vendredi 15 novembre 2019
La Malédiction de la Couverture Santé aux USA
Alors que presque toutes les démocraties occidentales mettaient en place un Etat-Providence et des formes d'Assurance-Maladie ou Sécurité sociale après la Seconde Guerre mondiale (loi sur la NHS passée par les Travaillistes en 1946 à partir du rapport du Libéral Beveridge de 1942), Roosevelt (New Deal) puis Truman (Fair Deal) échouaient à passer leurs projets équivalents aux USA comme le Congrès estimait que c'était du Communisme.
Le terme Social Security fut limité aux retraites et seuls les retraités obtinrent une forme de Medicare en 1966 sous Johnson avec un Medicaid limité uniquement aux plus démunis. Pendant toutes les années 1970 et malgré la majorité démocrate, la gauche du Parti (Ted Kennedy) échoua toujours à faire passer les réformes par un système fédéral "universel".
C'est comme si l'après-guerre avait été un passage critique à ne pas manquer. La Guerre froide avait empêché en 1948 aux USA ce qui avait été possible ailleurs.
(Ce n'est pas tout à fait exact. En Amérique du Nord, le Canada, qui avait raté le passage au niveau fédéral juste après la Guerre, eut une seconde chance dans les années 1960 grâce au pasteur NDP du Saskatchewan Tommy Douglas et ensuite le Premier Ministre libéral Lester Pearson.)
Les plans d'assurances de santé privés américains Blue Shield (créé par des associations de médecins privés) et Blue Cross (créées par des hopitaux, dès les années 1930 contre les projets du New Deal) sont toujours globalement le modèle dominant, même après les révisions importantes d'Obama de l'Affordable Care Act. La couverture dépend essentiellement des employeurs qui obtiennent en échange des déductions fiscales. Obama obtint en 2010 à peu près ce que le Républicain Nixon avait tenté en 1971, conserver le système privé mais avec une obligation de prendre une assurance (dans les années 1970, avant le grand réalignement du Parti démocrate, ce sont les Démocrates conservateurs qui avaient bloqué toute tentative de système national par Ted Kennedy et même la version privée de Nixon).
Obama avait certes ajouté un élément essentiel qui était de lutter contre les "conditions pré-existantes" (les clauses qui permettaient aux assurances privées de ne pas rembourser des malades à cause de problèmes chroniques ou jugés sérieux). Mais quelques Sénateurs démocrates conservateurs ou stipendiés par les lobbies d'assurances comme Joe Lieberman (Connecticut) suffirent à faire échouer l'idée d'une Option Publique en plus de l'obligation d'assurance (ironiquement, le Connecticut fut ensuite un des rares Etats à réussir à faire passer une forme d'Option Publique, le Vermont réussit même à faire passer un système quasi-universel). (Voir de vieux messages de 2009 comme ces insultes contre Lieberman ou sur les stratégies pour faire passer une Option).
La violence des réactions au début des années 2010 montrait qu'un projet modeste (qui avait simplement étendu des projets défendus par des Républicains modérés comme Mitt Romney et les vieux projets des Républicains des années 1970) pouvait susciter un lobbying intense des assurances privées. Obama avait d'abord parlé d'un système universel puis seulement d'une "Option" publique et ensuite même cet aspect avait dû être abandonné, à cause d'un seul Sénateur traître du Connecticut.
Depuis 2016, l'ObamaCare est à nouveau attaqué et dégradé par le pouvoir républicain qui nomme des Juges pour tenter de détruire les avancées du système.
Warren et Sanders sont d'accord tous les deux sur une demande maximaliste, un système universel. Le plan de Warren est plus précis mais cristallise aussi plus d'opposition. C'est un système qui affirme que les entreprises n'auront pas plus à payer puisque la somme sera calculée à partir de ce qu'elles payent actuellement au privé. Le système de Sanders ressemble plus au système européen avec une contribution calculée à partir des salaires, ce qui est plus progressif que la proposition de Warren.
Ce qui rend complètement fataliste sur l'état de la démocratie-ploutocratique américaine est que :
(1) les sondages montrent clairement qu'une majorité écrasante des Américains souhaiteraient un système universel.
(2) et pourtant, le système est tellement bloqué que même si Warren ou Sanders gagnent, il paraît impossible qu'ils puissent faire passer un de leurs projets ambitieux alors que le Congrès semble être encore plus conservateur qu'en 2008-2010 quand Obama a dû se contenter d'un NixonCare 2.0.
Certes, les élections législatives de 2020 pourraient être un peu plus surprenantes mais comme les Millenials votent peu, il y a peu de chance que ce soit une révolution, quel que soit le ressentiment de la base démocrate contre Trump ou l'enthousiasme des Sandersiens.
Au mieux, on peut espérer qu'un(e) Président(e) démocrate pourra protéger ou sanctuariser un peu l'ObamaCare face à tous les Juges d'extrême droite nommés par Trump.
I(e)l pourrait peut-être même ajouter à nouveau une Option Publique mais le contexte d'une Crise économique qui se profile dans les années 2020 rend cela hélas très peu probable. Les lobbies bloquent l'Option car ils redoutent que cela suffise à faire entrer le système étatique universel à moyen terme (au moment où les Etats-Providence sont aussi en train de les démanteler).
Et si Trump gagne, on reviendra sans aucun doute au statu quo ante, y compris sur les conditions pré-existantes qui commencent à réapparaître.
Les gens de Droite prétendent toujours tirer parti du fait que des masses impressionnantes de gens essaient encore et toujours d'émigrer aux États-Unis pour « prouver » que le système américain est meilleur que le nôtre.
RépondreSupprimerEt pourtant le phénomène inverse existe. J'ai une cousine qui a récupéré un passeport hongrois via la loi du sang pour pouvoir venir s'installer en Europe, et je me rends compte qu'il y a un nombre impressionnant d'Américains artistes (au sens large, ça inclut pas mal d'auteurs de jdr) installés sur le Vieux Continent.
Il y a de nombreux éléments de la société américaine qui sont devenus dystopiques et on voit des Américains qui commencent à désespérer des possibilités de sauver une vie normale. D'après les sondages, plus de 80% des gens veulent un contrôle des armes à feu et cela ne passera probablement jamais au Congrès. C'est un système complètement bloqué où les quelques millions de membres de la NRA (5 millions selon eux, soit 1,5% de la population) pèsent plus que les 2/3 des gens qui ne possèdent pas d'armes à feu. Je connais une mère américaine qui me dit qu'elle craint tous les jours qu'on lui annonce une fusillade dans l'école de ses enfants.
RépondreSupprimerVu également sur twitter... des Américains qui disent "j'ai sauté le pas" ; en fait ils sont partis s'installer au Canada.
RépondreSupprimerTu es vraiment très bon dans tes synthèses politiques. Tu fais plus fort en un billet que Paul Starr en un bouquin complet (Remedy and Reaction: The Peculiar American Struggle over Health Care Reform).
RépondreSupprimerMerci ! Je n'ai hélas pas lu de vraie science politique récente sur le sujet comme toi et ce n'est donc bien sûr que de seconde main.
RépondreSupprimerJe suis fasciné par le paradoxe d'une politique très massivement soutenue mais qui ne peut pas du tout être réalisée. Je ne sais pas si cela pourrait être vu comme un argument "souverainiste" ou anti-fédéral pour comprendre comment une démocratie peut être ainsi bloquée.
Tu vas trouver plein de réponses dans la littérature en science politique (qui est aussi, largement, de seconde main), qui toutes te ramèneront au cimetière législatif qu'est le Congrès américain… Et oui, on peut assez facilement en faire un argument anti-fédéral !
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