vendredi 26 février 2010
Comics d'hiver 2010
J'ai cessé les recensions de comics parce qu'elles devenaient encore plus répétitives que leur contenu.
Ce que je préfère dans le Genre des comic-books de superhéros est leur extraordinaire "Principe de continuité", cette impression de trames narratives qui dépassent la simple expérience d'une histoire créée par un individu (et je suis très curieux de voir ce que cela donnera dans quelques décennies quand les copyrights finiront par tomber et que les personnages sortiront enfin de leur statut de licenses commerciales pour passer à leur destin de purs mythes).
Mais le plus pénible à l'inverse est cette impression d'éternel retour, de faux changement perpétuel cyclique où tout est révolutionné pour mieux être restauré ensuite, où plus personne ne peut plus ressentir quoi que ce soit devant un événement puisqu'on sait d'avance qu'il sera annulé, où il n'y a que du drame mais plus de possibilité de perte tragique (et tout cela à cause du personnage du Phénix dans les X-Men, qui symbolise mieux que les autres dans son nom même ce culte de la palingénésie).
En ce sens, le comic plutôt raté Paradise-X de Ross et Krueger avait réussi la plus adéquate des métaphores auto-référentielles avec cette histoire où la Mort avait été abolie et où les personnages regrettaient sa disparition. Ce que nous avons perdu, sans doute définitivement (sauf pour les plus jeunes lecteurs), est ce sentiment de perte potentielle.
Umberto Eco avait dit dans un article que les comics DC des années 60 étaient dans le temps mythique de l'éternel présent où rien ne change. C'était discutable car les deuils y étaient plus réels qu'à présent et les changements s'accumulaient par additions. Certes, Superman ne pourrait jamais vraiment mourir (sauf dans ce qu'on appelait les "Histoires Imaginaires" qui suivaient un autre monde possible) mais on savait que les parents de Kal-El ne reviendraient jamais à la vie et qu'il ne pouvait qie contempler mélancoliquement ce passé irréversible en voyageant dans le temps. Le deuil était certes un élément immuable dans l'essence du personnage mais cela permettait une relative historicité.
A présent, la méthode Marvel du changement et de la pseudo-historicité a mis fin à cet Âge d'innocence mais le changement y est encore moins réel. Bucky a ressuscité, Gwen Stacy a ressuscité, les parents Kents vivent et j'imagine qu'il doit y avoir assez de différentes versions de Krypton pour que Kal-El soit à jamais ridicule s'il voulait pleurer sa planète détruite. Les comics s'auto-parodient dans toutes ces histories récentes où tout le monde meurt et où tout le monde revient en zombies. Mais l'histoire parle du Genre des superhéros lui-même qui semble zombifié depuis les grandes déconstructions des années 80 (Watchmen, et la tentative vaine de reconstruction nostalgique dans les années 90 avec Supreme). Le Zombie ne peut pas être vraiment tragique, il ne peut plus être au mieux que pathétique ou grotesque. C'est donc la gradation : Innocence un peu brute de l'Âge d'Or, Innocence plus construite de l'Âge d'Argent, Développement du réalisme mélodramatique de l'Âge de Bronze, Ultra-Violence Sombre de l'Âge de Fer et enfin Zombification de notre Âge actuel.
Une des raisons pour lesquelles DC avait détruit son Multivers des Terres Infinies en 1985 était le principe modal esthétique discutable : "Si tout peut arriver, plus rien n'a d'importance". Les comics de superhéros devenaient des récits portant sur le fait qu'ils ne sont que des récits éternellement malléables (il ne semble pas que Marvel et les séries What If?, Excalibur ou Exiles en aient tiré cette crainte car ils restaient plus périphériques dans leur cosmologie). Mais les résurrections ont rendu ce problème bien plus grave que l'auto-référentialité du Multivers. Désormais, le principe de Continuité est donc assez secondaire par rapport à un principe du Chaos : tout arrive, mais tout s'accumule dans des directions contradictoires, on doit apprécier chaque fragment de ce Chaos, des histoires en des mondes incompatibles et non plus la cohérence ou la succession.
Le vrai problème actuel (comme le résume bien cet article sur les origines de Batman) n'est pas vraiment de sauver cette cohérence mais de reconstruire d'autres évolutions nouvelles du Genre. C'est pourquoi la série télévisée Heroes fut si décevante : en seulement deux saisons, elle avait récapitulé en son "hommage" aux X-Men toutes les erreurs du Genre et s'était irrémédiablement figée dans un cycle de morts, de futurs alternatifs et de résurrections.
- Adventure Comics #508
Cet épisode par Geoff Johns est directement transparent dans sa volonté de faire une métaphore sur les comics. Le Superboy de Terre-Prime, l'un des seuls survivants du Multivers d'avant la Crise de 1985, était devenu le principal ennemi pendant Infinite Crisis et Final Crisis. A présent, il vit sur une Terre "normale", indiscernable de la nôtre et passe son temps à lire des comics en trollant les autres fans sur des forums Internet, mise en abyme repoussante du Geek.
Le criminel psychopathe, ancien héros déchu, dévaste les studios de DC Comics (et menace même physiquement son auteur Geoff Johns, en hommage à la relation qui existait entre Animal Man et son créateur Grant Morrison), en leur demandant pourquoi il n'a pas droit lui aussi à un happy ending ou à une rédemption.
La fin est particulièrement cruelle et perverse, en jouant sur nos attentes narratives. Le Superboy raté n'aura jamais droit à son happy ending et les auteurs reconnaissent qu'il n'y a aucune justification ou "théodicée" possible de cette "essence" qu'ils ont choisie pour le criminel.
- Doom Patrol (vol. 4) #7
Cet épisode confirme que la nouvelle série hésite vraiment sur son statut et voudrait rendre compatibles les identités complètement contradictoires des incarnations passées de l'équipe : aussi bien l'équipe bizarre de l'Âge d'argent, la folie surréaliste des années 90 quand Grant Morrison s'y psychanalysait et la vague tentative de restauration dans un sens plus "traditionnel" de ces dernières années (quand John Byrne avait tenté d'effacer toute la version de Morrison). Cela donne un patchwork un peu indigeste où l'absurdité de Morrison va être revisitée en un sens un peu plus X-Men et on peut comprendre pourquoi Byrne considérait que la période morrisonienne était une anomalie trop différente. On a donc le retour de l'Homme-Minéral-Végétal-Animal de l'Âge d'argent, le vilain au nom le plus raté de toute l'histoire des comics, mais aussi de Crazy Jane, l'héroïne psychotique aux 64 personnalités.
- Green Lantern #51
Le numéro est assez typique de la méthode de Geoff Johns : chercher une histoire qui a déjà bien marché et en refaire une sorte de remake hyperbolique pour en accentuer l'effet de choc. Hal Jordan redevient donc "Parallax", l'entité de Peur, le temps d'affronter la version zombifiée du Spectre. Le Spectre est l'Ange du Châtiment (et le Dieu de l'Univers DC est vraiment très maladroit de le laisser ainsi se faire contrôler par à peu près n'importe qui). Hal Jordan fut l'ancien avatar du Spectre quand il mourut et avant que Johns ne crée l'idée de l'entité Parallax pour le disculper. La construction de Blackest Night et la zombification des personnages morts permet ainsi à Johns de relier toutes les dernières identités du personnage. L'originalité dans l'ambivalence est le fait que les personnages négatifs comme les Lanternes Rouges ou Jaunes rejoignent les Lanternes Vertes contre Nekron.
- Blackest Night #7/8
La surenchère de puissance me fait un peu penser à ces combats interminables de certains Mangas. Les différents membres de l'Univers DC ont reçu un anneau : Flash a un anneau bleu (Espoir), Wonder Woman porte un anneau violet (Amour), Atom a un anneau indigo (Compassion), Mera un anneau rouge (Rage), l'Epouvantail un anneau jaune (Peur) et Lex Luthor dispute l'anneau orange (Convoitise). Le retournement est la découverte d'une nouvelle entité de plus (après Ion, l'entité verte et Parallax, l'entité jaune), une pure entité de Vie que Nekron veut tuer.
Les Gardiens de l'Univers révèlent alors qu'ils avaient menti et que c'est la Terre et non Oa (ou plus exactement d'ailleurs Maltus) qui est la planète originelle. Cela me semble une idée absolument déplorable, qui détruit une des idées centrales du mythe des Green Lanterns, l'expérience fondamentale du décentrement (typique de la science-fiction) où les Terriens découvraient qu'ils surévaluaient leur importance dans le Cosmos. Cela contredit bien sûr presque toutes les histoires précédentes et anéantit tout un pan de la mythologie DC (même si pendant la série Millenium de 1988, où les Gardiens annonçaient la création d'une nouvelle génération de Gardiens, une prophétie avait dit que la Terre serait en quelque sorte la future Oa).
Geoff Johns abuse souvent de révisions "conservatrices" en ce sens et il est même plausible qu'il soit plus ou moins guidé par des préjugés religieux dans ce nouveau "géocentrisme". La péripétie amusante est que cela change la perspective sur la mort d'Abin Sur : il serait mort en partie parce que les Gardiens voulaient cacher le secret de la Terre, et Sinestro aurait alors trahi le Corps des Green Lanterns à cause de cet abandon de son ami Abin Sur.
- The Great Ten #4/10
L'équipe des superhéros du Gouvernement chinois continue à affronter les êtres qui croient être les Dieux traditionnels du panthéon. Dans cet épisode, le boddhisatva Esprit-de-foudre a identifié les Dieux comme des humains modifiés par une technologie extraterrestre. L'Immortel-dans-l'Obscur (un pilote greffé à un avion, une sorte de Dragon techno-organique qui le vampirise) réussit même à abattre à Shanghai le dieu Feng Po et on apprend que c'est cette même technologie qui fait fonctionner cet avion invisible.
Tout cela serait vraiment bien, si ce n'était pas dessiné par Scott McDaniel.
- Justice League of America (vol. 2) #42
Le nouvel auteur britannique James Robinson (qui collabore toujours aussi sur Superman) écrit une histoire très compétente, qui se déroule semble-t-il après la fin de The Blackest Night. L'ancienne Ligue avait été éprouvée quand certains membres autour de Green Lantern avaient refusé l'autorité de Black Canary et étaient partis dans une vendetta contre les assassins du Martian Manhunter. L'équipe est refondée avec certains des membres anciens (Atom, Green Lantern, Green Arrow et Black Canary), plus certains anciens membres des Titans (le nouveau Batman, alias Dick Grayson, ex-Nightwing, Donna Troy, Cyborg, Starfire) plus Mon-El (pour remplacer Superman, qui est toujours absent) et quelques choix curieux (Dr Light II, qui avait déjà été membre de la Justice League International, Congorilla et The Guardian). On sait bien que l'ancien Batman et le vrai Superman finiront par revenir mais cela donne une certaine illusion de progression avec cette accession des Titans au poste de Ligueurs (comme lorsque certains New Warriors étaient devenus Vengeurs). L'histoire a l'air centrée sur la vengeance de Green Arrow, qui chercherait à venger la destruction de Star City (exactement comme Green Lantern était devenu Parallax après la destruction de Coast City). J'espère que ce n'est qu'une fausse piste car l'écho serait vraiment lourdement répétitif. Dans la méthode nostalgique actuelle, Robinson me semble avoir pour l'instant beaucoup utilisé l'histoire riche de la Continuité mais compenser cela par l'invention de nouveaux éléments comme de nouveaux "Dieux de Néo-Genesis" (dommage qu'on ait atteint la saturation sur le Quatrième Monde avec la Crise Finale).
- Justice Society of America #36
Les comics, c'est un peu l'art d'accomoder les restes, faire du neuf avec du vieux.
Ici, je crains que Bill Willingham ne commette encore la même erreur que Geoff Johns en enfermant l'équipe dans ses origines de la Seconde Guerre mondiale. Au lieu de lutter contre des Nazis du passé, ils vont donc se retrouver contre toute une équipe de Nazis du futur.
Je veux bien croire à de nombreuses formes de résurgences de formes de fanatisme mais je vois mal dans le Nazisme un péril à venir. Le sens en est toujours la nostalgie pour l'Amérique d'un manichéisme simple où elle serait ipso facto le Bien Absolu en luttant contre le Mal Absolu.
La JSA est la plus ancienne équipe de superhéros dans tout le Genre mais court toujours le risque d'être "en boucle" sur ses hauts faits d'il y a 70 ans. Elle a besoin de montrer qu'elle peut entrer dans une histoire qui soit un peu plus contemporaine, tout en gardant sa différence avec ses successeurs de la Justice League.
- R.E.B.E.L.S. #13
Rebels est l'équivalent pour l'univers DC de ce qu'est Guardians of the Galaxy pour l'univers Marvel, le titre qui sert de prétexte pour regrouper les personnages de space opera (l'humour anglais de Abnett & Lanning en moins).
L'histoire par Tom Bedard est de la sf habile et a l'avantage d'avoir des personnages vraiment ambigus avec un leader machiavellique, Vril Dox, alias Brainiac II, qui est à une frontière très mince d'être lui-même un "vilain". Bedard a même presque réussi à rendre Starro un peu inquiétant alors qu'il est un des personnages les plus ridicules depuis au moins 50 ans (on nous révèle que toutes les rencontres précédentes n'étaient qu'avec des sondes envoyées par Starro et non Starro lui-même).
- Wonder Woman #41
Pendant qu'Achille, après son mariage désastreux avec l'usurpatrice des Amazones, retrouve une réincarnation de son Patrocle, Diana affronte déjà les enfants semeurs de Discorde qu'Arès a engendrés avec les Amazones.
C'est surtout un prétexte pour voir Wonder Woman et Power Girl (sous contrôle) se taper dessus.
Je crois que j'ai le droit de désespérer de jamais lire un comic mythologique intéressant sur Wonder Woman (Van Lente sur Hercules se débrouille nettement mieux chez Marvel). Franchement, à part le bref épisode de Greg Rucka où Athena avait détrôné Zeus il y a 6 ans, je n'ai jamais eu l'impression que ce titre réussissait à faire quelque chose avec ses mythes.
L'équipe au dessin n'est pas l'artiste habituel Aaron Lopresti, comme c'est dit par erreur sur la couverture, mais Chris Batista, Fernando Dagnino, Doug Hazlewood et Raul Fernandez, ce qui donne des différences importantes selon la première et la seconde partie.
- Black Panther #12
Le plan du Docteur Doom pour prendre le contrôle du vibranium du Wakanda arrive presque à son achèvement lorsque la population locale manipulée par une sorte de Rush Limbaugh africain se soulève contre la dynastie royale. La nouvelle Panthère, Shuri, s'allie à Namor et aux Quatre Fantastiques mais T'challa commence à révéler le plan qu'il nous cache depuis le #1 de la nouvelle série (il rependra sans doute le rôle titre d'ici à quelques numéros et on retournera donc au statu quo).
- Guardians of the Galaxy #23
J'avais été un peu déçu par la résolution de l'histoire de Warlock dans Guardians of the Galaxy #17 et le titre a un peu eu du mal à reprendre pendant ces six derniers mois. Mais on nous révèle que la résolution ne s'était pas déroulée comme on le croyait.
Une des bonnes idées de cette histoire est d'inverser les valeurs. L'Univers Marvel fait face à un autre Univers où la mort a été abolie. Cela y est un désastre et tout cet Univers n'est qu'une immonde infection purulente inspirée de cauchemars lovecraftiens (ce qu'ils ont appelé le "Cancervers"). Abnett & Lanning utilisent donc pour la Vie et la Mort le gag traditionnel de la complémentarité Ordre/Chaos où aucun des deux membres ne pourrait valoir de manière absolue. Cela fait de Phyla, Héraut de l'Entropie, une nouvelle héroïne contre cet excès de Vie. Là encore, comme pour les Zombies, j'y vois une métaphore sur l'état des comics.
- Imperial Guard #4/5
Abnett & Lanning étaient les scénaristes de la Légion des superhéros au début des années 2000 et la Garde Impériale est un hommage direct à la Légion. Je m'attendais donc à plus de clins d'oeil au titre de la concurrence. Alors que Gladiator (=Superboy dans la LSH) s'habitue à son nouveau poste d'Empereur des Shi'ar sous vassalité des Kree, la Garde visite le nouveau "Cancervers" derrière la Faille ouverte et s'y font attaquer par la version "cancéreuse" des X-Men. Starbolt (=Sun Boy) meurt et cela semble pour l'instant la seule modification durable de cette mini-série (en dehors du développement de Mentor, = Brainiac 5, et du retour du Conseil Galactique qui regroupe les grands Empires interstellaires).
- Inhumans #4/5
J'ai cru encore à un Eternel Retour avec une nouvelle tentative de Maximus de prendre le pouvoir mais même un des personnages fait remarquer qu'on a déjà trop souvent vu cette intrigue. L'originalité semble donc être que Maximus travaille ici pour Medusa. Quant à l'évolution où Crystal tombe amoureuse de Ronan l'Accusateur, ici décrit comme un homme un peu brutal mais sincèrement dévoué à la cause de son peuple, je trouve cela assez peu cohérent avec les descriptions précédentes où Ronan était avant tout un arrogant et ambitieux Kree raciste.
mardi 23 février 2010
Labyrinthe et claustrophobie
Toute personne qui s'adonne de temps en temps à l'étude de la philosophie (et je ne sais pas si j'ai vraiment pu connaître le vrai vertige désorientant de "faire" quelque chose comme philosopher et non pas seulement d'en "consommer" passivement), doit connaître ces moments où on en vient à penser que les arguments et contre-arguments sont vains, de pures pétitions de principes ou (comme disait Daniel Dennett) une partie de tennis de la "charge de la preuve", ou que tous les problèmes eux-mêmes auraient quelque chose de sclérosés, de scolastiques et de trop coupés de toute réalité.
C'est ce que Platon appelait la "haine du discours" (voir la très bonne entrée de Wikipedia sur la misologie refaite par Proclos).
Telle est donc la fâcheuse mésaventure que nous risquons : alors qu'il existe en fait un argument vrai, solide et parfaitement discernable, sous prétexte que dans la suite nous en rencontrerions d'autres ainsi faits que nous les croyons tantôt vrais, tantôt faux, au lieu de nous en prendre à nous-mêmes et à notre incompétence, nous finissions par être tout contents de cesser d'en souffrir en nous déchargeant sur les raisonnements de notre propre responsabilité, passant dès lors le reste de nos jours à détester et à vitupérer les raisonnements, et nous privant ainsi de la science de ce qu'il y a de vrai dans le réel. --Phédon
En un sens, cette méfiance se voit dans les deux sens opposés que Platon et Aristote donnaient au mot "Dialectique". Pour Platon dans la République VI, la Dialectique est la science du Dialogue et des Divisions de l'être, où les oppositions doivent conduire aux premiers principes. Pour Aristote dans les Topiques, la Dialectique n'est plus que l'art d'étudier des points de vue opposés tous vraisemblables dans les questions qui n'admettent pas de vérité universelle et nécessaire (alors que le syllogisme scientifique sera le cas particulier où les prémisses sont nécessaires et l'inférence est valide). Toute personne dialectise en espérant une certaine confiance dans le sens platonicien et se rassure ensuite dans l'idée que c'est tout au plus un entraînement formel vers une éventuelle correction de quelques erreurs de l'opinion. La misologie est la phase où ce sens dégradé de la dialectique paraît trop décevant.
Via Leiter, ce petit article rhétorique du habermassien américain Raymond Geuss décrit bien cette auto-complaisance dans la réflexion.
The experience I have of my everyday work environment is of a conformist, claustrophobic and repressive verbal universe, a penitential domain of reason-mongering in which hyperactivity in detail—the endlessly repeated shouts of “why,” the rebuttals, calls for “evidence,” qualifications and quibbles—stands in stark contrast to the immobility and self-referentiality of the structure as a whole. I suffer from recurrent bouts of nausea in the face of this densely woven tissue of “arguments,” most of which are nothing but blinds for something else altogether, generally something unsavory; and I feel an urgent need to exit from it altogether. Unsurprisingly, Plato had a name for people like me when I am in this mood: misovlogos, a hater of reasoning. I comfort myself for being on the wrong side of Plato by thinking that I am also, at any rate, never unaware of the potentially questionable nature of this desire. One might be inherently suspicious of what is clearly the luxury complaint of someone who occupies what is in effect a very privileged position in a rich society; those suffering from debilitating diseases, struggling to get access to clean water, trying desperately to avoid the systematic attentions of a repressive state-apparatus, or enduring the more or less random violence of armed gangs in regions where public order has broken down might well be thought to have more pressing concerns. To that extent perhaps my reaction does not throw a morally flattering light on me. That does not, however, exhaust the objective disquiet my impulse causes me.
On sait qu'Héraclite fut sans doute le premier à en souffrir mais c'est Aristote, comme d'habitude, qui en trouva déjà le remède dans le poison, dans son texte de jeunesse platonicienne, le Protreptique : un peu de philosophie éloigne de la philosophie mais c'est dans l'examen même de ce rejet qu'on y trouve assez d'activité plaisante pour y revenir, malgré la frustration du labyrinthe inextricable. La voie du fil d'Ariane n'est pas de rêver des ailes d'Icare, ni de simplement nier les murs.
mardi 16 février 2010
rhapsodique
Ce blog commence à avoir du mal à être renouvelé. J'ai eu la mauvaise idée de créer aussi un Blog de classe que je mets encore moins à jour (et dont je crois avoir déjà oublié le mot de passe...).
Aristote ne sera pas commenté aujourd'hui pour cause de grève. Et parce que plus je lis Jean Philopon, moins je vois l'intérêt de répéter ce qui a déjà été fait au VIe siècle. (Message subliminal : allez voir Agora. Plusieurs fois).
J'ai entendu hier une prof de Thiais dire que lors de l'aggression dont son élève a été victime (attaque très organisée puisqu'ils avaient d'abord lancé des gaz lacrymogène) ils étaient en plein "cours de hip hop". Cela n'adoucit pas les offenses, visiblement.
Je suis très reconnaissant à Marvel Comics pour le numéro récent de Captain America (le #602) par Ed Brubaker où celui-ci voit passer une manifestation de ce stupide Tea Party. Pas tellement pour l'idée (les comics Marvel ont toujours suivi l'actualité) mais à cause des réactions hystériques des Geeks conservateurs (voir Mighty God King et Village Voice).
Les Palestiniens font un amusant détournement d'Avatar.
Zut, la prof de bio qui a assassiné ses collègues dans l'Alabama parce qu'ils la jugeaient instable (et qui avait déjà assassiné son propre frère dans l'impunité totale 35 ans avant) est une mordue de Dungeons & Dragons. Cela va encore améliorer l'image du hobby moribond.
mardi 9 février 2010
Mardi, Aristote continue petit à petit
Rappel :
2 Introduction au Livre I sur les Principes ; 3 Plan de Physique I, 2-9 ; 4 I, 9 Le principe de la matière ;
Rappel du plan des livres III et IV de la Physique : (1) la définition générale du Mouvement comme l'acte de l'étant en puissance en tant que tel (III, 1-3), (2) le problème de l'Infini en acte et en puissance (III, 4-8), (3) le Lieu où passe un Mouvement (IV, 1-5), (4) le Mouvement n'a pas besoin de l'existence du Vide (IV, 6-9) et (5) le Temps comme Nombre du Mouvement (IV, 10-14).
Le deuxième élément de la théorie du Mouvement exige de passer par la question de l'Infini (Apeiron), aussi bien l'Infiniment divisible dans l'espace et le temps que les étendues du Mouvement infini.
Ici encore, c'est l'opposition de l'être en acte et de l'être en puissance qui va donner la solution. De nombreux Présocratiques (comme Anaximandre, Anaxagore ou Démocrite) et même Platon (mais dans un enseignement oral sur le Bien qui ne nous est pas directement connu) parlaient d'un Infini comme "Principe" des étants et ici Aristote va chercher à sauver le Mouvement des risques que ce concept d'Infini impliquerait (III, 4). La réalité du Mouvement comme "acte de la puissance" va passer par la critique d'un Infini "en acte".
Pour réussir à suivre ce qu'Aristote dit de l'Infini et ensuite sur le Lieu au Livre IV, il faut essayer d'oublier un peu notre propre perspective de Modernes. Depuis au moins Descartes (voire les Epicuriens), nous voyons dans le Monde avant tout une étendue spatiale infinie, isotrope et uniforme, et nous pouvons distinguer l'Infini comme catégorie mathématique (en arithmétique et géométrie) et le silence des espaces infinis. Chez Aristote au contraire, le présupposé est bien que le concept du Lieu (topos) n'est pas notre "espace" cartésien, c'est celui d'une région orientée objectivement, avec un "haut" et un "bas" absolus (la Terre au centre étant le "bas" et la Sphère des étoiles fixes, Premier Mobile, à l'extrême périphérie, étant le "haut") et que le concept de "Sans-Limite" (ἀπείρων, ce qui n'a pas de "peiras", pas de borne) tel que semblent l'avoir utilisé les "Physiciens" pré-socratiques enveloppe l'Indéterminé total, la confusion d'une infinité d'éléments contradictoires. D'où certaines questions qui peuvent sembler absurdes si on n'arrive pas à concevoir le Sans-Limite aussi comme une sorte de "Nuit" mythique chaotique en-deçà de toute réalité bien déterminée. Les Physiologues milésiens cherchaient un élément fondamental (comme l'Air). Anaximandre avait l'air de parler de l'Apeiron comme une sorte de "substance" antérieure aux distinctions des corps physiques comme origine et principe de toute chose, un éther plus qu'un espace. De même, les Pythagoriciens et Platon auraient parlé de l'Infini comme d'une "substance". Toute la question d'Aristote est de donner un certain statut mathématique et physique à l'Infini tout en refusant d'en faire une vraie "substance" comme le sont "le Soleil" ou "les Etoiles".
Certains raisonnements peuvent sembler difficiles étant donné l'ambiguïté du concept d'Infini. Aristote évoque ainsi l'argument des "Physiologues" selon lequel l'Infini doit être un Principe sinon il y aurait un Principe antérieur qui agirait comme une limite qui le conditionnerait, et alors ce ne serait plus l'Infini.
- (1) le temps semble infini.
- (2) les grandeurs mathématiques semblent divisibles à l'infini.
- (3) ce qui est engendré et détruit doit tirer de cet infini son existence si ce qui a une origine sort de l'indéterminé.
- (4) tout être limité est borné par un autre être, donc il n'y a jamais de limite définitive.
- (5) Ce qui est au-delà du Ciel semble nécessairement sans limite et donc s'il y a cet infini, il y a une infinité de Mondes.
L'Infini se dit en plusieurs sens : (1) ce qui ne peut absolument pas être parcouru (le point), (2) ce qui peut être parcouru mais dont le parcours est trop difficile ou bien sans fin (l'Anneau sans chaton). L'Infini peut être soit par addition, soit par division, soit par les deux à la fois.
Si l'Infini était une substance réelle en soi, ce ne serait donc pas une propriété de la grandeur. L'Infini en soi devrait être une sorte de substance indivisible ou bien chaque partie serait à son tour Infinie et la Substance infinie serait alors composée de plusieurs Substances Infinies, ce qu'Aristote refuse.
De même s'il existait un Corps d'extension infinie, car ce Corps ne laisserait plus aucune place aux différents autres corps ou les absorberaient tous et il n'y aurait plus de diversité des propriétés physiques (les quatre éléments ou substances matérielles).
De plus, un Corps infini serait dans tous les lieux à la fois. S'il est homogène, nul ne pourrait alors dire s'il est en Mouvement local permanent ou bien immobile. S'il n'est pas homogène, il sera composé de parties distinctes et on revient encore au problème de l'existence de sous-parties distinctes infinies. Ces arguments sont notamment dirigés contre la théorie des homéomères d'Anaxagore (où chaque sous-parties élémentaires contient des proportions de toutes les qualités macroscopiques).
Les arguments d'Aristote sont ici clairement circulaires ou (pour être plus charitables) reposent sur un système simplement "cohérent" plus que démonstratif. Il prétend réfuter l'Infini par sa théorie des Lieux "naturels" de chaque élément (le feu vers le haut, la terre vers le bas, les échanges d'eau et d'air entre les deux) et la nécessité d'un centre de l'Univers et d'une orientation absolue alors que c'est justement une pétition de principe : les théories de l'Infini reviennent à refuser le centre.
Aristote arrive enfin à sa solution. Il n'est pas possible de dire que l'Infini n'existe tout simplement pas (car alors comment rendre compte de l'infinité des nombres) et pourtant l'Infini physique pose un obstacle à l'intelligiblité du Mouvement. La solution va donc être une sortie de l'aporie par la méthode habituelle de distinctions de plusieurs sens.
Il est évident que l'infini en un sens existe et en sens n'existe pas. En fait "être" se dit d'une part en puissance, d'autre part en entéléchie. Quant à l'infini, il existe d'une part en addition, d'autre part par division. (206a 13-16)
Être en puissance, c'est pouvoir être quelque chose ou ne pas l'être. Ici, l'Infini potentiel est donc la possibilité de continuer petit à petit, la possibilité de diviser sans s'arrêter mais sans qu'une totalité infinie ne soit jamais donnée en acte.
Cela oppose donc le Mouvement (acte de la puissance en tant que tel) à l'Infini (être toujours en puissance qui ne passe jamais à l'acte). L'Infini n'existe qu'en puissance dans le sens où le Jour est infini car il y a toujours un nouveau Jour. L'Infinie divisibilité ou Infini accroissement sont donc analogue à l'Infini en puissance du temps où il est toujours possible d'ajouter un nouveau pas.
C'est ici (207a) qu'Aristote introduit une définition de l'Infini qui a dû directement inspirer Lévinas dans son opposition si discutable Totalité et Infini : Essai sur l'extériorité. L'Infini n'est pas ce qui n'a rien d'extérieur mais au contraire ce qui a toujours quelque chose à l'extérieur de soi (hoû aei ti exô esti). Dans cette définition, il ne pourrait donc pas y avoir de Totalité Infinie (et pas d'idée d'un ensemble infini) car l'Infini n'est toujours que totalité en puissance, jamais en entéléchie, c'est ce qui a toujours de nouvelles parties et non pas le tout réalisé et accompli.
Aristote conclut (III, 7) que l'Infini n'est même utile en acte pour le mathématicien qui n'a besoin que de l'Infini potentiel pour diviser des segments dans la ligne. La matière continue est la seule réalité qui admet ces divisibilités potentielles mais en dehors du substrat, l'infini se réalise dans la grandeur ou quantité.
On remarque que la question de la Divisibilité à l'infini et des paradoxes de Zénon d'Elée n'a pas encore été traitée. Les détails de la théorie viennent ensuite dans ce qu'on appelle le Traité du Mouvement par la suite (Livre V-VI, avec le Livre VI consacré à la réponse aux arguments éléates).
Mais après les questions du Mouvement en acte et de la Continuité en puissance viennent les questions du Lieu (sans aucun Vide) et du Temps (qui n'a aucun infini sempiternel car l'éternel est hors du Temps et non un Temps infini).
Bévues d'un homme lamentable
La dernière gaffe de BHL (avoir cru à un livre-gag assez transparent sur le philosophe Botul, fondateur du Botulisme) est relativement mineure (surtout que cette fois, il l'a reconnu presque avec humour).
L'historien Pierre Vidal-Nacquet avait déjà démontré la nullité du personnage il y a 30 ans (la plus grosse preuve de son incompétence étant de dire que la Terreur de Robespierre était causée par son "athéisme" alors qu'il était au contraire violemment partisan d'une Religion civile et d'un culte obligatoire de l'Être suprême). Hélas toute cette critique n'avait eu aucun effet durable.
Add. Post inutile, je vois que l'article du Nouvel Observateur avait déjà rappelé ces faits anciens (sauf que je crois qu'à l'époque Jean Daniel avait plutôt pris parti contre la vérité).
L'historien Pierre Vidal-Nacquet avait déjà démontré la nullité du personnage il y a 30 ans (la plus grosse preuve de son incompétence étant de dire que la Terreur de Robespierre était causée par son "athéisme" alors qu'il était au contraire violemment partisan d'une Religion civile et d'un culte obligatoire de l'Être suprême). Hélas toute cette critique n'avait eu aucun effet durable.
Add. Post inutile, je vois que l'article du Nouvel Observateur avait déjà rappelé ces faits anciens (sauf que je crois qu'à l'époque Jean Daniel avait plutôt pris parti contre la vérité).
lundi 8 février 2010
dimanche 7 février 2010
Passionaria
On parle des ambitions présidentielles de Sarah Palin. On a raison de craindre en période de Crise son populisme du Ressentiment ("Les médias disent que je suis une idiote inculte, cela prouve que je suis de votre côté et que moi je vous respecte").
Et franchement, qui peut mieux incarner l'amabilité et l'esprit serein que l'ex-Gouverneur de l'Alaska (qui a démissionné pour pouvoir mieux prendre un poste chez Fox News) sur cette image de son discours au "Tea Parties" ?
samedi 6 février 2010
In saecula saeculorum
Le final des Dialogues des carmélites de Poulenc me paraît encore plus bouleversant et émouvant quand on n'en partage pas les intentions apologétiques et politiques.
Pour le Chrétien, ce massacre peut susciter ressentiment ou bien admiration pour le martyre dont il croit que l'exécution des 16 Bienheureuses de Compiègne aurait "apaisé la Terreur" selon un but providentialiste (cette thèse d'une efficacité du martyre a été sérieusement défendue).
Mais pour celui qui n'y croit pas au contraire, il ne peut qu'y voir un crime sans aucun sens, une mort d'innocentes pour rien. Il n'aura pas la trouble identification au bouc-émissaire mais peut-être même une forme de culpabilité envers le risque de son propre fanatisme en miroir de celui de la religion.
mardi 2 février 2010
Mardi, Aristote bouge toujours
Rappel :
0 Plan de la Métaphysique
1 Introduction et Plan de la Physique ;
2 Introduction au Livre I sur les Principes ; 3 Plan de Physique I, 2-9 ; 4 I, 9 Le principe de la matière ;
5 Introduction au livre II : les Quatre causes et leurs modalités (II, 3)
6 Le livre II : Définition de la Phusis, Hasard et Finalité
Pour une fois, Aristote annonce le plan des deux livres III et IV à la fois sur le "Mouvement" avec cinq éléments : (1) la définition générale du Mouvement (III, 1-3), (2) le problème de l'Infini et de la divisibilité du continu (III, 4-8), (3) le Lieu (IV, 1-5), (4) la critique du Vide (IV, 6-9) et (5) le Temps (IV, 10-14).
La définition du Mouvement (Livre III, 1-3, 200b - 202b)
Dans ces livres, le Mouvement (kinesis) est synonyme du Changement (metabolé) en général et c'est toujours quelque chose à rappeler puisque nous entendons à présent par Mouvement seulement le Mouvement "local". Ce n'est qu'au Livre V qu'Aristote distingue le Changement en général (qui peut être soit création/destruction d'une substance, soit mouvement) et le Mouvement qui peut être selon une des catégories de l'accident : mouvement selon le lieu, altération qualitative, croissance/diminution quantitative. Si on énumère toutes les catégories d'Aristote, il n'y a donc pas de "mouvement selon le temps" (cela aurait pu être l'accélération si Aristote avait réussi à la distinguer de la vitesse ?) ou de mouvement selon la "position" ou la "relation" (il dit que cela se ramène toujours à un mouvement selon la qualité ou la quantité : mais si j'étais le plus grand d'un groupe et que ce n'est plus vrai par un changement extrinsèque, serait-ce vraiment un "mouvement" pour moi ?).
La définition du Mouvement commence donc par un présupposé : le Mouvement n'est pas lui-même un accident ou un mode d'être de la substance. Le ceci a des "états" ou des manières d'être mais le mouvement n'est pas un état, il va être quelque chose advenant à ces manières d'être. L'état naturel est présupposé comme immobilité et le mouvement comme une condition ou un intermédiaire entre des états. Il appartiendra à Descartes et Galilée de considérer le mouvement (local) comme un état de la chose en créant le concept d'Inertie.
Le second présupposé est que le Mouvement n'est pas un grand Genre ultime ou un concept indéfinissable.
L'idée d'Aristote repose donc sur une théorie de l'être. Pour Parménide, l'être est éternellement vrai et le mouvement est donc un non-être. Pour Platon, le mouvement n'est pas défini en tant que tel mais le temps physique a été défini comme "image mobile de l'éternité immobile" (Timée). La définition du temps présuppose donc celle du Mouvement et le Mouvement est laissé comme un terme primitif indéfinissable (c'est pourquoi c'est l'un des cinq grands genres de Sophiste 254d : l'être, le repos, le mouvement, le même, l'autre).
L'analyse d'Aristote va réduire les primitives par une distinction nouvelle fondamentale : celle de l'être en puissance (δύναμις) et de l'être en acte (ἐνέργεια ou ἐντελέχεια). L'être se dit en plusieurs sens : il y a ce qui peut être (qui soit n'est pas encore mais sera ou bien qui peut soit être ou ne pas être) et ce qui a été réalisé, accompli, parfait, qui est "mis en oeuvre" (ἐνέργεια, actualité) ou est achevé, complet, qui a atteint son but (ἐντελέχεια, entéléchie). Les deux termes n'ont jamais été définis comme tels mais ils font l'objet du Livre IX (Θ) de la Métaphysique (Θ, 1-9 avec notamment Θ,7 sur l'actualisation).
La dunamis est donc à la fois la force ou le travail en activité et le potentiel alors que l'énergie est au contraire l'état réalisé (ce dernier mot, inventé par Aristote, comme "entéléchie" aura un destin très étrange dans la Physique pendant des siècles puisque on parlera dans la dynamique moderne d'"énergie potentielle", ce qui serait un pur oxymore chez le Philosophe - il est vrai qu'Aristote parle aussi d'entéléchie imparfaite en Physique VIII, 5. Sur l'energeia, voir ce qu'en dit Heidegger dans son histoire du concept d'Actualité dans le second volume de son livre sur Nietzsche, 1941). Le concept d'activité/énergie a été opposé à la chose/substance (voir "l'énergétisme" au XIXe siècle) alors que chez Aristote le premier était le vrai sens et l'épanouissement du second.
Quand on parle de ces deux sens de l'être (qui permet de redisposer les "grands genres" platoniciens de l'être et du mouvement), on pense souvent en termes modernes aux "Possibles" et au "Réel" comme Réalisation d'un Possible. Mais c'est parce que la philosophie médiévale (notamment à travers la Métaphysique d'Avicenne, d'après Gilson) va repenser le concept d'essence comme des possibilités qui ne sont pas réalisées et qui pourraient même ne jamais l'être. Aristote n'est pas un essentialiste en ce sens-là : il n'y a pas de possibles dans un entendement de Dieu, il n'y a que du peut-être en jeu à l'intérieur même du monde sensible.
Cela nous fait donc passer à sa célèbre définition du Mouvement, si obscure pour un physicien moderne et si dense dans son vocabulaire métaphysique.
L'intérêt de la définition du Mouvement est donc sa priorité par rapport à tout concept de Temps (qui sera défini en Physique IV comme le "nombre du mouvement"). La distinction de la puissance et de l'acte paraît ici comme la condition pour le mouvement (l'obscurité de cette définition sera critiquée par Descartes, qui réduira tout mouvement à la translation et au transport de parties en Principes de la philosophie II, articles 24-25).
L'interprétation la plus simple de "le Mouvement est l'acte de l'étant en puissance" est de dire que le Mouvement est donc une actualisation de ce qui est en puissance. L'objet change parce que ce qui peut changer est passé vers un autre état. Le cheveu est devenu blanc parce que le cheveu noir était blanc en puissance. Le Canard a traversé la route pour actualiser son être en puissance. La flamme monte vers le haut parce que le haut est son lieu d'actualisation.
Le commentateur néo-platonicien Simplicius (qui admet d'ailleurs pour une fois qu'Aristote a rompu ici avec les Genres de Platon) considère que le terme entéléchie désigne plutôt l'acte comme résultat accompli et préfère changer pour énergeia comme actualisation ou bien "passage de l'être en puissance vers l'être en acte".
Cela paraît sensé mais, comme le fera remarquer Avicenne dans sa Métaphysique du Shifâ, cela rendrait la définition circulaire : un Mouvement serait défini comme un processus, un "passage" (donc un Mouvement) entre la Puissance et l'Acte, l'être en puissance "va" vers son terminus, vers son être stable et accompli. Il faudrait alors que ce Passage lui-même ne présuppose pas le concept de changement s'il est censé l'expliquer.
Cf. l'article de Rémi Brague, "Note sur la définition du mouvement (Physique, III, 1-3)" in F. de Gandt (dir.), La Physique d'Aristote et les conditions d'une science de la nature, Vrin, 1991 (repris dans R. Brague, Introduction au monde grec, Champs, 2005). Brague veut défendre l'idée qu'il s'agit bien de l'actualité de la puissance et non de l'actualisation de la puissance. Il juge d'ailleurs la correction de Simplicius (energeia à la place d'entelecheia) inutile et sans effet. Il doute que les deux concepts d'energeia et d'entelecheia soient si distincts. Il y a bien en théorie quelques nuances dont parle Aristote en Métaphysique Θ, 3 et Θ, 8 :
L'acte ou l'activité comme energeia n'est pas nécessairement un mouvement. Un être en acte pur comme Dieu sera défini comme agissant tout en étant toujours immuable (Ethique à Nicomaque VII, 15, 1154b27, Métaphysique, Θ, 6, 1048b18, Θ, 8, 1050a23).
Le mouvement est donc l'acte de ce qui en puissance en tant qu'il est en puissance. Ce morceau de bronze est en puissance la sculpture accomplie. Le mouvement est ce que "fait" ce morceau en puissance, l'opération du matériau "fait pour" ce but.
Aristote refuse donc toute la négation éléate du Mouvement sous l'être stable mais pour le penser comme l'agir (et le pâtir) de l'être inachevé vers l'être stable. Le dépassement de l'Eléatisme conserve donc ce primat pour le rendre intelligible sous le nouveau concept d'"Actualité".
Tout va donc dépendre de l'aspect sous lequel on prend un étant. Le bronze "en tant que tel" n'est pas un mouvement s'il demeure ce morceau. Mais "en tant qu'il est la statue en puissance", ce morceau suppose le mouvement. C'est donc l'arbre qui montre qu'il y avait le Mouvement dans la graine et le blanchissement des cheveux qui est le Mouvement de ces cheveux noirs.
Comme l'explique Aristote, la construction est un acte du constructible vers la maison (201b10).
Ensuite (III, 2), les critiques d'Aristote contre ceux qui voudraient voir dans le Mouvement un autre Genre "négatif" comme "l'Autre" ou le "Non-étant" sont assez obscures. Il semble faire allusion à des doctrines pythagoriciennes ou platoniciennes mais il n'expose pas tout l'argument. Il dit que le Mouvement est quelque chose d'indéterminé, non pas néant ni acte pur mais acte de l'étant en puissance ou bien (seconde définition) "entéléchie du mobile en tant que tel". Mais cette entéléchie du mobile se réalise par un "moteur" extérieur préalable (qui est en acte). C'est un homme adulte en entéléchie qui fait à partir d'un homme en puissance (semence) un autre homme. Le principe fondamental d'Aristote est que la puissance tend vers l'acte mais que l'acte est en fait "antérieur" à l'être en puissance. L'origine n'est pas de l'imperfection, il a fallu quelque chose d'accompli pour qu'il y ait de "l'inachevé".
S'il y a un moteur et un mobile, c'est un même acte qui est acte du mobile et l'acte du moteur mais l'acte est action du moteur et passion du mobile (III, 3). Le problème est alors de dire que le même Mouvement est un acte unique mais composé de relations non-symétriques. Aristote cite comme exemple de changement l'enseignement : le fait que le maître (moteur) ait actualisé un savoir chez le disciple (mobile) est aussi le fait que l'élève ait reçu l'enseignement.
La théorie de l'Infini : Infini actuel et potentiel (Livre III, 4-8, 203a - 208a)
Le deuxième élément de la théorie du Mouvement exige de passer par la question de l'Infini (Apeiron), aussi bien l'Infiniment divisible dans l'espace et le temps que les étendues du Mouvement infini.
Ici encore, c'est l'opposition de l'être en acte et de l'être en puissance qui va donner la solution. De nombreux Présocratiques (comme Anaximandre, Anaxagore ou Démocrite) et même Platon (mais dans un enseignement oral sur le Bien qui ne nous est pas directement connu) parlaient d'un Infini comme "Principe" des étants et ici Aristote va chercher à sauver le Mouvement des risques que ce concept d'Infini impliquerait (III, 4). La réalité du Mouvement comme "acte de la puissance" va passer par la critique de l'Infini actuel.
Cette étude de l'Infini est sans doute un mauvais moment pour laisser l'étude inachevée mais je continuerai un autre jour...
Dans ces livres, le Mouvement (kinesis) est synonyme du Changement (metabolé) en général et c'est toujours quelque chose à rappeler puisque nous entendons à présent par Mouvement seulement le Mouvement "local". Ce n'est qu'au Livre V qu'Aristote distingue le Changement en général (qui peut être soit création/destruction d'une substance, soit mouvement) et le Mouvement qui peut être selon une des catégories de l'accident : mouvement selon le lieu, altération qualitative, croissance/diminution quantitative. Si on énumère toutes les catégories d'Aristote, il n'y a donc pas de "mouvement selon le temps" (cela aurait pu être l'accélération si Aristote avait réussi à la distinguer de la vitesse ?) ou de mouvement selon la "position" ou la "relation" (il dit que cela se ramène toujours à un mouvement selon la qualité ou la quantité : mais si j'étais le plus grand d'un groupe et que ce n'est plus vrai par un changement extrinsèque, serait-ce vraiment un "mouvement" pour moi ?).
La définition du Mouvement commence donc par un présupposé : le Mouvement n'est pas lui-même un accident ou un mode d'être de la substance. Le ceci a des "états" ou des manières d'être mais le mouvement n'est pas un état, il va être quelque chose advenant à ces manières d'être. L'état naturel est présupposé comme immobilité et le mouvement comme une condition ou un intermédiaire entre des états. Il appartiendra à Descartes et Galilée de considérer le mouvement (local) comme un état de la chose en créant le concept d'Inertie.
Le second présupposé est que le Mouvement n'est pas un grand Genre ultime ou un concept indéfinissable.
L'idée d'Aristote repose donc sur une théorie de l'être. Pour Parménide, l'être est éternellement vrai et le mouvement est donc un non-être. Pour Platon, le mouvement n'est pas défini en tant que tel mais le temps physique a été défini comme "image mobile de l'éternité immobile" (Timée). La définition du temps présuppose donc celle du Mouvement et le Mouvement est laissé comme un terme primitif indéfinissable (c'est pourquoi c'est l'un des cinq grands genres de Sophiste 254d : l'être, le repos, le mouvement, le même, l'autre).
L'analyse d'Aristote va réduire les primitives par une distinction nouvelle fondamentale : celle de l'être en puissance (δύναμις) et de l'être en acte (ἐνέργεια ou ἐντελέχεια). L'être se dit en plusieurs sens : il y a ce qui peut être (qui soit n'est pas encore mais sera ou bien qui peut soit être ou ne pas être) et ce qui a été réalisé, accompli, parfait, qui est "mis en oeuvre" (ἐνέργεια, actualité) ou est achevé, complet, qui a atteint son but (ἐντελέχεια, entéléchie). Les deux termes n'ont jamais été définis comme tels mais ils font l'objet du Livre IX (Θ) de la Métaphysique (Θ, 1-9 avec notamment Θ,7 sur l'actualisation).
La dunamis est donc à la fois la force ou le travail en activité et le potentiel alors que l'énergie est au contraire l'état réalisé (ce dernier mot, inventé par Aristote, comme "entéléchie" aura un destin très étrange dans la Physique pendant des siècles puisque on parlera dans la dynamique moderne d'"énergie potentielle", ce qui serait un pur oxymore chez le Philosophe - il est vrai qu'Aristote parle aussi d'entéléchie imparfaite en Physique VIII, 5. Sur l'energeia, voir ce qu'en dit Heidegger dans son histoire du concept d'Actualité dans le second volume de son livre sur Nietzsche, 1941). Le concept d'activité/énergie a été opposé à la chose/substance (voir "l'énergétisme" au XIXe siècle) alors que chez Aristote le premier était le vrai sens et l'épanouissement du second.
Quand on parle de ces deux sens de l'être (qui permet de redisposer les "grands genres" platoniciens de l'être et du mouvement), on pense souvent en termes modernes aux "Possibles" et au "Réel" comme Réalisation d'un Possible. Mais c'est parce que la philosophie médiévale (notamment à travers la Métaphysique d'Avicenne, d'après Gilson) va repenser le concept d'essence comme des possibilités qui ne sont pas réalisées et qui pourraient même ne jamais l'être. Aristote n'est pas un essentialiste en ce sens-là : il n'y a pas de possibles dans un entendement de Dieu, il n'y a que du peut-être en jeu à l'intérieur même du monde sensible.
Cela nous fait donc passer à sa célèbre définition du Mouvement, si obscure pour un physicien moderne et si dense dans son vocabulaire métaphysique.
Le mouvement est l'entéléchie de l'étant en puissance en tant que tel
(ἡ τοῦ δυνάμει ὄντος ἐντελέχεια, ᾗ τοιοῦτον, κίνησίς ἐστιν)
(Physique, III, 1, 201a 10-11)
L'intérêt de la définition du Mouvement est donc sa priorité par rapport à tout concept de Temps (qui sera défini en Physique IV comme le "nombre du mouvement"). La distinction de la puissance et de l'acte paraît ici comme la condition pour le mouvement (l'obscurité de cette définition sera critiquée par Descartes, qui réduira tout mouvement à la translation et au transport de parties en Principes de la philosophie II, articles 24-25).
L'interprétation la plus simple de "le Mouvement est l'acte de l'étant en puissance" est de dire que le Mouvement est donc une actualisation de ce qui est en puissance. L'objet change parce que ce qui peut changer est passé vers un autre état. Le cheveu est devenu blanc parce que le cheveu noir était blanc en puissance. Le Canard a traversé la route pour actualiser son être en puissance. La flamme monte vers le haut parce que le haut est son lieu d'actualisation.
Le commentateur néo-platonicien Simplicius (qui admet d'ailleurs pour une fois qu'Aristote a rompu ici avec les Genres de Platon) considère que le terme entéléchie désigne plutôt l'acte comme résultat accompli et préfère changer pour énergeia comme actualisation ou bien "passage de l'être en puissance vers l'être en acte".
Cela paraît sensé mais, comme le fera remarquer Avicenne dans sa Métaphysique du Shifâ, cela rendrait la définition circulaire : un Mouvement serait défini comme un processus, un "passage" (donc un Mouvement) entre la Puissance et l'Acte, l'être en puissance "va" vers son terminus, vers son être stable et accompli. Il faudrait alors que ce Passage lui-même ne présuppose pas le concept de changement s'il est censé l'expliquer.
Cf. l'article de Rémi Brague, "Note sur la définition du mouvement (Physique, III, 1-3)" in F. de Gandt (dir.), La Physique d'Aristote et les conditions d'une science de la nature, Vrin, 1991 (repris dans R. Brague, Introduction au monde grec, Champs, 2005). Brague veut défendre l'idée qu'il s'agit bien de l'actualité de la puissance et non de l'actualisation de la puissance. Il juge d'ailleurs la correction de Simplicius (energeia à la place d'entelecheia) inutile et sans effet. Il doute que les deux concepts d'energeia et d'entelecheia soient si distincts. Il y a bien en théorie quelques nuances dont parle Aristote en Métaphysique Θ, 3 et Θ, 8 :
"Ce nom d'« acte » que nous posons toujours avec celui d'« entéléchie » a été étendu des mouvements, d'où il vient principalement, aux autres choses, car on croit généralement, en effet, que l'acte proprement dit c'est le mouvement. Mais ce qui n'est qu'en puissance n'est pas véritablement car il n'est pas en entéléchie (et seules les choses qui sont peuvent avoir des mouvements)" Θ, 3, 1047a30
"L'oeuvre est en effet la fin, et l'acte c'est l'oeuvre ; c'est pourquoi le mot acte (energeia) dérive d'oeuvre (ergon) et acte tend à signifier la même chose qu'entéléchie." Θ, 8, 1050a22
L'acte ou l'activité comme energeia n'est pas nécessairement un mouvement. Un être en acte pur comme Dieu sera défini comme agissant tout en étant toujours immuable (Ethique à Nicomaque VII, 15, 1154b27, Métaphysique, Θ, 6, 1048b18, Θ, 8, 1050a23).
Le mouvement est donc l'acte de ce qui en puissance en tant qu'il est en puissance. Ce morceau de bronze est en puissance la sculpture accomplie. Le mouvement est ce que "fait" ce morceau en puissance, l'opération du matériau "fait pour" ce but.
Aristote refuse donc toute la négation éléate du Mouvement sous l'être stable mais pour le penser comme l'agir (et le pâtir) de l'être inachevé vers l'être stable. Le dépassement de l'Eléatisme conserve donc ce primat pour le rendre intelligible sous le nouveau concept d'"Actualité".
Tout va donc dépendre de l'aspect sous lequel on prend un étant. Le bronze "en tant que tel" n'est pas un mouvement s'il demeure ce morceau. Mais "en tant qu'il est la statue en puissance", ce morceau suppose le mouvement. C'est donc l'arbre qui montre qu'il y avait le Mouvement dans la graine et le blanchissement des cheveux qui est le Mouvement de ces cheveux noirs.
Comme l'explique Aristote, la construction est un acte du constructible vers la maison (201b10).
Ensuite (III, 2), les critiques d'Aristote contre ceux qui voudraient voir dans le Mouvement un autre Genre "négatif" comme "l'Autre" ou le "Non-étant" sont assez obscures. Il semble faire allusion à des doctrines pythagoriciennes ou platoniciennes mais il n'expose pas tout l'argument. Il dit que le Mouvement est quelque chose d'indéterminé, non pas néant ni acte pur mais acte de l'étant en puissance ou bien (seconde définition) "entéléchie du mobile en tant que tel". Mais cette entéléchie du mobile se réalise par un "moteur" extérieur préalable (qui est en acte). C'est un homme adulte en entéléchie qui fait à partir d'un homme en puissance (semence) un autre homme. Le principe fondamental d'Aristote est que la puissance tend vers l'acte mais que l'acte est en fait "antérieur" à l'être en puissance. L'origine n'est pas de l'imperfection, il a fallu quelque chose d'accompli pour qu'il y ait de "l'inachevé".
S'il y a un moteur et un mobile, c'est un même acte qui est acte du mobile et l'acte du moteur mais l'acte est action du moteur et passion du mobile (III, 3). Le problème est alors de dire que le même Mouvement est un acte unique mais composé de relations non-symétriques. Aristote cite comme exemple de changement l'enseignement : le fait que le maître (moteur) ait actualisé un savoir chez le disciple (mobile) est aussi le fait que l'élève ait reçu l'enseignement.
Le deuxième élément de la théorie du Mouvement exige de passer par la question de l'Infini (Apeiron), aussi bien l'Infiniment divisible dans l'espace et le temps que les étendues du Mouvement infini.
Ici encore, c'est l'opposition de l'être en acte et de l'être en puissance qui va donner la solution. De nombreux Présocratiques (comme Anaximandre, Anaxagore ou Démocrite) et même Platon (mais dans un enseignement oral sur le Bien qui ne nous est pas directement connu) parlaient d'un Infini comme "Principe" des étants et ici Aristote va chercher à sauver le Mouvement des risques que ce concept d'Infini impliquerait (III, 4). La réalité du Mouvement comme "acte de la puissance" va passer par la critique de l'Infini actuel.
Cette étude de l'Infini est sans doute un mauvais moment pour laisser l'étude inachevée mais je continuerai un autre jour...
Bouffonerie godwinesque
Sur une Terre alternative, il y a un philosophe lacano-léniniste, Jovlals Kežiž, qui dit des choses sensées.
Dans notre monde, il y a ça :
It’s crucial to see violence which is done repeatedly to keep the things the way they are.
In that sense, Gandhi was more violent than Hitler.
A lot of people will find it ridiculous to even imagine that Gandhi was more violent than Hitler. Are you serious when you say that?
Yes. Though Gandhi didn’t support killing, his actions helped the British imperialists to stay in India longer. This is something Hitler never wanted. Gandhi didn’t do anything to stop the way the British empire functioned here.
For me, that is a problem.
Pour nous aussi, tu as un problème. Oui, on n'a jamais reproché à Hitler d'avoir favorisé l'impérialisme britannique...
Autant il serait légitime de débattre de manières critiques de nombreuses positions de l'hindouisme en partie "post-caste" de Gandhi (ou la question de savoir s'il avait été trop ou pas assez conciliant avec la Ligue musulmane de Jinnah), autant évader la légitimation de la violence léniniste en disant que la "non-violence" est en fait plus violente qu'une extermination de masse est une provocation infantile.
Il sait bien qu'il s'amuse à prendre deux icones inversées de "l'Idéologie" (la représentation collective dominante) et il croit malin de jouer la grande "dialectique" du n'importe quoi. Martin Luther King est Hitler ! Le Docteur Mengele est le Docteur Schweitzer ! Gengis Khan était plus pacifique qu'un Jaïniste ! Monsanto aime plus la Nature de manière désintéressée qu'un écologiste ! En haut est En Bas !
Et par la suite, il pourrait avoir raison quand il dit qu'il préfère l'anti-castisme radical d'Ambedkar à Gandhi, mais cela contredit aussitôt sa condamnation du bouddhisme comme une idéologie réactionnaire puisque c'était justement une forme de bouddhisme qui constituait la base de l'ambedkarisme.
Add. Via Cédric dans les commentaires, il semblerait que les propos de Zizek aient été profondément déformés par le journal.