Depuis septembre dernier, DC Comics a décidé de relancer ("
rebooter") tout son univers fictif de superhéros. Cela a fini par me lasser complètement. Bien qu'ancien fan, je pense de plus en plus à sortir de ces pseudo-continuités qui ont besoin pour choquer le lecteur de tout redémarrer tous les ans. Il y a un point dans la fiction où cela devient difficile d'apprécier chaque histoire comme un conte sans aucun rapport avec les précédents.
Mais dans le cas de
Wonder Woman, pour ne parler que d'elle, il faut reconnaître qu'elle est redevenue un peu plus intéressante que ces dernières années. C'est
Brian Azzarello au scénario et
Cliff Chiang aux dessins, la même équipe que sur l'excellente série limitée de 2007
Doctor Thirteen: Architecture and Mortality.
Des dieux
Azzarello fait le même pari que d'autres scénaristes avant lui de tout recentrer sur la mythologie grecque. Dans le premier épisode, l'antagoniste principal n'est plus comme d'habitude les ennemis trop utilisés
Arès ou
Circé mais
Héra qui passe tout son temps à chercher à éliminer les maîtresses et enfants illégitimes de son mari
Zeus. Ceux qui connaissent le jeu de rôle récent
Scion où on joue de tels "enfants" de divinités reconnaîtront la même atmosphère où on voit que depuis deux mille ans le Roi de l'Olympe n'a rien perdu de sa libido et continue d'essaimer sa semence à travers la planète.
Cela le conduit à son
retcon majeur, que je me permets de révéler comme il traîne depuis des semaines sur de nombreux sites (comme d'habitude, je vais quand même l'écrire en
rotation de 13 caractères pour ceux qui voudraient lire les trois premiers numéros sans le voir écrit à l'avance) :
Jbaqre Jbzna qépbhier dh'ryyr a'rfg cnf aé q'har cneguéabtraèfr qr fn zèer Uvccbylgn znvf dh'ryyr rfg ra eényvgé yn svyyr q'ha nzbhe rager Uvccbylgn rg Mrhf. Mais comme d'habitude, cela pourra vite être "
retconné" et j'ai du mal à croire encore qu'une telle révision puisse tenir très longtemps chez DC Comics (surtout que
qh grzcf qr yn irefvba qr Trbetr Crerm, Mrhf ninvg rffnlé qr féqhver Jbaqre Jbzna - Ha nhger qésnhg rfg dhr pryn ergver gbhg ha nfcrpg qh crefbaantr pbzzr "Cnaqber", har brhier negvsvpvryyr bh ha Tbyrz qr sézvavgé. ).
Azzarello a d'autres idées intéressantes, qui, je pense, doivent venir des théories post-frazeriennes (en partie discréditées mais si suggestives) de
Robert Graves sur le "
Totémisme" il y a cent ans. Graves était un classiciste mais, comme toute l'école anthropologique britannique du début du XXe siècle, il avait pris conscience du fait que les Grecs anciens, malgré tout le "Miracle grec", pouvaient en partie être comparés à des découvertes plus récentes sur les autres peuples. Graves avait donc des interprétations parfois curieuses (comme lorsqu'il dit que le mythe d'Orphée est sans doute le déguisement d'un rituel autour de Totem Renard parce qu'il est dit que les Ménades qui tuèrent Orphée avait des peaux de renard). Azzarello relie plus nettement les Olympiens grecs à des sortes de Totems animaux.
Héra n'a pas seulement pour attribut ou animal de compagnie le Paon aux yeux d'
Argos, elle
est ici la Déesse Paon, ce qui la rend plus inquiétante et inhumaine, et
Hermès n'a plus des sandales ailées, il a littéralement des serres d'aigles à la place des pieds, comme s'il était identique à l'Aigle de Zeus. En revanche, la déesse
Eris,
Discorde (
Strife), est ici, comme chez Homère, la fille de Hera et de Zeus, et non de la Nuit, comme chez Hésiode, et elle a des traits qui font plus penser à une
Endless comme Désir ou Désespoir chez Neil Gaiman. Les histoires à venir vont aussi voir Wonder Woman lutter contre les deux frères de Zeus qui veulent reprendre le Trône,
Poséidon et
Hadès.
Il est drôle que des scénaristes comme Greg Rucka ou Brian Azzarello, plutôt connus pour des histoires policières sombres, aient été si à l'aise en développant une atmosphère nettement moins réaliste pour ce personnage de Wonder Woman. Sans grand succès autre que critique cependant.
Tout cela serait donc très bien - même si j'aimerais que cette malheureuse Hera ne soit pas autant réduite à une simple mégère unilatérale, même si c'est conforme à de nombreux mythes grecs si misogynes. Mais j'ai quand même un doute légitime.
De l'éternel retour du Même
Wonder Woman ne se vend jamais très bien, comme une forte majorité des lecteurs de comics sont des hommes qui veulent lire des histoires sur des superhéros masculins. DC Comics n'arrête jamais complètement le titre parce que le personnage a plus de notoriété publique que de lecteurs mais l'éditeur est toujours condamné à des trucs commerciaux, à le relancer périodiquement avec une "Nouvelle Direction" pour tenter d'attirer un nouveau public.
Cela conduit toujours à ces oscillations lassantes tous les ans :
(1) un scénariste arrive en disant qu'il va "retourner aux sources mythologiques" (par exemple George Perez en 1986, ou John Byrne qui joue même avec l'idée de faire de Wonder Woman une Déesse à part entière du Panthéon olympien, ou plus récemment Phil Jimenez qui avait ajouté d'autres panthéons pour rendre les Amazones moins grecques, ou bien Greg Rucka qui avait fait renverser Zeus par
Athéna),
puis
(2) un autre scénariste arrive et détruit l'île des Amazones en disant qu'il veut rendre Wonder Woman plus accessible du public américain en la réinsérant dans un cadre plus réaliste (par exemple Allen Heinberg qui voulait jouer à en refaire un agent secret dans un style plus "Emma Peel" ou bien JM Straczynski qui essaye de prendre un peu plus de distance à l'égard de tout le mythe des Amazones), et
(3) retour à
(1).
J'ai beau préférer un axe du premier type, je sais bien que DC Comics ne lui donne jamais sa chance très longtemps et que Wonder Woman changera à nouveau d'origines. Les Amazones se font déjà massacrer par la déesse Discorde dans le numéro 2 mais elles se feront encore génocider plusieurs fois avant la fin de la décennie avec de nouveaux scénaristes qui voudront faire "
table rase" du travail précédent. Il n'y a que la planète Krypton de Superman qui doit se faire plus détruire que l'île de Themiscyra.
Un autre aspect qui peut un peu rebuter ou au contraire attirer dans cette version est que le dessinateur Cliff Chiang veut rompre en partie avec une convention graphique "irréaliste" sur les Amazones. Les dessinateurs en faisaient des mmanequins selon nos canons esthétiques et ici elles deviennent des colosses épaisses comme des armoires et au look de Camionneuse, ce qui doit sans doute mieux convenir à ce que serait une société de Guerrières. Brian Azzarello rétablira d'ailleurs peut-être un jour le lien réel entre les Amazones et le brutal
Arès, qui n'est pas l'opposition que l'on voit dans la plupart des histoires de Wonder Woman.
Il reste à voir si Azzarello va réussir enfin - si on lui laisse un peu de temps - à créer autour de Wonder Woman un "ensemble", un "entourage" de personnages secondaires (
Supporting Cast) qui puissent être intéressants sans non plus trop l'éclipser.
George Perez n'y était pas vraiment arrivé avec
Steve Trevor et
Etta Candy, le couple des amis, ou avec
Julia Kapatelis, la prof de grec ancien qui devient sa "confidente". John Byrne tenta à nouveau une sorte de "petit ami", le détective
Mike Schorr, sans succès, et une confidente qui jouerait le rôle de Kapatelis,
Helena Sandsmark (qui coucha d'ailleurs avec Zeus, elle aussi et est la mère de Wonder Girl II). Jimenez essaya un nouveau petit ami assez original,
Trevor Barnes, mais il fut vite tué ensuite (le problème des amis masculins de WW est qu'ils souffrent toujours du syndrome de l'Homme Incompétent mis en danger par Wonder Woman mais qui ne peut rien faire sans elle). Rucka ajouta un ami plus mythique, un Minotaure,
Ferdinand mais on l'a vite oublié (Byrne avait aussi utilisé le Centaure
Chiron). Heinberg avait l'agent secret sarcastique
Tom Tresser comme nouveau petit ami mais cela n'a pas pris. Gail Simone a vaguement essayé de l'humour en mettant tout un entourage de Gorilles albinos intelligents. Mais on n'a rien d'équivalent à
Alfred pour
Batman ou
Lois Lane pour
Superman depuis que Steve Trevor est devenu un simple mari de l'une de ses amies.
Un dernier problème de Wonder Woman est que même si le cadre mythologique grec peut fasciner, on craint toujours que ce cadre ne soit finalement toujours plus intéressant que le personnage lui-même. C'est peut-être une raison pour laquelle ses histoires sont si peu mémorables : Wonder Woman a du mal à être développée pour elle-même. Elle semble toujours avoir besoin d'autres personnages plus humains pour pouvoir enfin "exister" un peu comme un simple prétexte. Elle alterne les phases où elle est simplement une sainte irréelle et celle où, pour lui trouver quelques défauts, les scénaristes en font une donneuse de leçons moralisantes. Mais en un sens, Superman a un peu le même problème dès qu'il n'a plus ses collègues et amis du
Daily Planet pour l'ancrer dans l'humanité.