Voilà comment ſe conſerve leur eſtre."
Iliade, Chant VI, vers 146-151
(Traduction Salel, 1545)

L'Offrande

Le dernier épisode est réalisé par John Strickland, qui avait déjà fait l'épisode précédent, et c'est de loin l'épisode le plus impressionnant de la série de la BBC par l'ampleur des figurants et des batailles avec la destruction d'Ilion.

Il est difficile de créer de l'émotion avec un sujet qui a aussi peu de suspense mais le scénariste David Farr y arrive à nouveau avec un faux fuyant et une illusion d'uchronie possible : Hélène avait proposé aux Grecs un marché : elle se rend en échange de la survie de la Cité, et il joue sur une ironie dramatique où on peut se plaire à croire que ce marché va fonctionner alors même qu'on en sait beaucoup plus qu'Hélène et que même les Troyens commencent à avoir des doutes sur ce qui se trame.

Les Grecs déposent le Cheval qui serait une Offrande à Poséidon comme Iphigénie était Offrande à Artémis. Il porte même un Trident sur son front de lapis-lazuli azuré et fait presque plus penser à un Hippocampe ou bien une préfiguration du Cyclope qui dévorera l'équipage d'Ulysse. D'habitude, le Cheval est offert à Athéna, qui fut une des Protectrices de la Cité avant le Jugement de Paris (cf. Le Palladion, la statue de Pallas qu'adorent les Troyens). Elle est aussi la déesse des techniques et c'est un ingénieur menuisier, Epéios, qui fabrique le piège creux. La série choisit Poséidon parce qu'il est classiquement plus associé aux chevaux que sa nièce Athéna (encore qu'Athéna est associée à la bride ou au licol, cf. le livre de Vernant et Détienne sur la Mètis) et que cela paraît cohérent si les Grecs veulent un bon retour. Cela préfigure aussi toutes les tempêtes naturelles qui vont s'abattre sur la flotte grecque (alors que Poséidon était initialement de leur côté). Les nefs noires des Danéens étaient des chevaux de mer et c'est un cheval de mer échoué sur la plage qui va enfin traverser les Murailles construites par... Poséidon et Apollon.

Mais surtout, ce n'est pas que sa valeur symbolique : comme sacrifice, le Cheval dans cette version est rempli de victuailles. Les Troyens, affamés par le long siège, ne sont donc que trop impatients de l'accepter pour disposer du blé qui y est enfermé. Ils n'en veulent pas seulement par superstition, par vengeance ou pour marquer leur victoire. Ulysse a aussi tenu compte de la réalité des corps. Ce sont les ventres vides qui réclament ce vaisseau creux, cette cornucopia qui va répandre terre gaste à la place de l'abondance.

Dès l'Antiquité, le grand touriste Pausanias avait dit qu'il avait du mal à croire que les Phrygiens aient pu être assez crédules pour tomber dans le piège et pensait donc que le Cheval mythique déformait quelque chose d'autre de plus direct, qu'il avait dû être un bélier pour forcer la muraille et non pas une simple ruse. On pense au Lapin troyen de bois des Monty Pythons de Holy Grail qui finit par être envoyé par une catapulte pour traverser les Murailles.

Ici, c'est la princesse et prophétesse Cassandre seule qui joue le rôle de Laocoön. Elle ne tente presque même plus de dissuader les Troyens, comme si son fatalisme commençait à recouvrir même les effets de sa malédiction et qu'elle prévoyait aussi que nul ne croyait ses prédictions.

Thersite (qui était déjà le traître dans l'épisode précédent) est laissé comme Grec abandonné (c'est le rôle du "déserteur" Sinon dans les récits traditionnels sur la Chute de Troie, qui prétend ne pas avoir pardonné aux Grecs les fausses lettres maquillées qui accusaient Palamède). Il dit avoir été laissé parce qu'il s'était moqué d'Hélène (dans les mythes, il est tué par Achille pour s'être moqué du cadavre de Penthésilée) et il explique que les Grecs ont perdu l'espérance avec la mort d'Achille. La petite pointe réaliste est qu'il est dit que Ménélas seul refusait encore de repartir. Il témoigne même que l'allié de Xanthius était vraiment Pandaros (ce qui inverse à nouveau le fait que Sinon défendait l'honneur de Palamède).

Dans le cycle épique, il se passe du temps entre la mort d'Achille et la chute puisqu'on y trouve les épisodes de la mort de Paris, le mariage entre Hélène et Déiphobe, la capture d'Hélénos, du renfort de Néoptolème Pyrrhos et Philoctète.

Ici, le bon côté de cette accélération est que cela rend l'idée d'un abandon des Grecs plus crédible juste après le coup de tonnerre de la défaite du fils de Pelée. Les Troyens sont d'ailleurs peu naïfs et Thersite leur propose même de fouiller le Cheval et son réceptacle à blé en plein jour, en sachant qu'ils ne trouveront pas la petite cavité où se cachent seulement deux hommes (au lieu des 30-50 guerriers de la tradition) : Ulysse et Ménélas. Il insiste sur le fait que le Cheval est creux pour qu'il n'explore pas tout ce vide. Le Cheval est comme "La Lettre Volée", subterfuge d'autant plus efficace qu'il est si visible sur ce rivage.

Une des originalités de la série a été de tourner en grande partie sur l'ajout d'une enquête policière : l'assassinat et le maquillage de la mort de Pandaros par Xanthius. Ce "fait divers" ne cesse de surplomber toute l'ambiance de la chute. L'ironie est que la Cité va tomber au moment où la sombre Andromaque, pour la première fois, commence à abandonner ses soupçons contre Hélène et est enfin prête à lui pardonner. Mais la plupart des Troyens finiront leur vie ce soir-là en croyant vraiment qu'Hélène était le vrai Cheval de Troie et qu'elle jouait un double jeu depuis le début. Et de fait, même si elle est abusée, elle porte plus de responsabilité que le Cheval en réalité. Elle a causé la Guerre en tombant amoureuse et c'est elle qui cause la défaite finale en croyant ainsi se sacrifier par amour. Il y a même une ambiguïté où on peut se demander dans quelle mesure Hélène aimait Paris ou si elle fuyait seulement Ménélas et sa vie à Sparte.

Ménélas promet à Hélène sur "son honneur" de ne pas détruire la Cité et quand elle leur ouvre la porte en croyant les faire sortir, Ménélas violente sa femme en disant qu'il n'a plus d'honneur, qu'elle le lui a dérobé. Hélas, il ne reste aucune caractérisation un peu ambiguë pour aucun des deux Atrides, qui auront été tous les deux des monstres vindicatifs et sadiques pendant presque tous les épisodes. Je préfère une version où Ménélas serait sincèrement amoureux d'Hélène et non pas seulement soucieux de son statut social ou de son ressentiment.

Toute la Guerre de Troie est certes aussi sur le thème du viol, la violence sexuelle comme déstabilisation de l'ordre humain. L'épouse a été "violée",  ou disons "ravie" (même si dans la série, c'est au contraire un libre choix) ou du moins les Lois de l'Hospitalité ont été violées : Paris était un invité quand il est parti avec la femme de son hôte. Le plus haut blasphème n'est pas l'adultère mais la suprême ingratitude de l'hôte qui devient hostile ("xénos" a cette ambiguïté en grec). Ce Cheval qui déverse la mort au lieu du blé reprend cette inversion : l'Offrande de Vie va donner la Mort, le Don est un Poison (dosis en grec, Gift en allemand). Et si Troie est une femme, le Cheval est aussi un viol pour entrer en son sein.

Depuis le début, un des thèmes de la série est la relative égalité des Troyennes en comparaison des Grecs. Cité d'Aphrodite, d'Hécube et de la virile Andromaque, la Cité qui va tomber aurait pu nuancer le destin phallocratique des Doriens et tout un avenir méditerranéen (dans une petite touche de fantasme sur une matriarchie pré-dorienne). Et la chute commence avec le viol de Cassandre par Thersite (dans les versions traditionnelles, elle est violée par Ajax le Petit, qui a ainsi profané le Temple d'Athéna à qui elle avait demandé l'asile).

A la place d'une intrigue avec salut par Deus Ex Machina, le scénario explore des moyens pour faire empirer l'amertume de la chute, des sortes de diables qui sortent de leur boite pour piéger d'autres voies. Les Troyens vont chercher plusieurs moyens d'aggraver leur désespoir. Ils croient pouvoir s'en sortir par les tunnels qu'ils avaient bouchés au moment de la chute de la Cilicie et les Grecs surgissent des tunnels à ce moment, comme Ulysse avait aussi prévu cette sortie de secours comme Plan B pour son invasion.

La famille royale se fait massacrer, d'abord les fils Troïlos et Déiphobe (qui n'ont jamais eu droit à une caractérisation hélas, si ce n'est quand l'un d'eux avait évoqué la possibilité d'une capitulation), puis Priam (chez Virgile, on dit bien que c'est Néoptolème furieux qui tue Priam). Hécube s'ouvre les veines, sans doute parce que le scénariste veut attribuer à Andromaque toute l'horrible gravité de la Veuve survivante pour la conclusion. Le suicide de Hécube est d'ailleurs le premier suicide réussi de la série, après la tentative ratée de Paris.

La mort de Paris, exécuté par Ménélas devant Hélène, a quelque chose d'anti-climactique mais est presque aussi sadique que celle de Hector. Si Bernard Williams a raison de dire dans Moral Luck que c'est la réussite de Gauguin qui valide rétrospectivement les raisons internes qu'il avait à bafouer l'ordre familial, Paris est la malchance morale : sa faute morale dans l'enlèvement et dans le fait d'avoir mis son désir au-dessus de sa Cité, des lois humaines ou divines est redoublée par son manque de prudence pratique, par l'échec si prévisible qu'Aphrodite avait tenté de masquer par des sophismes. Cela risque de gâcher toute compassion envers lui et je ne suis pas certain que la série réussisse entièrement à sauver son point de vue favorable au malheureux Alexandre, même quand celui-ci demande à ne plus être identifié à Paris, son nom de berger.


Andromaque, je pense à vous! Ce petit fleuve, 
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit 
L’immense majesté de vos douleurs de veuve, 
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit. 

Ulysse trouve Andromaque et plusieurs fois, les cris d'Astyanax causent sa perte au moment où un avenir semble encore caché dans le labyrinthe des possibilités. Ulysse essaye de le sauver en le laissant à Adrasteia sa nourrice mais Agamemnon entend ses vagissements et lui donne l'ordre de tuer l'enfant. Ulysse obtempère même s'il endosse le poids d'un traumatisme. Sa victoire a un goût de cendres avant même de commencer le périple du retour qu'il attendait tant. Le stratège grec qui haïssait la guerre admet qu'il a perdu, même dans la victoire qu'il a pu arracher par sa ruse. Je ne vois dans son meurtre final aucun "pragmatisme" ou aucun stoïcisme réel (puisque Astyanax va de toute façon mourir, autant le faire vite et sans pathos) mais plutôt la folie finale où Ulysse éprouve qu'il ne pourra jamais vraiment revenir en arrière. Il n'y aura aucune espérance de vie qui échapperait à cette destruction. Il n'y a pas même de satisfaction à voir punis Thersite ou les Atrides.

Le seul survivant de la famille royale (oui, si on excepte "Zénon" le bâtard de Paris avec Oenone) est Enée, qui n'a pas vraiment eu d'épaisseur dans cette série. Il ne s'est pas enfui de la cité en flammes avec son père le vieux boiteux Anchise sur le dos, il a été blessé à la jambe et a pu rester caché sous un tas de cadavres sans rien d'héroïque. Il croisera Briséis (qui avait déjà vu la Cilicie ravagée par les Myrmidons et qui a pu s'enfuir grâce à l'indulgence d'Ulysse) et le petit Evandre (contrairement à ma prédiction, le scénariste a décidé de nous surprendre en lui laissant la vie sauve). La survie d'Evandre remet de l'humanité dans Xanthius, qui avait pourtant plus de raisons d'en vouloir à Evandre qu'Ulysse n'en avait d'obéir à l'ordre d'infanticide.

Pour conclure, c'est donc le temps des bilans.

La série en 8 heures a su construire des rebondissements et elle est assez distrayante. Je n'ai pas vraiment aimé le casting ou le choix de certains acteurs trop similaires. Ménélas et Diomède me semblent difficiles à discerner mais il est vrai que le scénario ne fait rien de ce pauvre Diomède. Achille est si tendu, si tranchant qu'il ne semble plus être le jeune arrogant de l'épopée. Ulysse est parfait pour le rôle (mais ce sont ses dialogues qui laissent à désirer).

Comme nous sommes entrés dans une phase de racisme ouvert sur Internet, le casting des acteurs sud-africains a été l'un des aspects les plus commentés. Zeus, Achille, Patrocle, la plupart des Myrmidons, Nestor mais aussi Enée, une Amazone ou Pandaros étaient noirs sans qu'il y ait une règle ou une cohérence particulière. J'ai cru qu'Achille et Enée étaient tous les deux des demi-dieux fils de déesse (Thétis ou Aphrodite) mais ce n'est jamais dit explicitement d'Enée dans la série.

Du côté troyen, Paris est certes "charismatique" mais ne parvient pas à échapper au côté tête à claques de son personnage. Hector, quelle que soit la grandeur dans son dernier épisode, demeure un peu trop brutal comme Prince.

Le choix de la fin est clairement une catastrophe où même les Grecs perdent leur âme. Mais toute oeuvre moderne sur la Guerre est anti-belliciste car nous sommes passés de l'épique pour mécènes nobles au développement de la civilisation par la courtoisie. L'Iliade montrait comment la violence déshumanise mais comment les guerriers peuvent ensuite renier cette colère et retrouver leur humanité (Achille restituant le corps de Hector). La série au contraire joue uniquement sur une corde amère contre la Guerre avec tous ces infanticides, d'Iphigénie (pour permettre la Guerre) à Astyanax (pour empêcher toute possibilité d'une éventuelle vengeance future). L'Offrande finale est ici Astyanax, tout comme c'est d'habitude le sacrifice de la Princesse Polyxène que réclame le spectre d'Achille.

Le choix de cette scène me rend très ambivalent sur la rumeur selon laquelle ils vont ensuite adapter l'Odyssée. La force de cette série était un parti-pris très réaliste, en dehors de quelques dialogues avec Zeus et Aphrodite. L'Odyssée sans le surnaturel me paraît un choix absurde.

Et la compassion avec Ulysse va être plus difficile après cette scène où il a tout détruit pour tenir sa parole envers ses chefs les Atrides. Le spectateur aura plus de mal à éprouver de l'identification avec ses malheurs et ne pourra même que les voir comme la réalisation de la Malédiction d'Andromaque.

Le scénario a été habile à chaque fois qu'il a pu manipuler le mélodrame et nous forcer à la catharsis. En revanche, le dialogue était souvent assez banal et je ne retiendrai guère qu'une vague allégorie, celle où Achille regarde le ressac et fait remarquer à Patrocle que la Mer est indifférente. Cette version "existentialiste" du fils de Thétis n'est pas très lyrique mais cela restera l'une des images ou allégories que le film a pu faire jouer sur ce sombre rivage entre Occident et Orient, où l'Europe prend conscience d'elle-même en s'horrifiant de ses propres errements. Achille ne sert pas une nation grecque mais bien une idée qu'il se faisait de lui-même ou une expression d'un projet de gloire contre la mort. Paris est plus seul car il sert un idéal privé, l'amour fou, qui vient briser la vie en commun.

Hegel a parfois un certain talent quand il commente les tragédies comme Antigone ou Les Euménides mais il se fourvoie quelque part dans ses Leçons sur Esthétique quand il dit que la fonction de l'épopée est de souder une nation. Au contraire, le génie homérique est d'avoir rendu l'ennemi troyen si sympathique que tous les lecteurs dès l'Antiquité grecque (avant même la récupération romaine où toutes les Nations modernes se chercheront des Origines secrètes troyennes) pleuraient pour le vaincu, tout en admirant la vaillance d'Achille. Le Mahabharata, pourtant un peu plus manichéen, arrive aussi à ce même effet de victoire amère et c'est une saudade que semblaient valoriser de nombreuses épopées. Il y a alors plusieurs nostalgies : désir du retour d'Ulysse et les ruines irréversibles d'une Cité idéalisée comme presque utopique dans cette version (les images de synthèse en faisaient une métropole immense). Ulysse veut revenir à la prose et à la condition mortelle d'Ithaque parce qu'il a vu l'échec des idéaux.

mardi 12 juin 2018

Troy: Fall of a City (7/8)


"Twelve Days"

Priam nomme Paris Alexandre comme nouveau dirigeant à la place d'Hector ("Troïlos et Déiphobos n'ont pas ton don avec les hommes"... Paris doit avoir vraiment beaucoup de charisme s'il réussit à faire oublier aux Troyens qu'il n'a pas grandi avec eux et qu'il est la cause de tous les désastres qui leur tombent dessus). 

Hécube ne se remet pas de la mort de Hector et son désespoir est double : elle culpabilise d'avoir abandonné son fils mais aussi de l'avoir réintégré en connaissant la prophétie. Zeus reproche à Aphrodite d'avoir cru qu'elle pourrait réécrire la Destinée. 

Priam part seul pour chercher le corps de Hector flétri par Achille. Il a plus de mérite que le Priam du Chant XXIV de l'Iliade car il n'est aidé d'aucun dieu. Je n'ai pas relu la scène de supplication mais de mémoire, les arguments sont assez différents. Le Priam de l'épopée se servait de Pelée et du rapport paternel. Le Priam de la série ne le mentionne pas et ne parle que de la relation avec Patrocle ou de l'affection de Hécube pour Hector. Il culpabilise même Achille en disant qu'il est le vrai responsable de la mort de Patrocle, argument certes assez juste mais qui ne paraît pas idéal pour persuader l'ombrageux Peléide. 

Priam demande 12 jours de deuil pour les rites de Hector et Achille les lui promet. 

Pendant les rites, Enée (qui explique que dans cette version il est déjà veuf depuis longtemps) tente de séduire Penthésilée mais elle exprime clairement qu'elle n'a aucune orientation hétérosexuelle. Andromaque maudit Hélène et la soupçonne de trahison. 

Quand les Atrides apprennent qu'Achille a fait cette promesse de 12 jours de trêve, ils mettent en place un plan pour forcer Achille à reprendre le combat. Thersite fait assassiner un Myrmidon et ils font croire à Achille que c'est un complot des Troyens qui auraient rompu la trêve. Ulysse, qui n'avait pas participé à cette ruse d'Agamemnon, est forcé de soutenir le mensonge devant Achille, qui devient furieux. 



C'est le grand assaut et la première fois dans la série qu'on a une bataille aussi vaste, comme la bataille sur la plage entre Hector et Patrocle n'était qu'une escarmouche. Penthésilée résiste héroïquement à Achille mais est finalement tuée (dans une scène violente qui me rappelle hélas un peu trop l'esthétique sanguinolente de 300). 

Le vieux Priam sort de la Cité pour affronter Achille mais c'est Paris qui envoie la flèche dans le talon. L'arc narratif de cet Achille est allé de la Machine à Tuer (notamment dans cette rage face aux Amazones) à un retour à l'humanité pleine de désillusion, où il rit presque de ne pas être fait pour ce monde temporel. Quand il dit "Dites à Ulysse que je lui laisse toute la Gloire de cette Guerre", il préfigure la fameuse scène de la Νέκυια de l'Odyssée (Chant XI) où son spectre dira à Ulysse qu'il regrette finalement d'avoir préféré une vie brève et glorieuse. 

Comme la série a retiré tout le surnaturel de son armure, il n'y a pas de conflit Ulysse-Ajax pour récupérer ses armes (ce qui rend tout le personnage d'Ajax assez inutile). Ulysse, écoeuré par la mort d'Achille et surtout par la manoeuvre frauduleuse d'Agamemnon, fait libérer Briséis et annonce à Nestor qu'il ne veut plus continuer le combat. 

Xanthius, l'agent d'Ulysse infiltré en Ilion, est capturé par les Troyens. Au lieu de dire simplement qu'il travaillait avec Pandaros, il dit sous la torture qu'il avait un allié et qu'il refuse de dire qui "il" est. Hélène comprend le message et après des hésitations (elle tente de convaincre Paris de partir), elle devient encore plus clairement maîtresse de son destin. Elle finit par libérer Xanthius en assassinant un nouveau garde. Elle propose un marché : elle se rendra si Ménélas promet de ne plus s'en prendre à Troie et à Paris. 

lundi 11 juin 2018

Troy: Fall of a City (6/8)


Paris a donc tenté de se suicider en se jetant d'une falaise et revient à la vie. Aphrodite lui apparaît, ainsi qu'à Hector et Hécube, pour dire que cette mort le délivre de la Malédiction ainsi formulée "Tant que Paris vivra, Troie tombera". Il est mort l'espace d'un instant et la prophétie deviendrait caduque. Jolie ruse de scénario pour réinjecter un peu de frisson d'indétermination contre le titre fatal de la série, même si on sait bien que la Chute Aura Lieu (je ne sais si les scénaristes anglais connaissent Jean Giraudoux). On aurait d'autant besoin de surprise que c'est peut-être l'épisode le plus traditionnel puisqu'il s'agit ici de la fin de l'Iliade (ou presque, le dernier chant sera dans le prochain épisode). 

L'autre surprise est les Amazones. Paris rescapé rencontre Penthésilée et ses guerrières, qui viennent combattre auprès des Troyens pour venger ses "soeurs" tuées par Achille (allusion qui reste obscure mais qui rappelle qu'au lieu d'être un jeune débutant, Achille est censé être ici une sorte de machine à tuer). Ils reviennent ensemble à Ilion et lancent une sortie pour couper les vivres des Grecs, qui se sont rapprochés des murailles au dernier épisode. 

Avoir gardé les Amazones du cycle épique est assez rare dans les adaptations récentes de la Guerre de Troie, il me semble et d'habitude, comme elles ne sont pas chez Homère, on les fait arriver après la mort d'Hector, par exemple dans l'Ethiopide ou chez Quintus de Smyrne. (Chez Kleist, c'est Penthésilée et non Paris qui tue Achille mais il est douteux que la série reprenne cette inversion moderne, surtout avec leur héroïsation de Paris). 

Enée, fils d'Aphrodite, et Penthésilée, fille d'Arès
(Mais à part Achille, on ne parle pas de demi-dieux ici)


Ici, la série parvient au chapitre XVI de l'Iliade. Patrocle et les Myrmidons ne peuvent plus supporter de garder les bras croisés (et Ulysse a plusieurs fois demandé à Patrocle d'intervenir) alors que les vivres sont attaqués. Patrocle porte l'armure d'Achille et est très vite tué par Hector (sans les victoires et la démesure qu'il montre dans l'épopée). Hector et les Troyens sont si étonnés qu'ils laissent Achille venir sans armes reprendre le corps (alors que dans l'épopée Hector garde l'armure et le combat pour le corps dure tout le chant XVII).

Achille a eu le temps dans un dialogue d'exposition moyennement réussi à expliquer à Patrocle que l'amour est nuisible car c'est par amour que sa mère Thétis l'a tenue par le talon pour qu'il ne se noie pas "dans la Rivière". Oui, ils ont tenté de mettre en une seule phrase la catalepse de sa mort à venir et l'explication de son deuil pour Patrocle. Thétis est d'ailleurs l'un des plus grands effacements de cette série. On voit souvent Aphrodite et Zeus mais Thétis n'est représentée que par la scène où Achille contemple les vagues. 

Ce même soir où Hector tue Patrocle, Andromaque accouche et Hector nomme l'enfant Astyanax en l'honneur d'un orphelin troyen tué au début de l'épisode. Comme "Astyanax" veut dire "Roi de la Cité", cela paraît peu heureux comme nom pour un simple orphelin et ce pathos ne sert qu'à humaniser davantage Hector. 

On passe assez abruptement au chant XXII (et on a donc sauté beaucoup d'intrigues divines et surtout l'Armure forgée par Hephaïstos). 

Achille ne s'embarrasse pas de bataille, il vient tuer des prisonniers (dont une Amazone) devant Ilion pour forcer Hector à sortir. La mort d'Hector est représentée avec encore plus de cruauté et d'humiliation si c'est possible que dans l'épopée ; Hector n'est pas encore mort quand Achille l'accroche à son char pour le traîner dans la poussière en lui disant qu'il tuera aussi sa famille. Andromaque doit voir son mari mourir alors que son nouveau-né n'a qu'un seul jour.

Une des choses que je reprochais un peu à la série au début était d'avoir déprécié le personnage de Hector par rapport à Paris mais ce n'est plus vrai (en dehors peut-être du coup d'Etat du 5e épisode) et Hector apparaît à nouveau comme le seul Prince qui se soucie vraiment sincèrement de sa ville et de ses concitoyens et pas seulement de son amour comme Paris ou de sa gloire comme Achille. 



Cassandre dit qu'elle ne voit plus qu'obscurité et les Troyennes espéraient que cela signifiait que la Prophétie de Paris était brisée. Les malheureux Troyens n'auront eu que très peu de répit car ils ont eu encore moins de victoires apparentes que dans l'Iliade

Dolon se suicide pour sa trahison contre les chevaux troyens (alors que tous s'interrogent sur le prétendu "suicide" de Pandaros). Sa soeur Briséis est maltraitée par Agamemnon (qui réussit à être encore plus brutal que dans les représentations habituelles) et Achille ne semble aucunement s'intéresser à elle, on ne songe même pas à la lui restituer. S'il n'y avait pas tout ce qu'on attend sur Cassandre et Clytemnestre, on aurait aimé que Briséis puisse exercer quelque vengeance contre l'Atride mais je crains que cela ne reste sans résolution.

Hélène, avec le retour de Paris, essaye de dissimuler ses compromissions avec l'agent grec Xanthius. Mais Hélène n'ose le dénoncer et cette accumulation de petites trahisons annonce la scène finale. J'imagine que dans cette chronologie plus compressée, le scénario ne forcera pas Hélène à épouser l'autre Prince Déiphobe après la mort de Paris Alexandre. Je viens de me rendre compte que cet agent a un nom très proche d'un des deux Chevaux d'Achille, Xanthus (celui qui parle à Achille une fois dans l'Iliade pour prophétiser sa mort) alors que Xanthius, comme agent infiltré, préfigure le Cheval que construira Ulysse. 

dimanche 10 juin 2018

Troy: Fall of a City (5/8)

Cassandra (Aimée Ffion Edwards)

Paris a donc perdu le duel et s'est enfui (comme dans l'Iliade Chant III, mais là, la responsabilité est entièrement de sa faute et non pas de la manipulation d'Athéna qui pousse Pandaros fils de Lycaon à briser la trêve dans le Chant IV).

Ici, cela change radicalement du récit habituel.

Hector a enfin appris du Prêtre d'Apollon la vérité sur Paris Alexandre et sur les songes prophétiques de Cassandre que personne ne voulait écouter. Il décide de renverser son père Priam, de prendre le pouvoir à Troie et de libérer Cassandre de sa prison. Sa figure échevelée, en stress pré-traumatique, spectrale, comme le remords permanent de la Prophétie, ne cesse de hanter cette version.

Hélène est désormais considérée comme une prisonnière dans le quartier des veuves. Alors qu'elle se voulait sincèrement pro-Troyenne, son nouveau statut d'encombrante casus belli continue de la faire basculer vers le statut d'agent double. Elle prolonge ses contacts avec l'agent grec en Ilion, Xanthius pour se débarasser de Pandaros, qui dans cette version est un ministre trop malin de Priam et qui a deviné qu'elle cache des secrets.

Entre parenthèse, le Pandaros de l'Iliade est avant tout un guerrier, un archer un peu intempérant mais il y a une vieille tradition médiévale (de Boccace, Chaucer jusqu'à Shakespeare) qui en fait un personnage très différent, un orateur habile mais aussi un libertin (d'où le verbe "to pander" en anglais, flatter les bas instincts). Cette version de Pandaros en Vizir rusé garde l'idée de prudence mais pas du tout les vices, ce qui rend sa fin où il est injustement accusé encore plus horrible. Je m'étais étonné dans le 2e épisode que le scénario ne garde pas du tout Palamède mais on reconnaît dans la mort de Pandaros l'inversion exacte de ce qui arrive à Palamède et les fausses lettres d'accusation. (Ce Pandaros doit aussi avoir une influence des textes tardifs sur Antenor qui en font un traître troyen.)

Hector devenu chef de la cité cesse toute mission pour récupérer. son frère Alexandre. Celui-ci, qui a aussi appris la prophétie qu'il incarne, se sentant coupable repart dans les collines où il avait élevé par un berger, Agesilaus, qui avait refusé les ordres de Priam à sa naissance. Il apprend aussi que sa première maîtresse, Oenone, a été exilée pour avoir eu un enfant avec lui, un certain Zénon. Sa tentative de suicide en se jetant dans le vide (après le faux suicide arrangé de Pandaros) peut évoquer le sort final de bien des fils de la Maison de Priam, comme Polydore (que Polymestor fit jeter des murailles) ou bien Astyanax (qu'Ajax le Petit jette dans certaines versions des murailles d'Ilion).

J'aime beaucoup la quantité de personnages secondaire créés par la série. C'est un peu la recette du film catastrophe : il faut pouvoir s'attacher à de nombreux personnages pour que le massacre final puisse plus nous toucher (je crois deviner que ce sera la fonction du malheureux petit garçon Evandre que de se faire tuer dans le dernier épisode et peut-être même à cause de l'agent Xanthius).

Dolon est très différent de la version du chant X de l'Iliade. Ici, il est le frère de Briséis qui était venu espionner Achille et c'est lui qui révèle à Hector que le Péléide fait la grève.

On s'attend à ce que cela conduise aux offensives troyennes victorieuses des chants V-VIII mais il y a un retournement dramatique quand Dolon est capturé et doit trahir sa cité de crainte de porter du tort à Briséis. Pauvres Troyens, ils n'ont jamais l'occasion même éphémère d'un faux espoir.

J'admire beaucoup la manière dont le scénario ne cesse d'obtenir des effets en préfigurant le Cheval de Troie. Dans la série (épisode 3, je crois), Achille était entré dans la Cité en se déguisant en mouton et à présent Dolon (qui dans l'Iliade se déguise en Loup) trahit sa Cité en ouvrant les portes et en faisant sortir les chevaux troyens (alors que le plan final consistera à en faire entrer un derrière ces Portes Scées). "City of Horses No More" s'exclame Ajax.

Dans le Chant X, Ulysse et Diomède partent en razzia pour voler les chevaux de Rhésos et croisent Dolon en chemin. Ici, Ulysse, le stratège d'Agamemnon, n'a pas besoin d'y aller, il manipule Dolon pour faire perdre leur cavalerie aux Troyens.

Je m'attendais à une longue ambassade (celle du Livre IX) pour faire revenir Achille comme les séries aiment bien ce genre de dialogue (l'ambassade qu'ils avaient inventée en Cilicie pour aller chercher l'aide d'Eetion était assez longue) mais j'ai été étonné à quel point ils expédient cette mission sans trop de ménagement. Ils ont retiré Phoinix et leur Nestor est un peu inutile. Ulysse est impatient et insulte presque Achille tout en suppliant Patrocle de lui donner au moins des Myrmidons.

Achille fait une exégèse un peu lourde sur leur opposition : Ulysse représente la victoire à tout prix, la survie, le pragmatisme roué, Achille ne peut se battre que pour une cause qu'il juge honorable et il a perdu toute confiance en l'Atride. Achille et Ulysse sont tous les deux des favoris d'Athéna mais on sait que les héros incarnent des vertus opposées, l'ardeur qui cherche la gloire et la prudence qui cherche la longue vie par les détours de la ruse. Tout le jeu de l'épopée est de vibrer pour le choix d'Achille (ou peut-être plutôt celui de Hector) alors qu'on sait bien au fond de nous que c'est le choix d'Ulysse qui est le principe de réalité.

mercredi 6 juin 2018

Troy: Fall of a City (Episodes 1-4)


La mini-série (en 8 épisodes) écrite par David Farr commence avec un parti-pris original, se centrer sur Paris.

Hécube (Frances O'Connor), Priam (David Threlfall), 
Paris (Louis Hunter), Hélène (Bella Dayne), 
Hector (Tom Weston), Andromaque (Chloe Pirrie)


L'habitude est de se focaliser sur Achille ou à la rigueur sur Hector alors qu'ici, c'est Paris Alexandre, le fils abandonné, qui est le héros tragique, maudit depuis sa naissance et qui doit causer la perte de sa Cité. Au lieu d'être le lâche efféminé habituel (l'homme de l'Amour et non de la Guerre, mais qui déclenche la Guerre par Amour), Paris est certes sensuel, en bon serviteur d'Aphrodite, mais il est déterminé, courageux et plein de sentiment de culpabilité (ce qui semble être relativement loin du Paris de l'Iliade) et le pauvre Hector est au contraire un peu caricaturé comme le butor plus borné, bon fils, bon mari mais un peu simplet.

La série a fait le choix de représenter les Dieux, ce qui devient rare dans les fictions contemporaines (voir Age of Bronze qui les a tous retirés sauf Thetis, qui a été évhémérisée). La scène du Jugement de Paris est donc conservée tout comme l'intervention d'Aphrodite pour sauver Paris (l'équivalent du chant III de l'Iliade à la fin du 4e épisode).

L'enlèvement de Hélène a plusieurs détails originaux, comme l'idée d'un triangle avec Hermione (il est expliqué ensuite que Hélène l'a eue à 14 ans et que celle-ci ne doit guère avoir plus maintenant qu'une quinzaine d'années également). Ménélas semble ouvert à l'idée d'une alliance avec Troie où Paris serait fiancé à Hermione mais celle-ci sent que son promis lui préfère sa mère. Il est clairement dit que Hélène ne s'épanouit pas dans la maternité et qu'elle n'a pas d'affection pour Hermione (elle dit dans l'épisode suivant que Hermione qu'elle a abandonnée est plus la fille de Ménélas que la sienne).

C'est presque Hélène qui force Paris à l'enlever et qui demande à Hécube ensuite de la protéger au nom de la solidarité féminine. Troie est clairement ici non pas seulement la cité d'Aphrodite (cité de Paris et d'Enée), c'est une cité plus féministe où Priam acceptera l'enlèvement en disant que Hélène a le droit de choisir son mari.

Un autre triangle est ici avec Achille (qui dans cette version remplace Ulysse dans la mission d'espionnage pour tenter d'enlever Hélène). Cette Hélène n'a pas choisi Ménélas, on le lui avait imposé (c'était en fait Agamemnon qui avait gagné la compétition et la préférence d'Hélène serait allée plutôt à Achille avant que n'arrive Paris). Achille est décrit comme une sorte de force de la nature (il se compare à la Mer, sa mère), une machine à tuer qui se préoccupe pourtant de l'Honneur.

Le 3e épisode voit croître l'opposition entre Hector et Paris au moment où ils partent chercher l'alliance des Ciliciens (et où Andromaque, qui vient de tomber enceinte, maudit de plus en plus le charme toxique de Hélène). Le scénariste David Farr a fusionné ici en Cilicie la cité de Chrysé, père de Chryseis et prêtre d'Apollon et celle d'Eetion, le père d'Andromaque, ce qui rend la prise de Chryseis plus dramatique car elle a lieu quand les Troyens perdent l'allié qui pouvaient leur permettre de briser le Siège conçu par Ulysse.

Involontairement, c'est Hélène qui va causer la destruction de la Cilicie en laissant transparaître l'alliance à Achille. Andromaque ne pourrait que détester Hélène encore davantage si elle savait que c'est elle qui fut l'origine de la mort de sa famille. Et une des intrigues est que les Grecs ont un agent dans la Cité, Xanthius, qui tuera le seul témoin qui a pu voir Hélène parler avec Achille (alors que Hélène avait tenté d'acheter son silence).

Les Oracles d'Apollon (tout comme Cassandre, bien entendu) supplient en vain Hector d'empêcher Paris de ruiner la Cité mais quand Paris sauve la vie de son frère, celui-ci n'arrive plus à commettre le fratricide réclamé par Apollon.

Le sinistre Agamemnon a une scène ambiguë avec Chryséis où on croit un instant qu'il veut la respecter car il voudrait s'amender du sacrifice d'Iphigénie (Chryséis est dédiée à Apollon comme Iphigénie est dédiée à Artémis). Mais ensuite, l'Atride viole Chryséis avec d'autant plus de violence qu'il veut en fait se venger des Dieux et commettre volontairement un blasphème par déplacement de sa culpabilité envers sa fille sacrifiée. Les scénaristes en ont fait un peu des tonnes pour qu'on méprise le chef des Grecs.

Ulysse (Joseph Mawle) est assez parfait, guerrier involontaire qui ne cesse de concevoir des plans en espérant que cette guerre ne dure pas trop longtemps. Dans cette version, c'est son ami Diomède et non Palamède qui va forcer Ulysse à abandonner sa simulation de folie pour participer à la guerre. On aurait alors du mal à comprendre pourquoi Ulysse se lie tant à Diomède alors que dans le mythe, il fera tout pour se venger du pauvre Palamède.

Enfin, il y a de multiples autres personnages secondaires, dont Ajax, qui est une brute épaisse, ou le mesquin Thersite qui représente l'irruption du peuple dans le camp grec.

Globalement, j'aime certaines des idées de scénario qui crée des échos intéressants. Il y a des scènes parfois un peu ridicules comme celle où les servantes d'Hélène à Sparte se caressent avec des plumes (allusion à Léda). Ce pauvre Priam manque un peu de dignité (alors que la Reine Hécube (Frances O'Connor, né en 1968) a plus de charme). Le ménage à trois d'Achille, Patrocle et Briséis ne m'a pas paru très convaincant (si ce n'est comme reflet inversé de la haine de Chryséis contre Agamemnon). J'imagine qu'ils n'ont pas trop le choix : si on insiste sur un amour pour Briséis (comme dans le film récent Troy de 2004, écrit par David Benioff), on paraît gommer les interprétations homoérotiques avec Patrocle, mais si à l'opposé, si on ne parle que de la relation avec Patrocle, la réaction après l'enlèvement de Briséis devient un peu ridicule. D'où le triolisme comme synthèse. De même le fait qu'Achille semble tenter de violer Hélène ne cadre pas bien avec le reste de sa caractérisation.

dimanche 3 juin 2018

Jeux de plateau sur la biologie


BoardgameGeek a déjà cette liste.

Clades (& Clades Prehistoric pour les clades d'espèces éteintes)
Jeu de cartes pour enfant (à partir de 6 ans) par l'excellent Jonathan Tweet où on doit réunir trois cartes soit du même clade, soit du même environnement soit de même couleur. Surtout fait pour apprendre la taxinomie scientifique.

Cytosis
Un jeu par John Coveyou de "placement d'ouvriers" sur les différentes parties d'une Cellule, avec un matériel magnifique. Chaque joueur représente une cellule qui doit gagner le plus de Points de Santé en optimisant ses points d'ATP (adénosine triphosphate, la ressource du jeu qui permet d'acheter les autres effets) tout en résistant aux virus. Il a l'air impressionnant de détails authentiques.

Evo
Pas très scientifique ou didactique comparé aux autres dans cette liste mais un jeu de Philippe "Smallworld" Keyaerts où on doit faire muter des animaux alors que le climat change graduellement et que le mésozoïque va bientôt s'écrouler dans une pluie de météores.

Evolution (2014)
La version plus compliquée du précédent (ou plutôt une mutation à partir d'Origin of the Species, 2010 du plus ancien Quirks, 1980 qui avait été réalisé par le grand Bill "Cosmic Encounter, Dune" Eberle). Recommandé par Nature.

Go Extinct!
Jeu de cartes pour enfants, une variante légèrement plus stratégique de Go Fish! (en français, je crois qu'on dit Les 7 Familles) où on doit réunir les clades de tétrapodes les plus proches dans l'arbre de l'évolution. A été recommandé par Jonathan Tweet comme un jeu d'introduction proche de Clades.

Pathogenesis
Jeu avec cartes et dés. Chaque joueur représente un élément pathogène qui cherche à infester des zones du corps et doit résister aux défenses. Ca a l'air assez joli (même si un hypocondriaque comme moi préférera en fait jouer les défenses immunologiques que les virus).

Primordial Soup
Chaque joueur est un groupe d'amibes qui doit muter et se multiplier en occupant une niche écologique. L'originalité d'Ursuppe est que si on éradique un adversaire, on peut aussi risquer de perturber un équilibre dont on avait soi-même besoin pour survivre. Hélas un peu long (et allemand, donc à la présentation... sobre). On programme ses mutations (achat de gènes) et ensuite on voit les combinaisons et effets dans les phases où on dérive dans la Soupe Primordiale en mangeant les détritus des autres (ou les autres si on est devenu un prédateur).

Virulence
Un jeu de cartes un peu abstrait et rapide sur des compétitions entre virus. Moins complexe et immersif que Pathogenesis mais fait par John Coveyou, l'auteur de l'excellent Cytosis qui dirige la compagnie Genius Games sur les jeux didactiques.