mardi 31 décembre 2013

Meilleurs voeux pour la fin d'année 2013 !

Je vous souhaite une très bonne année 2014 et que certains de vos voeux compossibles soient réalisables (à tous et à chacun, comme vient de le dire notre Président de la République). Oh, et bonne indépendance pour l'Ecosse, Alba gu bràth ! (pour la Catalogne, je ne sais pas)

Pas de résolutions cette année comme je crois n'avoir tenu que la troisième et la quatrième de l'an dernier (un peu honte pour mon Dreadfleet).

J'ai quand même eu quelques parties de jeu de rôle cette année, un scénario de Hârn, une aventure dans le système maison W.A.L.E. de Goodtime (dont je dois toujours raconter la conclusion d'ailleurs) et un one-shot de Rêve de Dragon, mais aussi quelques jeux de plateau grâce à Rappar.

Le blog a été moins fourni (moins de 130 entrées contre 300 en 212) et je ne suis pas sûr qu'avec Mellon qui va devenir plus actif, j'aie beaucoup plus de temps. Je n'ai toujours pas de contrat pour le bouquin de mythologie, seulement une réponse informelle mais si cela se concrétise, cela risque de devenir assez dévorant.

La parution importante va être l'arrivée prochaine du Guide Gloranthien (qui était prévu à l'origine pour mai 2013 mais on vous pardonne ce retard compréhensible vu le succès). J'ai une tendance à changer de marotte de jeu à peu près toutes les 72 heures (d'où toutes ces séries inachevées qui s'accumulent chaque année) mais j'imagine que je vais replonger dans Glorantha à nouveau pour 2014 avec ce beau Guide. Comme j'ai de l'estime pour l'humour et la créativité de Bruce Heard, j'attends aussi son univers de vaisseaux volants de Calidar (même si, lucidement, je ne pense pas vraiment y jouer).

En revanche, je regrette de ne pas avoir participé au Kickstarter de Hillfolk: A Game of Iron Age and Drama de Robin Laws (contrairement à Greg qui l'a déjà reçu). Je n'accroche pas à certains jeux hyper-narrativistes abstraits mais je me demande si ce jeu "dramatique" ne serait finalement pas parfaitement adapté pour l'hypothétique campagne Edain. En lisant les textes sur les Enfants de Hurin, je me demande si je n'ai pas choisi une date un peu trop tôt. Mais d'un autre côté jouer à l'époque de Turin Turambar risquerait d'être un peu ennuyeux pour les joueurs.

lundi 30 décembre 2013

Comparaison de la 1e et 4e édition de Das Schwarze Auge


L'entrée L'Œil noir de Wikipedia compare déjà de manière très précise les différentes éditions entre la première de 1984 et la 4e (2001), mais j'avais envie de refaire le même survol, tant il est vrai qu'on lit mieux quand on a écrit. En revanche, pour une fois, le site du GROG, qui est notre meilleur outil rôludique en France, me semble avoir un peu négligé les éditions après la première dans son étude de la gamme (même dans leur excellent Portrait de famille).


  • DSA1 (1984)

La première édition de L'Œil noir était dispersée entre plusieurs boites par Ulrich Kiesow, Règles de base et Règles étendues (par Werner Fuchs, qui n'était autre que le beau-frère d'Ulrich Kiesow, Das Schwarze Auge a été longtemps une histoire de famille autour de Kiesow même après son décès). Je vais essayer d'en faire une brève synthèse.

En revanche, je ne parlerai pas de la brève tentative des Règles avancées dans les deux boites Schwertmeister (1987-1988) de l'Autrichien Hadmar von Wieser, qui avait introduit un système assez différent, nettement plus simulationniste, encore plus runequestien (avec localisation des coups, même en dehors des réussites critiques), mais qui fut vite abandonné devant son échec commercial et je n'ai pas l'impression que cela ait eu beaucoup d'influence sur la suite du jeu comme si la seconde édition avait au contraire plutôt tenté de se démarquer de cette version et de son univers radicalement différent.

Création de personnage
On tirait ses 5 Qualités (Eigenschaften) avec 1d6+7 (8-13) : Courage (Mut), Intelligence (Klugheit), Charisme (Charisma), Adresse (Geschicklichkeit), Force Physique (Körperkraft). Un 13 en Adresse donne un +1 soit en Attaque, soit en Parade, 13 en Force donne +1 aux dégâts. Si sa Force physique dépasse 12 en général, son bonus aux dégât sera égal à (Force Physique -12). A partir de la 3e édition de 1993, l'Adresse sera divisée en deux : Dextérité (Fingerfetigkeit) et Agilité (Gewandtheit).

Il y avait des caractéristiques dérivées comme l'Energie Vitale (points de vie), l'Endurance (points de fatigue = Energie vitale + Force Physique), l'Energie astrale pour les sorts et le Karma pour les miracles religieux. Tout le monde commençait avec un score de 10 en Attaque et 8 en Parade mais cela était modifié aussi par l'Adresse et par l'arme (mais la compétence spécialisée n'entrera en jeu que dans la seconde édition).

Selon ses Qualités, on pouvait entrer dans un des 9 Types (classe de personnage). On a des chances de passer ses premiers niveaux en étant seulement un Aventurier avant de pouvoir entrer dans certains Types plus élaborés pour le combat ou vers la religion. Mais certains Types ne sont accessibles qu'à la création de personnage (Elfe, Elfe des Bois, Nain, Magicien) ou jamais.

Aventurier : aucune condition à remplir, peut plus tard devenir Cavalier, Druide, Guerrier ou Prêtre (mais pas Mage) s'il progresse, mais n'a pour l'instant pas droit aux armures lourdes (de protection >5) et aux armes à deux mains. Energie vitale de départ: 30
Cavalier (littéralement, le Streuner, "Errant", est plutôt un Vagabond picaresque, un peu charlatan flamboyant) : doit avoir au moins 13 en Courage et en Adresse. N'a pas droit aux armures lourdes et aux armes à deux mains mais a une aptitude à apprendre de touche-à-tout qui rend les Aptitudes plus faciles. Energie vitale de départ : 30
Druide : doit avoir au moins 13 en Courage et Intelligence, le Charisme ne peut pas dépasser 10 (et est donc réduit à ce montant si un Aventurier ou un Nain deviennent Druides). Il ne peut pas porter d'armes de métal, seulement du bois ou de l'obsidienne. Energie vitale : 30, Energie astrale : 20.
Elfe : doit avoir au moins 12 en Intelligence et Adresse. Ne peut porter armure lourde et armes à deux mains. Energie vitale : 25, Energie astrale : 25 (mais n'a pas accès à toutes les formules du Magicien). A chaque Niveau, il peut monter d'1d6 soit en Energie vitale soit en Energie astrale.
Elfe des Bois : doit avoir au moins 13 en Courage et en Intelligence. Ne peut porter armure lourde et armes à deux mains. Formules différentes de celles de l'Elfe. Energie vitale : 25, Energie astrale : 30.
Guerrier : doit avoir au moins 12 en Courage et en Force. Peut porter l'armure lourde de chevalier et toutes les armes. Energie vitale : 30.
Magicien (Magier) : doit avoir 12 en Intelligence et en Charisme. Il ne peut porter d'armure supérieure à de la cotte matelassée (Protection 2) et comme arme qu'un poignard ou sa baguette magique. Energie vitale : 20, Energie astrale : 30. Il peut gagner au choix 1d6 en Energie vitale ou en Energie astrale par Niveau et peut aussi s'acheter un point d'Energie astrale dans une Guilde à 49 ducats d'or.
Nain : doit avoir au moins 12 en Force et en Adresse. Peut devenir aussi Druide ou Prêtre (les éditions suivantes inventeront une profession séparée des "Géodes" pour les Druides minéraux des Nains). A droit de faire un jet d'Instinct Nain (Zwergeninstinkt) contre une difficulté choisie par le Maître pour détecter la proximité d'un trésor. Ne peut pas porter les armes à deux mains des Humains. Energie vitale : 35.
Prêtre (Geweihte, littéralement un "Consacré") : doit avoir au moins 13 en Intelligence et en Charisme. Ne peut utiliser armures et armes à deux mains. Peut lancer des Prodiges (Wunder) mais doit choisir son Dieu (les Nains doivent généralement prendre Ingerimm le Forgeron mais ils ont le droit de tenter d'autres divinités, sauf Efferd le dieu de la Mer). Energie vitale : 30, Points de Karma : 15

On commence avec 1d6+6 x10 Thalers d'Argent (donc 7-12 Ducats d'or). Pour évaluer cela, une armure de cotte matelassée (protection 2) coûte 4 ducats d'or, l'armure lourde de Chevalier (protection 6, -2 à l'Adresse) coûte 400 ducats. Une Dague (Dégât 1d6+2, -2 à la parade) coûte 3 ducats d'or et une Epée à deux mains (Dégât 1d6+6) coûte 12 ducats d'or.

Evolution des personnages
Une aventure rapporte des Points d'aventure et on peut ainsi monter en Niveau. La progression est la même pour tous les Types. Elle a l'air de suivre la progression des nombres triangulaires : pour dépasser le Niveau N, il faut (N2+N) x50 points d'aventure. A chaque nouveau Niveau, un personnage gagne
(1) au choix un point dans une Qualité (avec un maximum de 20),
(2) soit un point en Attaque (avec un maximum de 18) soit un point en Parade (avec un maximum de 17),
(3) 1d6 en Energie vitale ou s'il est Elfe, Mage en Energie Astrale, ou s'il est Prêtre en Karma. Un Aventurier moyen de 10e Niveau aura donc 85 points de vie.

Dans les règles étendues, on reçoit en plus 10 points à chaque Niveau pour acheter des "Aptitudes" (en allemand Talente, compétences). Ce système devient donc plus complexe en mélangeant Classes et Compétences, plus ou moins chères selon les Classes (le touche-à-tout débrouillard du "Streuner" n'ayant d'intérêt que par sa capacité à apprendre vite ces Talents). Il y a une liste en 4 catégories : Physique (Combat à mains nues, combat à distance, escalade, équitation...), Intersubjective (Diplomatie, Marchandage, Séduction...), Savoirs (Lire/écrire, Médecine, Alchimie...) et Survie (Connaissance des plantes, des animaux, Sens du Danger) et il y a des conseils ingénieux pour choisir le coût des compétences en proportion du nombre total qu'on va décider de mettre dans le jeu.

Combat
Une des règles les plus amusantes de L'Oeil noir était l'idée que c'était le Courage qui décidait de l'Initiative, et non l'Adresse.

Les combats étaient assez proches de RuneQuest : Attaque/Parade/Dégâts/Protection. Les Règles avancées ajoutèrent des options comme de Charger pendant quelques tours ou bien des Réussites critiques/Maladresses qui rendaient possible une localisation du coup et qui avaient une chance de vaincre un adversaire plus rapidement.

Magie
La Magie aventurienne n'est peut-être pas très puissante dans le jeu de base mais elle peut être d'usage assez facile - le sort de guérison notamment. L'Energie astrale se régénère lentement, entre les aventures (une règle plus tardive précisera 1d6 par nuit seulement, comme l'Energie vitale). Dans les règles de base, la seule limite aux Sorciers était donc plus leur Energie astrale que leur connaissance du sort (par la suite, il faudra ajouter un jet pour lancer le sort).

En montant en Niveau, on peut sacrifier des points dans un Baton magique qui permet de réduire le coût du sort en Energie astrale et qui acquiert diverses capacités graduellement comme Lumière ou ensuite Flammes ou Epée de Feu. On raconte qu'il existe une "Fontaine Noire" qui rétablit l'Energie astrale.

Les Elfes du jeu de base ont accès à seulement 7 formules possibles : (1) Balsamon (en VO Balsamsalamund) guérit 1 point de vie pour 1 point d'énergie astrale). (2) Lumen et Candela (en VO Flim-Flam-Funkel) lumière pour 1 point d'Energie astrale. (3) Foramen Foraminor ouvre les portes pour 8 points d'Energie astrale. (4) Protectio armatura (VO : Armatrutz) : rajoute sur soi 4 points de Protection pour 2 points d'Energie astrale, durée : un combat. (5) Vanitar visibili : invisibilité, 2 points astraux pour 1 personne et 2 rounds, avec maximum de 5 rounds + Niveau (6) Fulminictus (VO Fulminictus-Donnerkeil) fait 3d6 + Niveau dégâts, portée 7 mètres, 1 point astral par point de dégât (7) Bannbaldi (Bannbaladin) fait croire à la cible qu'il est votre ami. Jet d'opposition entre 3d6+Niveau de la cible contre (Niveau du Mage+1)x dés +Charisme, 8 points d'Energie astrale.

Les Mages ajoutent à ces sept sorts des Elfes 6 formules de plus dans les Règles de Base comme Claudibus Clavistibor (fermer les portes), ou le très joli sort de fanatisme berserk Amok (Saft-Kraft-Monstermacht, 7 points astraux, où la cible a +4 à tous ses scores de combat pendant 9 assauts + Niveau du Mage mais le Mage doit réussir un jet de Charisme pour le calmer si le combat s'arrête avant la fin de l'effet, sans quoi il continue d'attaquer quand même). Le jeu avancé ajoutait une douzaine de sorts en plus qui ne reposaient plus sur une formule et le sort de Rayon de feu est encore plus puissant que Fulminictus puisqu'il permet de décider du nombre de Points de vie à retirer (1 point astral dépensé = 1 point de dégât).

Les Druides ont surtout des sorts affectant l'esprit d'un autre : Envoutement (21 points d'Energie astrale), Mauvais Oeil (8 points), Contrôle des animaux.

Les Elfes des Bois ont des sorts qui affectent plus la nature que les Druides : Brouillard, Domination des plantes, Alliance avec les animaux, Accélération/Ralentissement (efficace en combat).

Les Prêtres (ou "Consacrés"), contrairement aux Mages, doivent réussir un jet proportionnel à la difficulté du Prodige (Wunder) et à leur Niveau (généralement leur Niveau sur un d20) et s'ils échouent, ils dépensent les points de Karma et courent même parfois quelques risques de rétribution divine s'ils n'amadouent pas leur dieu par un jet de Charisme. Cela les rend sans doute moins puissants que les Mages à bas niveau mais ensuite certains Prodiges dépendent de chaque dieu, comme par exemple le Champ d'Anti-Magie (12 points de Karma, jet sous le Niveau du Prêtre de Praïos) ou Souffle de Vie (15 points de Karma, Résurrection avec jet sous le Niveau de la Prêtresse de Tsa avec malus de +8 au d20).

La plupart des nations de l'Aventurie, en tout cas autour du Mittelreich, adorent un Panthéon appelé les Douze Dieux, dont l'ordre est celui des mois de l'Année :
(1) Praïos (Soleil, Justice, Griffon, Juillet), (2) Rondra (Guerre, Foudre, Lionne, Août), (3) Efferd (en français chez Gallimard "Thylos", Mers, Dauphins, Septembre), (4) Travia (Foyer, Oie, Octobre), (5) Boron (Mort, Corbeau, Novembre), (6) Hesinde (Connaissance, Magie, Serpent, Décembre)

(7) Firun (Chasse, Froid, Ours, Janvier), (8) Tsa (Naissance, Renouvellement, Lézard, Février), (9) Phex (Perex en français, Lune, Nuit, Voleurs, Renard, Mars), (10) Peraine (Agriculture, Cicogne, Avril), (11) Ingerimm (Guérim en français, Forge, Feu, Marteau, Mai) et enfin (12) Rahja (Plaisirs, Vin, Jument, Juin.

On remarque qu'Athéna a été coupée en deux déesses, Rondra et Hesinde mais que Rahja regroupe à la fois Aphrodite et Dionysos, un peu comme dans le monde d'Arcanis la déesse Larissa regroupe à la fois Aphrodite et le talent oraculaire d'Apollon.

Si on veut continuer les analogies, Praïos est plus Ra ou Apollon Phoïbos que Zeus, avec quelques aspects de Dieu monothéiste comme une Eglise intolérante, Rondra a certains aspects aussi de Zeus et de Sekhmet en plus d'Athéna et Arès, Efferd est Poséidon, Travia est Héra + Hestia, Boron est Hadès, Hesinde est Hécate + Athéna, Firun est plus germanique peut-être qu'Artémis, Tsa serait Hébé + Illithye + Asclépios, Phex est Hermès + Séléné, Peraine est Déméter, Ingerimm est Hephaïstos).


  • DSA4 : L'Oeil Noir 4e édition

Il y a désormais 8 caractéristiques, et plus 5 : 4 mentales (Courage, Intelligence, Intuition, Charisme) et 4 physiques (Dextérité, Agilité, Constitution, Force). Il y a aussi une caractéristique de Statut social, comme dans Traveller. Beaucoup des caractéristiques secondaires sont demeurées les mêmes, Energie vitale, Energie astrale, Endurance, Attaque, Parade (plus Tir à distance).

Mais ce qui paraît le plus changé est les Talents. C'est toujours un score sur 20 mais ce n'est plus un score à tester directement ni un score qui donne de manière statique un bonus au test sur les caractéristiques, c'est désormais une sorte de ressource de points. On doit utiliser cette ressources pour trois tests de caractéristiques successifs (idée qui commence avec la seconde édition) qui représentent désormais la compétence : ainsi celui qui a un score en Escalade devra réussir un test en Courage, Force et Agilité et pourra dépenser ses points d'Escalade pour mieux réussir ces trois jets (on dépense après le jet, pour compléter et atteindre une réussite si on a assez de points disponibles). La ressource du Talent se renouvelle à chaque nouvelle scène, on n'a pas à attendre la fin du scénario, ce qui évite quelques dérives de méta-jeu que je déplore un peu dans d'autres systèmes de "réserve".

On crée son personnage en répartissant au total 110 points de Génération et en achetant ainsi caractéristiques et avantages mais pas les compétences (ou les sortilèges), qui se déterminent ensuite. En plus des espèces habituelles (être un Auelf - "Elfe des Plaines" dans l'ancienne traduction - coûte 25 points), il y a désormais des cultures humaines (Impérial, elle-même avec des différences entre Horasiens occidentaux, Garethiens germaniques et Bornelandais slaves, ou bien Tulamide du Mhanadistan ou Thorwalien), qui donnent des packages d'avantages ou talents.

Les caractéristiques s'achètent de manière simple et linéaire : 1 point de Génération donne exactement 1 point dans n'importe quelle caractéristique (mais on ne peut pas dépasser 14 à la création). L'Energie vitale est désormais égale à (2xConstitution + Force)/2 (donc autour de 15 en moyenne, ce qui est plus bas qu'avant) et l'Energie astrale est à (Courage + Intuition + Charisme)/2. Mais certains avantages permettent d'augmenter cette base de départ.

On remarque d'emblée une différence sur l'expérience. Il n'y a plus de Niveau et la Vitalité ne va donc plus augmenter de +1D6 automatiquement, il faut progressivement convertir les "points d'Aventure" pour améliorer ses caractéristiques et ses Talents.

Les anciennes classes ont été remplacées par des Professions, qui sont des profils de groupes de Talents. Elles se divisent en quatre secteurs, qui correspondent à peu près aux quatre secteurs de compétences de la 1e édition : combattants (Guerrier, Mercenaire, Pirate), aventuriers en extérieur (Chasseur, Eclaireur, Messager), personnages louches ou manipulateurs (Cambrioleur, Filou - c'est le Streuner, traduit "Cavalier" dans DSA1 - ou Saltimbanque - Gaukler) et érudits (Mage, Explorateur, Médecin), plus deux professions réservées aux Elfes (Chanteurs de Légendes et Coureur des Bois). Il faut attendre le supplément Wege der Helden (et ensuite Wege der Götter) pour avoir droit aux Prêtres. Certaines Professions ne coûtent pas de points de génération (Cambrioleur, Messager, Saltimbanque, Médecin) mais certaines sont chères (Guerrier et Mages coûtent 20 points). Les Professions ont toujours des pré-requis avec des caractéristiques minimales à atteindre.

Les compétences s'achètent ensuite avec un total de (Intelligence + Intuition) x 20 (donc entre 320 et 560 points). C'est là que la création de personnage devient plus ennuyeuse (comme dans beaucoup d'autres jeux de rôle) et me rappellerait presque plus Légendes que GURPS. Le nombre de Talents devrait d'ailleurs être un peu réduit dans la 5e édition de 2014. La Culture et la Profession avaient donné des scores de départ mais il faut acheter maintenant le reste avec un coût non-linéaire à vérifier à chaque fois sur un tableau puisqu'il dépend du type de compétence (les compétences de combat sont cette fois bien plus chères en points que des compétences intellectuelles).

Chaque sortilège du Mage ou de l'Elfe est traités comme un Talent mais avec un total différent de points d'achat à la création, égal à (Intelligence + Intuition) x 5 (donc entre 80 et 140 points). Les sorts des Elfes ne sont plus tous accessibles aux Mages et ils lui coûtent plus chers.

Suppléments aux Règles de base
Wege der Helden (Les Voies des Héros), 340 pages, me paraît assez indispensable pour dépasser le côté générique des règles de base et ancrer vraiment un personnage dans la profondeur du monde de Dere. Il fournit de très nombreuses cultures différentes à travers toute l'Aventurie, y compris non-humaines (on peut aussi jouer des Hommes-Lézards ou des Orcs par exemple).

Un des buts semble avoir été de concurrencer les carrières de Warhammer.
Les professions martiales sont Amazones, Porte-étendard (Armée Impériale), Gladiateur, Membre de la Garde, Guerrier spécialisé, Chevalier / Chevalière, Ordre de Spadassins, Reître et Mercenaire, Guerrier tribal.
Les professions en extérieur sont Emissaires, Explorateur, Commerçant, Pêcheur, Conducteur de diligence, Veneur, Berger, Chef de caravane, Marin, Contrebandier, Brigand sur la route.
Les professions dites "sociales" sont Artiste de Cour, Barde, Courtisan, Courtisane, Crieur public, Ecrivain, Héraut, Indicateur pour la police, Mendiant, Parasite bon-à-rien, Patron d'auberge, Précepteur, Voleur.
Les professions de savoir et savoir-faire comprennent l'Architecte, Artisan, le Barbier, Copiste, Domestique, Dresseur, Erudit, Montagnard, Paysan, Travailleur journalier.
Cela ajoute aussi de nouvelles classes de Mages (p. 154-205) : Alchimiste, Derviche, Chaman change-forme, le Danseur-Mage, le Géode Nain, la Sorcière, le Cristalomancien (magie des Hommes-Lézards). Il y a des douzaines de Guildes de Mages différentes à sélectionner.
De même, les Prêtres sont détaillés pour chaque dieu différent, avec les différents Ordres associés (p. 206-240).


  • Conclusion

La 4e édition n'est pas aussi accessible que la 1e par son système de Talents et aussi à cause de l'absence de module d'introduction dès le livret. Mais si on le très beau supplément de Wege der Helden, cela commence à devenir un jeu très fouillé et l'Aventurie commence vraiment à y vivre, avec ses douzaines et douzaines de sectes, d'écoles, de factions locales. DSA semble avoir rompu avec ses racines D&D tout en ayant vraiment une continuité dans certains des détails d'atmosphère. Les règles d'enchantement de bâton magique sont toujours là, très proches de la première édition.

samedi 28 décembre 2013

Steve Perrin créateur original de Black Panther ?

Via Kristopher Militant Mosby, je découvre que Steve Perrin (qui créa en 1978 le jeu de rôle RuneQuest) aurait aussi, douze ans avant, anticipé voire contribué indirectement à la création du célèbre personnage de Marvel Black Panther !

 
Source : Bill Schelly, Founders of Comic Fandom, p. 121.
A dix-huit ans vers 1964, Steve Perrin avait été à Santa Barbabra puis à San Francisco State College (où il faisait des études d'art dramatique). D'après cet article, il participait à de très nombreux fanzines sur les comics, Mask & Cape, Rocket's Blast, Bombshell, Rapport, Comic Feature, Intrigue, Countdown, Hero, Masquerader, Super Hero, Yancy Street Journal, et Voice of Comicdom. Il avait déjà créé dans Mask & Cape un personnage aveugle, Doctor Darkness (inspiré du personnage de l'Âge d'Or Doctor Mid-Nite, son associé s'appelle Captain Liberty). Perrin devint le rédacteur en chef de Mask & Cape à partir du numéro 4 (titré "Summer Edition" mais en réalité octobre 1964) où il crée un personnage américain noir, Black Phantom, dans un récit en prose avec quelques illustrations de Ron Foss, avec un jeune sidekick nommé Wraith (une version en comic book parut deux ans après dans Fantasy Illustrated #6. Le personnage de Lafayette Jefferson, ingénieur de Caltech, est membre du NAACP et a créé son identité de Black Phantom, The Battler Against Bigotry, pour lutter contre les autorités racistes et les membres du KKK dans les Etats du Sud - l'histoire est nettement plus politique que ce que deviendra Black Panther de Jack Kirby deux ans plus tard dans dans Fantastic Four #52 (juillet 1966).


illustrations scannées via Mosby

Les deux costumes du Black Phantom et de Black Panther se ressemblent énormément mais cela pourrait être une coïncidence. Je ne sais pas si Kirby et Stan Lee pouvaient avoir accès à ces fanzines mais il est certain que Roy Thomas, qui venait d'être engagé en 1965, avait directement fréquenté ces réseaux par son propre fanzine Alter Ego.

La version de Jack Kirby en fait un Roi africain d'un pays imaginaire qui ressemblerait plus au vieux héros des comic-strips le Phantom de Lee Falk (avec peut-être aussi une influence de Lion-Man qui était apparu dès All-Negro Comics, un one-shot d'Orrin Evans (1902-1971) en 1947, et qui lui aussi défendait une montagne mystique contre des exploiteurs occidentaux), alors que le Black Phantom de Steve Perrin est Américain et directement lié aux enjeux de l'actualité des Droits civiques, ce qui peut suggérer que leur ressemblance n'est pas qu'une coïncidence.

Par la suite, Steve Perrin créa un jeu de rôle de superhéros, Superworld, fusion des principes du Basic Role-Play et du système de Champions. Il créa aussi des aventures pour Champions e(dont V.O.I.C.E of Doom, 1987, où il réutilise le Black Phantom) et ensuite quelques comic books du personnage The Huntsman (ex-Marksman) pour Heroic Publishing, la compagnie de Dennis Mallonee qui avait repris et adapté des personnages de ce jeu de rôle. Sur son site, on trouve le récit d'une campagne "historique" de superhéros, le groupe Vanguard, où ils ont joué de 1947 à 1964 dans le temps fictif.

jeudi 26 décembre 2013

Retour en Aventurie : Une chronologie récente de l'Oeil Noir


En 1985 sortit la traduction française de la première édition de l'Oeil Noir et les Français n'ont jamais disposé des trois autres éditions allemandes depuis (1988, 1993, 2001 - la cinquième doit paraître en mai prochain en 2014). Das Schwarze Auge (nommé ainsi pour un artefact au nom très sauronien qui ressemblait à une boule de cristal ou à un palantír) a été un succès énorme dans les pays germanophones et depuis 30 ans, il a accumulé littéralement des centaines de scénarios, plusieurs centaines de romans, des douzaines de descriptions régionales au point que je plains sincèrement le collectionneur complétiste de ce jeu. Je me demande si cela ne pourrait pas dépasser en quantité même les Royaumes Oubliés de D&D (sans même parler d'autres mondes de D&D).

Je serais devenu plus doué dans la langue de Hegel si Das Schwarze Auge avait dépassé en importance RuneQuest dans mon adolescence. Mais comme je suis passé complètement à côté de ce jeu à l'époque et ne l'ai découvert qu'assez récemment, je n'ai aucune nostalgie, seulement une sorte d'étonnement fasciné envers un univers si familier (du médiéval-fantastique tolkiénien en gros, avec quelques gouttes de mythologie grecque et scandinave pour la mythologie) et si exotique sur certains points (l'humour y est souvent plus direct que dans des univers américains, un peu comme dans Mystara : un Pape se fait tuer par une démoniaque "Zadig von Volterach" par exemple). L'autre continent de Myranor est plus original et non-tolkiénien avec ses diverses races de centaures ou de félins, et une ambiance plus nettement antique que l'Aventurie.

Les compagnies de jeu de rôle ont une tendance à multiplier les univers alors que les créateurs de l'Aventurie ont été minutieux, réguliers, persévérants et n'ont jamais cessé depuis trente ans de creuser le même et unique univers qui a fini par gagner des encyclopédies entières et des annuaires de PNJ (pardon, Meisterpersonen). La quantité d'arbres généalogiques permet de se rapprocher de Game of Thrones.

La chronologie du monde de Dere et de l'Aventurie a donc continué à évoluer depuis 1984, même si cela n'a pas été aussi brutal que d'autres univers. Sur certains points, cela peut faire penser à ce que faisait aussi Traveller avec son Imperial News Service : un périodique officiel appelé l'Envoyé Aventurien (Aventurischer Bote) a fait évoluer l'actualité en correspondant presque avec l'écoulement du temps réel (le numéro 162 vient de sortir). Il y a d'ailleurs plusieurs ressemblances avec Traveller : là aussi l'Empereur est mort et cela a déclenché une guerre civile, là aussi il est revenu (mais j'imagine que c'est une loi du jeu de rôle, les univers tendent toujours à être brisés pour donner un contexte de conflit plus propices au jeu).

On devait jouer environ vers l'an 1000 après la Chute de Bosparan il y a 30 ans de temps réel et on arrive maintenant au milieu des années 1030. Un des petits détails-qui-font-vrai que j'aimais bien dans l'Aventurie était le fait que toutes les populations n'utilisaient pas ce calendrier historique et se servaient le plus souvent des années de règne du pouvoir en place actuel. C'était un peu agaçant pour le MJ peut-être mais assez proche de ce que j'imagine avoir été le rapport au temps historique réel. Traditionnellement dans le Mittelreich, on se servait donc du règne de l'Empereur Hal et on comptait d'après son arrivée au trône. Les premiers modules étaient en "l'An 5 de Hal" (l'année d'accession comptant comme une Année 0 et non un An I). Je vais me concentrer sur cette zone du Mittelreich pour donner une idée de ces trente années.



  • Le Règne de Hal (994- 1010 ?)

994 Hal, fils de Retho von Gareth, devient le nouvel Empereur (29 ans) du Mittelreich de Gareth. On ignore son secret : le vrai Hal est mort à la naissance et ce "Hal" est en réalité sa soeur jumelle, élevée depuis sa naissance comme un homme. Son épouse, la Reine Alara, du Royaume d'Al'Anfa, est bien sûr dans le complot et elle a eu un enfant héritier, le Prince Brin (né en 984), dont le vrai père n'est autre que l'ancien Empereur Retho von Gareth. [En français, je vois que son nom est Erwin]
995 (An I de Hal) Le Royaume Matriarcal d'Aranie et la Cité de Khunchom déclarent leur indépendance de l'Empire mais l'Empire réprime un soulèvement sur la Grande Île de Maraskan.
997 (An III de Hal) L'Empereur Hal se fait déifier.
998 (An IV) Le Prince Brin (14 ans) épouse la Princesse Emer ni Bennain d'Albernie, et c'est sa soeur Invher ni Bennain qui hérite du titre. [La version française de Gallimard l'appelait Azade Beraoun, et les noms celtiques n'étaient pas conservés pour l'Albernie.]
1002 (An VIII) L'Incident de la Danse écarlate : deux des Mages de la Cour, Galotta et la célèbre Nahema (qui possède un "Oeil Noir" qui lui permet de voir à travers le temps et l'espace) se disputent. Galotta invoque un démon mineur qui tue une danseuse pendant le Bal impérial. Il est flagellé et condamné à l'exil par Hal. Galotta tentera de se venger en levant une horde d'Ogres contre Gareth. Les Ogres sont vaincus à la bataille de la Portetroll par le Maréchal Helme Haffax.
1003 (An IX) Révolution chez les Amazones où le Thaumaturge Xeraan se fait passer pour leur Déesse Rondra et tente de prendre le pouvoir à Kurkum (aventure La Reine des Amazones).
1006 (An IX) La Trahelie devient indépendante sous le nom de Kahet ni Kemi.
1008-1009 Guerre de Khôm entre l'Al'Anfa (qui adore Boron le Corbeau) et le Califat (qui adore le Dieu unique Rashtullah). Le Califat est envahi par la théocratie de Boron mais finit par les renvoyer et le Patriarche d'Al'Anfa meurt mystérieusement. Le grand marin de Thorwal, Asleif Phileasson, commence sa grande expédition autour de l'Aventurie et gagne son pari. Le Prince Brin a deux filles jumelles, Rohaja et Hippolyta, mais les héritiers mâles avaient normalement la priorité.
1009 (An XV) Un groupe d'aventuriers, avec l'aide du Dragon Teclador, vainc le mage Liscom de Fasar, qui cherchait à ressusciter Borbarad, le plus puissant des anciens Mages maléfiques, frère jumeau de l'Empereur du VIe siècle Rohal (aventure Staub und Sterne, 1991).


  • Guerre civile et Régence de Brin (1010-1021)

1010 (An XVI) Guerre entre Thorwal et Nostrie. L'Empereur Hal disparaît sans laisser de traces pendant une chasse. Le Royaume de Yaquir de la Reine Amene se proclame "Empire restauré de Horas" (Horasreich). Le Chancelier Answin von Rabenmund se déclare Régent du Mittelreich et refuse de reconnaître le Prince Brin (qui a 24 ans). Après un an de Guerre civile, le Prince Brin, qui a vaincu une invasion d'Orques, renverse Answin et se proclame Régent tant qu'on n'aurait pas retrouvé son "père" légal (qui est en réalité sa demi-soeur).
1011 (An XVII) Brin a un fils qu'il nomme "Selindian Hal".
1014 Schisme religieux dans l'Eglise de Praios, le dieu du Soleil : le prêtre Hilberian rencontre des Griffons et se proclame le Lumérien, l'Envoyé de Praios et la majorité de l'Eglise refuse de le reconnaître. Le Schisme se finit quelques années après, pendant la Guerre contre Borbarad à la mort du chef de l'Eglise de Praios en Aranie et la victoire des partisans de Hilberian.
1015-1016 Liscom von Fasar, qui avait été arrêté six ans avant, arrive cette fois à ressusciter Borbarad, le Maître des Démons. Borbarad s'allie au Dieu Sans Nom, l'Anti-Dieu.


  • La Guerre contre Borbarad

1017 Borbarad détruit la cité d'Altaia sur l'île d'Altoum. Des groupes de Maraskanis fuient leur île pour s'installer en secret sur le continent.
1019 Début officiel de la Guerre contre Borbarad. Il envahit l'île de Maraskan et dévaste Kurkum, la capitale des Amazones.
1020 Grande convention panaventurienne à Punin de toutes les Guildes des Mages (Union du Pentagramme Blanc, Guilde Grise de l'Esprit et Confrérie de la Sapience) pour répondre à la Guerre de Borbarad. Plusieurs aventures et quêtes ont lieu cette année contre Borbarad dont celle des Sept qui rassemblent l'Epée sept-fois forgée et les Sept Artefacts.
1021 (An XXVII) Bataille des Démons à Portetroll entre les Armées de Borbarad et la Coalition. Le Régent impérial Brin meurt pendant la bataille. Défaite de Borbarad qui disparaît temporairement. Il a réparti ses démons et les parties de sa Couronne des Démons en ses sept Heptarques qui continuent à régner sur les territoires conquis après sa défaite : Rhazazzor le Dragon noir, Galotta le Banni, Xeraan (celui qui avait tenté de conquérir les Amazones en 1003), Glorana la Sorcière des Glaces, la Skrechu reptilienne, Dimiona von Zorgan et l'ancien Maréchal impérial Helme Haffax le Félon, gouverneur de Maraskan.


  • La Reine puis l'Impératrice Rohaja (1022-présent)

1022 (An XXVIII d'Hal) La Reine Emer ni Bennain est Régente de l'Empire. Hal est officiellement déclaré mort après 12 ans de disparition et son cercueil vide est enterré. Comme le Prince Selindian Hal n'a que onze ans et que le Régent Brin avait fait changer la loi de succession, c'est sa fille aînée, Rohaja (14 ans) qui est nommée "Reine de Gareth" par la Diète impériale, mais pas encore officiellement Impératrice.
1023 L'Empire Horasien dévaste la cité nordique de Thorwal en représailles contre les raids des vikings thorwaliens. Asleif Phileasson le Roi des Mers commence sa grande expédition vers l'ancien Continent des Terres d'Or à l'Ouest, qui est la terre d'origine des êtres humains hors d'Aventurie.
1024 Diète de l'Empire et jugement de la Princesse Hippolyta von Gareth, qui avait falsifié des documents pour discréditer sa soeur jumelle, la Reine Rohaja. Elle est bannie pour 12 ans. La Skrechu, une des Heptarques, lance ses armées autour du Marais des Ecailles.
1025 La Nostrie est emportée aussi dans la Guerre entre Thorwal et l'Empire Horasien.
1026 Nouvelles invasions orques en Albernie. Armistice entre Thorwal et l'Empire Horasien.

1027 L'Année du Feu : Deux des Heptarques, le Dragon Rhazazzor et le Mage Galotta envahissent l'Empire. Leonardo de Havena devient Heptarque. Nouveau Concile des Guildes des Mages à Gareth.
1028 Suite de l'Année du Feu. Développement de la Guerre dans le Mittelreich avec les Heptarques, jusqu'à la capitale de Gareth. La Reine Amene de l'Empire Horasien meurt et cela déclenche une autre Guerre de Sucession au bord de l'Empire en trois camps principaux, la Guerre des Dragons : la Mage Aldare Hesindia Firdayon, son jeune frère Timor Firdayon et l'exilé Galahan von Kuslik. La fille disgrâciée du Royaume d'Aranie, l'Heptarque Dimiona von Zorgan est tuée en tentant de conquérir le domaine de sa mère. L'ancien Chancelier Answin von Rabenmund revient comme un recours. Le Prince héritier Selindian Hal (17 ans) est assassiné puis ressuscité par l'Eglise de Boron et commence à revendiquer contre sa soeur aînée Rohaja son droit de seul héritier mâle. Les forces des Heptarques sont vaincues et quelqu'un qui semble être le vrai empereur Hal disparu 18 ans avant revient pour soutenir la cause de son héritière Rohaja contre les forces d'Answin (Bataille des Trois Empereurs). Le vieux Sénéchal impérial Jarst Gorsam de la Maison de Grande-Rivière et Duc des Marches-du-Nord, assure la Régence jusqu'à la victoire de Rohaja.



1029 Rohaja (21 ans) se fait officiellement couronner Impératrice à Gareth. Elle décide que le calendrier impérial sera désormais "depuis la chute de Bosparan" et non plus depuis son couronnement et elle revient à la coutume d'une Cour itinérante, mais son frère Selindian Hal, qui n'est officiellement que "Roi d'Almada", se fait aussi couronner Empereur à Punin (capitale de l'Almada) quelques jours après sous le nom de Hal le Second (mais en pratique son autorité reste limitée à son Royaume à l'intérieur du Mittelreich et il n'y a pas de guerre armée entre les deux prétendants). L'Heptarque Xeraan est vaincu par son rival le Maréchal Helme Haffax.
1030 Fin de la Guerre civile de l'Empire Horasien qui durait depuis deux ans entre "Aldariens" et "Timoristes" :  Khadan Varsinian Firdayon, le fils d'Aldare Firdayon et du Dragon Shafir devient le seul héritier et son oncle Timor se retire.
1032 Après plusieurs années d'intrigues et de conflits, l'Impératrice Rohaja réussit à contrecarrer les plans de sa tante Invher ni Bennain, soeur de la Reine-Mère Emer, épouse de Galahan von Kuslik (prétendant malheureux au trône du Horas-Reich) et Reine d'Albernie pour déclarer l'indépendance de son territoire. Invher doit se retirer dans un Temple de Rondra. Sa mère Idra ni Bennain devient Régente en attendant la majorité du Prince Finian ui Bennain.  La Reine Emer meurt. Hal II apparaît dans les rêves de milliers de personnes, ce qui passe pour un présage qu'il serait un Empereur divin surnommé "l'Empereur de la Lune".
1033 Hal II  épouse la Princesse Tulameth, fille du Calife.
1034 Convention panaventurienne des Guildes à Kuslik : Hippolyta von Gareth, bannie de l'Empire depuis 10 ans, entre dans la Guilde Grise. Hal II a un fils, Raul Eslam von Gareth, mais le père et le fils meurent tous les deux dans l'année, au grand étonnement des joueurs qui croyaient à un destin plus glorieux pour le prétendant au trône déjà ressuscité une fois et Empereur de la Lune. L'Impératrice Rohaja met fin pacifiquement aux cinq années de quasi-indépendance de l'Almada et nomme l'ancien Maréchal de son frère, la vieux Gwain Isonzo von Harmamund nouveau Prince d'Almada.

Le "présent" actuel est 1036 Après la Chute de Bosparan. A la surprise de la Cour, l'Impératrice Rohaja, 28 ans, aurait annoncé ses fiançailles avec le Marquis Rondrigan Paligan von Perricum, 31 ans, Conseiller diplomatique spécial et chef des Services secrets impériaux.

Source : Wiki-Aventurica
Il y a aussi une autre version de la chronologie en français sur Aventurie.com, moins garetho-centriste mais elle ne va que jusqu'en l'An 15 de Hal (1009 après la Chute de Bosparan).

mardi 24 décembre 2013

"Tolkien Akbar"

SPOILER!
Une longue critique de The desolation of Smaug qui couvre la totalité de l'épisode, si vous vous fichez de découvrir déjà tous les ajouts par rapport au livre.

  • Quelques bonnes idées du film
Balin (joué par Ken Stott) est très sympathique, ce qui rend la découverte de sa mort dans la chambre de Mazarbul de Khazad-dûm dans Fellowship of the Ring plus poignante (mais dans mon souvenir, c'était déjà dans le livre). Martin Freeman (Bilbo) est infiniment plus charismatique que le larmoyant Elijah Wood - ou bien la différence réside peut-être dans le personnage et non dans l'acteur.
Tauriel est finalement à ma grande surprise plus supportable que je le pensais parce que l'histoire manque cruellement de personnages féminins (Peter Jackson a dit que sinon les personnages masculins risquaient de "dominer", heu, non, il n'y aurait eu aucun personnage féminin à part le passage ajouté de Galadriel ou les filles de Bard). Mais on ne croit pas une seconde à cette histoire d'amour de Tauriel avec Kili (c'est un coup de foudre sans aucun essai de justification), les allusions salaces tombent à plat ("fouillez aussi mon pantalon", oui, très tolkiénien quand on connaît la pudibonderie de cet univers) et le triangle amoureux avec Legolas est carrément grotesque (elle s'éprend de Kili parce qu'elle sait qu'elle n'est qu'une Elfe sylvestre roturière qui n'a aucune chance avec un fils de Thranduil). 
Le trésor de Smaug en trésor de l'Oncle Picsou est certes immense mais je trouve cela plutôt réussi. 
Accroître le rôle de Bard est aussi une bonne idée en théorie pour qu'il n'ait pas l'air de sortir de nulle part à la mort de Smaug (ce qui est le plus gros défaut du Hobbit originel), mais en pratique, cela ne marche pas parce qu'ils veulent en faire un Robin Hood démocrate alors qu'il ne réussit que parce qu'il est l'héritier du seigneur de Dale.  

  • Quelques mauvais éléments
Environ la moitié du film est seulement un jeu vidéo avec des gens qui courent en sautant sur un jeu de plate-formes. Cela en devient pénible et de moins en moins convaincant dans la dernière heure de poursuite à travers Erebor où les scénaristes tentent de faire durer pour justifier qu'on ne tue pas Smaug tout de suite. J'aime beaucoup lire des épopées où on décrit des combats interminables individuellement mais au cinéma, je ne suis pas persuadé. On a l'impression de revoir 500 orques se faire tuer les uns après les autres, soit par des flèches lancées, soit par des flèches enfoncées directement, soit par des coups d'épée. Il y a de quoi vous dégoûter de tout combat. Et il y a tellement d'Orques, leur mort devient insignifiante et glaçante. 
Les douze dernières années ont été assez cruelles envers ce pauvre Orlando Bloom qui avait 23 ans pendant le tournage du LotR et 35 ans pour le Hobbit, et qui semble avoir presque perdu sa silhouette fluette et androgyne (Ian McKellen s'en tire bien mieux dans son maquillage, les changements ne sont pas aussi évidents entre 61 ans et 73 ans).
Tout le film est tourné vraiment uniquement comme un prequel qui ne cesse de rendre hommage à la trilogie dans le futur au lieu de tenter d'être son propre sujet. Cela nuit vraiment à la spécificité originale de cette quête qui n'est plus qu'un épisode prologue. Si vos enfants n'ont jamais vu aucun épisode de la série, je me demande s'ils ne comprendront pas mieux en commençant par les épisodes 4,5,6 que par cela (oui, Jackson a donc vraiment imité Lucas sur ce point). 
Le troisième va être encore pire : 2h30 avec seulement Bard qui s'évade, reprend sa flèche noire, tue Smaug et la Bataille des Cinq Armées alors que Sauron part de la colline de Dol Guldur et retourne se cacher dans la tour mordorienne de Barad-dûr ?

vendredi 20 décembre 2013

L'ontologie des Silmarils


Red Rose, proud Rose, sad Rose of all my days!  
Come near me, while I sing the ancient ways:
Cuchulain battling with the bitter tide; 
The Druid, grey, wood-nurtured, quiet-eyed,
Who cast round Fergus dreams, and ruin untold;
And thine own sadness, whereof stars, grown old
In dancing silver-sandalled on the sea,
Sing in their high and lonely melody.
Come near, that no more blinded by man's fate,
I find under the boughs of love and hate,
In all poor foolish things that live a day,
Eternal beauty wandering on her way.

William Butler Yeats, 1893


Le Fétichisme et l'idolâtrie des Biens : sacrifice et convoitise

Le monde du Seigneur des Anneaux n'a sans doute pas une "économie" réaliste avec son aspect post-apocalyptique et sa si faible densité démographique. Mais il a un arrière-fond qui n'est pas seulement anti-moderne au sens d'anti-technologique, il est aussi anti-économique, pré-capitaliste lié à une sorte de romantisme féodal où on feint de croire que la relation de vassalité à une sorte d'aristocratie "naturelle" et morale devrait remplacer la loi d'airain d'attachement aux choses.

L'autorité légitime se donne toujours comme refus de tout désir de domination, les bons monarques sont réticents et non conquérants (c'est l'aspect d'humilité catholique qui vient se substituer à l'orgueil épique) : Fingolfin est le bon Roi par excellence et il suit son peuple plus qu'il ne commande avant de se sacrifier pour lui, Aragorn doit avant tout dépasser sa propre réserve à reprendre le trône. Certes, il peut y avoir un péché dans le désir de domination sur les autres mais on voit bien qu'un des thèmes constants est plutôt l'aliénation aux choses rares, et notamment à la beauté artificielle comme substitut et comme écran à la beauté de la nature (et même cette beauté de la nature reste un attachement à ce monde et sa finitude par rapport au don de l'éternité). Tout le Silmarilion se joue sur cet attachement abusif à une oeuvre d'art (et c'est redoublé avec un autre bijou, le Nauglamir qui cause la destruction du Doriath comme le Collier d'Harmonie avait détruit la famille d'Amphiaraos). C'est la cupidité qui cause la perte des Nains (et même sans les Sept Anneaux des Nains : l'Arkenstone aussi dans le Hobbit).

Le Seigneur des Anneaux n'a pas seulement repris la malédiction de l'Or du Rhin, attachement au bien rare qui finit par détruire tous ceux qui se disputent pour lui. Comme le remarque  Charles Delattre dans Le cycle de l'Anneau : De Minos à Tolkien (2009), on peut penser non pas seulement à l'Anneau d'invisibilité de Gygès (qui corrompt aussi celui qui le porte) mais à l'Anneau de Polycrate. Polycrate, tyran de Samos, est trop heureux et les dieux n'aiment pas cette démesure. Il doit donc tenter de montrer aux dieux qu'il sait que sa prospérité ne vient pas de lui, qu'elle est un don de la Fortune, et pour ce faire, il propose, sous le conseil de son allié le Pharaon d'Egypte, de sacrifier ce qu'il a de plus précieux, un Anneau en le jetant dans la mer. Le jet dans l'eau est un rituel qui continue encore dans de nombreuses fontaines : on fait l'éloge du Don à perte dans l'écoulement, pour se rappeler que ce qu'on a entre dans une circulation générale et ne devrait pas être seulement approprié ou thésaurisé de manière égoïste. Mais l'Anneau de Polycrate lui revient ensuite dans un poisson et ce cercle du retour à l'envoyeur semble empêcher de participer au cycle normal de la circulation des choses : Polycrate est prospère par ce qu'il a mais n'arrive même plus à donner. Les dieux ont donc refusé son Don, comme tentative intéressée de paraître désintéressé. Ses alliés qui lui avaient conseillé l'oblation en apprenant qu'il a récupéré son Anneau l'abandonnent et il finira pas être écrasé par les Perses.

L'histoire de Polycrate inversait déjà la quête traditionnelle. Au lieu de chercher à acquérir un MacGuffin pour atteindre l'immortalité, le personnage tentait en vain de se débarrasser d'un bien pour fuir la mort. Son échec à faire son sacrifice finissait par le détruire. Dans la première ébauche du Seigneur des Anneaux, Tolkien avait pensé que les personnages utiliseraient l'Anneau directement contre Sauron avant de trouver cette idée si brillante de la Quête inversée : supprimer l'objet qu'on a déjà au lieu de le conquérir, refuser la Puissance au lieu de la chercher.

Une surinterprétation heideggerienne de Tolkien : le Don de l'Être et l'Oeuvre rare

Bien que n'ayant pas beaucoup de goût personnellement pour l'ontologie dite "fondamentale" de Heidegger, je me demande souvent s'il n'y a pas une sorte de lien structurel depuis les années 1920 entre le phénoménologue ex-séminariste de la Forêt noire et le philologue oxfordien catholique. Mais c'est en partie une projection et je ne crois pas que Tolkien ait jamais montré à Oxford une connaissance directe d'oeuvres philosophiques contemporaines, et encore moins en philosophie continentale, ses références principales ne se portant que sur des épopées saxonnes ou à la rigueur le Kalevala finlandais.

La philosophie de Heidegger, pour le dire très grossièrement, dit qu'il y a une différence fondamentale entre l'Être et ce qui est, l'étant, et que cette différence originelle tend à être de plus en plus oubliée, à devenir de plus en plus recouverte, incompréhensible au fur et à mesure que toute la pensée ne se porte plus que sur les étants traités comme des objets, des biens manipulables et des ressources à exploiter. Heidegger oppose donc l'Être de cette rivière, de cette source tel qu'il se donne dans la beauté ou le mystère d'un poème et la rivière en tant que simple "objet", ressource hydraulique à utiliser et à nettoyer ensuite. L'idée même de nature oppose l'idée originelle d'éclosion, de devenir en croissance (Phusis : la Rose est sans Pourquoi) et la Nature comme système d'objets spatio-temporels soumis à des régularités mécaniques qui permettent la domination technique du monde. L'arbre comme métaphore est changé en simple matière à transformer.

Quand on lit le Silmarilion, il y a des analogies structurales assez frappantes (même si le catholicisme de Tolkien donne un statut bien plus positif à l'idée d'Infini que chez Heidegger, pour qui l'éternité risque d'être une négation inauthentique de la finitude de l'existence).

Dieu a créé d'abord comme pur don de lumière infini deux Arbres, Or et Argent. L'Arbre est toujours chez Tolkien le signe de la Beauté absolue, du Don gratuit (voir notamment sa nouvelle Leaf, by Niggle). Leurs noms - qui seront repris ensuite dans le Soleil et la Lune - semblent déjà dépasser l'opposition entre végétal et minéral, entre nature et artifice, entre l'éclosion dans la phusis et oeuvre fabriquée, ils sont dans un don originel au-delà de ces distinctions physiques ou métaphysiques entre les étants. Ils représentent un mystère du dévoilement originel de l'être au-delà des étants. Ils sont nés d'un chant et de la compassion des Puissances pour un monde privé de lumière. La lumière n'est pas seulement ici ce qui dévoile l'être, elle est aussi un Don infini, ce qui ne peut pas être traité comme une ressource à thésauriser ou à stocker. Elle ne peut pas être rare dans son infinité, bien que tout le récit tourne autour de la possibilité de sa raréfaction.

Il est d'ailleurs dit que le Soleil qui se consume chaque jour correspond aux Humains et à leur mortalité alors que la Lune dans son cycle de renaissance correspond à l'immortalité crépusculaire des Elfes. C'est le Soleil qui resplendit et qui dépasse la Lune mais la beauté propre à cette dernière est le caractère poétique ou le discret sublime des conte de fées pour Tolkien. Le lunaire est dans une mélancolique nostalgie de la Lumière dans la Nuit, la présence continue de ce qui est donné même quand elle est voilée ou recouverte par le temps.

La Faute originelle et la création de la Rareté

Le texte du Silmarilion commence par la création comme une harmonie musicale, comme une unité dans la diversité (le Mal apparaissant comme séparation et isolement par rapport à cette harmonie). Quand les Elfes, immortels esthètes, amateurs de ces dons infinis des chants (l'art des Bardes), vont arriver face aux deux arbres, le Péché originel tolkiénien va inverser le récit biblique en instaurant une rareté esthétique de l'oeuvre matérielle à la place du don infini de la musique.

Dans l'Eden, l'Ennemi convainc les mortels de découvrir leur propre mortalité en consommant de cet Arbre interdit et ils sont donc expulsés de cette innocence sans travail, sans économie de la rareté.
Dans Valinor, les immortels veulent saisir et objectiver ce don infini des deux arbres et ils traitent alors le don comme une oeuvre d'art qu'ils peuvent capter, isoler, s'approprier : ils créent la rareté dans l'art. Leur peine viendra dans le Désir et non pas dans le labeur pour la survie ou pour le Besoin. Ils ne prennent pas conscience de leur finitude ou d'une séparation par rapport à la nature comme Adam qui veut voiler sa nudité mais renoncent par eux-mêmes à leur infinité et sont pris au piège de la finitude des choses dans l'artifice qui va éclipser l'inépuisable abondance originelle.

L'Ennemi n'est pas seulement jaloux du libre-arbitre des créatures chez Tolkien (comme Iblis), il est lui-même soumis à la même passion fondamentale de l'envie sur les choses et cela sera représenté par sa Couronne de Fer où il mettra les Joyaux. Sa volonté sur les choses est aussi associée à la Puissance mécanique du Fer et de la Technique mécanisée - Morgoth a même des chars d'assaut blindés dans les premières versions issues du traumatisme de la Première Guerre mondiale (et cette technophobie sera encore marqué avec Saruman dans le Seigneur des Anneaux, qui produit une Révolution industrielle dans l'idyllique Comté).

Et quant l'Ennemi viendra détruire la source de ce Don infini et que l'Araignée dévorera la lumière des Deux Arbres, la faute de Fëanor qui forge les Silmarils n'est pas d'avoir "consommé" de cette lumière mais de refuser de sacrifier son oeuvre pour faire renaître les Deux Arbres ("Je n'arriverai jamais à refaire une telle oeuvre !"). Il y a dès lors de l'irréversible dans l'éternité : Fëanor pourrait vivre pour toujours mais il n'est pas sûr qu'en tant que sujet singulier il puisse jamais redonner le même événement de création.

Fëanor le Joailler est l'Artiste par excellence dans sa fonction prométhéenne, démiurgique et démoniaque du Romantisme, le sous-Créateur qui prétend se séparer de la Création par sa créativité. Chez Tolkien (on en a déjà parlé), la finalité de la créature est de viser la sous-Création mais sans oublier qu'elle n'est qu'analogie avec l'Être infini. Sa créativité n'est qu'un reflet ou une ombre de ce Don infini et elle finit par vouloir rivaliser avec elle. Elle devrait prolonger et être reconnaissance de ce Don mais l'image même du Joailler est ici la préfiguration pré-capitaliste de ce qui va devenir tout le fétichisme de la valeur - pour passer ici de Heidegger aux textes du jeune Marx - même si Tolkien est un conservateur, son anti-modernisme passe aussi par l'influence du socialisme romantique de William Morris. L'artiste va finir par idolâtrer ce qu'il croit être sa belle création qui le dépasse, au-dessus de la création elle-même. L'idole devient la perte de la liberté et même perte de son rapport au monde. L'idole est oubli qu'elle n'a été qu'une sous-création et le sous-créateur se perd lui-même. L'idole est un spectre de la lumière perdue, spectre de désir qui ne cesse de hanter les Terres du Milieu entre les Morts et les Cieux.

Désormais, l'aliénation aux choses fera régner son propre ordre contre tout don infini de la beauté. La beauté de l'oeuvre ne sauve pas le monde mais cause de manière contradictoire sa perte tout en offrant les conditions nostalgiques de contempler cette perte. Fëanor enferme l'oeuvre, il veut être le seul à pouvoir la contempler, il craint que les Puissances (Valar) ne veulent la lui prendre. Il y a eu séparation. Fëanor dans son hubris se comporte comme si son oeuvre était vraiment entièrement sa création et cela va le pousser à la révolte et à son serment de faire n'importe quoi contre tout le monde qui tenterait de s'interposer entre lui et les Silmarils.

Cela explique donc ensuite toute la Chute des Hauts-Elfes autour du ressentiment de Fëanor. Il soupçonne tout le monde. Son amour même pour les autres est changé en méfiance universelle. Il va trahir par crainte qu'on ne le trahisse. Et toute sa Maison va être entraînée dans sa malédiction. Son fils Maedhros retrouvera un Silmaril après avoir commis bien des crimes dont il était honteux, mais sera consumé et se jettera dans les flammes avec lui. Le seul Silmaril qui sera sauvé est celui qui sera mis au ciel comme une étoile (celle d'Eärendil), redevenant un Don infini de lumière gratuite et perdant ainsi son statut d'oeuvre rare.

Cependant, il y aurait presque eu une possibilité de rédemption parmi les fils de Fëanor. Le dernier cas tragique est le frère de Maedhros. Maglor est un Barde et la musique comme la poésie est censée justement s'opposer à tout ce fétichisme de la valeur morte. Mais Maglor, même s'il est décrit comme un auteur de Chants perdus sur la Chute de sa Maison, ne peut pas résister à la tentation du fétiche. Il accomplit le serment de Fëanor, récupère un des Joyaux mais il est consumé tout comme son frère Maedhros et dans sa douleur le jette dans la Mer (des trois Silmarils, un brille éternellement dans les Cieux parmi les étoiles, le second est détruit dans le Feu sous la Terre et le dernier est perdu, entre présence et absence dans les Eaux : on a donc une dispersion de la fin du Kalevala où le Sampo est jeté à la mer et, en partie brisé dans sa partie de farine et d'or, il ne fait plus que produire à l'infini dans la mer une ressource qui lui donnait auparavant sa rareté, le sel).

Contrairement à Polycrate et contrairement à ce que disait Gandalf (qui prédisait que l'Anneau reviendrait si Frodo se contentait de le jeter dans l'Océan), le Joyau est vraiment perdu dans l'immensité ! Maglor a réussi à se débarrasser de la chose et il aurait donc pu dépasser la malédiction de l'aliénation, mais il n'en tire aucune libération. Accablé par le regret ou ce Désir sans limite, Maglor restera sur la rive sans pouvoir accepter sa perte, sans se contenter du don de son Chant. Sa poésie sera perdue parce que malgré le sacrifice du Joyau, il n'aura pas réussi à faire son deuil de l'oeuvre et de la finitude de cette oeuvre.

Dans une version des brouillons de Tolkien relatée par Christopher Tolkien dans The Shaping of Middle-Earth, Fëanor à la Fin des Temps atteignait enfin la réconciliation et on lui présentait les trois Silmarils qu'il brisait pour rendre au monde sa lumière infinie, en revenant à l'origine des deux Arbres. Mais on comprend pourquoi l'épopée nostalgique a finalement refusé cette apocalypse dans la béatitude et a pu y gagner en passant de la perte des trois Joyaux à une reprise du même thème avec le cycle de l'Anneau. Frodo et, en un sens, Gollum réussiront là où Maedhros et Maglor avaient échoué.

vendredi 13 décembre 2013

Une campagne Edain au Premier Âge

Le système reste à déterminer. Soit vraiment de la low-fantasy du genre RuneQuest (mais sans Magie quasiment pour les Humains ?), soit à l'opposé, du HeroQuest. Je ne sais pas comment autoriser aussi de jouer des Elfes sans que ce soit trop déséquilibré (ou alors il faudrait justement se centrer sur eux). Des Nains de Nargothrond ou bien des Ered Luin (les Larges-Poutres de Belegost, ou Gabilgathol en khuzdul, et les Barbes-de-Feu de Nogrod au Mont Dolmed, ou Tumunzahar) sont en revanche possibles.

Nous sommes en Bélériand, à l'Ouest du Monde des Mortels.

Les Premiers Nés, les Immortels qui ont vu la Lumière divine mais sont revenus sur la Terre du Milieu, ont créé plusieurs Royaumes, autour de la Grande Forêt de Doriath où vit le Roi des Elfes Gris, Thingol, et son épouse la Fée Melian.

Cela fait plus de quatre siècles que le Soleil s'est levé pour la première aurore et que les Seconds Nés, les Mortels, se sont éveillés.



Avant l'arrivée des Humains : le Siège d'Angband
(Les Humains ont de nombreuses légendes sur leurs pérégrinations depuis quatre siècles mais connaissent mal les trois premiers siècles de Beleriand avant leur arrivée)
Il y a environ quatre siècles, lors de la Bataille Glorieuse, les Noldor ont vaincu Morgoth "le Sombre Ennemi" et ont établi la Garde pour surveiller Angband, au nord des plaines vertes d'Ard-Galen. C'est la période dite du Siège d'Angband ou de la Longue Paix. Les Maisons royales de Fingolfin et des fils de Finarfin se sont en partie réconciliées avec les exilés, les fils de Fëanor, après cette défaite de Morgoth.

Fingolfin, le Haut-Roi des Noldor, occupait le grand domaine de Hithlum, le Pays des Brumes, à l'ouest, encerclé par les montagnes des Echos (Ered Lómin) et des Ombres (Ered Wethrim). Sa capitale était en Mithrim (forteresse de Barad Eithel), autour du Grand Lac Gris, et ils se sont mélangés avec les Sindar.

Ses neveux, les enfants de Finarfin, sont autour. Finrod Felagund, fils aîné de Finarfin, tenait la forteresse de Minas Tirith, sur l'île de Tol Sirion au sud, avec son frère Orodreth. Ses deux autres frères, Angrod, et Aegnor, tenaient le plateau de Dorthonion, le Pays des Pins, au nord des Monts de la Terreur (Ered Gorgoroth) qu'on disait hantés par les Araignées.

Quant aux six fils survivants de Fëanor, ils quittèrent Hithlum et allèrent plus à l'est aux marches de Lothlann. L'aîné Maedhros le Grand, qui fut jadis torturé par Morgoth, tenait la forteresse de Himring. Son frère le barde Maglor gardait la passe au nord du Mont Rerir et Caranthir le Sombre tenait une forteresse plus à l'est au Lac Helevorn, gouvernant les plaines de Thargelion, sans doute avec le soutien du dernier frère Amrod, inconsolable depuis la mort de son jumeau Amras. Celegorm le Chasseur et Curufin tenaient une passe du Himlad menant vers Doriath. Ils attendent que Morgoth se manifeste à nouveau dans l'espoir de remplir leur serment de récupérer un jour les Joyaux des Silmarils.

Il y a trois siècles, Turgon, un des fils du Haut-Roi Fingolfin, construit la Cité Cachée de Gondolin près de Dorthonion, mais nulle ne peut la retrouver sans y être guidé, et son cousin Finrod Felagund, construit, sur ce modèle, et en imitant l'isolement de Doriath, le Royaume souterrain de Nargothrond avec l'aide des Nains, ce qui lui vaut son surnom de "Felagund", la Seigneur des Cavernes.



Il y a environ deux siècles, le Père des Grands Vers de Morgoth tente de briser le Siège d'Angband en attaquant les plaines vertes d'Ard-Galen et échoue face aux forces des fils de Finarfin. Le Pays des Brumes du Haut-Roi Fingolfin repousse aussi des assauts d'Orcs.



Les Trois Maisons des Edaïn
Morgoth semblait vaincu mais il pansait ses blessures. Il avait envoyé ses agents pour corrompre les Seconds Nés mortels à l'Orient. Certains Humains passèrent à l'adoration de ces Ombres. Trois tribus d'Humains, qu'on appelle les Edaïn, vinrent à l'Ouest pour fuir le culte de Morgoth et de ses serviteurs.

Il y a un siècle arrivent de l'Est les Trois Clans des Edaïn : la Maison de Bëor, la Maison de Haleth et la Maison de Hador qui font alliance avec les Elfes contre les Orcs et les autres agents de Morgoth. La première et la troisième Maison parlent un dialecte commun alors que les Haladin ont une autre langue.

Il y a environ 50 ans, après plusieurs étapes en Bélériand, en Thargelion, Ossiriand et Estolad, les Trois Maisons se stabilisent dans leur voyage vers l'Ouest, dans trois territoires, Ladros, Brethil et Dor-Lómin.

(1) Le Seigneur Boromir de la Maison de Bëor l'Ancien reçoit des Princes des Noldor la froide province de Ladros, au nord-est de Dorthonion. Ils furent les premiers Humains à pactiser avec les Elfes quand ils rencontrèrent Finrod Felagund "l'Ami des Humains". Le Seigneur actuel des Hautes-Terres de Ladros est le vieux Bregolas fils de Bregor, qui a environ 60 ans. Son fils aîné est Baragund et son frère est Barahir. Ils sont vassaux d'Angrod et Aegnor, fils de Finarfin. Dame Andreth, une des descendantes de Bëor, est connue comme une Sage, amie de Finrod Felagund et surtout amoureuse (platonique) de son frère Aegnor.

(2) Dame Haleth, dont la tribu avait été attaquée par des Orcs, obtient de Thingol le Roi des Elfes Gris de Doriath le droit de s'installer dans la Forêt de Brethil aux bords de la Rivière Teiglin (ou Taeglin) et autour d'Amon Obel ("Colline Fortifiée", à l'ouest de Doriath et donc au sud de la Cité Cachée de Gondolin). Ils ne sont pas vassaux de Thingol (Haleth avait refusé de jurer vassalité à Caranthir en Thargelion), même s'ils s'engagent à veiller sur la Rivière Teiglin. Ils sont aussi associés à des tribus d'hommes des bois plus petits et primitifs qu'on appelle les Drúedain. Le Chef actuel des Haladin, élu par la tribu, est le vieux Halmir, petit-neveu de Dame Haleth (il est lui aussi âgé d'environ 60 ans, comme le Seigneur Bregolas, mais la longévité des Edaïn était sans doute supérieure à cette époque). Ses enfants Haldir et Hareth ont été mariés avec deux enfants de Hador, en amont sur la Teiglin.

(3) Enfin, Hador Tête d'Or obtint du Haut-Roi Fingolfin une partie du domaine de Dor-Lómin (la Terre des Echos, qui appartenait à son fils aîné Fingon) au sud de Hithlum, aux sources de la rivière Teiglin. Les Humains appellent aussi le Pays des Brumes dans leur langue "Aryador". Hador a reçu du Prince Fingon le Heaume-Dragon, un casque forgé par les Nains. Hador règne toujours et a parmi ses enfants Glóredhel ("Elfe d'Or"), qui épousa Haldir, fils de Halmir de Brethil, et son fils Galdor, épousa Hareth, soeur de Haldir. Leur société a été "elfisée", au point que le Sindarin est devenu langue officieuse (même les Princes Noldor de Mithrim avaient commencé à abandonner leur langue Quenya).

Dans les chroniques des Elfes, nous sommes en l'An 455 depuis l'Aurore et cela fait presque autant de temps que Fingolfin et ses alliés tiennent la garde face à Angband, le péril du Nord et les flammes du grand volcan de Thangorodrim...

Panthéon
Bien que ce ne soit pas exactement la vision tolkiénienne (plus monothéiste), les Edaïn ont un culte des Valar. Ils adorent surtout Manwë, Seigneur des Cieux, et ses Grands Aigles, Tulkas le Guerrier, Yavanna Puissance de la fécondité, Oromë Aldaron le Chasseur et son épouse Vana Puissance du Renouveau. Pour l'instant, ils ne connaissent pas les mers et n'ont donc pas le même culte que les Elfes pour Ulmo et ses navires qui les avaient conduits vers le Pays Béni (même si Ulmo peut aussi être associé aux sources d'eau en général - Ulmo est intervenu pour créer les royaumes de Gondolin et Nargothrond, et il sauvera plusieurs fois par la suite Huor, fils de Galdor, puis bien plus tard Tuor, fils de Huor).

Fingolfin sur son cheval Rochallor
qu'on disait comparable à Oromë

mardi 10 décembre 2013

Juge & Joueur

Les blogs de jeu de rôle Old School en ont déjà beaucoup parlé. Clark Peterson, fondateur de la compagnie de jeu de rôle Necromancer Games (qui a géré notamment la réédition pour d20 de certains produits Judges Guild au début de ce siècle), est aussi un juriste et est devenu depuis trois ans Juge à Coeur d'Alène, Idaho (au nord-ouest, tout près de la frontière avec Spokane, Washington). Il a été confirmé à ce poste jusqu'en 2016.

Or des personnes qui avaient été (si j'ai bien compris, je ne connais rien en Droit) parties comme demandeurs dans des procédures jugées par ce magistrat l'ont critiqué, sans aller jusqu'à déposer plainte (même si cet article de la presse locale fait semblant d'être une enquête de réquisitoire). Ils se servant de ses traces Internet comme il poste de très nombreuses fois sur les jeux de rôle, y compris pendant des pauses des procès (il fut par exemple longtemps un des "juges" du concours du RPG Supertar de Paizo, leur imitation ludique de America's Got Talent).

On a eu le réflexe d'y voir une trace de "Chasse aux sorcières" contre les jeux de rôle, comme si un magistrat devait mieux cacher sa double vie de rôludiste. La réaction de défense peut s'expliquer comme il y a toujours une sorte de "stigmate" d'anormalité sur ce hobby, depuis la vague des critiques virulentes il y a une trentaine d'années.

Mais en l'occurrence, j'imagine qu'avec une société aussi procédurière, les plaignants auraient pu chercher d'autres prétextes même s'il était un fan acharné de football américain et pas quelqu'un qui prend une identité de démon nécromancien. Les personnes interrogées ont aussi fait référence à d'autres problèmes privés du juge qui n'avaient rien à voir avec le jeu, comme son divorce.

Le magistrat a donc supprimé son identité d'Orcus et pour éviter tout problème déontologique, il a dû préciser qu'il se récuserait, en tant qu'entrepreneur, pour toute querelle commerciale sur des compagnies de jeu de rôle (comme il a pu avoir des querelles assez dures avec d'autres auteurs comme Kuntz par exemple).

dimanche 8 décembre 2013

Quelques notes hellénistiques pour résister à l'oubli

(1) Dans la philosophie, un cliché est de parler d'erreur d'interprétation mais le faux y joue un rôle tellement essentiel qu'il y devient un élément à connaître, indifférent à sa fausseté.
Exemple 1 : Pendant tout le Moyen-Âge et jusqu'aux exégèses contemporaines, le grand philosophe persan Avicenne est apparu comme le philosophe "réaliste" par excellence qui aurait introduit dans la métaphysique l'idée qu'une essence est complètement indifférente à l'existence (l'essence du dragon ou du cheval n'implique pas qu'il y a un dragon ni un cheval ou plusieurs chevaux). L'historien néo-thomiste Gilson en avait même fait le centre de toute son interprétation de l'histoire de l'Être, opposant une ("bonne") métaphysique actualiste (ou déjà existentialiste) d'Aristote à Thomas d'Aquin et une dérive essentialiste du possible qui ne commencerait qu'avec Avicenne pour trouver son accomplissement dans Leibniz chez qui Dieu contemple des univers d'essences qui ne s'actualiseront jamais (le cas de David Lewis serait plus complexe comme les possibles non-actualisés sont des concreta et non des essences générales). Aujourd'hui, on croit au contraire que les textes d'Avicenne avaient été inversés et que ses passages sur l'essence étaient ceux où il était en train d'attaquer une théorie mutaziliste qu'il ne soutenait pas lui-même. Peu importe en un sens puisque c'est ce "contre-sens" qui fit un tel effet sur toute notre philosophie que les théories de Gilson sur ce Pseudo-Avicenne sont en partie défendables.
Exemple 2 : Cicéron est une des principales sources sur l'Epicurisme ancien et dans ses dialogues il critique la théorie d'Epicure sur la liberté en disant que la déviation des atomes ne peut pas suffire à donner ce que nous appellerions ensuite une responsabilité morale. Il fait alors l'éloge des Néo-Académiciens qui auraient fait cette objection. Or il semblerait aujourd'hui que Cicéron avait inversé les textes. Epicure aurait en fait écrit que notre esprit matériel doit influencer nos choix par lui-même (ce qui est assez obscur) sans que cette liberté se réduise à la déviation des atomes (qui aurait un rôle plus cosmologique que vraiment éthique) et les Néo-Académiciens (sceptiques) citaient ce débat pour ironiser sur cette solution, non pas pour l'ajouter en substitution à la déviation. Mais peu importe, comme c'est ce possible contre-sens de Cicéron ou de ses sources qui sera ensuite l'histoire officielle de la philosophie jusqu'à nos philologues contemporains.

(2) Les Stoïciens ont besoin d'une notion de tendance ou impulsion naturelle vers le Bien. En effet, dans leur Nature finalisée, il faut qu'il y ait cette tendance vers la vertu pour que nous nous tendions pour accomplir cela. Sinon, ils ne pourraient pas justifier leur identification du bonheur et de la vertu. Le bonheur est épanouissement d'une finalité vertueuse. Les Epicuriens sont anti-finalistes et donc la seule fin est posée par nos désirs et donc seulement par le désir de plaisir (ou l'aversion face à la peine). Mais comme les Stoïciens veulent classer le plaisir et la peine dans des Indifférents qui ne dépendent pas de nous, il faut une impulsion vers le bien en-deça de nos désirs de plaisirs. Sénèque donne l'exemple d'un enfant qui se ferait mal en apprenant à marcher mais qui continuerait à se relever sans faire simplement le calcul que sa marche lui apporte plus de peine que de plaisir. Il aurait alors une impulsion naturelle le poussant vers la marche. (On pourrait faire le même argument stoïcien contre tout calcul hédoniste disant qu'une existence a probablement plus de maux que de plaisirs : même si ce paradoxe de Maupertuis, de David Benatar ou de Christine Overall est vrai, cela implique donc que nous ne pouvons pas réduire nos choix à une optimisation hédoniste, sans quoi la solution nihiliste, malthusienne ou hégésiaque s'imposerait.)
La passion irrationnelle n'est pas chez Chrysippe une autre force ennemie face à la Raison, c'est le fait que la tendance dans l'activité peut s'amollir ou se relâcher au point de s'émousser. Quand l'âme est tendue, elle vise le bien, quand elle se laisse aller, elle laisse la tendance devenir plus confuse dans plusieurs directions. Alors seulement naît le conflit entre la Raison naturelle et les désirs irrationnels. La vertu n'est que l'exercice régulier de la tendance, la passion est l'hystérésis de l'indolence. La tendance naturelle est la marche assurée vers un but, la passion est la marche qui s'est laissé aller à dévaler selon une pente plus facile, selon un "penchant" et la marche s'accélère alors vers l'excès tumultueux de la passion. L'apathie stoïque est la lutte contre l'éboulement dans l'aboulie.
C'est la même image de la pente qu'ils prennent quand ils veulent expliquer la compatibilité entre déterminisme et responsabilité morale : deux objets n'ont pas choisi par eux-même l'impulsion et la pente mais ils accomplissent leur chute selon leur propre nature propre, selon la forme qui va plus ou moins freiner leur dévalement ou leur déchéance dans la passion. Le Sage serait celui qui serait assez tendu (ou tonique) pour offrir assez d'aspérités pour ralentir vers une marche vers son but naturel, sans autant de chocs ou renversements passionnels. Il ne remettrait pourtant pas en cause l'impulsion vers son but, qui ne vient pas de lui mais de la Nature. [La lettre à Schuller de Spinoza est une inversion de ce thème stoïcien qu'il devait connaître. Les Stoïciens disent qu'une pierre qui tombe est libre en suivant sa nature propre. Spinoza dit qu'une pierre qui a une impulsion pourrait avoir l'illusion de croire que son impulsion vient d'elle si elle était dotée de la conscience de ses désirs immédiats, qui s'opposerait donc nécessairement et non pas seulement par une ignorance accidentelle à la connaissance des causes.]

vendredi 6 décembre 2013

Les Douze Mondes (1925) de J. Schlossel


J'avais énuméré quelques premières oeuvres de space opera de la Belle Epoque aux Années Folles. Une nouvelle à ajouter est "Invaders from Outside. A Tale of the Twelve Worlds" (Weird Tales vol. 5, n°1, janvier 1925) par un Américain Joseph Schlossel (1902-1977), qui n'aurait écrit que pendant une période brève de 1925 à 1930.

L'histoire est une guerre spatiale mais elle se déroule dans un passé préhistorique. La vie a à peine commencé à évoluer sur la Terre il y a quelques douzaines de millions d'années mais une autre civilisation extra-terrestre (qui n'est jamais décrite physiquement, mais qui semble inhumaine) est déjà apparue dans notre système solaire avant la nôtre et a commencé à se répandre sur plusieurs mondes, y compris la "Cinquième Planète" disparue qui se serait située entre Mars et Jupiter (selon la vieille théorie de l'astronome Olbers en 1802 sur "Phaéton" pour expliquer la ceinture d'astéroïdes). Ils ont fondé une "Confédération des Douze Mondes" qui comprennent deux planètes (la 4e, Mars, et la "5e Planète") et dix satellites (notre Lune, les 4 Lunes galliléennes de Jupiter, Io, Europe, Ganymède et Callisto, et 5 Lunes de Saturne, sans doute Titan, Rhéa, Japet, Encelade et Téthys ?).

Une planète sombre apparaît soudain venue de l'extérieur du système solaire. Ses habitants, qui contrôlent leur monde comme un vaisseau, ont perdu leur propre soleil il y a des milliers d'années et vivent en pillant les autres planètes habitables qu'ils rencontrent sur leur chemin. Ils viennent se satelliser dans l'orbite de Neptune et sortent de leur sommeil cryogénique pour réparer leurs habitats en formes de pyramides. Les Douze Mondes qui étaient complètement pacifistes voient soudain les extra-solaires commencer à envoyer des vaisseaux cubiques pour ravager tout le système (oui, ce sont un peu des Borgs). Mais les Douze Mondes ont pour eux la maîtrise d'une technologie de téléportation et des désintégrateurs qui leur permet de vaincre la Planète sombre. Dans un gambit final, les envahisseurs venus de l'Extérieur abandonnent leur propre planète et tentent de prendre le contrôle de la 5e planète phaétonienne pour la mettre en mouvement. Une catastrophe a lieu et ils détruisent la 5e planète, créant la ceinture de satellites et faisant s'écrouler toutes les colonies des Douze Mondes, sauf Mars, qui est en ruines. La Terre est épargnée par les débris de cette Guerre interplanétaire et la vie intelligente y apparaîtra par la suite (bien que je trouve qu'un retournement amusant aurait été que ces épouvantables monstres envahisseurs de notre système soient simplement les ancêtres des hommes, ce qui semble une interprétation plausible de certains passages comme ils semblent plus "humanoïdes" que les membres des 12 Mondes).

Cette histoire sans personnages, décrite comme un récit historique (à la manière d'Olaf Stapledon) fut sans doute assez influente pour les débuts du space opera. Trois ans après, le jeune Edmond Hamilton publie dans Weird Tales vol. 12, #2-3 (août-septembre 1928) une histoire, "Crashing Suns", où la Patrouille interstellaire doit lutter contre des envahisseurs qui peuvent faire bouger des soleils entiers pour les envoyer comme des projectiles dans notre système. En 1934, Flash Gordon a aussi une planète ambulante qui vient dériver dans notre système. L'idée qu'une Planète, y compris la nôtre, est une sorte de "Navire" ou de "Véhicule" dans notre condition d'Homo viator n'est donc pas une idée originale de Buckminster Fuller.

Il s'est créé depuis cette nouvelle de Joseph Schlossel tout un genre pseudo-scientifique de délires en paléo-astronomie qui mélange mysticisme et catastrophes interplanétaires. Les exemples les plus célèbres seront l'écrivain schizophrène Richard Shaver (1907-1975), qui prétendait dans les années 1940 avoir visité les cavernes secrètes des "Déros" venus de l'intérieur de la Lune (ce "Shaverisme" eut un bref succès, et la scientologie de Hubbard semble aussi en avoir plagié des éléments paranoïaques où les extraterrestres y remplacent les antiques démons), le psychiatre Immanuel Velikovsky (1895-1979) qui affirmait trouver des traces dans les mythologies antiques d'une catastrophe où la planète Vénus aurait été arrachée à Jupiter vers -1500, ou le journaliste Zecharia Sitchin (1920-2010, sans doute très influencé par le vélikoskisme) qui croyait trouver des preuves d'extraterrestres de la planète disparue de Nibiru/Marduk dont la Lune, Tiamat, se serait divisée en deux, la ceinture d'astéroïdes et la Terre.

Joseph Schlossel publia quelques autres nouvelles mais à ma connaissance ne revint pas sur sa première cosmologie de space opera. Il invente assez peu d'intrigues et n'est pas un écrivain particulièrement doué mais était assez visionnaire sur certains thèmes scientifiques pour ce début de l'Âge d'Or des Pulps.
"Hurled into the infinite" (Weird Tales, vol. 5, #6-vol. 6, #1, juin-juillet 1925) :  le héros Ned Spencer cherche sa fiancée Grace qui a été enlevée par une secte qui veut coloniser d'autres mondes et qui l'a téléportée par un rituel psychique sur une planète primitive. Ned Spencer part la récupérer sur l'autre planète mais met ensuite assez longtemps pour réunir assez d'indigènes en transe pour imiter le même processus et le téléporter à nouveau sur Terre.
"A Message from Space" (Weird Tales, vol. 7, 3, mars 1926) est le récit d'un amateur d'électronique qui reçoit par sa Télévision (oui, le son est allé avec l'image) un message de Tog Blaata, co-Prince de la planète Nateer. Leur monde qui tourne autour d'une étoile double est mourant à cause du déclin d'une des deux étoiles et l'autre co-Prince Zeneth propose un plan pour changer l'orbite de Nateer et la rapprocher de l'autre soleil. Tog Blaata réussit à empêcher le plan de Zeneth, qui n'aurait fait qu'accélérer la destruction de leur planète, mais ils sont exilés tous les deux de Nateer dans un vaisseau spatial.
"Second Swarm" (Amazing Stories Quarterly, Printemps 1928) raconte à nouveau une guerre mais dans un lointain futur où l'Humanité doit envoyer un "second essaim" punitif pour venger ses premiers colons dans le Système de Sirius.
"To the Moon by Proxy" (Amazing Stories, octobre 1928) est plus intéressant car le héros, un inventeur génial mais paralysé explore la Lune en y envoyant à sa place un robot téléguidé et reçoit par Télévision des images de sa sonde exploratrice.
Il reprendra à nouveau son thème de l'invasion dans une dernière nouvelle "Extra-Galactic Invaders" (Amazing Stories Quarterly, Printemps 1931) où l'Ennemi est devenu extérieur à notre Galaxie et plus seulement à notre Système.