samedi 10 avril 2010

[Review] Supplement VI: The Majestic Wilderlands



Il y aurait en gros deux pôles opposés dans la création d'un monde fantastique de jeu de rôle :
  • (1) la manière classique de mosaïque ou d'agrégat de tout ce qu'on peut aimer mélanger (ce qu'on appelle en anglais "tout mettre dans l'évier", "kitchen sink") ;
  • (2) la manière plus cohérente ou "sérieuse" d'un monde plus organique et unifié.


  • Les univers du début du jeu de rôle étaient très clairement dans la première catégorie en mélangeant Tolkien, les pulps de Howard, Leiber & Moorcock, Poul Anderson Lovecraft, les Mille et Une Nuits, etc.

    Et dans cette catégorie, on peut difficilement faire plus "Old School" (à part peut-être Arduin) que les Wilderlands of High Fantasy, l'univers de campagne de la compagnie Judges Guild créé par Bob Bledsaw. Bledsaw n'essayait même pas de déguiser ses "emprunts" et son univers était vraiment une sorte de grande marmite ou de synthèse de toutes ses lectures (on y croise des allusions aussi bien à Homère, Beowulf qu'aux Dieux de Pegāna ou même à l'URSS des années 70 avec une épave d'un MIG).

    Le "Supplément VI: The Majestic Wilderlands" de Robert S. Conley (qu'on peut acheter pour moins de 6 euros sur DriveThru) est un exemple du foisonnement de ce qu'on appelle la Old School Renaissance. Au lieu de créer un univers idiosyncratique à part, Conley embrasse délibérément la dimension fourre-tout et l'appropriation collective qu'on trouvait à l'origine du jeu de rôle. Les univers de jeu de rôle n'étaient pas des mondes mais bien des collages intertextuels.

    Conley, qui est un vieux fan des Wilderlands des années 70 et qui avait même participé à leur réédition au début de ce siècle, donne ici (pour Swords & Wizardry, rétro-clone du Dungeons & Dragons originel) sa propre version de sa campagne vieille de 28 ans (voir ce site). Sur certains points (notamment les panthéons qui sont d'inspiration terrienne), il me semble qu'il a un peu accru dans ses "Majestic Wilderlands" la cohérence d'ensemble (peut-être même que la mythologie devient d'ailleurs trop unifiée). Mais à certains égards, il ajoute aussi de nouvelles inspirations, comme certains morceaux tirés directement d'Ars Magica (il y a un Ordre de Thoth qui est l'équivalent de l'Ordre d'Hermès) ou de Hârn.

    Mais Robert Conley est surtout un très bon cartographe (il a déjà fait les suppléments Points of Light chez Goodman Games) et une des différences majeures est qu'il jugeait les Wilderlands trop petits pour son but.

    L'échelle des cartes a donc été multipliée par 2,5 (les anciens hexagones de 8 km de long sont devenus des hexagones de 20 km). C'est à peu près comme si la France avait été étirée à la taille de l'Inde. Il y a donc des régions plus vastes et plus peuplées, et pourtant il me semble qu'il y a quand même une unité accrue, peut-être parce que les inspirations Tolkienniennes (la High Fantasy romantique) l'emportent ici sur les aspects Howardiens (la Heroic Fantasy plus cynique). Hélas, les références à l'univers de Blackmoor ont été retirées (on peut éventuellement utiliser la version de Håvard Faanes si on les veut à nouveau ensemble dans le passé de Mystara).

    Le PDF s'appelle "Supplément VI" par référence aux premiers suppléments de D&D et au nouveau supplément non-officiel Supplement V: Carcosa qui avait ajouté plus de références Lovecraftiennes. Sur les 135 pages, environ 80 sont des règles optionnelles pour adapter OD&D avec des classes spécifiques aux Wilderlands comme les Chevaliers, les Paladins de Mitra, les Myrmidons de Set, les Mages de Thoth, les Druides de Trehaen, les Lanceurs de Runes d'Odin, les Griffes de Kali. Une des idées amusantes est que la présentation suit exactement celle d'OD&D.

    Il reste donc environ 50 pages pour décrire le monde, en se centrant autour des "Thariens" (Thabriens dans la version Judges Guild), la confédération de la "Cité-Etat de l'Invincible Suzerain". Un des changements surprenants est que le Suzerain Invincible s'appelle Lucius III (p. 106, comme dans la version de la Cité-Etat licensée par Mayfair Games en 87, où la ville s'appelait "Briarwood") et non pas "Hygelāk XI" (ce qui était une référence au Roi des Gètes dans Beowulf). La célèbre Cité-Etat elle-même reçoit une carte d'ensemble mais pas beaucoup d'informations sur sa situation actuelle.

    Conley a dit avoir voulu éviter le manichéisme de fantasy dans l'organisation religieuse et il évoque le fait que des divinités comme Set ou Hamakhis (qui est ici un Dieu de la Mort sinistre et non pas l'aspect solaire de Horus de l'Horizon que les Egyptiens associaient au Sphinx et à la planète Mars) ne sont pas entièrement "mauvaises" malgré des aspects sanguinaires (Set le Serpent lutte même aussi contre les Démons qui ont infecté son peuple du Viridistan).

    Les Majestic Wilderlands sont parfois très différents des Wilderlands originels mais dans l'ensemble l'histoire paraît un peu plus claire et convaincante dans sa présentation (même s'il me manquerait vraiment un Index et une Chronologie si on n'a pas eu accès aux Wilderlands). On sent bien que Robert Conley y a vraiment passé du temps pendant ces 28 dernières années et son blog montre qu'il aurait de quoi y ajouter plusieurs suppléments détaillés.

    Ce qui est particulièrement appréciable chez un fan quasi-pro comme Conley est sa générosité. On ressent une envie sincère de faire partager une oeuvre attentive et un amour de cette fantaisie. Il n'y a pas chez lui une volonté étriquée, sectaire et nostalgique de certains Papes de l'Old School Renaissance. Il fournit des "boites à outils" à désassembler et à voler pour ses propres univers.

    Pour ma part, je crains d'avoir été un peu "gâché" par les univers du second type avec lesquels j'ai commencé à jouer (notamment Glorantha, qui est relativement ouvert mais bien plus "organique" que les premiers univers fictifs). J'ai donc souvent du mal à isoler des aspects dans mes "vols" d'idées. Je ne suis donc pas sûr de pouvoir copier directement des éléments précis, mais seulement un enthousiasme général de ce qu'il écrit. Le monde des Majestic Wilderlands a un air de Terre parallèle qui peut rappeler les Âges Sombres (notamment avec des noms de Rois francs mérovingiens pour les tribus thariennes), avec une atmosphère un peu tolkienienne, mais il y a peut-être moins d'idées bizarres et baroques qu'on pourrait subtiliser (alors que j'en trouve souvent par exemple dans les suppléments Pathfinder de Paizo). Le supplément doit donc intéresser avant tout un fan des Wilderlands qui voudrait une source d'inspirations pour personnaliser à son tour l'univers de Judges Guild.

    *


    En passant, l'auteur dit qu'il a joué dans son univers de campagne avec les règles de Fantasy Hero ou à GURPS. J. Maliszewski a un argument convaincant sur le fait qu'il est en partie contingent que la "Renaissance de l'Ancienne Ecole" (OSR) soit si D&D-centrique.

    Le renouveau du système "Basic Role-Playing" (par exemple aussi avec OpenQuest) ou la License Ouverte du nouveau Traveller grâce à Mongoose pourrait augurer d'autres Renaissances des jeux de la Seconde Génération de la fin des années 70. Cette autre Renaissance pourrait avoir à la fois cette énergie primitive des premiers jeux de rôle sans être accrochés de manière fétichiste à certains aspects d'OD&D.

    3 commentaires:

    1. Thanks for the review. If you have any specific question I will be glad to try to answer them.

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    2. Thank you! I have to add that I especially like your blog and that was the main reason why I bought The Majestic Wilderlands.

      Was I right about Overlord LuciusII? Does he really come from the Mayfair version of the City-State?

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    3. Yes it the name Lucius came from the Mayfair edition. Although the background is completely different.

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