Donjons & Dragons (
"OD&D") fut publié pour la première fois officiellement à la
Geneva Convention VII (23-25 août 1974), il y a 36 ans (et c'est aussi par la même occasion le 10e anniversaire de la IIIe édition à la XXXIIIe Convention).
Contrairement aux fans de ce qu'on appelle la
Old School Renaissance qui ne cessent de dire que leur goût pour les vieux jeux va
au-delà de la nostalgie et qu'ils peuvent le justifier par des arguments quasi-esthétiques sur ce que devrait être le jeu de rôle, je ne vois guère (dans mon propre cas, du moins) que de la nostalgie (je vois qu'il y a au moins
Huge Ruined Pile d'accord sur ce point). Les jeux de rôle actuels me paraissent vraiment objectivement meilleurs. Mais les jeux de rôle des années 70 ont une sorte d'ouverture ou de potentiel qui semblent si infini en raison de leur manque de précision par rapport aux jeux plus raffinés... et parce que nous étions nous-mêmes plus naïfs.
Le côté le plus ennuyeux des joueurs de jeu de rôle est, paraît-il, leur obsession à vous raconter leurs parties. C'est aussi mon travers.
Je me souviens de mes premiers jeux de rôle.
C'était, je crois, en juillet-août 1983. J'avais déjà lu
Bilbo le Hobbit et
le Seigneur des Anneaux de Tolkien (peut-être déjà
le Silmarilion ?) mais surtout cet été-là, j'ai trouvé la bande-dessinée
Weird World écrite par Doug Moench et dessinée par John Buscema. Il s'agit de l'histoire de deux elfes,
Tyndall et
Velanna, et un Nain,
Mud-Butt (Cul-Boueux), qui se retrouvent à lutter dans la
Cité des Sept Plaisirs Noirs contre les agents du Dieu maléfique Darklens, les Cavaliers nocturnes, qui cherchent un moyen de le ressusciter (ces
Nightriders évoquent vraiment les
Ringwraiths mais Doug Moench prétend qu'il n'avait jamais lu Tolkien).
Voici une version simplifiée de la carte du "Pays Fantastique", le
Weird World (cliquez pour avoir la carte entière) :
Comme on le voit, la forme du continent principal est une tête de Dragon et l'Anneau flottant de Klarn est l'Oeil de ce Dragon (les amateurs de
Runequest apprécieront). Je crois être resté des heures entières à contempler la version agrandie et embellie de cette carte à la fin de la bande-dessinée. Mon amour des cartes doit dater de cette idée de Doug Moench d'une géographie signifiante. Je voulais à tout prix jouer dans cette carte mais je ne voyais pas vraiment comment. Nous avons posé des pions dessus avec ma soeur mais nous improvisions des règles sans arriver à explorer cet espace nouveau, ce terrain inconnu. Je voulais surtout aller dans les zones non-couvertes par la bande-dessinée.
J'avais entendu parler de D&D, (par le magazine
Jeux & Stratégie ou bien par la novelisation du film
ET, peut-être ?), mais je n'imaginais même pas qu'il fût possible d'en trouver en France, je ne le désirais même pas, comme si c'était quelque chose d'aussi exotique que de souhaiter que nous nous mettions soudain au baseball ou que nous déplacions l'Empire State Building. Par hasard, il y avait cet été-là, sur une chaîne de radio dans la Drôme une émission en fin d'après-midi qui prétendait être du D&D. En fait, les auditeurs appelaient et un bruitage représentait un monstre de D&D, un roulement de dé ou le vacarme de coups d'épées. De manière arbitraire, le présentateur disait simplement : "Bravo, vous avez tué le gobelin" ou bien "Oh, désolé, le Balrog vous a tué". Aucune histoire et aucun personnage mais je suivais pourtant cela religieusement comme la meilleure fiction radiophonique. L'Âge d'Or n'est pas une époque mais bien quand on a 12 ans.
Dès la rentrée, je suis tombé sur la première traduction française de
Donjons & Dragons (Module de Base, Niveau 1-3, premier tirage : novembre 1982). J'ai dû attendre assez longtemps pour l'avoir car il était hors de prix, dans les 200 F de 1983, ce qui représentait une somme inabordable pour ma mère, sans doute plus de 50 euros aujourd'hui (d'après
ce site de conversion).
Quand je l'obtins, je fus pourtant horriblement déçu.
Je m'attendais confusément à une sorte de jeu de société traditionnel. Il y avait bien quelques plans mais aucun pion et aucune figurine. Je ne comprenais pas comment on jouait. Ce n'est qu'en lisant une explication dans
Jeux & Stratégie que je compris enfin qu'il n'y avait ni plateau ni pion, seulement l'imagination des participants "comme jouer au Papa et la Maman".
Mais je mis des années à saisir pourquoi la race tolkienienne des
Hobbits était appelée ici des "
Tinigens" (que je prononçais
tiniguènss* et qui sont en fait la première traduction maladroite de "
halfling", lui-même une euphémisation de hobbit pour ne pas avoir de procès de la famille Tolkien).
Cette image un peu insultante (
Basic D&D p. 6) me plaisait pourtant beaucoup :
Le jeu de rôle va traîner longtemps (comme les
comic-books américains) cette image de
Wish-Fulfillment de "Conan anabolisés pour tronches binoclards". C'était le jeu adapté aux Peter Parker (bien que le genre de jeu de rôle superhéroïque n'ait jamais marché en France et que le plus gros succès, le jeu d'horreur
Call of Cthulhu en soit quasiment une sorte d'inversion).
Le jeu était vendu avec un premier module de Gary Gygax, le
B2 Le Château-Fort Aux Confins du Pays. Les joueurs
Old-School essayeront de vous faire croire que c'est le meilleur scénario jamais écrit grâce à l'extrême latitude laissée au Maître du Donjon. Ne les croyez pas. C'est plutôt mauvais, même pour l'époque : les personnages sont tous anonymes, Gygax s'est contenté de décrire un petit château avec un Aubergiste qui s'appelle "
l'Aubergiste", et un tas de cavernes emplies de monstres. C'est plutôt le degré zéro, en dehors d'une table des Rumeurs aléatoire qui peut donner un peu d'épaisseur à tout cela. Si cela a la vertu de vous contraindre à créer tout par vous-même, cela ne paraît pas vraiment un modèle d'introduction à émuler.
Je créai donc un personnage, le Voleur chaotique
Zarkam (bien que l'idée d'un personnage mauvais me paraisse peu amusante) et ma petite soeur de 6-7 ans créa une magicienne,
Morgann la Brillante, qui n'avait droit qu'à un seul sortiège tous les 24 heures (
Sort de Sommeil). Nos personnages n'avaient qu'une poignée de points de vie à eux deux et je n'étais pas assez malin pour penser à engager des serviteurs. Ils se firent aussitôt massacrer dans la deuxième salle du module par quelques petits gobelins sans avoir vraiment pu se défendre.
Encore maintenant, je me demande comment les premiers joueurs eurent assez de patience pour ce jeu où les personnages de Niveau 1 n'avaient aucune chance de résister à un combat et où il étaient censés recréer les personnages dix fois dans l'espoir d'atteindre un jour le Niveau 2 (mais le joueur Old-School
Fencig semble pouvoir y arriver cet été avec ses joueurs sur le module B1 sans avoir de sorts de soins pourtant).
Je passai vite à d'autres jeux comme la création française
Légendes celtiques (1984),
Middle-Earth Role-Playing et
Runequest (j'ai déjà fait le portrait de mes
campagnes). Mais je regarde encore ce premier module atroce, le Château-Fort aux Confins du Pays, avec l'attendrissement narcissique qu'on peut avoir envers ses propres essais les plus médiocres.
Quant au
Weird World de Doug Moench, je crains hélas qu'il n'y ait pas assez de détails pour en faire directement un monde de jeu de rôle.Mais il y a quand même quelques idées originales (par exemple l'idée gnostique que le dieu maléfique y est aussi le Démiurge ou cet Anneau volant qui laisse une terre dans les ombres).
(Par ailleurs, je pense que Mme Penchard devrait démissionner)